[mis à jour 30/12] Solidarité avec Maxime Azadî arrêté en Belgique

15621670_1271541052937055_667951610619792830_nMaxime, libéré, raconte sur son blog son arrestation et sa « détention » de deux semaines dans une prison en Belgique…

J’ai été arrêté le 15 décembre près de Bruxelles par la police belge à la demande du pouvoir turc, alors que je conduisais.  La police a dit que j’ai été signalé par la Turquie. C’était la seule raison. J’ai été menotté les mains derrière le dos, avant de passer la nuit dans une cellule d’un poste de police à Mechelen, en Région flamande dans la province d’Anvers. Dès mon arrestation j’ai entamé une grève de la faim. La Turquie avait émis un mandat d’arrêt international contre moi, via Interpol, devenu un mécanisme arbitraire de la répression. Certes, ce n’était pas la première arrestation au sein de la communauté kurde. Je n’ai signé aucun papier durant ma garde à vue pour protester contre cette injustice. Le 16 décembre, j’ai été amené mains liées devant le tribunal de Turnhout, situé à 85 km de Bruxelles.  Le procureur a demandé mon extradition vers la Turquie. La demande venait de la Turquie. Le juge a ordonné mon arrestation. Or, le juge avait admis qu’il n’y avait aucune information pour le moment pour justifier cette arrestation. Un scandale. Comment pouvait-on considérer comme « crédibles » les accusations venant d’un pays où la justice, la liberté de la presse et de l’expression n’existaient pas ? Selon mon avocat belge Luc Walleyn et le juge, le dossier sur moi était préparé par le tribunal de Sirnak, une ville dans laquelle je n’avais jamais mis les pieds. Les accusations sont fondées sur des articles publiés à partir du 4 mars 2013. Toujours selon un document envoyé par la Turquie,  un tribunal turc a ordonné mon arrestation au 31 août 2015. Je risquerais au moins 25 ans de prison, sans parler d’autres enquêtes ouvertes contre moi dans plusieurs villes en Turquie. Les premières informations étaient très limitées. Le juge m’a demandé ce que je penserais en cas d’extradition vers la Turquie. « C’est vous qui devrez avoir des soucis, car ce serait une honte pour la démocratie belge » répondis-je.

DEUX SEMAINES D’ISOLEMENT

A la fin de l’audience, j’ai été envoyé à la prison de Turnhout. J’ai continué à mener ma grève de la faim. Pendant trois jours, je n’ai consommé que très peu de thé et d’eau. Je ne recevais l’eau chaude pour le thé que le matin et le soir. Le premier jour, le directeur de la prison a dit que je serai soumis à un régime spécial, car j’étais considéré comme « terroriste ».  Mes contacts avec les autres détenus ont été limités. Les appels et les visites ont été interdits. On m’a dit que j’avais le droit d’appeler mon avocat tous les jours, et je n’ai jamais pu l’appeler. Cependant j’ai pu rencontrer mon avocat trois fois, car je n’avais aucun contact avec l’extérieur. À part une visite de mes parents, mes amis et mes collègues n’ont jamais pu franchir les portes de la prison. Les autres détenus avaient le droit de parler au téléphone quinze minutes par jour. Ils pouvaient sortir à la cour de promenade deux heures par jours.  Malgré le régime spécial, j’ai été mis dans une cellule où déjà deux détenus de droit commun étaient placés. Le paradoxe. Je me suis trouvé dans une prison surpeuplée. Les quatre premiers jours, je dormais par terre.  Il n’y avait aucune place pour bouger. Les toilettes étaient à l’intérieur de la cellule où on mangeait et dormait.  Pendant ces quatorze jours dans la prison de Turnhout, je n’ai pas eu le droit de sortir de la cellule.  Mes demandes pour aller à la bibliothèque de la prison dans l’espoir d’avoir un livre n’ont eu aucune réponse.  Des livres que mes amis m’avaient envoyés ont été refusés.  Le temps semblait s’arrêter dans cette cellule. Prenant en compte le conseil de mon avocat, j’ai arrêté la grève de la faim trois jours après mon arrestation, mais j’étais déterminé à relancer la grève si la justice refusait de me libérer.

J’ACCUSE…

Après la demande de mon avocat le 19 décembre pour ma libération, j’ai été conduit le 23 décembre, les mains toujours ligotées, devant le juge à Turnhout, avec plusieurs autres détenus de droit commun.  J’ai refusé de me défendre. Tout était dit par mon avocat. Mais mon refus était une réaction à l’injustice, car je n’étais pas coupable. Au contraire, j’accuse.  Je refusais les motivations qui ont conduit à mon arrestation, les mécanismes qui ont été mis en œuvre, la manière de cette arrestation et les traitements indignes durant mon incarcération.  J’accusais les autorités européennes pour leur complicité avec la Turquie et pour avoir cédé aux chantages du régime Erdogan.  Je n’étais ni coupable ni terroriste. Les mentalités et les pratiques qui faisaient vivre la terreur d’État dans la démocratie étaient coupables.

LA RÉSISTANCE EST BELLE

Lors de l’audience du 23 décembre, les accusations dans le dossier turc fondées sur mes articles et d’autres qui avaient été publiés par l’agence de presse Firat dont je suis le directeur ne se sont pas trouvées assez convaincantes pour le maintien de mon incarcération.  Pendant tout ce temps, dehors, une large campagne de soutien avait été lancée pour obtenir ma libération. La Fédération internationale des journalistes et de nombreux médias se sont intéressé à ma situation. Le procureur qui avait auparavant demandé mon arrestation a dit qu’il était en faveur de ma libération. Le juge a ordonné dans ce sens, mais sous caution, alors que j’avais refusé de payer la caution. Le même jour, au retour à la prison, le directeur m’a communiqué la prolongation du régime spécial. Dans la soirée, j’ai reçu la décision de ma libération sous caution. Apparemment mes collègues et mes amis avaient décidé de payer la caution. Cependant, il y avait une autre décision, venant de l’Office des étrangers. Or, j’étais un citoyen européen, ayant la nationalité française.  L’Office des étrangers demandait le maintien de mon incarcération jusqu’à l’extradition vers un autre pays, dont j’ignore le quel, sans aucune interdiction sur le territoire belge. Il était possible que je sois extradé vers la France. D’après mon avocat, la Turquie avait fait la même demande auprès des autorités françaises. Dans ce cas, je risquerais aussi d’être arrêté en France. Je devais être transféré le 29 décembre au centre pour les étrangers illégaux de Merksplas. Mon avocat a fait appel urgent de cette décision. Malgré la libération ordonnée par le juge, j’ai passé cinq jours de plus dans la prison avant d’être libéré le 28 décembre. La menace de la Turquie pèse toujours sur moi.  Le tribunal attend le dossier complet qui devrait être envoyé par les autorités turques.  Par conséquent, si ces méthodes et tant d’injustices et de pratiques qui portaient atteinte à la dignité humaine ont pour objectif d’intimider, je devrais dire qu’ils sont sur la mauvaise direction, car ces attaques n’atteindront pas leur objectif. Je continuerai à écrire, à déranger et à lutter pour un autre monde.  Résister, c’est beau et plus excitant.

Maxime Azadi

* Je remercie tous ceux qui m’ont soutenu après mon arrestation et à travers moi la liberté de l’expression et de la presse, tout en dénonçant cette injustice et la répression du pouvoir turc exportée en Europe.

 

 

Le Collectif VAN informe le 19 décembre :

Les comptes Facebook et Twitter de Maxime Azadi, d’ordinaire très actifs, sont silencieux depuis ce jeudi 15/12 au matin. Selon les nouvelles tournant sur Twitter, le journaliste kurde de Belgique a été arrêté sur demande des autorités turques.
On peut en conclure qu’Erdogan a non seulement fait de la Turquie l’une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes, mais qu’il utilise désormais les dirigeants européens comme chiens de garde contre la liberté de la presse traitant de la question kurde et des minorités. En bafouant à Bruxelles les droits des opposants de Turquie réfugiés sous ses cieux, l’Europe foule aux pieds ses valeurs les plus précieuses.
Maxime diffusait en français une information libre sur la Turquie et c’est en cela qu’il était devenu gênant pour le néo-sultan d’Ankara. Nous l’avions rencontré fin août où il était venu couvrir le Festival du cinéma de Douarnenez, consacré cet été aux peuples de Turquie.
Liberté pour Maxime Azadi !

Mise à jour du 20 décembre et pétition en ligne pour sa libération immédiate :

Notre camarade Maxime Azadi a été arrêté suite à la demande des services de renseignements turcs via Interpol. Il lui est reproché par ces services d’être en  » collaboration avec une organisation terroriste » et d’être le directeur de l’agence kurde « Firat News Agency »(ANF), qui est le premier site d’informations actif des Kurdes d’Europe.

Nous, en tant que citoyens kurdes résidents en Europe, nous avons fui pour la plupart la pression qui pèse sur nous en Turquie, la guerre et l’assimilation forcée par le régime turc qui nous oppresse depuis des années. Nous sommes venus en Europe afin de nous reconstruire une vie, tout en gardant notre origine comme étant quelque chose de précieux. Nous sommes pour la plupart des étudiantEs, des journalistes, des avocat(e)s, des médecins, des chercheur(e)s, des professeur(e)s, dont le but est le même: révéler la réalité du gouvernement turc et l’oppression qui pèse sur les minorités. En aucun cas nous ne pouvons rester silencieux, en aucun cas nous n’accepterons que soient arrêtés des militants pour avoir usé de leur liberté d’expression contre Erdogan.

C’est pour cette raison que nous demandons de façon solidaire la liberté pour Maxime Azadi et sa libération immédiate.

Mise à jour au 21 décembre :

Après plusieurs recherches depuis la nuit passée, nous avons obtenu un peu d’information sur la détention du journaliste kurde Maxime Azadi… Il a été détenu le jeudi 14 décembre par la police belge en Belgique à cause d’une bulletin international de la police turque. Il se trouve actuellement dans la prison de Turnhout près de la frontière hollandaise. Pour son interrogatoire, la police belge attend des renseignements complémentaires des autorités turques. Maxime sera défendu par l’avocat Luc Wallyn. Bien que l’agence ANF et les organisations kurdes en Belgique ne donnent pas l’information détaillée sur cette arrestation, les médias belges ont commencé vers le soir du 20 décembre à donner des dépêches relatives à cette violation de la liberté de la presse.

Solidarité avec Maxime Azadî !

Lisez « Firat News Agency »(ANF) !

JİNHA, DİHA et 13 médias fermés. Résistance et soutien !

jinha-agence-fermetureLe gouvernement turc a fermé par décrets n°675 et 676 promulgués le 29 octobre 2016, dans le cadre de l’état d’urgence en vigueur depuis la tentative de coup d’état du 15 juillet, 2 agences d’information, JİNHA et DİHA. En tout, 10 journaux et 3 magazines ont été fermés.

Selon le « Rapport d’observation des médias » de Bianet, concernant la période juillet, août, septembre, 107 journalistes, 10 distributeurs/trices ont été misEs en prison. 78 correspondants on été arrêtés, et dans le cadre de l’état d’urgence 775 cartes de presse et 49 passeports ont été supprimés. Près de 2500 journalistes et employéEs des médias fermés, ont tous perdu leur travail.

logos-agences-jinha-diha-fermesDİHA et JİNHA sont des agences que Kedistan, entre autres,  suit régulièrement et qui constituent de précieuses sources d’information. Leurs équipes sont régulièrement poursuivies, mises en garde à vue… Zera Dögan, actuellement en prison en attente de jugement, en est l’exemple vivant.

JİNHA, Jin Haber Ajansı (littéralement, “Agence d’Information Femme”) fondée le 8 mars 2012, a effectivement la particularité d’être la première agence d’information au monde dont toutes les contributrices sont des femmes.

L’agence a diffusé après la décision de fermeture un communiqué par lequel elle déclare sa détermination à continuer son travail et souligne encore une fois l’importance de sa ligne éditoriale.

JİNHA a commencé sa vie avec l’ambition légitime de “changer le langage des médias”. Elle a réussi non seulement à se faire une place, mais à s’imposer avec toutes ses contributrices, du journalisme de terrain, à l’édition, du technique au plus simple employé. JINHA se qualifie de “l’alternative à l’alternative”, et travaille sans concession sur ses principes, malgré les difficultés par rapport à son prisme et langage.

Les correspondantes de JİNHA suivent les événements aussi bien en Turquie qu’en Syrie, en Irak. L’agence tient une place importante pour avoir été la première à informer sur le fait que la Révolution qui se déroule à Rojava est un processus basé sur la femme. Les journalistes de l’agence sont souvent des cibles particulières aussi bien pour leur posture politique, que leur identité de femme.

En quelques exemples, Vildan Atmaca, correspondante de Van s’est fait arrêter pour “avoir publié la photo d’Arîn Mirkan”, une combattante YPJ de Kobanê. Après la libération de Vildan, cela a été le tour de Rojda Oğuz, toujours à Van. Beritan Canözer a été mise en garde-à-vue et mise en prison pour “être trop enthousiaste”. Et ce ne sont que des noms parmi d’autres. Parallèlement au travail de journalisme, une lutte en continu perdure pour défendre les collègues pour qu’elles puissent retrouver leur liberté et leur travail.

A Sinjar les correspondantes de JİNHA avaient suivi les batailles en prenant des risques. A Diyarbakır, dans le quartier Sur, Şehriban Aslan, a été blessée à la tête par une capsule de lacrymo lancée par la police. Suite à une congestion cérébrale elle est restée durant des mois en soins intensifs…
A Cizre, sous couvre-feu, les journalistes de JİNHA ont fait du “journalisme de Paix” en plein guerre, dans le coeur des quartiers sous le feu des mitrailleuses et canons. Zehra Doğan correspondante de Nusaybin, est actuellement en prison à Mardin en attendant sa première audience le 9 novembre. Vous pourrez trouver sur Kedistan, une campagne de cartes postales de soutien à Zehra et à ses amies, actuellement en cours.

JİNHA prend comme principe le fait que la perception du monde des femmes, doit être prise comme base pour un monde meilleur, en  informant dans une perspective féministe. De fait elle devient la voix des femmes, de celles dont les corps sans vie sont exposés dans les rues, celles qui subissent des tortures dans les prisons, celles qui s’auto-défendent, celles qui ne désemplissent pas les rues, celles qui luttent pour la nature en criant « C’est qui l’Etat? »… JİNHA est la voix de celles qui oeuvrent pour les luttes syndicalistes, les femmes et enfants qui subissent des agressions sexuelles, des femmes victimes de violences masculines, et aussi de celles qui s’en défendent, mais des LGBTI massacréEs, agresséEs, qui luttent pour leur fierté…

« JİNHA ne peut pas être muselée » dit le communiqué « Nous continuerons à écrire, sans nous soucier de ce que les hommes diront ».

JINHA est la voix des femmes !

Sur les réseaux sociaux, des soutiens pleuvent !

Feminizm Derneği : « Nous soutenons JİNHA qui déclare qu’elle va continuer à écrire. #JinhaYalnızDeğildir (JİNHA n’est pas seule) »

İstanbul Feminist Kolektif : « JİNHA était nous. »

Erktolia : « La première agence de femme au monde JİNHA a été fermée. #JİNHAsusturulamaz (JİNHA ne peut pas être muselée) #KadınlarınSesiSusturulamaz (La voix des femmes ne peut pas être empêchée) ».

Filmmor  (Festival de film de femmes) : « Virginia Woolf en 1929. JİNHA 2016. Depuis 100 ans, nous écrivons ‘sans nous soucier de ce que les hommes peuvent dire’ ! Si vous pensez que c’est possible de ‘fermer’, d’anéantir cela… »

Kadınların Kurtuluşu  :« JİNHA qui écrit ‘sans se soucier de ce que les hommes peuvent dire’ continuera à écrire grâce à la lutte de nous, les femmes. ‘Nous étions, nous sommes, nous serons ! »

Mor Çetele : « Une décision de décret a fermé JİNHA, une des voix des femmes. Vous n’allez pas pouvoir faire taire la voix des femmes ! »

Feminist Gündem : « #JİNHAnePeutPasEtreMuselée, car JİNHA fait résonner la voix de la rue, la voix des femmes. »

Filiz Kerestecioğlu (Juriste, féministe, députée HDP) : « JİNHA est la voix des femmes. Notre agence où travaillent les journalistes les plus jeunes et les plus talentueuses est unique au monde. Nous ne taisons jamais ! »

Pervin Buldan (Députée HDP, Vice-Président du Parlement) : « JİNHA ne se taira jamais. Les femmes résisteront s’approprieront JİNHA. #JİNHAsusturulamaz (JİNHA ne peut pas être muselée) »

Liste complète des médias fermés : Dicle Haber Ajansı (DİHA), Jin Haber Ajansı (JİNHA), Özgür Gündem Gazetesi (İstanbul), Azadiya Welat Gazetesi (Diyarbakır), Yüksekova Haber Gazetesi (Hakkari), Batman Çağdaş Gazetesi (Batman), Cizre Postası Gazetesi (Şırnak), İdil Haber Gazetesi (Şırnak), Güney Expres Gazetesi (Şırnak), Prestij Haber Gazetesi (Van), Urfanatik Gazetesi (Urfa), Kızıltepe’nin Sesi Gazetesi (Mardin), Tîroj Dergisi (İstanbul), Evrensel Kültür Dergisi (İstanbul), Özgürlük Dünyası Dergisi (İstanbul).

Repris de Kedistan.net.

Entretiens avec JINHA, l’agence de presse des femmes

Voici deux interviews qui ont été menées par Corporate Watch et Vice News, au Kurdistan nord (Bakur), auprès de 3 journalistes de JINHA. Celle qui suit date de juste après les élections législatives de juin 2015, autrement dit juste avant la reprise de la guerre . La deuxième interview (voir l’encart) est plus récente (janvier 2016).

JINHA est une agence de presse entièrement composée de femmes, kurdes dans leur grande majorité. Elle subit une répression féroce de la part de l’État turc. Plusieurs de ses journalistes sont soit en prison, soit en attente d’un procès. C’est le cas de Beritan qui vient d’être condamnée à 1 an et 3 mois d’emprisonnement. Elles sont le plus souvent accusées de complicité avec une organisation terroriste (comprendre  : elles donnent des informations qui ne vont pas dans le sens du gouvernement). Par ailleurs, leur site internet a été hacké 5 fois et interdit par décision de justice. En reportage, elles subissent les attaques de la police, parfois à balles réelles.

Entretien avec Asya Tekin

Peux-tu décrire ce qu’est JİNHA ?

Asya Tekin  : JİNHA a été fondée il y a quatre ans, le 8 mars 2012, la journée internationale des femmes. Son but est de couvrir les événements qui concernent les femmes d’un point de vue de femme avec uniquement des journalistes femmes. Elle a été fondée à Amed. Depuis, un réseau de reporters s’est développé dans tout le Kurdistan – nous comptons actuellement 40 employées. Légalement, nous sommes une entreprise, mais nous travaillons à la manière d’un collectif de femmes.
C’est une agence composée majoritairement de femmes Kurdes, mais en grandissant, nous essayons d’élargir de plus en plus aux problèmes des femmes à travers le monde.
Nous avons un site internet et un service vidéo qui envoie des reportages à différentes chaînes provenant d’un peu partout dans la région. Nous envoyons également des informations à de nombreux journaux de la région.

JINHA subit-elle des discriminations du fait d’être une agence de femmes ?

AT : Nous avons de nombreuses difficultés à diffuser nos informations. Nos abonnés sont des médias de gauche ou alternatifs. Les grosses chaînes d’information ne nous commandent pas de reportages. La plupart du temps, les médias parlent des femmes de manière à faire du buzz, comme dans les magazines people, alors que nous présentons un regard de femmes sur des luttes de femmes. Les lectrices et les téléspectateurs ne sont pas habitué.e.s à cela. De ce fait, nous avons beaucoup de mal à trouver des abonné.e.s.
Nos reporters rencontrent également des difficultés lorsqu’elles sont sur le terrain. Les gens disent que les femmes ne peuvent pas faire du reportage de guerre, et ils considèrent que la caméra devrait être tenue par des hommes. Les discriminations proviennent à la fois de collègues masculins et de personnes lambda.

Pouvez-vous nous parler de la vie quotidienne et de la violence que vous subissez de la part de la police et de l’armée turques au Kurdistan ?

AT : Au quotidien, je ne me sens pas en sécurité, surtout en tant que journaliste femme. Nous nous attendons à des attaques tous les jours. Pendant la campagne électorale [pour les élections législatives de 2015], nous sommes allées dans la région de la Mer Noire. Nous avons été harcelées par la police et nous étions suivies par une voiture sans immatriculation tout le long de la route jusqu’à Malatya. Nous nous sommes plaintes à la police, en leur disant que nous savions que c’était eux, et la police a semblé en prendre note, mais n’a rien fait. Je ne me sens pas en sécurité ici.
C’est un pays où il existe une lutte importante pour la libération des femmes. Des femmes comme Deniz Firat [une correspondante kurde qui travaillait pour l’agence Firat News, tuée en 2014 par Daesh] et d’autres, qui ont été assassinées en faisant leur travail, m’inspirent et me donnent de la force.
Je me vois comme une journaliste qui travaille en état de guerre, et je considère mon activité comme étant en première ligne de cette lutte. Les attaques peuvent avoir des conséquences psychologiques, mais pas assez pour me faire abandonner.
Quand on est témoin d’autant d’injustice autour de soi, on doit le faire savoir. […] Bien sûr, les informations doivent être le plus objectives possible, mais lorsque vous voyez un État commettre autant d’injustices, vous devez en rendre compte en étant du bon côté.[…] D’un point de vue éthique et moral, en tant que personne, je me sens responsable de faire ce qui est juste. Bien sûr nous sommes des journalistes, mais je suis aussi une femme kurde, donc je me sens responsable de ce qui se passe.
Nous ne faisons pas uniquement des reportages sur les femmes qui résistent ; nous rendons compte également des femmes qui ne peuvent pas résister, qui vivent dans des conditions proches de l’esclavage. C’est notre devoir en tant que journalistes femmes. Le point de vue de notre agence est que nous sommes du côté des femmes et de leur liberté, en toutes circonstances.
De la même manière que nous donnons des information sur les femmes résistantes, nous en donnons sur les femmes qui sont victimes de violences et de discriminations ou qu’on écrase. Pour nous, c’est cela montrer les luttes de toutes les femmes, et à quoi ces luttes ressemblent vraiment.[…]

Votre travail doit avoir d’importantes conséquences psychologiques sur vous. Faites-vous quelque chose pour vous soutenir les unes les autres ?

AT : […] En tant que Kurdes, nous sommes habituées au trauma. Ce que nous faisons, est un engagement militant féministe, avant d’être un engagement journalistique. C’est ce qui nous fait tenir.
Nous avons reçu des menaces de la part du Hezbollah [kurde] et de Daesh mais cela ne nous pousse pas à arrêter de faire ce que nous faisons. Cela renforce notre engagement.
[NdT : Nous avons sauté les paragraphes qui racontent les attaques envers les Kurdes et les journalistes de la part de la Turquie et de Daesh]

Que pensez-vous des entreprises qui fabriquent des armes pour l’armée turque ?

AT : Je considère que c’est une erreur de dire que les entreprises sont les premières coupables. Les États renforcent leur pouvoir en utilisant ces armes. Les États en ont besoin pour pouvoir asseoir leur pouvoir répressif. Quand cela disparaîtra, ces entreprises disparaîtront également. Mais je considère que ces entreprises sont des tueuses d’enfants. Leurs patrons sont totalement complices de meurtres.

Pensez-vous que les gouvernements devraient donner des permis d’exportation d’armes à la Turquie ?

AT : Comment se fait-il que ces armes sont toujours envoyées vers le Moyen-Orient ? Comment se fait-il que le monde entier mènent ses guerres au Moyen-Orient ? Comment se fait-il qu’ici, à chaque coin de rue, on trouve un policier avec une arme à la main et qui sait comment tuer quelqu’un, et que lorsqu’on va en Europe, on ne voit d’armes nulle part ? Pourquoi devons-nous vivre sur un territoire où les armes sont omniprésentes ?
Si ces armes n’avaient pas envahi le Moyen-Orient, des groupes comme Daesh ne pourraient pas exister. Et maintenant, on en est rendu au point où les gens qui vivent ici ont besoin d’une arme pour s’auto-défendre. Une femme des YPJ [Unités de Femmes de Protection du Peuple au Rojava] a besoin d’une arme. Si vous vivez là-bas et que vous faites face à la force la plus sauvage qui existe au monde, vous êtes dans l’obligation de vous procurer l’arme qu’elles se sont procurée pour pouvoir vous défendre.
Bien sûr, le peuple kurde a la volonté profonde de résister, mais si seulement nous vivions dans un monde où nous pourrions le faire par de la désobéissance civile ou à travers des débats. Malheureusement, nous vivons au Moyen-Orient et ce n’est pas possible.
Nous voulons vivre dans un monde où nous n’aurions pas à nous procurer des armes. J’espère qu’un jour, les gens n’irons plus à la guerre. J’espère que la résistance des YPJ amènera un jour où les gens pourront vivre en paix et avoir une vie sans guerre.
Dernièrement, les femmes kurdes sont devenues un espoir pour les femmes dans le monde. Elles ont été tuées et violées. On a nié complètement leur existence, et ce sont elles qui résistent. A présent, elles sont l’espoir. Et cela nous rend heureuses d’informer sur les personnes qui font cette résistance.

Que peut-on faire depuis l’extérieur en solidarité avec le Kurdistan ?

AT : Il y a une chose que je souhaite, c’est que toutes les personnes qui sont opprimées au Moyen-Orient et qui sont forcées de vivre une vie de guerre, se relèvent ensemble et retournent à leurs vraies racines. J’aimerais voir cela aussi en-dehors du Kurdistan.
Pour finir, le terrorisme et la violence ne sont pas venues d’ici, mais de l’Occident. Les gens en Occident devraient se demander ce qu’ils doivent faire à ce sujet.

Entretien avec Sarya Gözüoğlu

Peux-tu nous dire ce que c’est que de grandir avec le militarisme turc ?

Sarya Gözüoğlu : C’est comme ça depuis que nous sommes né.e.s. Nous y sommes habitué.e.s, tous les jours nous pouvons perdre quelqu’un.e. À tel point que parfois, nous nous disons que la vie des gens normaux en Turquie doit être ennuyeuse. Nous y sommes tellement habitué.e.s que chaque jour ressemble à un film d’action. Cela ne nous semble plus bizarre. Quand nous étions enfants, ce n’était pas pareil – nous n’en étions pas conscient.e.s – mais quand nous avons quitté la maison, nous nous sommes rendu compte que c’était le mode de vie ici. J’ai toujours vécu à Amed. Bien sûr, cela a toujours été effrayant de voir la police perquisitionner des maisons, prendre les affaires des gens, les arrêter. La peur a provoqué l’engagement à agir contre elle.

Qu’est-ce qui t’a fait devenir une journaliste de JINHA ?

SG : C’était mon rêve depuis que j’étais petite. Mais sans JINHA, je n’aurais peut-être jamais eu le courage car c’est très dur pour les journalistes femmes. Un ami proche de mon oncle, qui était journaliste, a été tué. C’est ce qui m’a inspirée, car mon oncle était vraiment affecté par sa mort. Je n’ai pas étudié le journalisme ; j’ai fait des études en génie agricole, donc je n’ai pas ce bagage, mais cela a toujours été mon rêve. JINHA m’en a donné l’opportunité. J’ai pris confiance car ici il n’y a que des femmes. Certaines n’ont pas fini l’école, d’autres étaient enseignantes. Cette diversité m’a fait réaliser que moi aussi je pouvais le faire. La plupart n’avait pas d’expérience de journalisme, mais en ont acquis ici.

Est-il difficile pour les femmes ici d’être journalistes ?

SG : Bien sûr, je subis des discriminations en tant que femme journaliste. Lorsque vous sortez en tant que journaliste, vous êtes au milieu d’une armée d’hommes. 90 % des journalistes sont des hommes. Ils pensent qu’ils doivent être les meilleurs et que les femmes ne peuvent prendre de bonnes images. Lorsque nous allons à un événement difficile à filmer, les hommes disent : « c’est dommage que vous n’ayez un homme avec vous pour pouvoir filmer ». Si les journalistes ne sont pas capables de voir leurs propres collègues sans préjugés, comment peuvent-ils faire un travail objectif ?

La révolution au Rojava vous a-t-elle donné de l’espoir pour ici ?

SG  : Le Rojava ne devrait pas seulement donner de l’espoir pour le Kurdistan, il devrait en donner aussi au reste du monde. Cette révolution est née dans une région que personne ne connaît. Que cette résistance ait réussi à se faire entendre prouve bien que tout est possible. Cela montre que les gens peuvent décider de leur futur par leur propre volonté. Cela peut donner de l’espoir à de nombreuses personnes à travers le monde.

Est-ce que monter des actions contre ceux qui vendent des armes à la Turquie peut soutenir les mouvements révolutionnaires au Rojava ?

SG  : Oui évidemment. Toute action contre ceux qui vendent des armes à la Turquie est un soutien pour le Rojava car la Turquie donne de l’argent et des armes à Daesh.

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Repris de Merhaba Hevalno n°4.