Amed la rebelle, entre douleur et colère

Voici un long reportage réalisé fin avril 2017 auprès des habitant.e.s et des camarades de la capitale du Kurdistan… Cela fait quasiment deux ans que l’État turc a repris sa sale guerre coloniale au Kurdistan. Quel est l’état d’esprit à Diyarbakır (Amed en kurde), un an après le siège de son quartier historique, Sur, et après l’écrasement du mouvement d’autonomie des villes et des quartiers par des dizaines de milliers de soldats des forces spéciales turques.

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Des nouvelles de Diyarbakir : Entretien avec Dünya

Dünya, une camarade de Diyarbakır, a bien voulu répondre par mail à quelques-unes de nos questions en cette fin de mois de décembre 2016. Alors que l’État turc veut réduire au silence toute critique et désir de liberté, voici ce qu’elle nous raconte de sa vie là-bas. Cela donne un rapide aperçu de l’ambiance en ce moment dans la capitale du Kurdistan…

Un dessin de Zehra Dogan

Salut ! Comment vas-tu ?

Bonjour ! Je vais bien, mais j’ai dû un peu m’éloigner de tout ce que j’ai vécu dernièrement, et je suis partie à Istanbul. J’essaie de vivre la sérénité que vous vivez en France malgré toutes les choses inévitables que l’on peut vivre ici au Kurdistan. Il faut vraiment que je me décide à chercher du travail à Amed (Diyarbakır). Ou alors je vais à Istanbul pour y travailler. Mais je n’ai toujours pas décidé. J’aime vraiment Amed. Mais comme il y a beaucoup de moments difficiles à Amed ces derniers temps, je crois que je vais pouvoir vivre nulle part, car je ne me sens bien nulle part. La douleur du Kurdistan est là dans mon cœur, elle me suit partout.

Que faisais-tu comme travail ? Et qu’imagines-tu faire aujourd’hui ?

J’ai été à l’université d’Istanbul où j’ai étudié la langue turque et la littérature. J’ai fait pas mal de boulots dans ma vie, dans la presse et dans le textile notamment. Et ces 2 dernières années à Amed, j’ai eu un poste à la municipalité de Sur [le quartier historique d’Amed]. Mais en décembre 2015 on a tou.te.s été viré.e.s. Les premier.e.s employé.e.s de mairies au Kurdistan à avoir été désigné.e.s et viré.e.s par l’administration turque sont celles et ceux de la municipalité de Sur. Et tout particulièrement celles qui travaillaient sur la question des droits des femmes. Les femmes de la municipalité n’ont pas seulement été licenciées, mais un bon nombre d’entre-elles ont été mises en garde à vue. Et nous qui ne nous sommes pas faites embarquer, nous avons organisé des manifestations de soutien pour dénoncer ces agissements. La plupart des femmes qui se sont trouvées sans emplois ont leurs maris en prison et se retrouvent sans ressources. En bref, nous sommes toutes sans travail. L’État a constaté que des femmes étaient responsables de différentes organisations : il y a vu un danger et n’a pas toléré cela…

A quoi est dû ce changement de politique de la part de l’État ?

Il y a plusieurs raisons. Ce dont je viens de parler en est une. Et une autre est le fait que beaucoup de municipalités [tenues par le HDP] ont déclaré leur autonomie [à l’automne 2015]. Celle de Sur aussi, et l’État a commencé à y faire la guerre. Pendant les 113 jours de résistance [des habitant.e.s et des groupes d’autodéfense de Sur au siège des forces spéciales], l’administration turque a commencé à prendre des mesures antidémocratiques. Ensuite, à partir de juillet 2016 a été déclaré l’état d’urgence. La démocratie a été mise de côté et les municipalités des villes du Kurdistan ont été mises sous tutelle de l’État par la force. [53 municipalités au jour d’aujourd’hui, début 2017.] En fait, les personnes élues par le peuple on été remplacées par des tuteurs ou des préfets choisis par l’État.

Dans quelle situation se trouvent les prisonnier.e.s ? As-tu des nouvelles ?

Depuis la déclaration de l’état d’urgence, les gens sont placés en garde à vue ou incarcérés sans procès et pour n’importe quelle raison. On est passé dans une période où la démocratie est littéralement piétinée. Dans les prisons il n’y a plus de place. Je le sais d’une amie qui a été incarcérée sans jugement. Dans des cellules de 20 places, l’administration entasse jusqu’à 45 personnes. Il y a pour cette raison de gros problème d’hygiène. L’amie qui est en prison travaillait à la municipalité et était responsable d’un syndicat. C’est pour cela qu’elle a été arrêtée. Sa sœur a été arrêtée pour les mêmes raisons et attend également un jugement. Elles sont séparées de leurs enfants et ça me rend vraiment triste. Les conditions de détentions sont très mauvaises : outre les problèmes d’hygiène, de nombreuses maladies traînent, il n’y a pas de chauffage, et le courrier est très mal distribué… Et depuis la mise en place de l’état d’urgence plus personne ne peut rendre visite aux camarades détenu.e.s mis à part des membres de leurs familles.

Le quartier de Sur est dans quel état ? Que s’y passe-t-il actuellement ? Est-ce que tout le quartier a été détruit ? Les travaux ont-ils commencé ? Quelle est la situation de celles et ceux qui habitaient là-bas ?

Après le siège des forces spéciales et l’attaque militaire, Sur n’a pas réussi à s’en remettre. Malheureusement ce qui s’est vécu dans les années 1990 est à nouveau là ! Les habitant.e.s qui ont été forcé.e.s de quitter Sur sont parti.e.s. Et celles et ceux qui sont resté.e.s, l’ont fait soit parce qu’ils n’avaient pas d’autres endroits où aller, soit par attachement sentimental à leur quartier et à leurs racines. Beaucoup de gens se retrouvent exproprier, ils se font prendre leurs terrains et leurs maisons. Et ce que l’État propose en échange n’a strictement aucune valeur en comparaison. L’État les force à vendre et accélère ainsi la colonisation de Sur. Les travaux ont déjà commencé et les projets urbanistiques sont prêts. 5 quartiers sont toujours sous couvre-feu et sont en train d’être finis d’être rasés alors que un nombre important d’habitations restaient intactes. La destruction faite par les tanks a laissé place à celle faite par les bulldozers. Maintenant il n’y a plus de quartiers, plus de maisons. Cela fait 6 mois qu’ils préparent leur projet de colonisation. Il leur faudra 6 mois de plus pour construire leurs immeubles. Et quand les habitant.e.s pourront revenir dans leur quartier, ils ne verront que ces nouveaux immeubles en béton et ne pourront pas récupérer les maisons qu’ils avaient avant. Ce que l’État a voulu prendre, c’est leurs biens et leur histoire. Et bientôt, il voudra leur revendre ces nouveaux appartements, à crédit pour les attacher pendant 20 ans.

Dans quelle mesure la police et l’armée sont-elles omniprésentes à Amed ? Est-ce qu’elles sont toujours là malgré la levée des couvre-feux ? La population continue-t-elle à manifester ?

Malgré le retrait des couvre-feux, il y a une grande présence des forces spéciales dans toute la ville. Comme je disais plus haut, à Sur, il y a eu une rude guerre qui a laissé des traces malheureusement indélébiles. Et comme je dis depuis le début de l’entretien, depuis la tentative de coup d’état des güleniste, la police arrête qui elle veut comme ça dans la rue. Si tu te regroupes à 15 ou 20 personnes tu peux être arrêté et prendre un mois de prison. On est plus aussi libre qu’avant lorsque nous faisions nos manifestations. On ne peut plus faire de prises de paroles ni de manifs ni rien. Le pays est en train d’être dirigé de manière monarchique.

L’État veut, semble-t-il, faire exister un vrai black-out médiatique en Turquie, et plus encore au Kurdistan. La population arrive-t-elle quand même à s’informer ?

L’État a très bien su mettre en place – et il l’a fait bien consciemment – ce black-out médiatique. En coupant ou en censurant tous les médias – radios, tv, presse… Du coup, la population essaye de s’informer comme elle peut, notamment par twitter par exemple. Mais les réseaux sociaux commencent à être attaqués également et les gens de plus en plus poursuivis. Et à Amed, l’État prend le luxe de ralentir le débit d’internet ou de le fermer carrément, pour, ainsi, couper tous les moyens que les gens ont pour communiquer. Et ce que le pouvoir veut absolument cacher c’est les guerres de factions en son sein.

Mais bien-sûr que les médias alternatifs trouvent des moyens et des canaux de diffusion, même si cela est difficile. Le mouvement des femmes a commencé à se redonner des moyens de diffusion, et d’autres suivent. Il y a une vraie attention des gens à l’information, et même une ébauche d’un minuscule chemin vers l’info devient un espoir pour nous tou.te.s. Les médias ne s’arrêtent pas et continuent d’exister…

Cizre, Şırnak, Nusaybin… Dans quelle situation sont les villes qui ont subies les sièges des forces spéciales ? Comment font les habitant.e.s pour survivre ?

Toutes ces villes ont été complètement détruites. Il n’en reste plus rien. Malheureusement les gens vivent en ce moment dans des tentes, et les forces spéciales attaquent même ces campements de fortune. Ces gens-là n’ont pas de solutions. Les aides, il y en avaient mais l’État a fermé par décret toutes les associations qui s’en occupaient. Ces aides ont donc diminué. La situation est très critique en ce moment. On a beau amené de l’aide – du matériel et de l’argent –, ça n’est pas suffisant…

Est-ce qu’une partie des habitant.e.s du Kurdistan de Turquie émigrent ? Où vont-ils : en Turquie, en Europe ?

Oui, quand c’est la dernière solution, les gens s’en vont. Quand ils sont virés de leur travail et de leur maison, ils sont malheureusement poussés à partir. Ceux qui ont quelques possibilités vont à l’ouest de la Turquie, et ceux qui en ont encore un peu plus essaye de gagner l’Europe. Amed avait accueilli, ces dernières années, beaucoup de gens de Kobanê et de Shengal. Mais d’après ce que l’on sait, eux aussi s’en vont. Il y a une baisse et des changements anormaux dans la population de Amed. Maintenant la Turquie n’est plus du tout un endroit sûr pour y migrer car tout le monde sait que c’est la guerre ici, dans le sud-est…

Où en est le mouvement des femmes en ce moment ? On a vu qu’il y a eu au mois de décembre 2016 une grosse mobilisation des femmes contre le projet de loi légalisant le viol en Turquie. Y a-t-il eu des manifestations au Kurdistan ?

Le mouvement des femmes du Congrès des femmes (KJA) a changé de nom et désormais s’appelle Tewgera Jina Azadi (TJA). Bien-sûr que les travaux continuent, mais depuis l’arrestation et la détention de Ayla Akat [membre du BDP à Batman] les travaux ont ralenti. Le projet de loi sur le viol a rassemblé des milliers de femmes. Et la tentative du gouvernement de passer en force cette loi s’est retrouvé face à la conscience des femmes qui ont senti un grand danger venir. Mais le danger en Turquie est là à tout moment. C’est pas parce que cette loi a été ajournée aujourd’hui que le danger est passé. Tant qu’on aura pas régler les choses à la racine, l’État continuera de soumettre les femmes à ses lois. Il prétend que c’est pour protéger les femmes, mais en réalité c’est pour les rendre plus vulnérables, pour les mettre en danger, et l’objectif étant d’augmenter les violences et agressions sexuelles à leur égard. Est-ce que cette mobilisation a eu lieu au Kurdistan ? Bien-sûr qu’elle a eu lieu ! Mais elle n’a pas trop été visibilisée, car ici, avant même de se faire violer, on se fait tuer directement… Ça fait 2 ans que nous vivons une forte attaque militaire menée par l’État oppresseur et totalitaire, et ça nous laisse peu de temps à mettre ailleurs. On est vraiment dans une période où la démocratie est vraiment bafouée. On se cramponne comme on peut au peu de droits humains qu’il nous reste. On s’oppose pas simplement à la loi contre le viol, on lutte chaque jour contre toutes les violations des droits humains…

Beaucoup d’écoles ont-elles fermé à Amed ? Comment vont les enfants ? Comment réagissent-ils à la situation actuelle ?

Malheureusement, dans les secteurs où la guerre à frapper et où il y a eu des combats, les programmes d’éducation ont beaucoup ralenti. Et certains enfants n’ont même plus accès aux écoles : certaines écoles ayant fermé, les enfants ont été renvoyés vers d’autres écoles qui sont bien trop loin pour qu’ils puissent s’y rendre. Du coup, beaucoup d’enfants sont troublés et sont atteints psychologiquement, et le système éducatif est « cassé » depuis une année. Beaucoup de professeurs ont été virés car ils appartenaient aux syndicats de l’éducation. Ça aussi a son effet sur les écoles. Il y a un système éducatif, mais les enfants n’y ont plus accès. Les enfants de Sur sont dans une période de rémission traumatique ; ils sont suivis par différentes associations populaires qui s’occupent d’eux. En ce moment, si on regarde à l’échelle de la Turquie, le système éducatif est vraiment mis à mal. Et à Amed, c’est deux fois pire.

A ton avis comment la situation générale va-t-elle évoluer ?

La situation ne va pas s’arranger facilement, tant que l’État ne change pas son regard et son attitude avec les Kurdes. Je pense même que la situation risque de s’aggraver…

Şûjin : Les femmes recréent un nouveau site d’information

15380810_178874172583349_991544977368182809_nJinha le site d’information kurde « par et pour les femmes » avait été fermé par l’Etat turc depuis quelques semaines. L’Etat turc veut mettre sous silence tous les médias d’opposition, notamment ceux du Kurdistan. Mais les militantes ne lâchent rien et reviennent avec un nouveau site :

https://gazetesujin.com

Lire aussi l’article de Kedistan à propos de ce nouveau site !

JİNHA, DİHA et 13 médias fermés. Résistance et soutien !

jinha-agence-fermetureLe gouvernement turc a fermé par décrets n°675 et 676 promulgués le 29 octobre 2016, dans le cadre de l’état d’urgence en vigueur depuis la tentative de coup d’état du 15 juillet, 2 agences d’information, JİNHA et DİHA. En tout, 10 journaux et 3 magazines ont été fermés.

Selon le « Rapport d’observation des médias » de Bianet, concernant la période juillet, août, septembre, 107 journalistes, 10 distributeurs/trices ont été misEs en prison. 78 correspondants on été arrêtés, et dans le cadre de l’état d’urgence 775 cartes de presse et 49 passeports ont été supprimés. Près de 2500 journalistes et employéEs des médias fermés, ont tous perdu leur travail.

logos-agences-jinha-diha-fermesDİHA et JİNHA sont des agences que Kedistan, entre autres,  suit régulièrement et qui constituent de précieuses sources d’information. Leurs équipes sont régulièrement poursuivies, mises en garde à vue… Zera Dögan, actuellement en prison en attente de jugement, en est l’exemple vivant.

JİNHA, Jin Haber Ajansı (littéralement, “Agence d’Information Femme”) fondée le 8 mars 2012, a effectivement la particularité d’être la première agence d’information au monde dont toutes les contributrices sont des femmes.

L’agence a diffusé après la décision de fermeture un communiqué par lequel elle déclare sa détermination à continuer son travail et souligne encore une fois l’importance de sa ligne éditoriale.

JİNHA a commencé sa vie avec l’ambition légitime de “changer le langage des médias”. Elle a réussi non seulement à se faire une place, mais à s’imposer avec toutes ses contributrices, du journalisme de terrain, à l’édition, du technique au plus simple employé. JINHA se qualifie de “l’alternative à l’alternative”, et travaille sans concession sur ses principes, malgré les difficultés par rapport à son prisme et langage.

Les correspondantes de JİNHA suivent les événements aussi bien en Turquie qu’en Syrie, en Irak. L’agence tient une place importante pour avoir été la première à informer sur le fait que la Révolution qui se déroule à Rojava est un processus basé sur la femme. Les journalistes de l’agence sont souvent des cibles particulières aussi bien pour leur posture politique, que leur identité de femme.

En quelques exemples, Vildan Atmaca, correspondante de Van s’est fait arrêter pour “avoir publié la photo d’Arîn Mirkan”, une combattante YPJ de Kobanê. Après la libération de Vildan, cela a été le tour de Rojda Oğuz, toujours à Van. Beritan Canözer a été mise en garde-à-vue et mise en prison pour “être trop enthousiaste”. Et ce ne sont que des noms parmi d’autres. Parallèlement au travail de journalisme, une lutte en continu perdure pour défendre les collègues pour qu’elles puissent retrouver leur liberté et leur travail.

A Sinjar les correspondantes de JİNHA avaient suivi les batailles en prenant des risques. A Diyarbakır, dans le quartier Sur, Şehriban Aslan, a été blessée à la tête par une capsule de lacrymo lancée par la police. Suite à une congestion cérébrale elle est restée durant des mois en soins intensifs…
A Cizre, sous couvre-feu, les journalistes de JİNHA ont fait du “journalisme de Paix” en plein guerre, dans le coeur des quartiers sous le feu des mitrailleuses et canons. Zehra Doğan correspondante de Nusaybin, est actuellement en prison à Mardin en attendant sa première audience le 9 novembre. Vous pourrez trouver sur Kedistan, une campagne de cartes postales de soutien à Zehra et à ses amies, actuellement en cours.

JİNHA prend comme principe le fait que la perception du monde des femmes, doit être prise comme base pour un monde meilleur, en  informant dans une perspective féministe. De fait elle devient la voix des femmes, de celles dont les corps sans vie sont exposés dans les rues, celles qui subissent des tortures dans les prisons, celles qui s’auto-défendent, celles qui ne désemplissent pas les rues, celles qui luttent pour la nature en criant « C’est qui l’Etat? »… JİNHA est la voix de celles qui oeuvrent pour les luttes syndicalistes, les femmes et enfants qui subissent des agressions sexuelles, des femmes victimes de violences masculines, et aussi de celles qui s’en défendent, mais des LGBTI massacréEs, agresséEs, qui luttent pour leur fierté…

« JİNHA ne peut pas être muselée » dit le communiqué « Nous continuerons à écrire, sans nous soucier de ce que les hommes diront ».

JINHA est la voix des femmes !

Sur les réseaux sociaux, des soutiens pleuvent !

Feminizm Derneği : « Nous soutenons JİNHA qui déclare qu’elle va continuer à écrire. #JinhaYalnızDeğildir (JİNHA n’est pas seule) »

İstanbul Feminist Kolektif : « JİNHA était nous. »

Erktolia : « La première agence de femme au monde JİNHA a été fermée. #JİNHAsusturulamaz (JİNHA ne peut pas être muselée) #KadınlarınSesiSusturulamaz (La voix des femmes ne peut pas être empêchée) ».

Filmmor  (Festival de film de femmes) : « Virginia Woolf en 1929. JİNHA 2016. Depuis 100 ans, nous écrivons ‘sans nous soucier de ce que les hommes peuvent dire’ ! Si vous pensez que c’est possible de ‘fermer’, d’anéantir cela… »

Kadınların Kurtuluşu  :« JİNHA qui écrit ‘sans se soucier de ce que les hommes peuvent dire’ continuera à écrire grâce à la lutte de nous, les femmes. ‘Nous étions, nous sommes, nous serons ! »

Mor Çetele : « Une décision de décret a fermé JİNHA, une des voix des femmes. Vous n’allez pas pouvoir faire taire la voix des femmes ! »

Feminist Gündem : « #JİNHAnePeutPasEtreMuselée, car JİNHA fait résonner la voix de la rue, la voix des femmes. »

Filiz Kerestecioğlu (Juriste, féministe, députée HDP) : « JİNHA est la voix des femmes. Notre agence où travaillent les journalistes les plus jeunes et les plus talentueuses est unique au monde. Nous ne taisons jamais ! »

Pervin Buldan (Députée HDP, Vice-Président du Parlement) : « JİNHA ne se taira jamais. Les femmes résisteront s’approprieront JİNHA. #JİNHAsusturulamaz (JİNHA ne peut pas être muselée) »

Liste complète des médias fermés : Dicle Haber Ajansı (DİHA), Jin Haber Ajansı (JİNHA), Özgür Gündem Gazetesi (İstanbul), Azadiya Welat Gazetesi (Diyarbakır), Yüksekova Haber Gazetesi (Hakkari), Batman Çağdaş Gazetesi (Batman), Cizre Postası Gazetesi (Şırnak), İdil Haber Gazetesi (Şırnak), Güney Expres Gazetesi (Şırnak), Prestij Haber Gazetesi (Van), Urfanatik Gazetesi (Urfa), Kızıltepe’nin Sesi Gazetesi (Mardin), Tîroj Dergisi (İstanbul), Evrensel Kültür Dergisi (İstanbul), Özgürlük Dünyası Dergisi (İstanbul).

Repris de Kedistan.net.

Entretiens avec JINHA, l’agence de presse des femmes

Voici deux interviews qui ont été menées par Corporate Watch et Vice News, au Kurdistan nord (Bakur), auprès de 3 journalistes de JINHA. Celle qui suit date de juste après les élections législatives de juin 2015, autrement dit juste avant la reprise de la guerre . La deuxième interview (voir l’encart) est plus récente (janvier 2016).

JINHA est une agence de presse entièrement composée de femmes, kurdes dans leur grande majorité. Elle subit une répression féroce de la part de l’État turc. Plusieurs de ses journalistes sont soit en prison, soit en attente d’un procès. C’est le cas de Beritan qui vient d’être condamnée à 1 an et 3 mois d’emprisonnement. Elles sont le plus souvent accusées de complicité avec une organisation terroriste (comprendre  : elles donnent des informations qui ne vont pas dans le sens du gouvernement). Par ailleurs, leur site internet a été hacké 5 fois et interdit par décision de justice. En reportage, elles subissent les attaques de la police, parfois à balles réelles.

Entretien avec Asya Tekin

Peux-tu décrire ce qu’est JİNHA ?

Asya Tekin  : JİNHA a été fondée il y a quatre ans, le 8 mars 2012, la journée internationale des femmes. Son but est de couvrir les événements qui concernent les femmes d’un point de vue de femme avec uniquement des journalistes femmes. Elle a été fondée à Amed. Depuis, un réseau de reporters s’est développé dans tout le Kurdistan – nous comptons actuellement 40 employées. Légalement, nous sommes une entreprise, mais nous travaillons à la manière d’un collectif de femmes.
C’est une agence composée majoritairement de femmes Kurdes, mais en grandissant, nous essayons d’élargir de plus en plus aux problèmes des femmes à travers le monde.
Nous avons un site internet et un service vidéo qui envoie des reportages à différentes chaînes provenant d’un peu partout dans la région. Nous envoyons également des informations à de nombreux journaux de la région.

JINHA subit-elle des discriminations du fait d’être une agence de femmes ?

AT : Nous avons de nombreuses difficultés à diffuser nos informations. Nos abonnés sont des médias de gauche ou alternatifs. Les grosses chaînes d’information ne nous commandent pas de reportages. La plupart du temps, les médias parlent des femmes de manière à faire du buzz, comme dans les magazines people, alors que nous présentons un regard de femmes sur des luttes de femmes. Les lectrices et les téléspectateurs ne sont pas habitué.e.s à cela. De ce fait, nous avons beaucoup de mal à trouver des abonné.e.s.
Nos reporters rencontrent également des difficultés lorsqu’elles sont sur le terrain. Les gens disent que les femmes ne peuvent pas faire du reportage de guerre, et ils considèrent que la caméra devrait être tenue par des hommes. Les discriminations proviennent à la fois de collègues masculins et de personnes lambda.

Pouvez-vous nous parler de la vie quotidienne et de la violence que vous subissez de la part de la police et de l’armée turques au Kurdistan ?

AT : Au quotidien, je ne me sens pas en sécurité, surtout en tant que journaliste femme. Nous nous attendons à des attaques tous les jours. Pendant la campagne électorale [pour les élections législatives de 2015], nous sommes allées dans la région de la Mer Noire. Nous avons été harcelées par la police et nous étions suivies par une voiture sans immatriculation tout le long de la route jusqu’à Malatya. Nous nous sommes plaintes à la police, en leur disant que nous savions que c’était eux, et la police a semblé en prendre note, mais n’a rien fait. Je ne me sens pas en sécurité ici.
C’est un pays où il existe une lutte importante pour la libération des femmes. Des femmes comme Deniz Firat [une correspondante kurde qui travaillait pour l’agence Firat News, tuée en 2014 par Daesh] et d’autres, qui ont été assassinées en faisant leur travail, m’inspirent et me donnent de la force.
Je me vois comme une journaliste qui travaille en état de guerre, et je considère mon activité comme étant en première ligne de cette lutte. Les attaques peuvent avoir des conséquences psychologiques, mais pas assez pour me faire abandonner.
Quand on est témoin d’autant d’injustice autour de soi, on doit le faire savoir. […] Bien sûr, les informations doivent être le plus objectives possible, mais lorsque vous voyez un État commettre autant d’injustices, vous devez en rendre compte en étant du bon côté.[…] D’un point de vue éthique et moral, en tant que personne, je me sens responsable de faire ce qui est juste. Bien sûr nous sommes des journalistes, mais je suis aussi une femme kurde, donc je me sens responsable de ce qui se passe.
Nous ne faisons pas uniquement des reportages sur les femmes qui résistent ; nous rendons compte également des femmes qui ne peuvent pas résister, qui vivent dans des conditions proches de l’esclavage. C’est notre devoir en tant que journalistes femmes. Le point de vue de notre agence est que nous sommes du côté des femmes et de leur liberté, en toutes circonstances.
De la même manière que nous donnons des information sur les femmes résistantes, nous en donnons sur les femmes qui sont victimes de violences et de discriminations ou qu’on écrase. Pour nous, c’est cela montrer les luttes de toutes les femmes, et à quoi ces luttes ressemblent vraiment.[…]

Votre travail doit avoir d’importantes conséquences psychologiques sur vous. Faites-vous quelque chose pour vous soutenir les unes les autres ?

AT : […] En tant que Kurdes, nous sommes habituées au trauma. Ce que nous faisons, est un engagement militant féministe, avant d’être un engagement journalistique. C’est ce qui nous fait tenir.
Nous avons reçu des menaces de la part du Hezbollah [kurde] et de Daesh mais cela ne nous pousse pas à arrêter de faire ce que nous faisons. Cela renforce notre engagement.
[NdT : Nous avons sauté les paragraphes qui racontent les attaques envers les Kurdes et les journalistes de la part de la Turquie et de Daesh]

Que pensez-vous des entreprises qui fabriquent des armes pour l’armée turque ?

AT : Je considère que c’est une erreur de dire que les entreprises sont les premières coupables. Les États renforcent leur pouvoir en utilisant ces armes. Les États en ont besoin pour pouvoir asseoir leur pouvoir répressif. Quand cela disparaîtra, ces entreprises disparaîtront également. Mais je considère que ces entreprises sont des tueuses d’enfants. Leurs patrons sont totalement complices de meurtres.

Pensez-vous que les gouvernements devraient donner des permis d’exportation d’armes à la Turquie ?

AT : Comment se fait-il que ces armes sont toujours envoyées vers le Moyen-Orient ? Comment se fait-il que le monde entier mènent ses guerres au Moyen-Orient ? Comment se fait-il qu’ici, à chaque coin de rue, on trouve un policier avec une arme à la main et qui sait comment tuer quelqu’un, et que lorsqu’on va en Europe, on ne voit d’armes nulle part ? Pourquoi devons-nous vivre sur un territoire où les armes sont omniprésentes ?
Si ces armes n’avaient pas envahi le Moyen-Orient, des groupes comme Daesh ne pourraient pas exister. Et maintenant, on en est rendu au point où les gens qui vivent ici ont besoin d’une arme pour s’auto-défendre. Une femme des YPJ [Unités de Femmes de Protection du Peuple au Rojava] a besoin d’une arme. Si vous vivez là-bas et que vous faites face à la force la plus sauvage qui existe au monde, vous êtes dans l’obligation de vous procurer l’arme qu’elles se sont procurée pour pouvoir vous défendre.
Bien sûr, le peuple kurde a la volonté profonde de résister, mais si seulement nous vivions dans un monde où nous pourrions le faire par de la désobéissance civile ou à travers des débats. Malheureusement, nous vivons au Moyen-Orient et ce n’est pas possible.
Nous voulons vivre dans un monde où nous n’aurions pas à nous procurer des armes. J’espère qu’un jour, les gens n’irons plus à la guerre. J’espère que la résistance des YPJ amènera un jour où les gens pourront vivre en paix et avoir une vie sans guerre.
Dernièrement, les femmes kurdes sont devenues un espoir pour les femmes dans le monde. Elles ont été tuées et violées. On a nié complètement leur existence, et ce sont elles qui résistent. A présent, elles sont l’espoir. Et cela nous rend heureuses d’informer sur les personnes qui font cette résistance.

Que peut-on faire depuis l’extérieur en solidarité avec le Kurdistan ?

AT : Il y a une chose que je souhaite, c’est que toutes les personnes qui sont opprimées au Moyen-Orient et qui sont forcées de vivre une vie de guerre, se relèvent ensemble et retournent à leurs vraies racines. J’aimerais voir cela aussi en-dehors du Kurdistan.
Pour finir, le terrorisme et la violence ne sont pas venues d’ici, mais de l’Occident. Les gens en Occident devraient se demander ce qu’ils doivent faire à ce sujet.

Entretien avec Sarya Gözüoğlu

Peux-tu nous dire ce que c’est que de grandir avec le militarisme turc ?

Sarya Gözüoğlu : C’est comme ça depuis que nous sommes né.e.s. Nous y sommes habitué.e.s, tous les jours nous pouvons perdre quelqu’un.e. À tel point que parfois, nous nous disons que la vie des gens normaux en Turquie doit être ennuyeuse. Nous y sommes tellement habitué.e.s que chaque jour ressemble à un film d’action. Cela ne nous semble plus bizarre. Quand nous étions enfants, ce n’était pas pareil – nous n’en étions pas conscient.e.s – mais quand nous avons quitté la maison, nous nous sommes rendu compte que c’était le mode de vie ici. J’ai toujours vécu à Amed. Bien sûr, cela a toujours été effrayant de voir la police perquisitionner des maisons, prendre les affaires des gens, les arrêter. La peur a provoqué l’engagement à agir contre elle.

Qu’est-ce qui t’a fait devenir une journaliste de JINHA ?

SG : C’était mon rêve depuis que j’étais petite. Mais sans JINHA, je n’aurais peut-être jamais eu le courage car c’est très dur pour les journalistes femmes. Un ami proche de mon oncle, qui était journaliste, a été tué. C’est ce qui m’a inspirée, car mon oncle était vraiment affecté par sa mort. Je n’ai pas étudié le journalisme ; j’ai fait des études en génie agricole, donc je n’ai pas ce bagage, mais cela a toujours été mon rêve. JINHA m’en a donné l’opportunité. J’ai pris confiance car ici il n’y a que des femmes. Certaines n’ont pas fini l’école, d’autres étaient enseignantes. Cette diversité m’a fait réaliser que moi aussi je pouvais le faire. La plupart n’avait pas d’expérience de journalisme, mais en ont acquis ici.

Est-il difficile pour les femmes ici d’être journalistes ?

SG : Bien sûr, je subis des discriminations en tant que femme journaliste. Lorsque vous sortez en tant que journaliste, vous êtes au milieu d’une armée d’hommes. 90 % des journalistes sont des hommes. Ils pensent qu’ils doivent être les meilleurs et que les femmes ne peuvent prendre de bonnes images. Lorsque nous allons à un événement difficile à filmer, les hommes disent : « c’est dommage que vous n’ayez un homme avec vous pour pouvoir filmer ». Si les journalistes ne sont pas capables de voir leurs propres collègues sans préjugés, comment peuvent-ils faire un travail objectif ?

La révolution au Rojava vous a-t-elle donné de l’espoir pour ici ?

SG  : Le Rojava ne devrait pas seulement donner de l’espoir pour le Kurdistan, il devrait en donner aussi au reste du monde. Cette révolution est née dans une région que personne ne connaît. Que cette résistance ait réussi à se faire entendre prouve bien que tout est possible. Cela montre que les gens peuvent décider de leur futur par leur propre volonté. Cela peut donner de l’espoir à de nombreuses personnes à travers le monde.

Est-ce que monter des actions contre ceux qui vendent des armes à la Turquie peut soutenir les mouvements révolutionnaires au Rojava ?

SG  : Oui évidemment. Toute action contre ceux qui vendent des armes à la Turquie est un soutien pour le Rojava car la Turquie donne de l’argent et des armes à Daesh.

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Repris de Merhaba Hevalno n°4.