Entretiens avec JINHA, l’agence de presse des femmes

Voici deux interviews qui ont été menées par Corporate Watch et Vice News, au Kurdistan nord (Bakur), auprès de 3 journalistes de JINHA. Celle qui suit date de juste après les élections législatives de juin 2015, autrement dit juste avant la reprise de la guerre . La deuxième interview (voir l’encart) est plus récente (janvier 2016).

JINHA est une agence de presse entièrement composée de femmes, kurdes dans leur grande majorité. Elle subit une répression féroce de la part de l’État turc. Plusieurs de ses journalistes sont soit en prison, soit en attente d’un procès. C’est le cas de Beritan qui vient d’être condamnée à 1 an et 3 mois d’emprisonnement. Elles sont le plus souvent accusées de complicité avec une organisation terroriste (comprendre  : elles donnent des informations qui ne vont pas dans le sens du gouvernement). Par ailleurs, leur site internet a été hacké 5 fois et interdit par décision de justice. En reportage, elles subissent les attaques de la police, parfois à balles réelles.

Entretien avec Asya Tekin

Peux-tu décrire ce qu’est JİNHA ?

Asya Tekin  : JİNHA a été fondée il y a quatre ans, le 8 mars 2012, la journée internationale des femmes. Son but est de couvrir les événements qui concernent les femmes d’un point de vue de femme avec uniquement des journalistes femmes. Elle a été fondée à Amed. Depuis, un réseau de reporters s’est développé dans tout le Kurdistan – nous comptons actuellement 40 employées. Légalement, nous sommes une entreprise, mais nous travaillons à la manière d’un collectif de femmes.
C’est une agence composée majoritairement de femmes Kurdes, mais en grandissant, nous essayons d’élargir de plus en plus aux problèmes des femmes à travers le monde.
Nous avons un site internet et un service vidéo qui envoie des reportages à différentes chaînes provenant d’un peu partout dans la région. Nous envoyons également des informations à de nombreux journaux de la région.

JINHA subit-elle des discriminations du fait d’être une agence de femmes ?

AT : Nous avons de nombreuses difficultés à diffuser nos informations. Nos abonnés sont des médias de gauche ou alternatifs. Les grosses chaînes d’information ne nous commandent pas de reportages. La plupart du temps, les médias parlent des femmes de manière à faire du buzz, comme dans les magazines people, alors que nous présentons un regard de femmes sur des luttes de femmes. Les lectrices et les téléspectateurs ne sont pas habitué.e.s à cela. De ce fait, nous avons beaucoup de mal à trouver des abonné.e.s.
Nos reporters rencontrent également des difficultés lorsqu’elles sont sur le terrain. Les gens disent que les femmes ne peuvent pas faire du reportage de guerre, et ils considèrent que la caméra devrait être tenue par des hommes. Les discriminations proviennent à la fois de collègues masculins et de personnes lambda.

Pouvez-vous nous parler de la vie quotidienne et de la violence que vous subissez de la part de la police et de l’armée turques au Kurdistan ?

AT : Au quotidien, je ne me sens pas en sécurité, surtout en tant que journaliste femme. Nous nous attendons à des attaques tous les jours. Pendant la campagne électorale [pour les élections législatives de 2015], nous sommes allées dans la région de la Mer Noire. Nous avons été harcelées par la police et nous étions suivies par une voiture sans immatriculation tout le long de la route jusqu’à Malatya. Nous nous sommes plaintes à la police, en leur disant que nous savions que c’était eux, et la police a semblé en prendre note, mais n’a rien fait. Je ne me sens pas en sécurité ici.
C’est un pays où il existe une lutte importante pour la libération des femmes. Des femmes comme Deniz Firat [une correspondante kurde qui travaillait pour l’agence Firat News, tuée en 2014 par Daesh] et d’autres, qui ont été assassinées en faisant leur travail, m’inspirent et me donnent de la force.
Je me vois comme une journaliste qui travaille en état de guerre, et je considère mon activité comme étant en première ligne de cette lutte. Les attaques peuvent avoir des conséquences psychologiques, mais pas assez pour me faire abandonner.
Quand on est témoin d’autant d’injustice autour de soi, on doit le faire savoir. […] Bien sûr, les informations doivent être le plus objectives possible, mais lorsque vous voyez un État commettre autant d’injustices, vous devez en rendre compte en étant du bon côté.[…] D’un point de vue éthique et moral, en tant que personne, je me sens responsable de faire ce qui est juste. Bien sûr nous sommes des journalistes, mais je suis aussi une femme kurde, donc je me sens responsable de ce qui se passe.
Nous ne faisons pas uniquement des reportages sur les femmes qui résistent ; nous rendons compte également des femmes qui ne peuvent pas résister, qui vivent dans des conditions proches de l’esclavage. C’est notre devoir en tant que journalistes femmes. Le point de vue de notre agence est que nous sommes du côté des femmes et de leur liberté, en toutes circonstances.
De la même manière que nous donnons des information sur les femmes résistantes, nous en donnons sur les femmes qui sont victimes de violences et de discriminations ou qu’on écrase. Pour nous, c’est cela montrer les luttes de toutes les femmes, et à quoi ces luttes ressemblent vraiment.[…]

Votre travail doit avoir d’importantes conséquences psychologiques sur vous. Faites-vous quelque chose pour vous soutenir les unes les autres ?

AT : […] En tant que Kurdes, nous sommes habituées au trauma. Ce que nous faisons, est un engagement militant féministe, avant d’être un engagement journalistique. C’est ce qui nous fait tenir.
Nous avons reçu des menaces de la part du Hezbollah [kurde] et de Daesh mais cela ne nous pousse pas à arrêter de faire ce que nous faisons. Cela renforce notre engagement.
[NdT : Nous avons sauté les paragraphes qui racontent les attaques envers les Kurdes et les journalistes de la part de la Turquie et de Daesh]

Que pensez-vous des entreprises qui fabriquent des armes pour l’armée turque ?

AT : Je considère que c’est une erreur de dire que les entreprises sont les premières coupables. Les États renforcent leur pouvoir en utilisant ces armes. Les États en ont besoin pour pouvoir asseoir leur pouvoir répressif. Quand cela disparaîtra, ces entreprises disparaîtront également. Mais je considère que ces entreprises sont des tueuses d’enfants. Leurs patrons sont totalement complices de meurtres.

Pensez-vous que les gouvernements devraient donner des permis d’exportation d’armes à la Turquie ?

AT : Comment se fait-il que ces armes sont toujours envoyées vers le Moyen-Orient ? Comment se fait-il que le monde entier mènent ses guerres au Moyen-Orient ? Comment se fait-il qu’ici, à chaque coin de rue, on trouve un policier avec une arme à la main et qui sait comment tuer quelqu’un, et que lorsqu’on va en Europe, on ne voit d’armes nulle part ? Pourquoi devons-nous vivre sur un territoire où les armes sont omniprésentes ?
Si ces armes n’avaient pas envahi le Moyen-Orient, des groupes comme Daesh ne pourraient pas exister. Et maintenant, on en est rendu au point où les gens qui vivent ici ont besoin d’une arme pour s’auto-défendre. Une femme des YPJ [Unités de Femmes de Protection du Peuple au Rojava] a besoin d’une arme. Si vous vivez là-bas et que vous faites face à la force la plus sauvage qui existe au monde, vous êtes dans l’obligation de vous procurer l’arme qu’elles se sont procurée pour pouvoir vous défendre.
Bien sûr, le peuple kurde a la volonté profonde de résister, mais si seulement nous vivions dans un monde où nous pourrions le faire par de la désobéissance civile ou à travers des débats. Malheureusement, nous vivons au Moyen-Orient et ce n’est pas possible.
Nous voulons vivre dans un monde où nous n’aurions pas à nous procurer des armes. J’espère qu’un jour, les gens n’irons plus à la guerre. J’espère que la résistance des YPJ amènera un jour où les gens pourront vivre en paix et avoir une vie sans guerre.
Dernièrement, les femmes kurdes sont devenues un espoir pour les femmes dans le monde. Elles ont été tuées et violées. On a nié complètement leur existence, et ce sont elles qui résistent. A présent, elles sont l’espoir. Et cela nous rend heureuses d’informer sur les personnes qui font cette résistance.

Que peut-on faire depuis l’extérieur en solidarité avec le Kurdistan ?

AT : Il y a une chose que je souhaite, c’est que toutes les personnes qui sont opprimées au Moyen-Orient et qui sont forcées de vivre une vie de guerre, se relèvent ensemble et retournent à leurs vraies racines. J’aimerais voir cela aussi en-dehors du Kurdistan.
Pour finir, le terrorisme et la violence ne sont pas venues d’ici, mais de l’Occident. Les gens en Occident devraient se demander ce qu’ils doivent faire à ce sujet.

Entretien avec Sarya Gözüoğlu

Peux-tu nous dire ce que c’est que de grandir avec le militarisme turc ?

Sarya Gözüoğlu : C’est comme ça depuis que nous sommes né.e.s. Nous y sommes habitué.e.s, tous les jours nous pouvons perdre quelqu’un.e. À tel point que parfois, nous nous disons que la vie des gens normaux en Turquie doit être ennuyeuse. Nous y sommes tellement habitué.e.s que chaque jour ressemble à un film d’action. Cela ne nous semble plus bizarre. Quand nous étions enfants, ce n’était pas pareil – nous n’en étions pas conscient.e.s – mais quand nous avons quitté la maison, nous nous sommes rendu compte que c’était le mode de vie ici. J’ai toujours vécu à Amed. Bien sûr, cela a toujours été effrayant de voir la police perquisitionner des maisons, prendre les affaires des gens, les arrêter. La peur a provoqué l’engagement à agir contre elle.

Qu’est-ce qui t’a fait devenir une journaliste de JINHA ?

SG : C’était mon rêve depuis que j’étais petite. Mais sans JINHA, je n’aurais peut-être jamais eu le courage car c’est très dur pour les journalistes femmes. Un ami proche de mon oncle, qui était journaliste, a été tué. C’est ce qui m’a inspirée, car mon oncle était vraiment affecté par sa mort. Je n’ai pas étudié le journalisme ; j’ai fait des études en génie agricole, donc je n’ai pas ce bagage, mais cela a toujours été mon rêve. JINHA m’en a donné l’opportunité. J’ai pris confiance car ici il n’y a que des femmes. Certaines n’ont pas fini l’école, d’autres étaient enseignantes. Cette diversité m’a fait réaliser que moi aussi je pouvais le faire. La plupart n’avait pas d’expérience de journalisme, mais en ont acquis ici.

Est-il difficile pour les femmes ici d’être journalistes ?

SG : Bien sûr, je subis des discriminations en tant que femme journaliste. Lorsque vous sortez en tant que journaliste, vous êtes au milieu d’une armée d’hommes. 90 % des journalistes sont des hommes. Ils pensent qu’ils doivent être les meilleurs et que les femmes ne peuvent prendre de bonnes images. Lorsque nous allons à un événement difficile à filmer, les hommes disent : « c’est dommage que vous n’ayez un homme avec vous pour pouvoir filmer ». Si les journalistes ne sont pas capables de voir leurs propres collègues sans préjugés, comment peuvent-ils faire un travail objectif ?

La révolution au Rojava vous a-t-elle donné de l’espoir pour ici ?

SG  : Le Rojava ne devrait pas seulement donner de l’espoir pour le Kurdistan, il devrait en donner aussi au reste du monde. Cette révolution est née dans une région que personne ne connaît. Que cette résistance ait réussi à se faire entendre prouve bien que tout est possible. Cela montre que les gens peuvent décider de leur futur par leur propre volonté. Cela peut donner de l’espoir à de nombreuses personnes à travers le monde.

Est-ce que monter des actions contre ceux qui vendent des armes à la Turquie peut soutenir les mouvements révolutionnaires au Rojava ?

SG  : Oui évidemment. Toute action contre ceux qui vendent des armes à la Turquie est un soutien pour le Rojava car la Turquie donne de l’argent et des armes à Daesh.

Pour suivre les infos de JINHA allez sur :
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Repris de Merhaba Hevalno n°4.

[Entretien] Cizre est maintenant comme Kobanê et Shengal

Faysal Sarıyıldız, député HDP pour Şırnak, a été la source d’information principale depuis l’intérieur de la ville assiégée de Cizre pendant deux mois. Il a informé l’opinion publique à travers les réseaux sociaux et il a fait de nombreux appels aux organisations internationales pour mettre  un terme au siège de Cizre et empêcher le massacre de civil.e.s.
Sarıyıldız a d’abord été au Parlement en 2011 pour la première fois comme candidat du DBP (Parti pour la Paix et la Démocratie), le prédécesseur du HDP, alors qu’il était en prison accusé d’appartenance à une organisation terroriste. Il avait été arrêté en 2009 dans le cadre des opérations contre le KCK, puis relâché en 2014 sans avoir été jugé. Il a été réélu au Parlement en 2015.
Kurdish Question a interviewé Faysal Sarıyıldız aux lendemains des massacres afin d’avoir une image de la situation à Cizre plus claire, sans censure et de première main.

Où êtes-vous en ce moment, M. Sarıyıldız ?

Je suis à Cizre, district de Şırnak, où il y a eu un couvre-feu pendant 62 jours sous les ordres du gouvernement AKP et sous décision du Gouverneur de Şırnak.

Dans quels quartiers ont lieu les sièges et les opérations ?

Les opérations et les sièges ne sont pas limités à certains quartiers. Le siège est imposé  aux quatre coins du centre du district [NdT : c’est-à-dire, la ville ; le reste du district étant composé d’autres villes comme Idil et des villages]. Néanmoins, il y a une concentration dans les quartiers de Nur, Cudi, Sur et Yafes, qui sont sous attaque intense et assiégés.

Quelle est la population vivant dans ces quartiers actuellement ?

Selon le recensement de 2015, la population de Cizre est de 131.816 personnes. Les quatre quartiers que j’ai mentionnés correspondent aux 2/3 de ce nombre. À cause des attaques dévastatrices et illégales de l’État, les habitant.e.s de Cudi, Nur et Sur ont été complètement déplacé.e.s, puis plus de la moitié de la population de Yafes a également dû quitter le quartier. En outre, la politique de déplacement forcé par l’État a aussi été exécutée dans des quartiers pas particulièrement ciblés par les attaques. On peut dire que plus de 100.000 personnes ont été déplacées.

Cizre est assiégée depuis plus de deux mois ; qu’est-ce que les gens ont à manger et à boire ; en gros, de quoi vivent-ils ?

Les gens ont épuisé durant cette période toutes leurs réserves. À Cizre, les relations sociales et de voisinage sont très fortes. De plus, il y a la solidarité collective parce que les gens appartiennent à la même identité politique. Néanmoins il y a de graves privations dûes à la longue durée de siège. Par exemple, l’État n’a permis qu’à quelques magasins de rester ouverts certains jours. Mais uniquement les gens habitant proches de ces magasins pouvaient en profiter. Les gens habitant loin de ces magasins dans des quartiers attaqués sévèrement ne peuvent en aucun cas accéder à leurs besoins. Parce que quitter la maison pour aller acheter du pain peut avoir comme conséquence de se faire tirer dessus ou d’être touché par un éclat d’obus, en gros, d’être tué.e. Le prix pour sortir dans la rue est la mort. En plus, dernièrement la police a empêché ces magasins d’ouvrir.

En même temps, les forces de l’État ont empêché l’accès au district à des dizaines de camions contenant de la nourriture et d’autres produits de base envoyés depuis d’autres parties du pays.

À cause des attaques, les infrastructures du district ont été détruites. Les forces de l’État ont ciblé volontairement les canalisations d’eau potable et celles d’eaux usées ainsi que les transformateurs d’électricité. On a manqué d’eau pendant des jours. Un employé de la mairie est allé réparer les réservoirs d’eau endommagés puis il s’est fait tirer dessus par l’armée ; son bras a dû être amputé.

Est-ce que les gens vous appellent pour demander de l’aide ? Que demandent-ils ?

Les demandes les plus courantes pendant le siège étaient d’emmener les blessé.e.s et les cadavres à l’hôpital. Des appels au secours de personnes piégées dans des bâtiments, d’autres qui sont menaceés de mort, ou encore dont les maisons ont été brûlées. C’est parce que l’État a coupé toute voie de communication entre les institutions et la population ; il n’y a aucune voie de dialogue. Les mairies ne sont pas capables de fournir les services à la population à cause du siège et du couvre-feu.
Les gens pensent que parce que je suis député, je vais être capable de satisfaire leurs demandes. Par contre, à cause de mon rôle d’opposant et la ligne politique que je représente, les demandes que je relaie ne sont pas prises en considération. Les cadavres et les blessé.e.s ont été laissé.e.s dans les rues pendant des jours malgré les nombreuses demandes pour qu’elles soient retirées. Des demandes comme celle-ci seraient immédiatement entendues dans des pays où une démocratie est implantée et la justice et la loi sont appliquées. Mais les demandes les plus humaines sont ignorées en Turquie, qui est administrée par un gouvernement antidémocratique et totalitaire.

Où sont allés les gens qui ont fui Cizre ? Avez-vous des informations quant à leur situation ?

Les gens ont dû quitter leurs maisons et leurs moyens d’existence à cause des attaques permanentes et intenses de la part des forces de l’État. Lorsque les Kurdes parlent de dévastation et de désastre, leur référence c’est Kobanê et Shengal. Deux tiers de Cizre sont maintenant pareils à Kobanê et Shengal. Les maisons ne sont plus que décombres. Il ne reste pratiquement aucune maison n’ayant pas été touchée par les obus ou les mortiers. Ceci est une politique consciente pour déplacer la population. Les forces de l’État ont violé le droit à la vie.
Le premier mois du siège, la migration était intérieure. Les attaques étaient concentrées sur les quartiers de Cudi, Nur, Yafes et Sur. Les habitant.e.s forcé.e.s de quitter ces zones ont migré au centre-ville ou vers les quartiers où les attaques étaient moins graves. Certaines personnes ont emménagé chez des proches, et d’autres ont été accueillies par des gens. Par contre, lorsque les attaques ont commencé à se répandre sur ces quartiers aussi, les gens ont migré encore une fois, cette fois-ci vers des villages proches, vers les villes de Şırnak, Idil, Diyarbakır ou d’autres villes en Turquie. Dans les années 1990, les attaques de l’État ont provoqué la migration des Kurdes des zones rurales vers les villes, maintenant c’est le contraire qui arrive ; parce que l’État est en train de convertir les villes kurdes en un enfer.

Pourquoi l’État attaque aussi sévèrement Cizre?

Si on regarde à la signification historique et politique de Cizre, on peut voir qu’elle a une qualité symbolique autant pour l’État que pour le peuple Kurde. Pour comprendre pourquoi l’État a déclaré le plus long siège et couvre-feu et commis des atrocités en empêchant les gens d’enterrer leurs proches et en brûlant des gens vivant.e.s, on doit regarder l’histoire de résistance à Cizre.

Au cours des années 90, la pire tyrannie et oppression a eu lieu à Cizre. Les événements pendant les célébrations du Newroz [le nouvel an kurde] en 1992 sont encore frais dans notre mémoire. Plus de 100 civil.e.s se sont fait tirer dessus et des centaines blessé.e.s dans des attaques visant à empêcher les célébrations du Newroz. Les mêmes années, des villages ont été entièrement rasés, les migrations forcées, les assassinats extrajudiciaires et les fosses communes étaient quotidiens à Cizre. L’État voyait les droits et libertés humaines comme du luxe pour la population de ce district.

Malgré toute la violence et l’oppression, à cette époque comme maintenant, la population de Cizre n’a fait aucune concession et ne s’est pas agenouillée. La demande de Cizre pour la liberté et l’égalité et sa résistance contre les politiques de négation et d’assimilation de l’État turc a toujours été incassable. Malgré la politique étatique d’assimilation, Cizre a résisté à la Turquification et protégé son identité culturelle et politique, authentique et indépendante. C’est la raison pour laquelle elle a toujours été la cible de ceux au pouvoir. Tout comme Cizre était au cœur de la rébellion contre l’Empire Ottoman en 1847, elle est devenue le symbole de résistance pour le peuple Kurde dans les années 1990.
L’État est donc persuadé que si Cizre, l’un des centres de la résistance, est liquidé, alors il pourra renforcer sa souveraineté dans les autres villes du Kurdistan. Mais je suis persuadé que la barbarie de l’État à Cizre pendant le siège a été gravée dans la mémoire collective de la population tellement profondément que ça va créer une réaction et une rage organisées. Les gens ici ont dû vivre une expérience inhumaine et tyrannique qui va être transmise de génération en génération.

Que signifient les barricades et les tranchées ?

Elles signifient une forme d’autodéfense contre la politique de négation et d’annihilation de la part de l’État. Bien sûr que les populations Kurdes ne sont pas ravies de vivre derrière des tranchées, au milieu de batailles, de quitter leurs maisons et d’enterrer des personnes aimées chaque jour. Mais on insiste pour que les Kurdes vivent comme des esclaves. Ceux et celles qui sont derrière les barricades refusent cela. La plupart d’entre elleux ont été discriminé.e.s par l’État, arrêté.e.s, emprisonné.e.s et torturé.e.s ou alors ont perdu un.e proche dans la guerre, ou leur village a été brûlé. Illes n’ont pas confiance en l’État. Je sais cela parce que j’ai rencontré les jeunes l’année dernière lorsque les négociations [entre l’État et le mouvement Kurde] étaient encore en cours, pour qu’illes rebouchent les tranchées. Ils ont entendu la demande de M. Öcalan et l’ont fait. Par contre, ce même jour, les forces de l’État ont tiré et tué un enfant, Nihat Kazanhan, depuis un véhicule blindé. C’est le concept de guerre de l’État qui a contraint Cizre à creuser des tranchées.

Ya-t-il un dialogue entre vous et les institutions étatiques ?

Malgré de nombreuses tentatives pour le joindre ou le rencontrer pendant le siège, le Gouverneur du district de Cizre n’a pas répondu au téléphone ou à nos demandes de rencontre. Notre dialogue avec le Commandement de Gendarmerie local et le Commissariat central de Police de Cizre n’a pas évolué au-delà de leurs constantes menaces envers nous.

À votre avis, qui commande les opérations militaires à Cizre ? Ankara ou les forces locales ? Combien d’équipes de Forces Spéciales, soldats, officiers de police, etc. sont à Cizre en ce moment ?

Ce qui est arrivé à Cizre n’est pas une affaire locale. La même chose est arrivée et continue d’arriver dans de nombreuses villes Kurdes. Les autorités gouvernementales ont déclaré à plusieurs reprises qu’il s’agit d’une opération globale. Il est donc clair que ces opérations sont planifiées et mises en application en faisant usage de toutes les institutions bureaucratiques et les outils politiques de l’État. En mars 2015, lorsque le processus de résolution était encore en cours, le gouvernement AKP a passé un paquet de lois au Parlement «le Paquet pour la Sécurité Intérieure» en prévision de ce qui arrive en ce moment. Toutes les opérations menées ici sont soutenues, incitées et dirigées par l’État et les officiers du gouvernement, y compris le président, le premier ministre, le ministre de l’intérieur, le ministre de la défense, les gouverneurs de province, les gouverneurs de districts, etc. Ceux qui exécutent l’opération sur le terrain sont du personnel de l’État. Ils sont payés par l’État et utilisent l’équipement militaire de l’État. Plus de 10.000 soldats et officiers des Forces Spéciales de la police participent aux opérations de Cizre. Si on compte également qu’ils ont toutes sortes d’artilleries lourdes, il y a assez de soldats et de forces spéciales pour perquisitionner chacune des maisons de Cizre.

Il y a eu des massacres dans trois sous-sols. Pouvez-vous nous donner des informations précises concernant ces massacres ?

Il y avait environ 130 personnes dans les « 3 sous-sols de la mort », la moitié d’entre elles sont soit mortes soit blessées. Moi et les familles des personnes bloquées avons parlé avec le commissariat central de la police de Cizre et avec les équipes de santé de l’État d’innombrables fois pour les emmener à l’hôpital. Mais chacune de ces demandes a été refusée pour des raisons de «sécurité». Les bâtiments où les personnes blessées étaient piégées, ont été attaqués pendant plusieurs jours. Elles ont été laissées sous les décombres, sans nourriture et sans eau pendant des jours. L’État a violé toutes les normes humaines et légales et massacré les blessé.e.s d’une façon brutale.

[…] [NdT: Depuis l’interview, il a été confirmé qu’au moins 145 personnes ont été tuées dans les sous-sols. Le nombre de personnes tuées en tout à Cizre en est à plus de 300, et de nombreux cadavres restent encore piégés sous les décombres.]

L’État et les médias nationaux affirment que ces personnes n’ont pas quitté les sous-sols malgré des appels à le faire. Pourquoi n’ont-elles pas quitté les sous-sols ?

Les affirmations des représentants de l’État et les médias selon lesquelles les gens n’ont pas évacué les sous-sols bien qu’ils en auraient eu la possibilité visent à tromper l’opinion publique internationale. Si cela était vrai, ils auraient pu le prouver. J’ai été en contact téléphonique avec les personnes piégées et j’ai parlé avec elles plusieurs fois. Je connais plusieurs d’entre elles par le travail qu’elles font dans les sphères sociale, politique et des femmes. Presque 50 étudiants universitaires qui s’étaient rendu.e.s à Cizre en solidarité étaient aussi parmi les blessé.e.s. Chaque fois que les ambulances ont essayé d’atteindre les sous-sols, les forces de l’État ont ouvert le feu et n’ont pas permis d’accéder à la zone pour des «raisons de sécurité». Au lieu de permettre qu’illes soient emmenées à l’hôpital, depuis le début l’État les a abandonnées à leur mort et voulaient les massacrer. Ils l’ont fait en les brûlant vivantes.
Avec ce massacre, l’État voulait donner une leçon à sa façon à ceux et celles qui résistent, ainsi que châtier et intimider les gens dans d’autres villes kurdes ; ceci était aussi une menace à ceux qui sont contre l’État dans les villes de l’ouest de la Turquie. En utilisant la rhétorique «On est en train de perdre le pays contre les terroristes», le gouvernement a essayé de cacher ses pratiques illégales et consolider le bloc nationaliste et conservateur.

De plus, à cause de la répression croissante des médias ces dernières années, il est impossible de parler d’une presse libre qui rapporte ce qui se passe ici. Les publications de la presse ont pour but de légitimer toutes les actions du gouvernement et de l’État. Un petit nombre de publications de la presse libre sont constamment réprimées, leurs reporters sont tués, emprisonnées ou empêchés de faire leur travail. Donc il n’est pas possible d’avoir de l’information impartiale ou détaillée de ce qui a lieu dans les villes Kurdes dans la presse. En quelques mots, l’État met en place toutes les méthodes de guerre psychologique à sa disposition.

On sait que les sous-sols ont un sens spécial à Cizre. Depuis les années 90, les habitant.e.s se sont réfugié dans des sous-sols. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?

Un sous-sol ou une cave est un espace où les gens se réfugient des attaques de l’État. Cet espace est historique, spécialement à Cizre. Ayant expérimenté la tyrannie de l’État, la solution de Cizre a été les sous-sols. Si les gens de Cizre n’avaient pas construit des sous-sols pour se défendre et se protéger, des massacres encore pires auraient pu avoir lieu.

Vous êtes député de Şırnak. Un enfant de cette ville. Nous savons que vous avez perdu beaucoup d’ami.e.s récemment. Comment décrivez vous votre état d’âme ? Pouvez-vous nous raconter le moment que vous avez trouvé le plus pénible ?

La souffrance à Cizre est indescriptible. Comment puis-je distinguer entre la douleur provoquée par la mort de la mamie Hediye, qui après avoir appelé à l’aide pendant une semaine, a été tuée par une bombe, ou l’assassinat du bébé Miray de 3 mois et son grand-père dans une embuscade sanglante, ou la mort de mon ami Aziz qui a été tué par une seule balle dans la tête alors qu’il allait sauver une femme blessée, ou la perte de ma camarade Sévé qui cachait sa croyance en la révolution derrière son sourire ? Mais un enfant qui écrit «La résistance est la vie, le silence est la mort» sur un mur avec du charbon malgré les bombardements des tanks m’a aussi affecté profondément. Parce que c’était le cri de Cizre…

Je crois que ces mots expliquent Cizre et mon état d’esprit : silence, cris déchirants, résistance, vie, décombres, eau, tyrannie, migration, courage, liberté, visages sanglants, jeunes avec des visages lumineux, espoir,…

Vous avez fait appel à de nombreuses organisations internationales récemment. Avez-vous eu des réponses ?

Il n’y a eu aucune réponse significative ou action prise en réponse à ces lettres écrites ou appel faits par moi-même et le Parti Démocratique du Peuple (HDP) jusqu’à présent.

Comment les attaques de l’État peuvent être arrêtées ?

D’après ce qu’on peut voir, les forces de l’État n’ont aucune intention de cesser leurs attaques dans le futur proche. L’État veut couvrir son échec politique en Syrie et au Rojava avec ces attaques. Par ailleurs, il veut discréditer, criminaliser et réprimer la motivation créée par les évolutions au Rojava, ainsi que les demandes faites par les Kurdes pendant le processus de résolution du conflit, qui ont été vues par le monde comme légitimes. Une opposition unifiée et organisée formée par les forces démocratiques est la seule chose qui peut affaiblir les attaques de l’État. Le soutien de l’opinion publique internationale est aussi très important.

Où pensez-vous que les évolutions récentes nous amènent-elles ?

La situation actuelle dans laquelle est l’économie capitaliste signifie que les ressources énergétiques et leurs voies de distribution sont devenues des enjeux importants. Les puissances impérialistes font constamment de nouvelles manœuvres à cause des réserves considérables en pétrole et en gaz dans la région. Les évolutions ici, en particulier depuis la première Guerre du Golf, sont en train de créer de nouvelles contradictions, de nouvelles alliances, de nouveaux problèmes et de nouvelles opportunités chaque jour. De plus, le sectarisme s’approfondit en utilisant Daesh. Parallèlement à cela, nous avons les volontés et luttes démocratiques des peuples de la région contre les régimes autoritaires.
L’un des exemples les plus importants de ceci sont les Kurdes. Les Kurdes veulent la démocratie et l’auto-gouvernance. Il y a une lutte active pour cela au Rojava. En Turquie, les revendications des Kurdes sont refusées; leur lutte criminalisée, réprimée et délégitimée.

Néanmoins, dans cette ère de la communication ce ne sera pas aussi facile qu’autrefois de nier la revendication du peuple pour la démocratie, l’égalité et la liberté. Les Kurdes vont continuer à lutter pour cela, leur revendication pour une «citoyenneté égale et libre» en Turquie est de grandes signification et valeur. C’est une revendication universelle, légitime et démocratique. Alors tant qu’un régime démocratique dans lequel les Kurdes aient un statut et une voix n’est construit, les Kurdes continueront à se battre.

source : http://kurdishquestion.com.
Repris de Merhaba Hevalno n°3.

[Entretien] Le mouvement d’auto-gouvernance kurde dans la Turquie du sud-est

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Rossen Djagalov : Peux-tu nous expliquer les origines du mouvement d’auto-gouvernance ?

Haydar Darici : Avant de commencer à expliquer ce qui se passe actuellement au Kurdistan Turc, il y a deux choses que je tiens a dire sur la transformation historique des politiques kurdes. Premièrement, le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), acteur central du mouvement pour la libération du peuple Kurde, avait initié une guérilla contre l’Etat turc pendant les années 1980.Il a ensuite reçu de plus en plus de soutien de la part de la population Kurde. La lutte n’avait pas seulement réussi à créer des zones libérées dans les montagnes autour du Kurdistan, mais elle a aussi su politiser et mobiliser les populations Kurdes dans les villes. Ce mouvement définissait la guérilla dans les montagnes et la culture politique des protestations dans les villes comme un processus de rébellion. Le mouvement considérait que, tout comme les montagnes, la libération des villes était un point décisif pour atteindre la liberté. Cela veut dire que la guerre actuelle sera désormais menée en ville plutôt que dans les montagnes. Le mouvement appelle ce nouveau processus, commencé depuis près de 5 ans, le processus de construction.

Le deuxième point est le fait qu’au moment de l’apparition du PKK et pendant les années qui l’ont suivi, le but était la création d’un état-nation socialiste Kurde. Cependant, les acteurs principaux du mouvement Kurde ont commencé, vers la fin des années 1990, à critiquer l’état-nation ainsi que l’idée même de nation. Il s’agissait d’une critique nourrie et informée par les expériences des mouvements de résistances anticolonialistes et de l’échec des état-nations qui en ont émergé. Cette critique a mené à des changements fondamentaux au sein du mouvement Kurde, renonçant à l’idée de créer un Etat-nation kurde. La question fut posée : Est-il possible pour un mouvement de libération nationale d’aller au-delà de l’idée de la nation et de l’état-nation – idées sur lesquelles le mouvement se fondait au départ – et de créer un modèle révolutionnaire qui ne libérerait pas seulement les Kurdes mais aussi le reste du Moyen-Orient ? Ce modèle, formulé majoritairement par Abdullah Ocalan depuis la prison, s’appelle l’Autonomie Démocratique.

Cela fait maintenant quelques années que le mouvement Kurde a commencé à vivre des expériences locales d’autonomie démocratique. Ce modèle cherche à créer des zones hors de l’Etat plutôt que de créer un Etat Kurde. Je tiens à ajouter que ce fut les jeunes et les enfants Kurdes qui ont posé les fondations sur lesquelles l’autonomie démocratique a pu être construite. A partir de la fin des années 90 la jeunesse a mené une politique radicale dans les rues, vivant des affrontements quasi quotidiens avec la police, en jetant des pierres et des cocktail molotovs. A travers cette politique radicale, ces rues ont été transformées en lieux politiques et les jeunes ont réussi à rendre leurs quartiers et leurs villages inaccessibles pour la police.

L’autonomie démocratique, à travers les communes établies dans les quartiers, cherche à transformer plusieurs domaines de la vie sociale : la loi, l’économie, la santé, l’éducation et l’auto-défense, entre autres. Pour donner quelques exemples, les acteurs politiques locaux ont créé leur propre système judiciaire pour résoudre des problèmes au sein de la communauté, sans avoir recours au tribunaux de l’Etat. Ils sont actuellement en train de mettre en place des coopératives dans le cadre de la création d’une économie alternative. Les jeunes qui sont formé-e-s et armé-e-s dans le cadre du YDG-H (Mouvement Patriotique des Jeunes Révolutionnaires) ont pris en main la responsabilité de l’auto-défense de leurs quartiers. Les femmes sont autant actives que les hommes lors de tous ces processus, par le biais de leurs nombreuses organisations. Il existe un système de co-présidence appliqué dans toutes les villes Kurdes, c’est-à-dire que du bas vers le haut et à tous les niveaux, il y un homme et une femme qui partagent le rôle de président. En ce qui concerne l’égalité des genres, plutôt que d’essayer par l’éducation de convaincre des hommes de partager le pouvoir avec les femmes, le mouvement valorise les femmes. Celles-ci ont les mêmes droits et responsabilités, et sont libres de créer leur propres organisations dans lesquelles les hommes n’ont pas le droit d’intervenir.

Quel était, selon ce que tu as vu et vécu, le contexte idéologique du mouvement d’auto-gouvernance ? Quelles sont les littératures qui sont lu, et les idées qui circulent ?

Il y a une variété de littérature qu’on lit et qu’on fait circuler dans les prisons, les campements de guérilla et dans les villes. Il s’agit des classiques Marxistes et post-Marxistes, anarchistes, les études post-coloniales, les théories féministes et écologiques, ainsi que les œuvres d’Ocalan, publiées majoritairement en prison. Mais je dirais que, plus précisément, ce sont « Empire et Multitude » de Negri et Hardt ainsi que les livres de Murray Bookchin sur l’écologie et l’autonomie qu’on pourrait considérer comme étant, entre autres, les textes constitutifs de cette nouvelle phase du mouvement.

A quel point as-tu pu observer ce processus ?

J’ai habité Cizre pendant un an et demi entre 2013 et 2015, où j’ai mené des recherches ethnographiques sur les politiques de la jeunesse kurde. Après avoir terminé mes études, j’y suis retourné pour rendre visite.

Quelles sont les impacts de la création de l’auto-gouvernance locale sur les structures politiques du HDP?  Quelle est l’interaction entre ce mouvement et le mouvement d’autonomie au Rojava, de l’autre côté de la frontière syrienne ?

Le mouvement d’autonomie au Rojava s’inspire des idéologies formulées par Abdullah Öcalan. Il a vécu longtemps au Rojava avant son arrestation. C’est pour cela qu’il a une grande influence sur la population là-bas. Malgré le fait que le YPG et le PKK soient deux organisations différentes, ils partagent la même idéologie. On sait qu’il y a eu beaucoup de combattant-e-s du PKK qui sont parti-e-s rejoindre les combats au Rojava. Lors que je faisais mes recherches à Cizre, il y a eu beaucoup de jeunes de cette ville qui ont rejoint le YPG.

Actuellement, beaucoup des gens qui se sont battus au Rojava viennent rejoindre la résistance contre l’état turc, à Cizre ou dans d’autres villes.  Le processus de construction de l’autonomie au Rojava a aidé à lancer ce même mouvement au Kurdistan en Turquie. Les acteurs politiques au Kurdistan turc passaient régulièrement la frontière pour allez au Rojava et y ont appris énormément sur la situation et l’expérience là-bas. Tout ça pour dire que le Rojava et le Kurdistan turc restent fortement liés.

Le HDP a aussi été fondé dans le cadre de cette nouvelle phase du mouvement mais il était sensé s’organiser surtout (mais pas exclusivement) dans l’ouest de la Turquie. Agissant ensemble avec les gauchistes, anarchistes, féministes et tout autre groupe d’opposition, le HDP cherchait à transposer la lutte au Kurdistan dans la partie ouest de la Turquie. Je dirai que, même si le HDP a eu des bons résultats aux élections, il n’a pas réussi à porter une politique révolutionnaire.  Il y a beaucoup des raisons pour expliquer cela : le HDP transposait ces politiques révolutionnaires sur le terrain problématique du multiculturalisme, et n’a pas réussi à aller au-delà des discours libéraux concernant la paix et les droits de l’homme. Cette perspective ne leur a pas réussi en ce qui concerne la question de la violence. Je veux dire par là que, lorsque la jeunesse au Kurdistan était en train de monter une lutte armée et radicale contre l’Etat, le HDP faisait semblant qu’une telle résistance n’existait pas, et qu’il ne s’agissait que de violations des droits de l’homme de la part de l’Etat turc. Le HDP faisait face à un dilemme : faire de la politique dans deux mondes radicalement opposé.

Ça fait déjà très longtemps que la population au Kurdistan est politisée, alors que dans les régions turques les groupes d’oppositions se sont fait majoritairement marginalisés, à l’exception du mouvement Gezi qu’on pourrait considérer comme un point de rupture. De plus, le Kurdistan est un pays colonisé où la violence étatique, tout comme la résistance, est à vif. Mais au lieu de vraiment confronter ce dilemme et ensuite trouver des manières de s’organiser dans l’ouest (de la Turquie), le HDP choisissait le chemin le plus facile, en embrassant le discours du multiculturalisme.

La société kurde est largement hétérogène. A côté des sympathisants de l’autonomie Kurde et du socialisme démocratique, il existe un nombre non-négligeable de Kurdes conservateurs et islamistes, dont certains militent fortement contre tout ce qui ressemble au PKK. Et c’est possible qu’il y ait un certain nombre d’hommes d’affaires kurdes ou de chefs de tribu qui ne seront pas forcement d’accord avec certaines pratiques de l’auto-gouvernance locale. Certains de ces éléments ont voté AKP lors les dernières élections. Certaines régions touchées par le mouvement sont d’ailleurs assez diverses ethniquement parlant, comprenant les populations turques et arabes. Comment ce mouvement navigue-t-il entre ces failles ?

Le mouvement Kurde est devenu, avec le temps, une puissance hégémonique au Kurdistan ainsi que dans les quartiers populaires kurdes dans l’ouest de la Turquie. Il a alors réussi à politiser et contenir à la fois des personnes croyantes et non-croyantes. Il est devenu le seul mouvement en Turquie capable d’aller au-delà des lignes binaires. En ouvrant de nombreux lieux politiques et sociaux pour des groupes variés, le mouvement a su attirer à la fois les classes populaires et les classes moyennes. Il a aussi reçu du soutien des tribus kurdes partout au Kurdistan. Même des familles de paramilitaires qui se sont battus contre le PKK pendant les années 1990 ont commencé à le soutenir.

L’enjeu en ce moment est le fait que la lutte kurde est en train de changer de forme, et que certains ont du mal à s’y adapter. Par exemple, la marge de manœuvre des actions politiques civiles est beaucoup plus restreinte face à l’intensification de la violence d’Etat vis-a-vis du processus d’autonomie. Les classes moyennes des grandes villes comme Diyarbakır et Van, actives auparavant dans les politiques civiles et les ONG, ont l’air d’hésiter à participer aux mouvements politiques actuels, alors que les quartiers pauvres de ces mêmes villes se sont mobilisés de plus en plus. Dans certaines villes où le mouvement kurde était fort mais n’était pas hégémonique, les gens sont restés largement silencieux dans la mesure où ils ne pouvaient pas déclarer leur autonomie et du coup n’ont pas soutenu la résistance dans d’autres villes. Ce sont les villes où le mouvement kurde était historiquement hégémonique (à Cizre, Silopi, Geve, Lice, Silvan, Nusaybin, etc.) qui endossent le nouveau processus du mouvement. Je tiens aussi à ajouter que ce fut les jeunes qui ont été les acteurs principaux du mouvement Kurde, et ce sont ces jeunes gens qui définissent le rôle de la politique au sein de ce nouveau processus et qui sont les plus efficaces quand il s’agit de résister contre l’Etat.

Pour en finir, nous sommes au milieu d’un processus où la lutte kurde est à la fois en train de monter en puissance dans certains endroits, et de se faire marginaliser dans d’autres. Mais je crois qu’à long terme, ces endroits se radicaliseront aussi car l’autonomie est en train de se construire de manière de plus en plus en forte dans d’autres villes.

Quelles sont les perspectives concernant la propagation du mouvement de l’auto-gouvernance dans des parties de la Turquie qui ne sont pas traditionnellement Kurdes ? Une telle expansion est-elle faisable en tenant compte de la hausse du nationalisme turc (anti-kurde) et le rôle que cela a joué dans la dernière victoire électorale de l’AKP ? Vue l’intensification de la militarisation de la région, est-ce qu’il reste la moindre possibilité de maintenir et de garder en place le mouvement d’auto-gouvernance ? Quelles sont les perspectives du mouvement ?

Ce mouvement d’autonomie démocratique pose un défi immense pour l’Etat turc, étant donné qu’il s’agit d’une zone dans laquelle l’Etat réclame son autorité alors que sur place il y une vie anticapitaliste qui se met en place. De plus, à long terme, ce mouvement peut potentiellement se propager dans d’autres régions de la Turquie. L’année dernière, l’Etat turc a essayé de rentrer dans les quartiers pour arrêter des gens, dans une tentative de combattre cette propagation potentielle du mouvement. Les jeunes se sont alors mis à creuser des tranchées profondes aux entrées des quartiers, et à tenir leurs barricades, les armes à la main. Les forces de sécurité turques n’ont pas réussi à dégager ces barricades, ni les jeunes qui les tenaient. Suite aux élections générales du mois de juin, le gouvernement a déclaré la fin des négociations et a lancé des attaques encore plus brutales contre des villes kurdes.

Dans beaucoup de villes au Kurdistan des couvre-feux ont été déclarés, parfois durant plusieurs semaines. Les snipers tiraient sur toutes celles et ceux qui n’obéissaient pas. Postés tout autour, des chars militaires bombardaient les villes. N’étant pas capable de réinstaurer son autorité, l’Etat turc a alors tenté de rendre les villes kurdes inhabitables. Les blessé.e.es n’avaient pas le droit d’être emmené.e.s à l’hôpital. Les mort.e.s n’avaient pas le droit de se faire enterrer. Les gens passaient leurs nuits à mettre de la glace sur les cadavres de leurs proches pour éviter qu’ils ne pourrissent. Mais, malgré tout ça, l’Etat ne pouvait pas entrer dans les quartiers face aux jeunes qui creusaient des tranchées de plus en plus profondes et qui renforçaient leur arsenal. Pour se protéger des balles de snipers, ils accrochaient des énormes draps au-dessus des rues pour bloquer la vue. C’est une stratégie qu’ils avaient appris au Rojava. Ils cassaient aussi des murs entre les maisons et passaient d’une maison à l’autre, partageant de la nourriture et aidant les blessées, sans mettre un pied dehors. On pourrait dire qu’ils sont en train de refaire l’architecture des villes pour les rendre plus appropriées à l’auto-défense. Plusieurs villes kurdes, y compris Cizre, Silopi et Nusaybin, sont actuellement sous couvre-feu. Ces villes sont entourées de chars et de snipers. Le premier ministre Davutoglu a déclaré récemment en disant qu’ils allaient « purifier » ces villes, maison par maison. L’État essaye de détruire l’autonomie qui se met en place au Kurdistan, au prix de destructions de villes entières et de meurtres de beaucoup de gens. Et les populations du Kurdistan, notamment des jeunes, sont en train de résister contre la mort.

L’autonomie au Kurdistan, vue l’extrême violence étatique, est-elle viable ? Moi je crois que oui. Parce que l’Etat ne peut pas gagner une telle guerre, quelque soit le niveau de brutalité. Au début des années 1990, il n’y avait que les militant.e.s du PKK qui étaient impliqués dans des conflits armés dans les villes. Mais maintenant, la différence entre guérilla et citoyen.ne devient de plus en plus floue. Les civil.e.s sont armé.e.s et se défendent.

Cette lutte cherche à ne pas transformer uniquement la Turquie mais également l’ensemble du Moyen-Orient. C’est-à-dire que les tentatives d’autonomie démocratique ainsi que l’auto-défense en cours actuellement au Kurdistan turc, et de manière plus forte au Kurdistan syrien (Rojava), pourrait servir comme modèle pour toute la région et peut-être au-delà. Mais la question qui reste est la suivante : comment ce modèle peut-il se propager ailleurs ? Comme je l’ai déjà dit, le HDP n’a toujours pas réussi à appliquer ces politiques dans les régions non-Kurdes de l’ouest de la Turquie. En Syrie, le mouvement se limite au Rojava. Dans le canton de Cezire (Rojava), il y a plusieurs ethnies et groupes religieux qui ont participé à la mise en place de l’autonomie en créant leurs propres institutions. Cela est une preuve que les politiques de ce mouvement ne parlent pas qu’aux Kurdes. Ceci dit, en ce qui concerne la Turquie ainsi que le reste du Moyen-Orient, je ne saurai pas dire à quel point l’autonomie démocratique pourrait servir de modèle à l’ensemble de la région.

Traduction d’une interview avec Haydar Darıcı, chercheur en histoire et anthropologie à l’Université du Michigan par le site Left East, le 22 déc 2015. Repris du mensuel Merhaba Hevalno n°2.

[Entretien] « En moi une part de chacun, un concentré de résistance »

tumblr_inline_o1j1mzSV5s1tar4x0_1280Reportage et témoignage du journaliste Osman Oğuz publié le 24 février sur PolitikArt et sur son blog, sur la résistance de Cizre. Nous en publions la traduction qu’en a fait Kedistan.


A l’époque où nous étions étudiants à l’Université de Dicle à Amed (Diyarbakir), nous étions logés ensemble avec Serxwebûn. Lors des boycotts traditionnellement très animés, des actions quasi quotidiennes du campus, on se saluait, on scandait des slogans ensemble. Ensuite, nos chemins se sont séparés, le sien, l’a amené dans le brasier. Le fait d’entendre sa voix, des années plus tard, éveille une drôle de sensation…

Serxwebûn, se trouvait dans sa ville natale Cizre, depuis le début du blocus de l’Etat et la résistance pour l’autonomie. Il a été témoin de la barbarie et d’une grande résistance qui se déroulaient dans les rues où il est né et a grandi. Les résistants lui ont demandé, comme testament, « parle de nous », alors il continue à en parler…

Bien que les paroles soient insuffisantes, nous avons discuté avec Serxwebûn, comme on a pu, de ce qui se passe à Cizre, de la violence d’Etat, de la résistance, et de l’identité de ceux qui sont morts. Il y a tellement de choses importantes à dire, que privilégier certaines d’entre elles serait injuste. Alors, pour bien faire, prêtez l’oreille aux propos de Serxwebûn, qui a été témoin de tout, du début à la fin, et choisissez vous-mêmes les priorités.

(Vous savez que ceux dont le vrai ennemi est « la vérité », voient comme sort les pires persécutions, de plus dans une enveloppe judiciaire. Oui, son nom n’est pas Serxwebûn*. Mais ces terres ne s’appellent pas la Turquie non plus, alors on est quittes…)

[*Serxwebûn est donc un alias. Ce joli mot veut dire en kurde « indépendance » et c’est aussi le nom de l’organe de publication du PKK depuis sa naissance.]

Avant tout, dans quel état es-tu, comment vas-tu ?

Comment veux -tu que je sois. J’essaye de récupérer. Je me suis rendu compte qu’on devrait passer à une période de récupération. Les personnes qui sont mortes, étaient mes amis très proches. Le fait d’être parti de ce sous-sol, de les avoir quitté, était un complet hasard. Je suis parti, puis j’allais y retourner, puis la route a été fermée. C’était des camarades infiniment proches. Le plus désolant est le fait que la majorité étaient des civils, des étudiants… Une personne qui combat, peut mourir dans le combat, c’est aussi douloureux mais différent. Mais, on est encore plus triste pour celui qui n’a jamais combattu, je ne sais pas moi, qui est juste présent par dévouement, qui ne se défend pas. Quand on pense comment ils ont été tués, on se déchire.

Depuis quand tu étais à Cizre ?

Cela fait pile un an.

Maintenant, l’Etat dit : « L’opération est terminée avec réussite. » Qu’a-t-elle fait cette opération à Cizre ?

A vrai dire, tout le monde voit le résultat, clairement. Les images prises par l’agence de l’Etat, depuis des blindés, mettent à jour, l’état dans laquelle est mise l’infrastructure de la ville, les habitations, les avenues. Mais à part cette destruction, il y a bien sur aussi, l’impact que cela a fait sur les gens.

L’Etat annonce « J’ai apporté la sérénité », « J’ai fait une opération réussie », mais désormais, les gens d’ici, se souviendront de l’Etat avec cette épave. De toutes façons, depuis des années, quand on dit Etat, les gens pensent à ce genre de choses, et pas à autre chose.

Déjà, la raison qu’une résistance soit organisée à Cizre aujourd’hui, n’était pas les épaves que l’Etat a crées dans le passé ?

Je dis toujours : les jeunes qui résistent contre l’Etat aujourd’hui sont les jeunes qui lançaient des pierres contre lui. Etant enfants ils ont lancé des pierres, mais l’Etat au lieu de comprendre ces enfants, ou de réaliser leur revendications, les a attaqués d’abord avec des gaz lacrymos, ensuite avec des armes. Ensuite ces enfants ont été arrêtés. Regardez le passé de chacun d’eux, ce sont des enfants qu’on appellent « victimes de TMK* » Maintenant ces enfants ont grandi.

[*Victimes de TMK : Dans les villes de Sud Est de la Turquie, après la reforme dans la loi, de la lutte contre le terrorisme (TMK) en 2006, des mineurs ont été arrêtés, jugés et incarcérés en prison adultes, en violation des droits d’enfants. La plupart ont été arrêtés, sur soupçons infondés, parce qu’il y avait la marque de pierres dans leur paume, ou ils étaient transpirants etc… ]

La résistance de Kobanê, comme dans tout le Kurdistan, a changé beaucoup de choses à Cizre aussi. Mais la situation des jeunes de Cizre était un peu différente. Tu sais bien, Cizre, pour le mouvement de libération de Kurdistan, est une ville symbolique. Les jeunes ont commencé à s’organiser ici, depuis 2009. Leur objectif principal était plutôt protéger au sens général, la ville dans laquelle ils vivait, que le combat armé contre l’Etat ou de l’autodéfense physique.

C’est à dire, que faisaient-il ?

Ces jeunes, ont stoppé à Cizre, le vol, la drogue et la prostitution… Tout le monde le sait dans quel état était cette ville en 2009. C’était comme la période, où les gens ne pouvaient même pas traverser les rues de Diyarbakır, de Bağlar ; l’Etat avait mis Cizre dans le même état après les opération contre le KCK [Koma Civakên Kurdistan, Le groupe des communautés du Kurdistan] en 2009. A chaque coin de rue, il y avait des voleurs, des dealers, des prostituées et les jeunes étaient transformés en espions. Dans un premier temps, les jeunes ont commencé à s’organiser comme une réaction contre tout cela, et dans la mesure où ils ont réussi, sont devenus le cible de l’Etat.

Quand est-ce que les premières tranchées ont commencé à être creusées ?

Lors du processus de Kobanê, l’organisation a gagné de la vitesse. Et, les descentes dans les maisons ont commencé à ce moment là. Après, pour empêcher ces descentes et les arrestations, les tranchées ont été creusées. Les tranchées sont restées dans la ville pendant un an, l’Etat n’a mis personne en garde à vue, il n’y a pas eu d’attaques sérieuses. Les choses étaient normalisées ; l’Etat et les jeunes s’étaient en quelque sorte entendus. Il y avait comme un accord tacite « Tu n’entres pas dans nos limites et nous n’interviendrons pas. »

Tout au long de cette année, dans la ville, il n’y a eu aucun mort, ni blessés, ni même d’actions. Un moment il y a eu quelques attaques et 5 jeunes y ont perdu la vie, mais c’était arrivé à cause de la provocation de Hüda Par*.

[*Hüda Par : Un parti islamiste et anti-kurde qui attire les sympathisants du Hezbollah turc, groupe militant sunnite actif dans les années 1990.]

Dans cette période Öcalan a demandé la suppression des tranchées et les jeunes les ont bouchées en une nuit. Voilà. L’Etat essaye maintenant de les fermer depuis des mois, alors qu’avec une parole d’Öcalan, c’était réglé en une nuit. Mais après la suppression des tranchées, les jeunes ont continué à faire la garde et protéger leurs quartiers.

Malgré la suppression des tranchées, l’Etat a continué ses attaques. Les gardes à vue, les arrestations ont recommencé, et les jeunes qui participaient même à la moindre manifestation se faisait tirer dessus. Après cela, les jeunes ont recommencé à creuser les tranchées et mettre des barricades en place. Ils ont renforcé leur organisation à chaque attaque et ils ont commencé à résister de plus belle. A la fin du couvre feu de 9 jours, déjà, presque chaque maison de la ville était devenue un lieu de résistance. C’est la raison principale pour que la résistance puisse durer aussi longtemps : elle s’est étendue à toute la ville, tout le monde a résisté en faisant ce qu’il pouvait.

Ces jeunes sont ces jeunes là. Les jeunes que l’Etat poussait vers la prostitution, drogue et espionnage… Les jeunes qui voient la réalité de l’Etat et qui se rebellent.

Nous voyons pas mal de chiffres [sur les morts], tous les jours nous nous battons avec des chiffres. Mais il y a une histoire de vie derrière chaque nombre… Tu connaissais presque tous, tu es l’enfant de là-bas. Comment les jeunes résistaient-ils ?

Malgré leurs moyens réellement limités, ils ont fait une résistance honorable, contre dix mille militaires professionnels d’un Etat qui dit qu’il possède une des meilleure armée du monde, dotée de toutes technologies et une force extraordinaire. Je peux dire que cette résistance continuait même dans le sous-sol.

Parfois dans la presse turque, on voit des nouvelles comme « tant d’armes on été saisis », «ils possédaient tant de munitions ». Nous étions là. Nous avons vu, avec quoi ces jeunes résistaient… Avaient-ils des armes ? Oui, bien sur. Mais sois en sur, l’arme de chaque jeune à terre, était récupérée par un(e) autre, parce que le nombre d’armes qu’ils possédaient était très limité. Les chars avaient encerclé la ville et sans cesse, ils tiraient au canon sur le centre ville. Ensuite ces chars ont essayé de s’introduire dans les quartiers. Les jeunes ne pouvaient pas faire grand chose face aux chars. Ils prenaient des couvertures et plaids et les jetaient sous les chenilles pour les bloquer. Plusieurs d’entre eux on été blessés en jetant des couvertures. Les chars ne pouvant pas avancer sur des couvertures, continuaient à tirer au canon, de là où ils étaient bloqués. Des blindés venaient pour les débloquer et les jeunes résistaient en lançant des cocktails Molotov sur ces véhicules.

Ils n’ont jamais eu des conditions égales. Ils avaient fabriqué des « gilets-livres pare-balles» pour se protéger des tirs. Ils entouraient des gros livres de tissus, les cousaient ensemble en forme de gilet. Tous les résistants et les civils qui vivent en ville utilisent ces gilets-livres pour aller d’un endroit à l’autre. Les balles, sont retenues, plantées dans les livres.

Par ailleurs, ils jetaient de la peinture sur les vitres des véhicules blindés. Ils avaient toujours une méthode alternative pour contrer chaque type d’attaque. Ils ont résisté comme ça.

Ils sont restés affamés des jours et des jours. Il y a eu beaucoup de difficulté de nourriture lors du blocus qui a duré des mois. Mais malgré cela, dans les barricades, dans les rues, en défendant  maison par maison, ils ont essayé d’empêcher que l’Etat avance.

Mehmet Tunç est un nom important de la résistance et il est devenu un symbole. Comment le connaissais-tu ? Quel genre de personne il était, et comment est-il devenu un pionnier ?

[Kedistan avait publié la traduction d’une des interventions téléphoniques de Mehmet Tunç, co-président du conseil populaire de Cizre. Ce fut une de ses dernières communications. Il appelait depuis le sous-sol où le lendemain, il a été massacré >> A Cizre, le massacre est un crime de guerre]

Je connaissais Mehmet Tunç depuis mon enfance. Après, en 2009 il ést devenu président de la commune. C’était quelqu’un qui prenait toujours place dans la lutte. Quand je suis sorti de la prison, on a recommencé à se voir.

Tu peux demander à n’importe qui de te parler de Mehmet Tunç, il te dira les mêmes choses. C’était une personne courageuse, qui ne faisait pas de concessions, qui pouvait mobiliser les gens, un pionnier. Pas seulement dans cette dernière période, mais en 2008, 2009 aussi… Dans les périodes les plus difficiles, Mehmet Tunç il était capable, rien qu’en passant d’une maison à l’autre, de mobiliser les masses pour la résistance.

[« Le couvre feu de 9 jours » dont Serxwebûn parle dans les lignes qui suivent, datent du 4/12 septembre 2015. Vous pouvez lire l’article Cizre, ville martyr]

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Il avait fait cela plusieurs fois auparavant et pendant le couvre-feu de 9 jours aussi… Le quartier Nur était sur le point de tomber, te souviens-tu, Mehmet Tunç a parlé en liaison téléphonique en direct à la télé. Un discours bouleversant qui disait « le cercle s’est serré ». La raison de ce discours émouvant était la désolidarisation de certains politiques, des jeunes. Les politiques sur place disaient « Nous sommes obligés de nous séparer des jeunes. Soit les jeunes quittent les lieux, soit c’est nous qui partirons ». Mais Mehmet Tunç a fait un discours là bas et il a dit qu’il bougerait avec les jeunes, qu’il quitterait la maison où les politiques se trouvaient. Ensuite, il a parlé avec les jeunes avec une telle verve qu’ils ont réussi à casser le blocus. Et c’est encore les jeunes qui ont sauvé ces politiques. Sinon, l’Etat, allait tuer dans cette période de 9 jours, au moins trois, quatre députés du HDP. Tous les tirs de canon visaient les maisons dans lesquelles les députés se trouvaient. Ils essayaient de mettre la main dessus. C’est grâce à la résistance des jeunes que les députés du HDP ont pu sortir de cette maison. Et c’est les paroles de Mehmet Tunç qui a donné la motivation aux jeunes.

Je voudrais raconter un autre souvenir qui me traverse l’esprit. Mehmet Tunç me l’avait raconté : Quand il était jeune, à 15 ans, les guérillas viennent dans son village. Les jeunes se réunissent. Ils disent « on veut se joindre à vous ». Ils les prennent tous, sauf Mehmet Tunç. Il demande « Vous avez pris tous mes camarades et vous me laissez… pourquoi ? Moi aussi je veux venir ! ». Le commandant répond « Ne viens pas. Toi, tu es déjà avec nous. Tu nous es nécessaire ici. L’Histoire va te demander de faire des grandes choses ». Sa famille l’a marié aussitôt après cet événement. Il m’a raconté cette histoire il y a 20, 25 jours, quand je le voyais pour la dernière fois et il a ajouté « J’ai attendu des années, en me demandant quand le moment dont le commandant parlait, allait arriver. Pendant cette résistance, j’ai compris que ce moment est  ce moment. »

Voilà Mehmet Tunç, un homme, avec sa grosse voix, apparaissant d’un coup sur un toit, un autre instant dans un salon, dans la rue, remontant le moral à tout le monde. Il ne faisait pas que  parler, il était aussi travailleur. Mehmet Tunç était aussi celui qui portait du sable aux barricades, qui cuisinait, qui essayait de soigner la blessure d’un(e) jeune…

Tu as connu beaucoup de personnes, et  tu as plein d’histoires dans ta tête, je sais, mais si on te demande de nous en parler d’une, à qui penserais tu ?

Je suis touché par toutes les histoires, mais je voudrais parler de Ramazan. Il a été massacré, lui aussi dans ce sous-sol.

Ramazan était un gamin qui vivait dans le quartier Yafes. Pendant la résistance de Yafes, il était là, il se balladait d’un barricade à l’autre. Il n’était pas un combattant, il n’avais reçu aucun entrainement. Mais, face à tout ce dont il était témoin, il voulait faire quelque chose. Puisqu’il n’avait que 16 ans, les jeunes ne l’acceptaient pas au front. Et, lui, il arrivait chaque fois à trouver un moyen pour venir près des jeunes. Il demandais « Je veux faire quelque chose, moi aussi. » A la fin, ils lui ont donné le devoir de transférer les repas. Ils baladait alors la nourriture. Quand quelqu’un essayait d’aller au quartier, il les faisait passer par les endroits les plus sécurisés. Ils maîtrisait chaque coin, chaque passerelle de Yafes pour éviter les snipers positionnés. Ramazan était devenu le guide du quartier.

Quand le quartier Yafes est tombé, les habitants ont quitté la ville, mais Ramazan a dit : « Je ne viens pas avec vous. Nous nous somme retirés ici, mais je vais aller à Cudi et continuer là bas ». Quand il s’est rendu à Cudi, les jeunes lui ont dit eux aussi, qu’il était beaucoup trop jeune et n’ont pas voulu de lui, mais ils les a également convaincus. Cette fois ils ne lui ont pas attribué de rôle, alors il est allé à la Commune de Santé. En passant son temps dans cet endroit, il a appris les techniques de soins. Les derniers vingt jours, puisque les autres étaient tous massacrés, il ne restait plus que Ramazan qui était capable d’intervenir pour les blessés. A 16 ans, il était devenu leur médecin. Il soignait tous les blessés.

Qui étaient ceux qui ont été massacrés dans ce sous-sol ? On dit que la majorité était des étudiants…

60% du groupe était des étudiants. C’était des jeunes qui étaient sorti du congrès de DEM-GENÇ  [Fédération Démocratique des Jeunes] la veille du couvre-feu, et qui n’avaient pas pu sortir de la ville à cause de l’interdiction. D’abord ils se sont dispersés dans tous les quartiers, et petit à petit, quand les quartiers sont tombés un par un, leur zone s’est limitée et ils se sont réunis à la fin à Cudi. Un autre groupe de jeunes étaient hébergés au centre ville, la police a fait une descente et les a arrêtés. Et ce groupe, craignant l’arrestation, est allée au quartier Sur. Ils sont restés plusieurs jours là bas. Quand la résistance a glissé vers ce quartier, les maisons où ils logeaient depuis le début se sont trouvées au milieu des affrontements. Quand la police a appris qu’ils y avait des occupants, il y a eu ce massacre. Si ces jeunes étaient venus au centre ville, ils auraient été effectivement arrêtés, c’est pour cela qu’ils ont senti le besoin de rester dans le quartier Sur. Ils restaient ensemble, ils pensaient que le couvre-feu se terminerait et qu’ils partiraient. 20 personnes étaient dans un immeuble et 30 dans un autre. La majorité des dépouilles sorties à la suite des bombardements, étaient celles de ces jeunes.

Actuellement, après tant de vécu, que ressentent les habitant de Cizre ?

Bien sûr dans la ville, une atmosphère de tristesse et de douleur règne. Les gens ont encore du mal à réaliser. Mais je dirai aussi ceci : Les gens sont actuellement décidés. Dans cette ville près de 250 personnes on été tuées. La majorité des derniers tués étaient des étudiants, et avant, il y a eu beaucoup de morts, jusqu’à des enfants  de 9-10 ans. La plupart de ceux qui ont été tués, étaient enfants de cette ville, et résistaient derrière des barricades. Parce qu’ils avait perdu eux-même leur proches et ils avait reçu cet héritage et étaient passés à la résistance. Maintenant, la seule chose que la plupart des habitants de la ville veut, c’est la levée du couvre-feu, puis récupérer et renforcer la résistance. Tout le monde pense « Comment pourrons-nous organiser une résistance plus efficace ? ». Peu importe avec qui je parle, ils disent « Comment puis-je revenir sur Cizre ? », « Comment peut-on mener un combat, pour demander des comptes pour nos frères ? »

Je peux dire que dans la ville il y a une ambiance de vengeance qui règne. Les gens ont de grandes attentes du Mouvement de la Libération kurde, mais si leurs attentes ne se réalisent pas, il peut y avoir même des vengeances personnelles, et c’est fort possible. Il y a des familles qui ont perdu deux, trois proches. Trois frères et soeurs tués ensemble, ou des cousins, cousines… Je peux exprimer clairement que tout le monde attend les jours de vengeance.

[D’où le titre original de l’article en turc : « Les habitants de Cizre attendent le jour de vengeance »… NDLR]

Y-a-t-il un sentiment d’être battu ?

Non, parce que pour la plupart des gens, la mère, le père de ces gamins, leur famille ont vécu les années 90… Puisqu’ils ont payé le prix dans ces années là aussi, ils savent qu’on peut avancer sur ce chemin, même si on trébuche ou tombe parfois. Ce sont des gens qui savent bien, qu’après des centaines de morts, cette lutte ne se terminera pas. Cizre est une ville qui a connu des massacres périodiques durant ces quelques années mais qui arrive à résister chaque fois. C’est pour cela, que ces gens disent, comme je raconte, « récupérons et demandons des comptes sur nos proches qui ont été massacrés ».

Et toi, comment cela t’a-t-il  affecté ?

J’étais revenu sur Cizre, il y a un an, après des années d’absence et les changements que j’avais vus m’avaient rendu heureux. La ville que j’avais quittée était une ville altérée dont chaque rue était scène de mauvaises choses. Mais ces jeunes avait construit une telle vie dans cette ville, que tu pouvais te comporter dans la rue, librement, aisément. Les problèmes de la ville étaient devenus faciles à résoudre en peu de temps. à la moindre mésentente, les jeunes intervenaient et dénouaient la situation. J’ai même observé qu’il n’y avait plus une seule bagarre dans les quartiers.

Après, avec les attaques, j’ai été témoin de la façon dont les jeunes résistaient. Quand je les voyais résister derrière les barricades, dans des conditions très lourdes, je leur disais « Comment je peux parler de vous comme vous le méritez ? ». Il se tournaient vers moi et exprimaient toujours la même chose : « Nous, ici, nous résistons. Nous écrivons l’Histoire. Oui, on peut être tués, et nous n’avons pas la chance de créer beaucoup de miracles face à la force de l’Etat, mais tu dois parler de nous. La seule chose que nous te demandons, est de raconter comment les jeunes de Cizre résistent ». Voilà le testament que la plupart m’ont confié.

Bien sur que je suis affecté, comment ne pas l’être ? Mes meilleurs amis, des amis qui m’ont aidé, avec lesquels j’ai marché continuellement côte à côte, avec lesquels j’ai résidé ensemble dans toute cette période, ont perdu la vie. J’ai été obligé de quitter le sous-sol, juste pour envoyer une image, ensuite je n’ai pas pu y retourner, et eux, là-bas, ils ont perdu leur vie. Je suis resté affecté plusieurs jours, à ne pas pouvoir répondre aux appels. Mais quand je repense… Quand nous parlions [au téléphone depuis les sous-sol où ils étaient coincés et condamnés] , ils disaient tous « Que personne ne soit triste pour nous. Ceux qui veulent faire quelque chose, qu’ils s’approprient notre lutte pour laquelle on meurt, qu’ils prennent le flambeau. ». Ils disaient tous, cela, chaque fois qu’on parlait. « Ceux qui ne partagent pas notre résistance, qu’ils ne partagent pas notre douleur non plus, qu’ils ne viennent pas à nos funérailles. ». Il ont répété cela aussi chaque fois. : « Nous ne voulons personne, que personne ne pleure pour nous. Si nous résistons jusqu’à la dernière balle, si nous ne rendons pas, ceux qui s’attristent pour nous, prennent exemple de nous, et qu’ils fassent quelque chose, qu’ils étendent la résistance ».

Je suis affecté de mon côté, mais j’ai compris que je dois faire ce que je peux, pour rendre réels, leurs rêves, leurs espoirs. Mon objectif est de parler du massacre, et de leur donner de la visibilité.

Comme aimait répéter Mehmet Tunç, « Cette lutte est une lutte de longue durée. Elle n’a pas commencé hier, elle ne se terminera pas aujourd’hui. ».

Je porte aujourd’hui en moi une part de chacun, un souvenir particulier, une posture personnelle.

Entretien autour du TAK

iste-tak-gercegiVoici la traduction rapide d’un entretien paru sur le site Nerinaazad et réalisé par un membre du TAK, « Teyrê Bazên Azadiya Kurdistan » (« Faucons de la liberté au Kurdistan »), groupe qui a revendiqué l’action d’Ankara [28 militaires turcs tués dans le centre politique de la capitale]. Traduction de Kedistan.fr.

Voilà la réalité du TAK !

L’interlocuteur commence en disant : « L’explosion d’Ankara est non seulement enregistrée dans l’histoire comme l’attaque la plus rapidement élucidée, mais elle mérite aussi d’entrer dans les records du Guiness. L’identité de l’assaillant a été précisée à une vitesse étonnante et annoncé pendant que la censure sur l’événement était encore en cours, même la photo d’identité a été publiée. L’Etat et le gouvernement qui voulaient utiliser un tel événement à leur avantage, ont voulu en tirer profit , en publiant la photo d’un réfugié. »

Je voulais en savoir plus sur le TAK qui avait revendiqué l’attaque au mortier de l’aéroport Sabiha Göçen. Nous avons engagé un travail d’équipe, pour trouver des réponses à des questions telles que, qui sont-ils, combien sont-ils, quels sont leur objectifs, à qui obéissent-ils ? Malgré les deux rendez-vous que nous avons obtenu avec deux personnes faisant partie des dirigeants du TAK, les rencontres n’ont pas pu avoir lieue.

A la fin, nous avons réussi à obtenir un entretien avec une personne qui connait très bien l’organisation TAK. Cette rencontre, que nous avons pu réaliser après l’explosion d’Ankara, a apporté des réponses à des questions qui nous préoccupaient. La phrase en préambule appartient donc à cette personne.


Il répond à notre question « De qui est composé le TAK ? » en disant : « Un groupe composé des personnes qui sortent du PKK, qui ont séparé leur chemin du PKK. »

En quelque sorte, c’est une formulation d’un « Real PKK », comme « Real IRA » ou « Real ETA ».

Alors, à qui le TAK obéit-il ?

Ils n’ont aucun lien avec le PKK. Ils voient le PKK comme le représentant du mouvement de libération kurde, mais ils n’ont aucun lien. Ils acceptent Öcalan comme leur leader, mais ils peuvent écouter seul Öcalan, comme leader spirituel.

Quels sont les différences entre eux et le PKK ?

Le TAK dit que l’Etat n’apporterait pas la solution dans ces conditions. Le PKK continue le combat dans son registre. Il ne porte pas la guerre dans les villes turques, il ne veut pas faire des actions radicales. Ils disent qu’il faut parler avec l’Etat, en utilisant le langage qu’il utilise, et aller vers lui avec ses propres méthodes.

Comme l’explosion d’Ankara ?

Oui. L’Etat à mis en mille morceaux d’abord 32 jeunes à Suruç [NDLR : le vrai chiffre est 33] ensuite, 102 participants à la manifestation pour la Paix à Ankara. Maintenant dans des endroits comme Cizre, Sur, Nusaybin, Kerboran, Silvan, Idil, il bloque les Kurdes dans des sous-sols et les brûle vivants avec des [armes] chimiques. Le TAK s’est donné le devoir de répondre à tout cela et c’est ce qu’il fait.

Le TAK se considère-t-il comme l’ange protecteur des Kurdes ?

Le TAK se considère comme de l’eau qui éteint les braises qu’on a mis sur le coeur des Kurdes.

Revenons alors à l’explosion d’Ankara. Est-ce une réponse à ce que les forces de l’Etat ont fait dans les villes que vous venez de précisez ?

Le soir du 17 février 2016 à 18h30, une action de « fedai » [celui qui se sacrifie], de vengeance contre le convoi de l’armée a été réalisée dans la rue Merasim. Des dizaines de militaires turcs ont été tués. Ce genre d’action est réalisé par des combattants qui font partie de la « brigade des immortels » que le TAK a mis en place en interne.

Les membres de cette « brigade des immortels » sont-ils des combattants kamikazes ?

Toute la composition du TAK possède la qualité et la conviction pour faire ce type d’actions. Une des plus grandes différences d’avec le PKK, est le fait que tous ses membres sont prêts à réaliser ce genre d’actions. Les membres du PKK peuvent également réaliser ce genre d’actions sans aucun doute, avec volonté et conviction, mais le PKK n’adopte pas cette méthode.

Pourquoi ?

Le PKK est à la fois, la force politique et la force militaire du peuple kurde. C’est une force qui respecte les règles de la guerre, qui cherche des voies pour la paix, qui souhaite que cette guerre se termine grâce à une solution politique et qui se soumet au Droit International. Sans aucun doute, le PKK a grand pouvoir et force, des milliers de guérillas pour faire ce type d’actions, mais le PKK est une organisation qui a des relations internationales, et qui calcule les pertes et profits de chaque action qu’il fait. Le TAK n’a pas ce genre de soucis et de responsabilité.

Le fait de réaliser une action importante au coeur d’Ankara a-t-il un sens ?

Bien sûr. Même si c’est un endroit où on peut faire difficilement des actions. Le TAK a passé le message, aucun endroit n’est sécurisé pour vous, nous possédons les forces militantes et les équipements pour faire des actions, où nous voulons, quand nous voulons.

Est-ce donc, la raison pour avoir réalisé une explosion, au milieu des sièges des institutions d’Etat et de l’Etat Major ?

L’action a été réalisée par le militant de TAK nommé Zınar Raperin (Abdülbaki Sönmez), avec l’explosion d’un véhicule chargé d’explosifs. Au moment où c’était voulu et de la façon dont c’était voulu. Bien sur, le choix des lieux comme zone d’action n’est pas un hasard. La raison de ce choix de lieu qui est l’endroit le plus protégé et difficile, est la vengeance des civils blessés, sans défense, brutalement massacrés dans les sous-sol de Cizre. La zone où se trouvent ceux qui ont donné l’ordre de brûler ces personnes a été choisie intentionnellement. Certains réagissent contre cette action, et disent qu’il y avait du personnel civil dans ces véhicules. Ceci n’est pas vrai. Toutes les personnes qui travaillent dans ces endroits, même si certaines sont en civil, travaillent dans le centre mère de l’armée turque. Le fait que des enfants soient morts ou blessés est bien sûr triste, mais les responsables de cela sont ceux qui ont sonné l’ordre de brûler les kurdes blessés. Erdoğan et AKP qui ne reconnaissent aucune règle de guerre, qui dévastent les villes, doivent savoir que ce feu les brûlera eux mêmes.

Pour une action de cette envergure, ne fallait-il pas faire des reconnaissances, des renseignements ?

Bien sûr. Comme je disais, le TAK est une structure complètement professionnelle. Il est composé de personnes courageuses qui ont déjà eu une vie de guérilla, et beaucoup d’expérience antérieure dans le PKK. Des travaux de renseignements, jusqu’à la précision des temps des feux de route, la vitesse de circulation des véhicules de transport, tout était calculé. Désormais, l’Etat turc, ne devrait plus prendre les kurdes à l’armée [service militaire obligatoire]. Tu vas tuer les familles, les brûler dans des sous-sols et tu vas me faire faire le service militaire… Il ne faut pas entrer dans les détails ici. On dit que le véhicule utilisé pour l’explosion a fait des milliers de kilomètres. Ils disent, pour ce véhicule d’occasion, que les milliers de kilomètres ont été faits par les membres du TAK. Ils ont transformé l’événement en une comédie. S’ils insistent à prétendre que l’action a été réalisée par le YPG [la thèse avancée aussitôt par le gouvernement], tous les détails de l’événement seront mis à jour. Même les enregistrements de caméra des reconnaissances seront publiés sur les réseaux sociaux.

Abdülbaki Sönmez qui a fait l’action, était-il un des dirigeants ?

Non. Il n’était pas un dirigeant mais une personne aimée et respectée dans le TAK. Il est né en 1989, à Gürpınar, commune de Van. Entre 2005 et 2011 il a fait partie du PKK, ensuite en 2011 il a quitté le PKK avec d’autres camarades et a rejoint les rangs du TAK.

Quelle est la raison de sa rupture ?

Il a quitté le PKK, parce qu’il pensait que celui ci ne portait pas la guerre vers les villes de la Turquie et qu’il ne répondait pas, en usant le même langage que l’Etat.

L’Etat dit que l’attaque d’Ankara a été commise par le YPG

l’Etat turc ne supporte pas le Kurdistan de Rojava. Le PYD tend toujours la main vers la Turquie. Il a dit de nombreuses fois à la Turquie, nous ne sommes pas contre vous politiquement, nous n’avons pas de problème avec vous. Est-il possible que le YPG et le PYD qui disent ceci, viennent faire une action au centre d’Ankara, la capitale de la Turquie ? Dans les dernières semaines, la Turquie bombarde les zones du YPG. Pourquoi un membre du PYD, de YPG ferait une action de ce genre, dans une période où la Turquie cherche des prétextes ? L’accusation de la Turquie, le PYD, est la continuité de la politique qu’elle mène depuis un mois, une guerre psychologique. Elle veut appuyer les thèmes qu’elle a avancé jusqu’aujourd’hui, et les prétextes d’attaques qu’elle mènerait contre le PYD. C’est une pièce de l’opération psychologique par laquelle elle veut mettre les Etats-Unis et l’Europe en face du YPG. Pourquoi le YPG ferait une action, alors que nous existons. Les positions du YPG sont bombardés depuis une semaine. Il [l’Etat, ou Erdogan] essaye de prétexter cela [l’attaque] mais c’est idiot, dans le désespoir, ils se ridiculisent. Le TAK a fait cette action et il l’a revendiquée. Il a déclaré l’identité de son militant qui l’a fait. Que vont-t-il dire au monde, maintenant, nous attendons pour voir.

L’action de l’aéroport de Sabiha Gökçen a été aussi revendiquée par le TAK. Quel était la raison.

L’attaque au mortier effectué à l’aéroport de Sabiha Gökçen le 23 décembre 2015, a été revendiquée par le TAK, Teyrê Bazên Azadiya Kurdistan.
Cette action, a été faite pour répondre aux attaques fascistes qui ont transformé les villes kurdes en ruines. Des dégâts ont été effectués à l’aéroport et 5 avions ont été lourdement endommagés. Les médias alliés à l’AKP ont transformé consciemment les résultats de l’action afin de montrer au monde que leur espace aérien était sécurisé. Cette attaque au mortier a été également le début d’une nouvelle période d’actions. Il était le premier message pour dire que la dictature fasciste de l’AKP qui ne respecte aucune règle morale, et leur collaborateurs, ne pourront pas vivre tranquillement dans leur propre villes.

Quel est l’objectif du TAK, que veut-il ?

Le TAK n’a pas jugé que les efforts infiniment dévoués et les initiatives de résolutions du problème kurde avec des méthodes pacifiques et démocratiques, que le leader Öcalan a menées, avaient aboutis. Les politiques de destruction, et de négation, de l’Etat, et son approche niant le problème [kurde] perdurent. La méthode de l’Etat, pour traiter le problème kurde, « imposer une reddition » et sa conception « le meilleur Kurde est le Kurde mort » perdurent. Le TAK, s’intéresse seulement à des ouvertures tournées vers l’arrêt des politiques de destruction et de négation envers le peuple kurde, ainsi que la prise comme interlocuteur du leader et sa mise en liberté. Il [le TAK] trouve que le combat que le KCK mène en prenant en compte les équilibres politiques, est insuffisant et le critique. Il invite le KCK à un combat plus actif.

Le PKK fait aussi des actions en continu…

Le TAK est une organisation née des conditions laissées au peuple kurde et son leader.
Des guérillas qui ont fait partie du PKK, et qui ont lutté contre l’Etat pendant une période, mais [ensuite] ont quitté l’organisation, ont construit le TAK, car ils trouvaient faibles, les méthodes du KCK, avec leur nom de l’époque, HPG et Hongra-Gel. Dans la lutte menée contre l’Etat turc, en prenant en compte les équilibres politiques, son approche et ses efforts de résolution [du KCK] n’ont pas abouti à la réconciliation mais à l’oppression et la destruction.

C’est à dire que le TAK, ne prend d’ordre de nulle part ?

Le TAK en tant qu’organisation, n’est lié à personne. En tant que structure il est une force « fedai ». Il a la volonté et la force pour réaliser toutes sortes d’actions. Pour cela, il possède la formation et l’équipement technique nécessaire. Le TAK est un mouvement de cadres, et non un mouvement colossal populaire comme l’est le PKK. Il se concentre sur ce type d’actions et les réalise. Le PKK et actif et combat dans toutes les parties du Kurdistan. Le TAK n’a pas ces soucis. Il n’a pas de calcul, son seul objectif, c’est d’atteindre l’ennemi. Le TAK ne se soucie pas de qui dira quoi. S’il verse de l’eau sur le coeur du peuple kurde, cela lui suffit.

Les actions du TAK iront jusqu’où ? Y a-t-il une période définie ?

Tant que le terrorisme d’Etat ne cesse pas, les cibles prioritaires du TAK sont la bureaucratie militaire, l’économie et le tourisme.

Partout en Turquie les bombes exploseront, il y aura des attentats, et des sabotages, des incendies seront réalisés partout. Aucune règle ne sera respectée. Quand ils [les membres du TAK] se dirigent vers leur cibles, ils avancent avec le sentiment de vengeance. Il se focalisent sur la cible et détruisent. C’est peut être la première fois que l’Etat turc est face à une telle organisation.

Combien de militants possède le TAK ?

Chaque jour qui passe leur nombre augmente. Il y a des participation en provenance du HPG et d’autres horizons. Ils visent à élargir leur rangs. Le TAK est la force de défense et d’attaque du peuple kurde. Il est la preuve même du fait que le peuple kurde n’est pas seul.

Le TAK se compare-t-il avec l’ETA ou l’IRA ?

Non. On peut comparer ces organisations, peut être avec le PKK. Le groupe qui se nomme le TAK et qui a déclaré son existence en 2004, s’était fait connaitre avec les explosions à Çeşme et Kuşadası. le TAK est un mouvement de « fedai » organisés par petits groupes. Le représentant du peuple kurde est le PKK et Öcalan. Le TAK est le renvoi vers l’endroit d’où viennent les violences faites au peuple kurde, avec le même langage. Le TAK, comme j’ai dit précédemment, est l’eau qui éteint les braises mises en feu dans le coeur du peuple kurde.

Alors, le TAK se voit comme la force de frappe des Kurdes ?

L’Etat a mis en place contre le peuple kurde, des organisations telles que JITEM [Service de renseignements et antiterrorisme de la gendarmerie], PÖH [Police spéciale d’intervention], TIT [Brigade de vengeance turque]. Si la Turquie a le TIT et le JITEM, les kurdes ont le TAK. Si toutes les actions sont le droit de ces unités afin qu’ils atteignent leurs objectifs, c’est autant le droit du TAK. Les nouveaux membres du TAK sont constitués plutôt de jeunes. Ils sont tous formé par le cadre dirigeant. Tous les militants sont entraînes dans des villes, et élaborent des stratégies d’actions. Chaque « fedai » a des tâches et des compétences spécifiques. Certains reçoivent une formation professionnelle sur des attentats, d’autres sur les explosifs et mécanismes. Le TAK qui a des membres dans plusieurs villes du Kurdistan, privilégie en priorité les villes turques. Ils sont positionnés plus intensément dans des villes comme İzmir, İstanbul, Antalya, Aydın, Mersin, Adana.

Si le KCK fait un appel au TAK, pour dire arrêtez ces actions, le TAK le suivra-t-il ?

Non. Il y a eu ce type d’appel. Par exemple après l’action de Taksim, il a fait un appel, et une critique, mais le TAK n’a pas suivi et ne suivra pas. Le TAK ne veut pas que le PKK pose les armes, mais dans le cas où il le ferait, le TAK continuera ses activités et actions. Le TAK restera comme une force active jusqu’à la résolution du problème kurde. Le TAK critique de temps à autre le PKK. 

Après la revendication d’une attaque à Taksim par le TAK, un dirigent de PKK à qui on avait demandé « qui sont-ils ? » avait répondu ceci :

« Le fait que certains membres du TAK soit nos anciens membres est vrai. Mais il critiquaient nos politiques. Ils nous considéraient trop doux et passifs. Ils exprimaient qu’ils étaient pour l’escalade de la lutte armée. Ensuite ils ont séparé leur chemins. Mais ils acceptent, eux aussi, Öcalan comme leader. Après l’arrestation d’Öcalan, nous avons eu des problèmes et ennuis en interne. Certains camarades disaient « Le leader a cessé le feu, mais l’Etat, non seulement n’a rien compris, mais en plus a élaboré des complots contre lui ». Certains camarades critiques se sont regroupés. Ces équipes se sont rapidement polarisées et en se détachant de nous, ont construit leur propre organisation. »

TAK, est-il d’accord avec cette version ?

Oui, le TAK dit la même chose. le TAK critique le PKK de temps en temps, et le PKK le TAK.

La thèse qui dit le le TAK est la branche urbaine du PKK, est-elle vraie ?

Absolument pas. C’est du fait que plusieurs membres du TAK sont venus en se détachant du PKK qu’on fait ce genre d’interprétations. Il n’y a aucune relation entre les deux. Le TAK est lié seulement à Öcalan et lui est fidèle.

Le TAK n’affaiblit pas la force de négociation du PKK ? Si l’Etat leur dit « Même si on se met d’accord avec vous, qu’allons faire des organisations sans contrôle comme le TAK ? »

Le TAK dit que l’Etat ne se mettra pas à parler solutions dans ces conditions. Mais si le côté turc fait des pas fiables pour la résolution, il n’y aura plus de problème. Par conséquent il n’y aura plus d’actions. Mais tant que la politique de massacres de l’Etat contre le peuple kurde perdure, le TAK leur donnera la réponse nécessaire. Il est possible d’affirmer ceci : désormais le TAK fera des actions, plus importantes et plus bruyantes.