Des nouvelles de Diyarbakir : Entretien avec Dünya

Dünya, une camarade de Diyarbakır, a bien voulu répondre par mail à quelques-unes de nos questions en cette fin de mois de décembre 2016. Alors que l’État turc veut réduire au silence toute critique et désir de liberté, voici ce qu’elle nous raconte de sa vie là-bas. Cela donne un rapide aperçu de l’ambiance en ce moment dans la capitale du Kurdistan…

Un dessin de Zehra Dogan

Salut ! Comment vas-tu ?

Bonjour ! Je vais bien, mais j’ai dû un peu m’éloigner de tout ce que j’ai vécu dernièrement, et je suis partie à Istanbul. J’essaie de vivre la sérénité que vous vivez en France malgré toutes les choses inévitables que l’on peut vivre ici au Kurdistan. Il faut vraiment que je me décide à chercher du travail à Amed (Diyarbakır). Ou alors je vais à Istanbul pour y travailler. Mais je n’ai toujours pas décidé. J’aime vraiment Amed. Mais comme il y a beaucoup de moments difficiles à Amed ces derniers temps, je crois que je vais pouvoir vivre nulle part, car je ne me sens bien nulle part. La douleur du Kurdistan est là dans mon cœur, elle me suit partout.

Que faisais-tu comme travail ? Et qu’imagines-tu faire aujourd’hui ?

J’ai été à l’université d’Istanbul où j’ai étudié la langue turque et la littérature. J’ai fait pas mal de boulots dans ma vie, dans la presse et dans le textile notamment. Et ces 2 dernières années à Amed, j’ai eu un poste à la municipalité de Sur [le quartier historique d’Amed]. Mais en décembre 2015 on a tou.te.s été viré.e.s. Les premier.e.s employé.e.s de mairies au Kurdistan à avoir été désigné.e.s et viré.e.s par l’administration turque sont celles et ceux de la municipalité de Sur. Et tout particulièrement celles qui travaillaient sur la question des droits des femmes. Les femmes de la municipalité n’ont pas seulement été licenciées, mais un bon nombre d’entre-elles ont été mises en garde à vue. Et nous qui ne nous sommes pas faites embarquer, nous avons organisé des manifestations de soutien pour dénoncer ces agissements. La plupart des femmes qui se sont trouvées sans emplois ont leurs maris en prison et se retrouvent sans ressources. En bref, nous sommes toutes sans travail. L’État a constaté que des femmes étaient responsables de différentes organisations : il y a vu un danger et n’a pas toléré cela…

A quoi est dû ce changement de politique de la part de l’État ?

Il y a plusieurs raisons. Ce dont je viens de parler en est une. Et une autre est le fait que beaucoup de municipalités [tenues par le HDP] ont déclaré leur autonomie [à l’automne 2015]. Celle de Sur aussi, et l’État a commencé à y faire la guerre. Pendant les 113 jours de résistance [des habitant.e.s et des groupes d’autodéfense de Sur au siège des forces spéciales], l’administration turque a commencé à prendre des mesures antidémocratiques. Ensuite, à partir de juillet 2016 a été déclaré l’état d’urgence. La démocratie a été mise de côté et les municipalités des villes du Kurdistan ont été mises sous tutelle de l’État par la force. [53 municipalités au jour d’aujourd’hui, début 2017.] En fait, les personnes élues par le peuple on été remplacées par des tuteurs ou des préfets choisis par l’État.

Dans quelle situation se trouvent les prisonnier.e.s ? As-tu des nouvelles ?

Depuis la déclaration de l’état d’urgence, les gens sont placés en garde à vue ou incarcérés sans procès et pour n’importe quelle raison. On est passé dans une période où la démocratie est littéralement piétinée. Dans les prisons il n’y a plus de place. Je le sais d’une amie qui a été incarcérée sans jugement. Dans des cellules de 20 places, l’administration entasse jusqu’à 45 personnes. Il y a pour cette raison de gros problème d’hygiène. L’amie qui est en prison travaillait à la municipalité et était responsable d’un syndicat. C’est pour cela qu’elle a été arrêtée. Sa sœur a été arrêtée pour les mêmes raisons et attend également un jugement. Elles sont séparées de leurs enfants et ça me rend vraiment triste. Les conditions de détentions sont très mauvaises : outre les problèmes d’hygiène, de nombreuses maladies traînent, il n’y a pas de chauffage, et le courrier est très mal distribué… Et depuis la mise en place de l’état d’urgence plus personne ne peut rendre visite aux camarades détenu.e.s mis à part des membres de leurs familles.

Le quartier de Sur est dans quel état ? Que s’y passe-t-il actuellement ? Est-ce que tout le quartier a été détruit ? Les travaux ont-ils commencé ? Quelle est la situation de celles et ceux qui habitaient là-bas ?

Après le siège des forces spéciales et l’attaque militaire, Sur n’a pas réussi à s’en remettre. Malheureusement ce qui s’est vécu dans les années 1990 est à nouveau là ! Les habitant.e.s qui ont été forcé.e.s de quitter Sur sont parti.e.s. Et celles et ceux qui sont resté.e.s, l’ont fait soit parce qu’ils n’avaient pas d’autres endroits où aller, soit par attachement sentimental à leur quartier et à leurs racines. Beaucoup de gens se retrouvent exproprier, ils se font prendre leurs terrains et leurs maisons. Et ce que l’État propose en échange n’a strictement aucune valeur en comparaison. L’État les force à vendre et accélère ainsi la colonisation de Sur. Les travaux ont déjà commencé et les projets urbanistiques sont prêts. 5 quartiers sont toujours sous couvre-feu et sont en train d’être finis d’être rasés alors que un nombre important d’habitations restaient intactes. La destruction faite par les tanks a laissé place à celle faite par les bulldozers. Maintenant il n’y a plus de quartiers, plus de maisons. Cela fait 6 mois qu’ils préparent leur projet de colonisation. Il leur faudra 6 mois de plus pour construire leurs immeubles. Et quand les habitant.e.s pourront revenir dans leur quartier, ils ne verront que ces nouveaux immeubles en béton et ne pourront pas récupérer les maisons qu’ils avaient avant. Ce que l’État a voulu prendre, c’est leurs biens et leur histoire. Et bientôt, il voudra leur revendre ces nouveaux appartements, à crédit pour les attacher pendant 20 ans.

Dans quelle mesure la police et l’armée sont-elles omniprésentes à Amed ? Est-ce qu’elles sont toujours là malgré la levée des couvre-feux ? La population continue-t-elle à manifester ?

Malgré le retrait des couvre-feux, il y a une grande présence des forces spéciales dans toute la ville. Comme je disais plus haut, à Sur, il y a eu une rude guerre qui a laissé des traces malheureusement indélébiles. Et comme je dis depuis le début de l’entretien, depuis la tentative de coup d’état des güleniste, la police arrête qui elle veut comme ça dans la rue. Si tu te regroupes à 15 ou 20 personnes tu peux être arrêté et prendre un mois de prison. On est plus aussi libre qu’avant lorsque nous faisions nos manifestations. On ne peut plus faire de prises de paroles ni de manifs ni rien. Le pays est en train d’être dirigé de manière monarchique.

L’État veut, semble-t-il, faire exister un vrai black-out médiatique en Turquie, et plus encore au Kurdistan. La population arrive-t-elle quand même à s’informer ?

L’État a très bien su mettre en place – et il l’a fait bien consciemment – ce black-out médiatique. En coupant ou en censurant tous les médias – radios, tv, presse… Du coup, la population essaye de s’informer comme elle peut, notamment par twitter par exemple. Mais les réseaux sociaux commencent à être attaqués également et les gens de plus en plus poursuivis. Et à Amed, l’État prend le luxe de ralentir le débit d’internet ou de le fermer carrément, pour, ainsi, couper tous les moyens que les gens ont pour communiquer. Et ce que le pouvoir veut absolument cacher c’est les guerres de factions en son sein.

Mais bien-sûr que les médias alternatifs trouvent des moyens et des canaux de diffusion, même si cela est difficile. Le mouvement des femmes a commencé à se redonner des moyens de diffusion, et d’autres suivent. Il y a une vraie attention des gens à l’information, et même une ébauche d’un minuscule chemin vers l’info devient un espoir pour nous tou.te.s. Les médias ne s’arrêtent pas et continuent d’exister…

Cizre, Şırnak, Nusaybin… Dans quelle situation sont les villes qui ont subies les sièges des forces spéciales ? Comment font les habitant.e.s pour survivre ?

Toutes ces villes ont été complètement détruites. Il n’en reste plus rien. Malheureusement les gens vivent en ce moment dans des tentes, et les forces spéciales attaquent même ces campements de fortune. Ces gens-là n’ont pas de solutions. Les aides, il y en avaient mais l’État a fermé par décret toutes les associations qui s’en occupaient. Ces aides ont donc diminué. La situation est très critique en ce moment. On a beau amené de l’aide – du matériel et de l’argent –, ça n’est pas suffisant…

Est-ce qu’une partie des habitant.e.s du Kurdistan de Turquie émigrent ? Où vont-ils : en Turquie, en Europe ?

Oui, quand c’est la dernière solution, les gens s’en vont. Quand ils sont virés de leur travail et de leur maison, ils sont malheureusement poussés à partir. Ceux qui ont quelques possibilités vont à l’ouest de la Turquie, et ceux qui en ont encore un peu plus essaye de gagner l’Europe. Amed avait accueilli, ces dernières années, beaucoup de gens de Kobanê et de Shengal. Mais d’après ce que l’on sait, eux aussi s’en vont. Il y a une baisse et des changements anormaux dans la population de Amed. Maintenant la Turquie n’est plus du tout un endroit sûr pour y migrer car tout le monde sait que c’est la guerre ici, dans le sud-est…

Où en est le mouvement des femmes en ce moment ? On a vu qu’il y a eu au mois de décembre 2016 une grosse mobilisation des femmes contre le projet de loi légalisant le viol en Turquie. Y a-t-il eu des manifestations au Kurdistan ?

Le mouvement des femmes du Congrès des femmes (KJA) a changé de nom et désormais s’appelle Tewgera Jina Azadi (TJA). Bien-sûr que les travaux continuent, mais depuis l’arrestation et la détention de Ayla Akat [membre du BDP à Batman] les travaux ont ralenti. Le projet de loi sur le viol a rassemblé des milliers de femmes. Et la tentative du gouvernement de passer en force cette loi s’est retrouvé face à la conscience des femmes qui ont senti un grand danger venir. Mais le danger en Turquie est là à tout moment. C’est pas parce que cette loi a été ajournée aujourd’hui que le danger est passé. Tant qu’on aura pas régler les choses à la racine, l’État continuera de soumettre les femmes à ses lois. Il prétend que c’est pour protéger les femmes, mais en réalité c’est pour les rendre plus vulnérables, pour les mettre en danger, et l’objectif étant d’augmenter les violences et agressions sexuelles à leur égard. Est-ce que cette mobilisation a eu lieu au Kurdistan ? Bien-sûr qu’elle a eu lieu ! Mais elle n’a pas trop été visibilisée, car ici, avant même de se faire violer, on se fait tuer directement… Ça fait 2 ans que nous vivons une forte attaque militaire menée par l’État oppresseur et totalitaire, et ça nous laisse peu de temps à mettre ailleurs. On est vraiment dans une période où la démocratie est vraiment bafouée. On se cramponne comme on peut au peu de droits humains qu’il nous reste. On s’oppose pas simplement à la loi contre le viol, on lutte chaque jour contre toutes les violations des droits humains…

Beaucoup d’écoles ont-elles fermé à Amed ? Comment vont les enfants ? Comment réagissent-ils à la situation actuelle ?

Malheureusement, dans les secteurs où la guerre à frapper et où il y a eu des combats, les programmes d’éducation ont beaucoup ralenti. Et certains enfants n’ont même plus accès aux écoles : certaines écoles ayant fermé, les enfants ont été renvoyés vers d’autres écoles qui sont bien trop loin pour qu’ils puissent s’y rendre. Du coup, beaucoup d’enfants sont troublés et sont atteints psychologiquement, et le système éducatif est « cassé » depuis une année. Beaucoup de professeurs ont été virés car ils appartenaient aux syndicats de l’éducation. Ça aussi a son effet sur les écoles. Il y a un système éducatif, mais les enfants n’y ont plus accès. Les enfants de Sur sont dans une période de rémission traumatique ; ils sont suivis par différentes associations populaires qui s’occupent d’eux. En ce moment, si on regarde à l’échelle de la Turquie, le système éducatif est vraiment mis à mal. Et à Amed, c’est deux fois pire.

A ton avis comment la situation générale va-t-elle évoluer ?

La situation ne va pas s’arranger facilement, tant que l’État ne change pas son regard et son attitude avec les Kurdes. Je pense même que la situation risque de s’aggraver…

[entretien] Être une erreur kurdo-turque

Dans cet entretien réalisé par Robert Leonard Rope, Saladdin Ahmed, professeur assistant de philosophie à Mardin Artuklu parle d’identité kurde, de politique, de religion, de démocratie et de la situation actuelle des Kurdes au Moyen-Orient. Cet entretien a d’abord été publié sur Open Democracy, dans le cadre du thème « auto-organisation des migrants et solidarité ».

Robert Leonard Rope : Pouvez-vous rapidement décrire votre parcours ? […] Comment est-ce d’enseigner dans une université en Turquie ?

Saladdin Ahmed : Je n’ai jamais su répondre aux questions sur mon passé, surtout parce que mon identité s’est toujours forgée autour de négations et pas en mettant positivement en avant une certaine éducation. Je ne dirais pas que je fais une crise d’identité, mais je dirais que l’identité, du moins dans le monde d’aujourd’hui, est elle-même en crise.

Quand être kurde est vu comme quelque chose à quoi il faut renoncer, je suis Kurde, sans hésitation. Au moment où ça devient l’identité du dirigeant, je ne peux que me tenir du côté de l’opposition, avec l’opprimé. C’est-à-dire que je suis Kurde tant que la kurdicité représente une négation de l’oppression. La première fois où je me suis retrouvé à un endroit où être Kurde revenait à être privilégié, en 2013, j’ai été frappé d’une crise morale aiguë, et j’ai commencé à tisser des liens avec les minorités non-kurdes et non-musulmanes.

Avant même de m’en rendre compte, critiquer le nationalisme kurde et l’Islam était devenu ma principale activité intellectuelle jusqu’à ce que je quitte de nouveau le Kurdistan irakien.

[…] En tant qu’enfant kurde, j’ai grandi à Kirkouk sous le régime baasiste en étant persuadé que j’étais une erreur existentielle, mais j’aimais être une erreur. J’aime toujours être une erreur.
Pour ce qui est de mon expérience d’enseignement en Turquie, quand je suis arrivé en automne 2014, la situation était sans précédent. Pour la première fois en quarante ans, la région kurde du pays profitait d’une certaine paix d’où est sorti un mouvement culturel et intellectuel impressionnant. Nous parlons là d’une région qui a été tellement opprimée que même une danse kurde traditionnelle y est considérée comme un acte politique. Le premier groupe d’étudiants kurdes était très impliqué dans la vie publique, à la fois dans l’université et en dehors. C’était en somme très exaltant d’être à Mardin à ce moment-là.

Malheureusement, mon expérience d’enseignement à l’université de Mardin Artuklu n’a pas duré longtemps. Environ deux mois après mon arrivée du Canada, le recteur libéral a été viré et remplacé par un islamiste soutenu par Erdogan. Juste après avoir été nommé par Erdogan, le nouveau recteur a entamé une campagne pour mettre les non-islamistes à la porte de l’administration de l’université. Quelques mois plus tard, il a mis unilatéralement fin à mon contrat et à ceux de 12 autres enseignants, qui se trouvaient tous être des citoyens étrangers. Pour empirer les choses, la guerre a recommencé dans la région kurde, accompagnée d’une violente oppression des jeunes, de grandes opérations militaires, d’arrestations de masse, etc. Ce qu’Erdogan a fait aux universités turques à Istanbul et à Ankara dans les semaines qui ont suivi le coup d’État avorté du 15 juillet 2016 a commencé un an avant dans le Sud-est.

Comme vous le savez, la Turquie est actuellement sous le coup de l’état d’urgence – des milliers de personnes ont été arrêtées, de nombreux professeurs et journalistes, sans parler des membres des forces armées – et il y a de nombreux cas reportés de torture. Quelle est votre perspective sur tout ça : comment ça va finir ?

Je pense que la Turquie va entrer dans une ère de terreur dans les années à venir. Cette purge va mener à un effondrement total de la confiance déjà fragile parmi les différentes sections des forces armées et du MIT. Ceux qui sont en position de pouvoir vont essayer de plus en plus d’utiliser le climat de peur et de manque de transparence pour se débarrasser de leurs rivaux.

Donc je pense que les cas d’assassinats et de tortures vont devenir de plus en plus habituels. L’armée en Turquie a toujours été considérée comme la gardienne de l’État, mais elle va maintenant devoir se soumettre au gouvernement, ce qui n’aura pas lieu sans douleur. […]

Quelle est votre opinion sur la « démocratie turque » ? Est-ce qu’une telle chose a déjà existé ? Est-ce qu’Erdogan l’a d’abord nourrie, puis détruite ? Est-ce que les gens veulent d’une démocratie à l’occidentale ? Démocratie vs. théocratie ?

Je ne pense pas qu’il y ait jamais eu une « démocratie turque ». Oui, des élections ont eu lieu, mais même des pays comme l’Iran et le Pakistan tiennent régulièrement des élections. Il y a aussi un parlement à Ankara, mais c’est un parlement qui symbolise le rejet de la pluralité en Turquie.
Je vais être plus précis : il y a toujours eu deux Turquies, celle de l’ouest et celle de l’est. Dans la Turquie de l’ouest, qui s’étend d’Istanbul à Izmir, Antalya, Ankara et Adana, une sorte de quotidien à l’européenne était tout à fait envisageable, tout au moins selon l’estimation d’un touriste moyen. Tout cela est en train de changer de façon évidente, et c’est pourquoi la situation actuelle en Turquie attire autant l’attention au niveau international.

Mais la Turquie de l’est a toujours été soumise au joug militaire. Il est impossible d’imaginer la brutalité de la vie dans l’est du pays du point de vue d’Istanbul. Des milliers de jeunes kurdes ont disparu lors d’opérations militaires turques durant les années 1980 et 1990. L’autre visage de la Turquie, c’est des tanks et des véhicules blindés qui occupent les places des villes ou rôdent dans les quartiers, c’est des checkpoints de militaires ou de policiers dressés entre les villes ou dans les villes, c’est d’énormes bases militaires installées dans les centres-ville et c’est des milliers de villages totalement détruits. Si l’on s’autorise à voir cet autre visage, la notion de « démocratie turque » ne peut paraître qu’absurde. […]

Comment pouvons-nous, en Occident, faire efficacement pression sur Erdogan et ses partisans pour défendre et restaurer les droits humains et l’état de droit en Turquie ?

Les droits humains ne peuvent pas être « restaurés » parce qu’ils n’ont jamais été respectés de toute façon. Peut-être peut-on restaurer le tourisme, mais les droits humains sont une chose pour laquelle on doit se battre de façon collective.

Erdogan fait pression sur l’Occident, pas l’inverse. D’après ce que je constate, Erdogan va continuer à utiliser les réfugiés syriens et irakiens pour faire du chantage qui s’adresse aux politiciens européens, sans cesser de consolider son pouvoir dans le monde sunnite. Puisqu’il travaille à éliminer toute opposition régionale à sa vision d’un empire islamique prévu pour 2023, il faut nous attendre à davantage de guerres désastreuses au Moyen-Orient. Elles auront pour conséquence l’augmentation du nombre de réfugiés cherchant à s’échapper vers l’Europe. Et l’Europe ne parviendra pas à maintenir la crise hors de ses frontières en s’appuyant sur un gardien qui est lui-même l’une des principales causes du problème. Arrêtons de nous voiler la face : l’EI n’a pu survivre jusqu’à présent que grâce aux afflux de jihadistes, d’armes, de munitions et d’argent qui passent par la Turquie. […]

En ce qui concerne l’EI, quelle est selon vous la meilleure stratégie à adopter pour le détruire ?

L’EI s’occupe du sale boulot pour la Turquie, et en contrepartie la Turquie fonctionne comme une route de ravitaillement pour l’EI, en plus de lui fournir une aide directe. Tant que la Turquie est autorisée à continuer ainsi, même si l’EI est détruit, des dizaines de groupes armés islamistes continueront de prospérer en Syrie. Je pense qu’Erdogan continuera à soutenir les islamistes en Syrie jusqu’à ce qu’il n’ait plus besoin d’eux. Bien sûr, les choses ne se passent pas toujours comme on le souhaite. À chaque jour qui passe, la ressemblance entre la Turquie et la Syrie devient de plus en plus frappante en ce qui concerne la polarisation de la société, qui pourrait très bien mener à l’éclatement éventuel d’une guerre civile.

L’unique problème de la Turquie, et le pire, est le fameux « problème kurde ». Erdogan soutient surtout l’EI, Jabhat al-Nusra, récemment renommé Jabhat Fatah al-Sham, et de nombreux autres mouvements islamistes pour empêcher les Kurdes syriens de contrôler les régions du nord de la Syrie, le long de la frontière turque.

Lorsqu’il est devenu évident que l’EI ne pouvait pas stopper les forces kurdes après la bataille de Kobanê, la Turquie s’est directement interposée pour empêcher les Kurdes d’expulser l’EI de la dernière bande de 100 km qu’ils contrôlent le long de la frontière turque. Ankara répète régulièrement que cette zone est une « ligne rouge » que les Kurdes ne peuvent pas franchir. En soi, la région de Jarablus est donc contrôlée par l’EI et protégée par la Turquie.

Erdogan s’est toujours appuyé sur l’EI pour juguler la soi-disant menace kurde en Turquie. Ces dernières années, l’EI a mené de nombreuses attaques contre des cibles kurdes. Lors du massacre de Suruş du 20 juillet 2015, 32 étudiants kurdes et turcs qui étaient en route pour aider à la reconstruction de Kobanê ont été tués dans un attentat suicide commandité par l’EI. Environ six semaines plus tôt, le 5 juin, une autre attaque à la bombe de l’EI lors d’un rassemblement électoral kurde à Diyarbakir avait causé la mort de quatre personnes. Le 10 octobre 2015, une attaque à la bombe de l’EI a causé la mort de plus de 100 civils et en a blessé plus de 500 lors d’une marche pour la paix organisée à Ankara par le parti pro-kurde de la démocratie des peuples (HDP) et par plusieurs syndicats. […]

Comment pouvons-nous aider de manière significative ceux qui sont actuellement emprisonnés dans les prisons turques ?

Une manière significative d’aider les victimes d’un régime despotique, quel qu’il soit, est d’abord de ne pas soutenir ce régime en lui vendant des armes ou en y effectuant des visites touristiques. Je pense que l’Occident doit se libérer du cycle qui consiste à soutenir les islamistes pour se débarrasser de dictateurs indésirables, comme Qadafi et Al-Assad, puis à soutenir des régimes militaires pour renverser les islamistes.

C’est un cycle infernal au Moyen-Orient, et la Turquie n’y fait pas exception. La longue histoire de l’oppression en Turquie a offert une légitimité populaire à Erdogan et il est en train de tranquillement devenir un dictateur oppressif. Ce n’est pas que je pense qu’une troisième option, démocratique, n’existe pas, mais à tous les endroits et tous les moments où le fascisme est relativement populaire, les forces démocratiques sont faibles, précisément parce qu’elles sont contre la violence de façon inhérente, ce qui les empêche d’arrêter le fascisme.

En Turquie, il existe un mouvement progressiste qui s’oppose à la fois au fascisme nationaliste et au fascisme islamiste. C’est un mouvement démocratique, séculaire, pluraliste, multiethnique et féministe mené par le HDP. Pendant les semaines qui ont précédé le coup d’État de juillet, l’AKP d’Erdogan a soutenu une loi offrant aux soldats l’immunité contre toute poursuite judiciaire afin de permettre aux forces armées de tuer plus facilement dans la région kurde. Le parti a aussi proposé une autre loi visant à priver les députés – en réalité, ceux du HDP – de leur immunité parlementaire. Le HDP est le dernier espoir de la Turquie, si le régime d’Erdogan trouve le moyen de faire taire ses dirigeants et ses activistes, par la prison ou par d’autres moyens d’oppression, la Turquie va devenir un cas d’école de régime dictatorial.

En Turquie, l’histoire des Kurdes est longue et tourmentée. Pour la première fois, un cessez-le-feu avait été conclu avec le PKK et des négociations entamées avec le gouvernement. Ces derniers temps, le HDP est resté sur la défensive et des centaines de civils kurdes ont été tués par les forces gouvernementales, avant le coup d’État. Est-ce qu’Erdogan va reprendre sa guerre contre les Kurdes ?

Erdogan n’a montré aucune intention de relancer le processus de paix. Il est maintenant dans une alliance avec les ultra-nationalistes et il poursuivra la guerre contre les Kurdes pour soutenir cette alliance. Au départ, il a repris la guerre pour plaire aux ultranationalistes qui sont farouchement opposés à la moindre reconnaissance des droits des Kurdes.

Il est difficile d’imaginer que la Turquie puisse accepter de reprendre le processus de paix avec les Kurdes, mais je pense que le mariage entre Ankara et l’EI se brisera un jour ou l’autre. Lorsque cela aura lieu, Ankara passera probablement un accord avec les Kurdes. Historiquement, les Kurdes se sont toujours montrés prêts à accepter une offre de paix, mais ils n’ont jamais eu assez de pouvoir pour imposer la paix en Turquie.

Même si l’Occident utilise maintenant les Kurdes pour se dresser contre l’EI, les médias internationaux ne parlent presque pas de l’oppression brutale des Kurdes en Turquie. Et parce qu’Erdogan est en train de faire du chantage à l’Europe avec le problème des réfugiés en menaçant d’ouvrir les portes de l’Europe aux réfugiés syriens, l’UE n’ose pas critiquer la Turquie au sujet des violations des droits humains au Kurdistan.

En Turquie, la pression sur le gouvernement n’est pas assez forte pour lancer un processus de paix. Il est plutôt ironique que d’un côté, les Kurdes subissent chaque jour la violence de l’État et l’absence de solidarité populaire, mais que d’un autre, on leur reproche de ne pas ressentir pleinement leur appartenance à la Turquie. Ce n’est que si la Turquie se retrouve plongée dans une crise sérieuse qu’Ankara envisagera un processus de paix.

La question kurde est très compliquée en Turquie, elle fait remonter 100 ans de reniement, d’humiliation, d’assimilation forcée et de gestion sociale. En Turquie, j’assiste quotidiennement aux conséquences douloureuses des politiques coloniales turques. Un jour, j’étais dans un bus pour l’université, quand deux jeunes enfants accompagnés de leur mère et de leur grand-mère sont montés. La grand-mère parlait kurde avec la mère, mais la mère parlait turc avec les enfants. Je suppose que la grand-mère ne connaissait pas le turc ou se sentait mal à l’aise de parler à sa fille dans une langue étrangère. Je suppose aussi que les enfants ne parlaient pas le kurde, comme les nombreux enfants kurdes qui ont été turquisés par l’État. Alors que le bus continuait de rouler, l’un des enfants a commencé à chanter une chanson triste kurde en regardant par la fenêtre. Dans un moment ordinaire comme celui-là, on peut assister à l’annihilation qui traverse les générations.

À quel point les femmes sont-elles libres ou opprimées en Turquie aujourd’hui ? Les femmes kurdes et turques ?

Le kémalisme a aidé les femmes turques a conquérir beaucoup de leurs libertés individuelles, mais c’est en train de changer avec le gouvernement islamiste d’Erdogan. Erdogan a clairement indiqué, à de multiples occasions, qu’il ne pense pas que l’homme et la femme soient égaux. Il a largement encouragé les familles turques à avoir davantage d’enfants et a enjoint les femmes à faire de l’éducation des enfants une priorité.

Par un effet de retournement intéressant, de nombreuses féministes turques s’inspirent dorénavant du mouvement féministe kurde. Historiquement, la région kurde était plus conservatrice en ce qui concerne les droits des femmes, ce qui n’est allé qu’en empirant avec la politique oppressive et les conditions économiques imposées dans la région kurde.
Cependant, l’émancipation des femmes est l’un des piliers de l’actuel mouvement kurde de libération. Öcalan, le leader emprisonné du PKK, a eu une phrase célèbre : « tuez l’homme ». C’est l’un des slogans de l’académie des femmes du Rojava (Kurdistan de Syrie). Bien sûr, cette citation est à prendre de façon métaphorique, mais elle démontre un changement puissant dans les consciences. Les combattants kurdes en Turquie et en Syrie suivent des cours de féminisme radical pour déconstruire le système de valeurs patriarcal. Ce même mouvement a également promu systématiquement un système de parité consistant à placer des co-dirigeants hommes et femmes à tous les postes de responsabilité en Turquie et en Syrie.

Les municipalités, les partis politiques et les forces militaires des régions kurdes de la Turquie et de la Syrie doivent garantir que le pouvoir est partagé, pour chaque poste, entre un homme et une femme.

Comment se passe la vie des personnes LGBT en Turquie aujourd’hui ?

Depuis plusieurs années, les personnes LGBT sont également confrontées à une pression accrue de la part du gouvernement d’Erdogan. En réalité, la police a essayé d’empêcher la gay pride d’Istanbul ces deux dernières années. Bien sûr, comme pour les libertés des femmes, ce n’est pas facile pour le gouvernement de supprimer tous les droits LGBT d’un coup, mais ces droits peuvent être complètement perdus en quelques années, comme cela s’est produit ailleurs. La société iranienne était, à une époque, très libérale à l’encontre des relations personnelles/sexuelles, malgré une violente dictature. Maintenant, sous le régime despotique actuel, les Iraniens ne bénéficient plus de ces libertés passées.

La Turquie semble suivre le même chemin : en plus de l’absence de libertés politiques, les libertés « personnelles » vont être de plus en plus restreintes. […]

Extrait de Merhaba Hevalno n°9.
Source : Kurdish Question – Traduction : Merhaba Hevalno.

Interview de volontaires du Bataillon International de Libération au Rojava

Le site de l’organisation maoïste OCML-VP a publié une interview avec deux volontaires révolutionnaires français partis se battre au Rojava, André et Jacques [Les prénoms ont été changés par sécurité]. Les deux ont combattu dans le Bataillon international de libération (IFB), et André également dans les Unités de protection du peuple (YPG). Les volontaires révolutionnaires étrangers ne se retrouvent pas uniquement dans l’IFB, beaucoup combattent également dans les YPG.
Nous reproduisons sur le blog de Ne Var Ne Yok cet instructif entretien…

Pourquoi êtes-vous partis au Rojava ? Pourquoi avez-vous rejoint le Bataillon ou les YPG ?

Jacques : il y en a plusieurs. D’abord, les transformations en cours là-bas, la révolution sociale qui a lieu. Il y a eu un premier appel des YPG aux volontaires étrangers. Puis, au printemps 2015, le Bataillon international s’est constitué ; j’y suis allé avec pour objectif de le rejoindre.
André : j’étais impliqué dans le milieu militant ici, en France. J’ai découvert que le PKK avait révisé la lecture stalinienne du marxisme, tout en étant en rupture avec la social-démocratie. C’était en accord avec mes convictions révolutionnaires. En plus, le Rojava fait face à des ennemis de nature néo-fasciste : ne pas y aller, cela aurait été être en contradiction avec ce que je défendais. Il y a aussi beaucoup de volontaires étrangers dans les YPG.

Quelle est la journée d’un brigadiste ?

J. : C’est très monotone la plupart du temps. On se lève, on prend le petit-déjeuner. Le reste de la journée on ne fait pas grand-chose, à part lorsqu’il s’agit d’assurer son tour de garde. On boit aussi beaucoup de thé ! Mais parfois tout va très vite lorsqu’il y a une alerte. On a pu passer plusieurs jours à se déplacer constamment, à ne dormir que 4 heures par nuit. Une fois, des combattants de Daesh ont tenté de franchir les lignes : nous sommes restés fusil en main tout une nuit.
A. : Lorsque le front est stable, on a parfois passé des journées à construire des positions défensives. On nous envoie patrouiller le long des routes pour vérifier qu’il n’y a pas de mines laissées en arrière par Daesh. Il y a une différence de rythme entre les périodes d’opérations d’un côté, lorsqu’on est au combat, et les périodes de repos de l’autre, consacrées à l’entrainement.

 

Quels sont vos rapports avec la population ?

A. : Nous n’en avons quasiment pas. Sur le front, les villages sont désertés. Lorsque j’ai eu l’occasion de me rendre en ville, les habitants saluent les étrangers sous l’uniforme des YPG. En fait, comme les YPG ne sont pas une armée classique mais une milice, le peuple on le rencontre dans ses unités. Ce ne sont pas des militaires professionnels, mais des gens venus du peuple.
J. : Là ou la population civile est encore présente, les contacts sont excellents, que ce soient avec les Arabes ou les Kurdes. Dans la région de Jarabulus, la population arabe a suivi les YPG lorsqu’ils ont reflué devant l’armée turque. Lorsque nous étions stationnés près de Manbij, un couple de vieux arabes nous amenaient tous les jours du thé et des figues. Cependant, dans certains cas nous avons été accueillis très froidement, comme dans la région de Suruk, qui est peuplée principalement de Turkmènes qui ont sympathisé avec Daesh.
A. : Lorsque les YPG approchent, la population a d’abord peur de nouvelles violences. Puis en une heure ou deux, ils constatent que les combattants des YPG sont respectueux, et ils laissent éclater leur joie d’être libérés. Les femmes enlèvent leur niqab, les hommes se remettent à fumer dans la rue. Ce qu’on nous réclame le plus, c’est les cigarettes ! On entend beaucoup de mensonges ici, comme ce fameux rapport d’Amnesty International qui prétend que les YPG chassent les Arabes. C’est complètement faux. Je n’ai jamais entendu parlé de ça, c’est même exactement le contraire. Le Rojava est multiethnique et démocratique.

 

Qu’avez-vous vu des transformations politiques et sociales en cours au Rojava ?

J. : J’ai assisté à une séance du conseil législative du canton de Cezire. La langue principale de débat, c’est l’arabe : en effet, c’est la seule langue que tout le monde maîtrise à l’écrit. Il y a un vrai pluralisme ethnique. Les compte-rendus sont retranscrits à la fois dans les 3 langues officielles : l’Arabe, le Kurde et l’Assyrien. Plusieurs partis sont représentés. Il y a même des élus du PDK, le parti de Barzani pourtant très hostile au PKK. On trouve également plusieurs organisations communistes kurdes et syriennes.
A. : Le cœur de la vie politique, c’est la commune, qui rassemble les habitants d’un village ou d’un quartier. Les gens y discutent de tous les sujets. Pour moi, c’est ça le changement le plus important. Je sais que dans les entreprises se développent des conseils de travailleurs, les coopératives. Mais il y a aussi des débats sur des questions économiques importantes. Par exemple, faut-il passer des accords avec des firmes pétrolières étrangères pour relancer la production de pétrole ? Les investissements étrangers sont autorisés contre leur engagement à respecter une charte de bonne conduite. Je comprends qu’ils n’aient pas tout nationalisé, ils ne vont pas se mettre la petite-bourgeoisie à dos en confisquant le petit commerce.

 

Comment sont prises les décisions dans le Bataillon et dans les unités de base des YPG ? Est-ce démocratique ?

A. : Dans les YPG il n’y a pas de grade sur les uniformes mais chacun connaît sa place. Rien ne différencie un combattant d’un soldat, mais tout le monde sait qui est qui. Contrairement à une armée classique, il n’y a pas de discipline bête et méchante, pas de brimade. On acquiert des responsabilités si on fait ses preuves. Les membres d’une unité se rassemblent régulièrement dans le cadre des Tekmîl, afin de pouvoir proposer ou critiquer, même les commandants. Il y a aussi des autocritiques. Mais ça marche plus ou moins bien en fonction du groupe. Ça génère parfois des prises de consciences et ça fait changer les choses. Le Tekmîl se réunit à peu près une fois par semaine. Il y a un équilibre entre efficacité militaire et respect de l’opinion et de la dignité de chacun.
J. : Dans le Bataillon, à l’échelle de l’équipe (3 à 5 combattants) le Tekmîl se réunit une fois par jour. Ça ne veut pas dire que chacun fait ce qu’il veut. On ne conteste pas un ordre dans le feu de l’action. C’est une armée révolutionnaire très différente d’une armée classique, mais ça reste une armée. Les postes de commandants sont répartis entre les 3 partis politiques principaux au pro-rata de leur importance numérique : ce sont le MLKP [Parti Communiste Marxiste Léniniste de Turquie et du Kurdistan], le TKP/ML-TIKKO [Armée Ouvrière et Paysanne de Libération de la Turquie (Türkiye İşci ve Köylü Kurtuluş Ordusu), branche armée du TKP(ML), le Parti Communiste de Turquie (marxiste-léniniste)] et le BÖG [Forces Unies de Libération]. Après, on est tenu d’obéir à son commandant quoi qu’il arrive, même si il n’est pas du même parti. Les postes sont redistribués régulièrement. Le Bataillon (« Tabur ») est divisé en « Takim », eux même divisés en équipes. D’ailleurs, le MLKP et le TKP/ML ont aussi leurs propres Taburs de combats en dehors du Bataillon international, leurs militants vont de l’un à l’autre.
A. : Dans les YPG, j’ai remarqué que les cadres du PKK des unités étaient régulièrement envoyés à des formations politiques à l’arrière. Dans le Bataillon, entre combattants, nous avions surtout des discussions politiques informelles. A notre demande, le MLKP nous a fait une formation sur l’histoire des différentes organisations révolutionnaires de Turquie.
J. : Le Bataillon est constitué de militants de différentes organisations politiques. Chaque parti membre du Bataillon organise des formations politiques pour ses membres, mais uniquement pour eux. 90% des combattants viennent de Turquie. Le reste, ce sont des occidentaux. Nous avons organisé des formations et des discussions entres nous : sur le Capital financier, sur la lutte de libération nationale irlandaise… Mais il y a la barrière de la langue, puisque les volontaires viennent de partout, ça limite les discussions. L’idéologie et la politique sont omniprésentes. Même sur le front, dans les combats, tu as des discussions avec les camarades sur la question de l’oppression des femmes, sur l’anarchisme…

 

Quelle est la place des femmes ?

J. : Les femmes sont un peu moins nombreuses dans le Bataillon que dans les YPG. Elles peuvent se réunir en Tekmir non-mixte pour discuter. Dans chaque Tabur, le commandant (qui peut être un homme ou une femme) est secondé par un adjoint et une adjointe.
A. : Ça fait fort effet à la population des zones libérées de voir des femmes combattantes, qui plus est sans voiles. C’est à l’exact opposé du patriarcalisme et du paternalisme ambiant, chez les Kurdes comme chez les Arabes. Il y a des femmes très haut placées dans la hiérarchie, elle dirigent parfois des opérations stratégiques de grande envergure.

 

L’armée turque vient d’entrer en Syrie, pour soutenir des groupes armés islamistes, et pour empêcher que les cantons de l’Ouest et de l’Est du Rojava puissent se rejoindre. Par ailleurs, les Occidentaux soutiennent des groupes djihadiste comme le Front Al-Nosra face à Daesh et au régime d’Assad. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?

A. : Les YPG ne renonceront jamais à briser le siège du canton d’Efrin, qui dure depuis le début de la guerre. Tant que le Rojava ne sera pas unifié, ce sera la guerre. Par ailleurs, il y a une porosité entre Al-Nosra, Daesh, et tous ces groupes là. A Hassaké, des camarades ont découvert des drapeaux d’Al-Nosra en prenant des repères de Daesh. Ils combattent côte-à-côte. Jarabulus est tombé en seulement une ou deux heures de combat, alors que la ville était pleine de combattants de Daesh, notamment ceux chassés de Manbij. Il y a forcément une complicité entre l’armée turque et Daesh. Dans leur retraite Daesh abandonne du matériel militaire moderne, ils possèdent tout un tas d’équipement que nous n’avons pas. Ils sont même mieux nourris que nous. Ils ne peuvent l’avoir obtenu qu’avec la complicité d’Etats étrangers. Pas de doute que la Turquie les soutient.
J. : J’aimerai ajouter qu’il n’y a pas d’alliance entre le régime d’Assad et les YPG. 1000 combattants YPG sont morts face aux forces du régime. Assad attend juste le bon moment pour se retourner contre les Kurdes. Au mois d’Août, il a bombardé les positions des YPG avec ses avions de chasse. Les Kurdes répètent que « lorsque les Américains en auront fini avec Daesh c’est nous qu’ils bombarderont. » L’Allemagne avait permis à Lénine, en 1917, de rejoindre la Russie. Comme Lénine, les Kurdes ont raison de profiter des contradictions de leurs ennemis.
A. : Le fait que le Rojava ai accepté l’aide américaine ne veut pas dire qu’ils sont devenus des suppôts de l’impérialisme. Les Kurdes sont obligés de composer avec lui, même si dans un second temps il faudra le combattre. Ils sont conscient de cela, et ils passent leur temps à critiquer l’impérialisme.

 

Pour conclure, que souhaitez-vous rajouter ?

J. : On a le droit de critiquer des choses à Rojava, mais il faut vraiment s’engager dans le soutien. Des organisations nous soutiennent dans des déclarations, sur internet, c’est bien, mais que font-elles concrètement pour nous aider ? Il est déjà tard, mais pas trop tard. Au Rojava nous avons l’occasion de vivre un processus révolutionnaire vivant. On ne peut pas juger ce qui se passe là-bas avec une grille de lecture dogmatique. En 1917, la politique des Bolcheviks en Russie ne pouvait pas être dogmatique. Ils ont dû accepter des reculs tactiques pour sauvegarder la révolution. Aujourd’hui le Rojava est un sanctuaire pour les mouvements révolutionnaires de toute la région. On y croise des Turcs, des Iraniens, des Arméniens… Une dynamique révolutionnaire régionale se met en place.

Peu après cet interview, nous apprenions la mort du martyr Michael Israël (nom de guerre Robin Agiri), membre du Bataillon International de Libération en 2015, et militant au syndicat anarchiste IWW aux États-Unis. Il a été assassiné par des frappes aériennes turques le 24 novembre 2016 alors qu’il prenait un village des mains de Daesh à l’ouest de Manbij, alors qu’il était volontaire au sein du Conseil militaire de Manbij, allié aux Forces démocratiques syriennes (dont les YPG sont la principale composante). Michael avait 27 ans. André et Jacques ont combattu à ses côtés. « La mort n’éblouit par les yeux des partisans » !

 

Propos recueillis par l’OCML VP – Automne 2016

Entretien avec une camarade partie au Rojava

Merhaba Hevalno s’est entretenu vers décembre 2015 avec une personne (européenne) qui nous avait contacté.es depuis le Rojava. Voici l’entretien enfin publié presque un an plus tard.

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Tu habites au Rojava depuis un an en tant que volontaire. Tu peux nous dire ce qui t’as poussée à t’y rendre ?

Je voulais voir si c’était une vraie révolution. La première fois que j’ai entendu parler de la cause kurde c’était pendant la résistance de Kobanê. À l’époque ça ne m’intéressait pas plus que ça, je pensais que c’était juste une guerre de plus et je ne me sentais pas vraiment concernée. Puis un pote m’a emmenée à une petite conférence à Londres qui s’intitulait Rojava ou la démocratie confédérale. David Graeberg et Zaher Baher y décrivaient ce peuple qui malgré l’encerclement et les attaques des fascistes de tous horizons, résistait et réussissait même à mettre en pratique des idéaux libertaires. Collectivisation des terres, création de leur propres institutions, décisions par assemblées locales, coopératives, etc.

Ce qui m’a le plus choquée c’était d’apprendre qu’ils pratiquent le système d’assemblée non pas à 30 ou 40 personnes, comme j’avais eu l’habitude de voir par chez nous, mais actuellement à la taille d’un pays de 3 millions de personnes. Comment ce système, dont j’ai déjà cru voir les limites à un niveau local, peut fonctionner à une telle échelle ? Et sans perdre de sa cohérence ?

L’autre chose c’était qu’ils disaient que les gens de Rojava poussaient chacun.e à être politisé.es. Non pas en prenant parti pour un parti politique, mais en participant au développement de leur localité et en se cultivant pour se former leur propre opinion. Cette info me faisait déjà tracer une perspective entre leurs ambitions et celle de nos politiciens et citoyens.

Bref, je me suis mise à chercher plus d’info. Internet, centres culturels kurdes, meetings, mais rien à faire, personne n’avait la moindre idée de ce qui se passait vraiment ici. ISIS, le front, la guerre, le sang, oui, ça j’ai vu, mais il n’y avait rien sur les mouvements sociaux, même le nom de Rojava ne sortait pas souvent. Même Graeberg, en fait, il avait eu un tour guidé du [parti] PYD pendant 10 jours et il était revenu fissa fissa dans son appart à Londres. Il avait fait un très bon travail de présentation, mais c’était sûrement pas un travail d’anthropologue. J’étais vexée, comment ça ce faisait qu’il y avait quelque chose d’aussi énorme, et que personne ne sache rien à ce sujet ? Ça ne semblait pas non plus affoler mes camarades anarchistes, ce qui m’exaspérait encore plus. Et puis je me suis demandée ce qu’on avait réalisé en tant que mouvement ces dernières années… sans trouver de réponse précise.

Rojava tel que je l’avais compris remettait en question non seulement la société dans laquelle on vit mais aussi notre implication dans celle-ci ou plutôt notre implication pour les idées qu’on défend. Je ne pouvais plus juste garder cette idée de révolution dans un coin de ma tête comme si c’était une belle photo des Caraïbes qu’on accrocherait au mur en pensant qu’on irait peut-être bien un jour mais sans jamais rien faire pour, de peur d’être désillusionnée par la réalité. Non, cette fois je voulais creuser plus loin, voir de mes propres yeux ce qui marche ou pas. Et puis si cette révolution était légitime, je pourrais apprendre et exporter ces savoirs.

Alors lorsqu’un ami est parti j’ai aussi décidé de prendre mon sac.

Je me souviens, 3 jours avant qu’il parte, nous avions vu la vidéo du pilote jordanien brûlé vivant par ISIS, et ça m’avait vraiment fait froid dans le dos. Même si j’avais pesé ma décision maintes et maintes fois, j’ai tout de même passé quelques nuits blanches avant de partir. Mais comme dirait l’autre, mieux vaut mourir debout, que vivre à genoux !

Quelles sont tes activités là-bas ?

Je réalise des vidéos sur la société civile dans Rojava que je publie sur Rojavaplan.com. Je passe l’essentiel de mon temps à apprendre le Kurmanji [langue kurde parlée au Rojava et au Bakur], à parler avec les gens, et à chercher à comprendre comment toutes les institutions et autres organismes s’organisent. J’ai rencontré majoritairement des Kurdes mais aussi des personnes de chacune des ethnies existantes au Jaziré : Assyrien.nes, Arménien.nes et Arabes.

Y a-t-il beaucoup de volontaires étranger.es ? Comment est-il possible de contribuer en tant qu’étranger.e (c’est-à-dire ne partageant ni culture ni langue communes) à la construction du mouvement populaire ?

Dans le YPG/J il y a pas mal d’étranger.e.s venant de toutes parts. Parmi eux, il y a peut être une dizaine de Français. Mais en ce qui concerne la société civile, il y a très peu de monde, et encore moins du monde qui reste sur du long terme. Il y a à peu près une dizaine d’Allemands, et à peine une poignée de gens du reste de l’Europe. Depuis un an que je suis ici, je n’ai pas vu un seul Français travailler dans la société civile. Ça me fait me poser beaucoup de questions sur nos mouvements et en particulier les mouvements anarchistes. Est-on trop blasé.es ? Est-ce une question d’ego ? Ou un manque d’empathie ? Peu importe ce que c’est, à la fin il n’y a pas d’excuse au laisser-aller général.

Ce qui me bouffe le plus c’est que Daesh, de l’autre côté, haï par bien la moitié de la planète, réussit tout de même à attirer dans ses rangs et dès leur première année, plus de 20.000 jihadistes venus du monde entier. La réaction des gouvernements des US et d’Europe a été pitoyablement hésitante pendant plus de 4 ans et est vraiment dépassée en terme de contre-propagande. Si on regarde attentivement, on peut voir par ailleurs, que Daesh nous prouve que des groupes indépendants et bien organisés, avec une bonne propagande sont actuellement capables de challenger bien plus que personne ne l’eut imaginé avant, l’autorité centrale étatique.

En tant qu’étranger ou que Kurde à l’étranger, il y a plusieurs choses que vous pouvez faire :

– traduire des textes, des films, du kurde à une langue étrangère et vice et versa. Maintenant il y a trop peu d’info à propos de Rojava en francais. Et il y a trop peu d’infos accessibles en kurde. Commencer par traduire des wiki francais/kurde, remplir la page sur Rojava, et en langue kurde à propos des révolution(…naires) de ce monde, et de toutes les connaissances spécifiques, économie, justice, écologie, biologie, média, etc.

– les groupes de solidarité féminine devraient vraiment pointer le bout de leur nez ici. Les femmes fortes de Rojava c’est pas un mythe et c’est pas qu’au front. Développer nos connaissances et nos liens avec des groupes comme Yeketiya Star est primordial pour le développement de n’importe quel mouvement.

– aider à la construction de réseaux kurdes en Europe, pour qu’ils soient à même d’aider financièrement et médiatiquement les projets d’ici.

– soyez créatives, faites de la musique franco-kurde, mixez leur folklore au rap ou à l’électro ; faites des concerts de soutien, des soirée débats, faites des graffs avec Rojava dans vos rues, partout, faites des fringues Rojava style. Il y a des tonnes de trucs à faire si on prend le temps d’y penser.

Et bien sûr venez voir par vous-même ce qu’il en est !

Es-tu en lien avec le mouvement des femmes ? Quelles sont leurs projets actuellement ? Est-ce que des femmes non-kurdes (arabes, assyriennes, etc.) se sont rapprochées de ce mouvement ?

Oui bien sûr, le mouvement des femmes ici est très puissant et présent à tous les niveaux des institutions de Rojava. La plus grande organisation féminine civile est Yeketiya Star. Ce groupe a été récemment renommé Kongreya Star. Cette organisation peut s’apparenter à celle du TevDem, avec en son sein plusieurs branches, chacune dédiée à un champ particulier. Elle va opérer dans autant de domaines que le TevDem, tels que la justice, l’économie, la santé, l’éducation, à la différence que toutes ces institutions sont exclusivement féminines. Par exemple au niveau de la justice, le Kongreya Star s’occupe de tous les problèmes qui touchent les femmes tel que la violence conjugale ou les meurtres d’honneur. Les femmes, ainsi que la communauté toute entière, ont opté pour un système de justice restaurateur qui commence par résoudre le plus de conflits possibles, via consensus des 2 parties concernées, au niveau local. Wokfa Jin est un centre de réhabilitation au niveau de la santé. Cette organisation développe aussi un projet de village réservé aux femmes et enfants. Pour l’instant il n’existe encore que sur le papier, mais je suis vraiment excité à l’idée de le voir se mettre en place car toutes les étapes de construction seront réalisées apparemment par des femmes et si ça se fait vraiment comme ça, ça sera [peut être?] une première dans le Moyen-Orient de voir des femmes construire des maisons de A à Z, faire les liaisons électriques, la mécanique des voitures, etc., ou même travailler dans les magasins car même si elles sont présentes dans les institutions, les rues restent majoritairement masculines. Aussi je n’ai vu que 2 fois des femmes (des guérilléras des YPJ) conduire une voiture, et jamais vu de femme sur une moto. Il y a donc encore un fort contraste entre les traditions paternalistes présentes dans la société, et l’émergence de mouvements féministes qui petit à petit redonne confiance et de l’indépendance aux femmes.

Ce sont principalement les femmes kurdes qui participent dans tous les organismes de la société. Même si les femmes syriennes et arabes n’y sont pas autant présentes, elles y prennent de plus en plus part. Par exemple il y a une faction des YPJ qui est composée de femmes chrétiennes exclusivement. Plus généralement il y a Sutoro, une police chrétienne qui collabore avec les Assayish (police) pour sécuriser la ville. Les deux co-président.es du canton de Jaziré sont une femme chrétienne et un homme kurde. Il y a aussi des efforts faits pour présenter et expliquer ce système aux populations arabes des zones nouvellement libérées par les YPG. Ceci dit, la participation des femmes arabes dans quelconque organisme civil reste très faible car souvent très freinée par leurs maris, une culture différente des femmes y participant déjà, et un manque d’intérêt envers la prise en charge des problèmes et besoins en dehors de la famille.

Même si il y a encore beaucoup de progrès à faire au niveau de la participation égale des ethnies, je vois qu’il y a déjà eu un développement énorme depuis 5 ans, et des efforts faits à cet encontre, donc j’ai bon espoir que la situation s’améliore à ce niveau là.

Peux-tu nous parler des communes (assemblées locales dans le quartier ou le village, desquelles émanent des commissions et des coopératives) ? Ont-elles une participation importante de la population ou restent-elles des espaces militants où seules les personnes les plus acharnées se retrouvent à porter tout le boulot d’organisation ?

Les communes (komun) sont présentes dans toutes les villes et villages du Rojava et dans le quartier Sheikh Maqsoud à Alep. Ce système n’est pas apparu de la dernière pluie, mais est plutôt le fruit des traditions familiales, tribales, et l’évolution du mouvement révolutionnaire kurde mené par Öcalan.

Il faut tout d’abord comprendre que la famille a un rôle très important dans cette société. Ici, à la différence de l’Europe, les gens ne vivent pas seul.es ou en coloc, il.les vivent dans je dirais 75 % des cas avec leur famille et autrement sur leur lieu de travail avec leurs collègues. Ici les familles sont grandes avec en moyenne 8 enfants. Donc souvent dans une maison il y a une ou 2 grand-mères, et la femme du frère ou la cousine avec leurs enfants. Car comme ça, les femmes s’entraident pour la garde des enfants. Bref, le style de vie communal a toujours été bien imprégné dans les mœurs d’ici et les réunions plus ou moins formelles où les ancien.nes ont un rôle de conseiller.es de village ou de quartier sont de longue tradition.

Le système des communes est donc plutôt une évolution démocratique qu’un système complètement nouveau. Il n’y a pas de chiffres officiels mais de ce que j’en perçois, à peu près la moitié de la population participe dans les communes et autres institutions de l’auto-administration.

Les communes ont pour but l’auto-gestion des ressources et la résolution des problèmes au niveau local. Une commune représente à peu près 400 personnes. Tout le monde peut y prendre part mais il n’y a jamais une participation de l’entière population. En moyenne sur 400 personnes, de 30 à 70 y vont régulièrement. Le lieu où ces communes se rencontrent s’appelle Komingeh (lieu de la commune). Chaque commune élit 2 co-président.es qui coordonnent le travail et les ressources selon leurs besoins. Ils représentent aussi la commune au niveau du quartier (11 communes) et rencontrent les co-président.es des autres communes toutes les semaines dans la maison du peuple ou Mala Gel.

Les personnes qui se réunissent à la Mala Gel élisent à leur tour 2 co-président.es qui les représentent au niveau de la ville et puis au niveau du canton. Au sein de chaque commune il y a plusieurs comités tel que le comité de la sécurité, de la santé, du consensus (justice), de l’écologie, de l’économie, de la municipalité etc… Ces comités se coordonnent de la même manière que la commune jusqu’au niveau du canton. Ils sont formés selon les personnes présentes, leurs intérêts, leurs connaissances et les besoins de la commune. La plupart des participants font partie d’un comité mais certaines personnes viennent aussi juste pour parler et voir ce qui se passe.

Au début de la révolution, les milices se sont formées pour sécuriser le territoire et les communes pour s’auto-gérer au niveau de l’approvisionnement en nourriture et de l’organisation des funérailles. Lorsqu’un YPG/J mourrait, il fallait rapatrier le corps, le nettoyer, avertir la famille, et organiser les funérailles. Au fur et à mesure, les gens ont formé un comité spécial pour ça qui s’appelle : Malbata Shahid (la famille des morts au combat). Aujourd’hui ce comité soutient aussi les familles des martyr.es qui ne peuvent pas subvenir seuls à leurs besoins.

Parallèlement à ce système de commune, il y a aussi Mala Jin (la maison des femmes) qui fonctionne de la même manière avec plusieurs comités et des co-présidentes qui les représentent jusqu’au niveau du canton, à la différence que ce sont des organisations exclusivement féminines.

Quelle est la situation économique (au sens premier) des gens au Rojava, alors que la guerre continue ? La production étant largement tournée à ravitailler les combattant.e.s qui défendent les territoires libérés du Rojava (et qui continuent à grignoter du terrain sur les forces islamistes), et la région étant soumise à un embargo, il semblerait que la production locale et la contrebande suffisent tout juste à fournir les besoins de base.

La situation économique est vraiment instable car les peu de choses qui se produisent au sein de Rojava, sont créées en petite quantité et donc à un prix plus élevé que ceux des produits provenant du Kurdistan d’Irak ou de Damas. Donc la plupart des magasins importent au lieu d’acheter local. À cause de ça l’embargo a un effet immédiat et dramatique sur toute la région. 80 % de la population est pauvre. Ceci dit, grâce à une forte solidarité au sein des membres d’une même famille, tout le monde peut couvrir ses besoins de bases, sauf les produits spécifiques comme le lait en poudre, la viande ou les Doliprane.

Puis, la destruction de bâtiments, de quartiers, voire de villes entières (à Kobanê, seuls quelques bâtiments restent debout) ne doit pas aider à la situation du logement. On se demande si tout le monde arrive à trouver un logement…

Depuis que je suis à Rojava je n’ai vu que cinq sans-abris. J’ai vu des gens pauvres ou vivant dans des camps pour réfugié.es mais sans maison je ne crois pas en avoir rencontré.

Comment y parle-t-on de l’avenir du reste de la Syrie ?

Il.les espèrent que la Fédération [du Rojava / nord de la Syrie] leur donne plus de considération et de statut au niveau international. Il.les espèrent avoir tou.tes enfin une carte d’identité. Les Apoïstes [de Apo, surnom de Öcalan] veulent voire le système du TevDem s’appliquer à toute la Syrie.

[Entretien] Nous allons intensifier les activités de la guérilla

7979224130_56bc809052_bUn entretien avec la coprésidente du Groupe des communautés du Kurdistan (KCK), Bese Hozat, évoquant la politique génocidaire de l’État turc à l’encontre des Kurdes, la résistance de la guérilla et le rôle de l’Europe

Au cours de ces derniers mois, nous avons assisté à des attaques massives de l’État turc contre le mouvement kurde. Le gouvernement turc a rendu parfaitement claire son intention de poursuivre les opérations militaires et de refuser les pourparlers avec le PKK. Quelle est la stratégie d’Ankara ?

L’État turc met en œuvre une politique génocidaire dirigée contre les Kurdes. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui a commencé en septembre 2014, lorsque le gouvernement a proposé un nouveau plan pour écraser la résistance kurde. Un mois plus tard, le Conseil de sécurité nationale a déclaré la guerre totale. Depuis lors, le nouveau plan du gouvernement a été mis en œuvre étape par étape.

L’une des conséquences a été la violation systématique des droits démocratiques. Une immense vague d’arrestations a frappé les villes kurdes. Plusieurs bases de la guérilla ont été attaquées. Une fois les pourparlers avec les dirigeants du PKK abandonnés, les attaques se sont encore intensifiées. À Diyarbakir, une bombe a explosé au cours d’un événement célébrant Newroz, le Nouvel An kurde. Le 24 juillet 2015, d’intensives frappes aériennes ont eu lieu, et en octobre 2015 un attentat à Ankara a causé la mort de 103 personnes et en a blessé bien plus.

La politique génocidaire de l’État turc contre les Kurdes n’a rien de nouveau. Elle remonte à des centaines d’années. Un dialogue s’est parfois instauré avec le PKK, mais l’État turc ne s’est jamais montré enclin à résoudre le conflit de façon politique, car cela reviendrait à reconnaître les droits du peuple kurde.

Toutes les avancées en direction d’une solution politique qui étaient proposées par la Turquie ne cherchaient qu’à pacifier le mouvement kurde. Le but à long terme était toujours d’éliminer la résistance kurde, le PKK, et les valeurs que véhicule le combat des Kurdes. Même le soi-disant processus de paix s’est finalement révélé être une tentative de destruction. Ankara voulait briser la volonté des Kurdes de combattre et de résister. Alors que le processus de paix était en cours, le gouvernement du Parti pour la justice et le développement (AKP) se préparait à étendre son pouvoir et à contrôler complètement l’État.

L’AKP a utilisé le processus de paix dans son propre intérêt. Alors que ses représentants s’asseyaient à la table des pourparlers, le gouvernement se préparait à la guerre. De nouveaux commissariats et des cantonnements militaires ont été construits en nombre et le système des gardes de village a été réformé. Des routes ont été construites pour un usage exclusivement militaire.

Durant cette période, le peuple kurde s’est engagé à grands pas vers un système démocratique autonome. Au Rojava, une révolution du peuple a mis en place une administration organisée au niveau cantonal. Sous la direction des Unités de défense du peuple (YPG) et des Forces démocratiques syriennes (FDS), une immense bataille a été menée contre l’état islamique. Tout cela a déstabilisé l’AKP. L’état islamique était leur allié stratégique, avec lequel ils partageaient les mêmes fondements idéologiques. Pendant ce temps, les succès du Rojava ont fortement motivé les Kurdes du Kurdistan du Nord, avec pour corolaire un regain des luttes pour la liberté et la démocratie.

Afin de mettre à bas les réussites du mouvement kurde et d’affaiblir le PKK, l’État turc a décidé d’avoir recours à la guerre totale et au génocide et a commencé à mettre en œuvre ces décisions sur le terrain.

Depuis que l’État a commencé ses attaques, nous avons pu assister à l’émergence de différentes formes de résistance, y compris parmi les jeunes kurdes des grandes villes. Les activités de la guérilla ont également augmenté. Est-ce que les unités de la guérilla sont pleinement impliquées dans la lutte ?

Dans les villes, les Kurdes se sont dressés face à la politique génocidaire de l’État, et ils l’ont fait de manière autonome. Dans la mesure où les mouvements de la guérilla sont limités durant l’hiver, elle n’a pas été très impliquée. La résistance a plutôt pris la forme d’un soulèvement du peuple, mené par des jeunes qui ont organisé l’autodéfense. Maintenant, avec l’arrivée du printemps, les conditions sont plus favorables aux actions de la guérilla.

Il n’est donc pas surprenant que les activités de la guérilla se soient accrues. À partir de maintenant, les conditions seront de plus en plus favorables. Cela signifie que les activités des zones rurales et urbaines se développeront encore plus. Le soulèvement populaire ira également en s’intensifiant. Nous avons décidé de radicaliser la lutte, tout autant au Kurdistan du Nord qu’en Turquie.

Est-ce que les actions de la guérilla et des YPS dans les villes sont coordonnées, ou est-ce que les YPS agissent de façon indépendante ?

Les YPS sont organisées par des jeunes locaux comme des groupes d’autodéfense. Leur façon de s’organiser est très importante : les YPS sont formées par le peuple via la jeune génération. Nous leur apportons notre soutien absolu. Les Kurdes sont victimes d’une politique génocidaire. Il y a des massacres. À Cizre, 400 personnes ont été assassinées, brûlées vives. À Sur, une centaine d’autres ont connu le même sort.

À de nombreux autres endroits au Kurdistan, par exemple à Hezex et Nuzaybin, ainsi qu’à Kerboran, Sirnak et Hakkari, des massacres ont également eu lieu. Nous avons assisté à des attaques, des arrestations et des tortures sur l’intégralité du territoire du Kurdistan. Même les cadavres sont déshonorés. L’AKP et l’État turc sont responsables de ces atrocités, qui sont à la fois des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Dans ces circonstances, rien ne peut être davantage justifié que l’autodéfense du peuple. Nous soutenons donc la résistance de nos compatriotes et la lutte de la jeunesse de tout notre cœur. Mais nous ne coordonnons pas leur résistance. Ils agissent de façon indépendante. Ils disposent de structures autonomes et ils prennent leurs propres décisions.

Après des massacres comme celui de Cizre, des unités de la guérilla se sont rendues dans les villes pour venir en aide aux YPS. Nous leur avons fourni une aide matérielle et pratique. Mais les YPS demeurent indépendants. Lorsque le peuple est confronté au massacre et au génocide, lorsqu’il souffre de l’oppression fasciste, il doit utiliser tous les moyens en son pouvoir pour se défendre. C’est un droit légitime, naturel et universel.

Nous ne devons pas non plus oublier la lutte des forces démocratiques en Turquie. Les politiques fascistes ne visent pas que les Kurdes, mais aussi tous les démocrates de Turquie, tous les groupes dont les identités, les cultures et les religions sont différentes.

Quelques jours auparavant, vous avez mentionné la possibilité d’une coalition électorale entre le parti laïc et social-démocrate Parti républicain du peuple (CHP), le parti progressiste prokurde Parti démocratique des peuples (HDP) et des organisations plus petites. Une telle coalition est-elle réellement envisageable, étant donnée la politique du CHP ? Après tout, le parti a récemment apporté son soutien au mouvement pour la levée de l’immunité des parlementaires membres du HDP.

La tendance social-démocrate, de gauche, n’est pas hégémonique au sein du CHP. Au point où nous en sommes, cette tendance ne peut pas décider de la politique du CHP. La branche laïque et nationaliste demeure plus puissante. La mauvaise décision prise par le CHP au sujet de l’immunité des parlementaires du HDP en est la conséquence. En prenant cette décision, ils se sont rangés du côté de l’AKP. Mais il existe des tensions au sein du parti. Nous faisons confiance à la branche de gauche, sociale-démocrate, et nous rejetons en même temps clairement la ligne politique actuelle du parti.

L’AKP a érigé un bloc fasciste. La politique actuelle du gouvernement turc n’est pas la responsabilité exclusive de l’AKP. Il y a une alliance de forces fascistes et nationalistes qui englobent l’AKP, le Parti d’action nationaliste (MHP) et des nationalistes laïcs. Nous devons former une vaste coalition au Kurdistan et en Turquie pour nous opposer à cette alliance.

Si une telle coalition démocratique permet qu’une lutte de la société civile pour la démocratie se développe, l’alliance fasciste s’écroulera. C’est pour cela que nous considérons que la coalition des forces démocratiques est essentielle et que nous mettons tout en œuvre pour la réaliser.

Les conditions d’une lutte parlementaire et civile en Turquie ne semblent pas prometteuses : il n’y a pas de liberté de la presse, pas de liberté de rassemblement et les pouvoirs du Parlement sont sans cesse entravés. Quand les gens manifestent pacifiquement et sans arme dans des lieux comme Diyarbakir, ils risquent de se faire tirer dessus et d’être tués. Comment un espace permettant une résistance parlementaire et civile peut-il émerger dans de telles circonstances ?

La résistance civile n’a sa chance que si nous refusons de nous soumettre à l’AKP. Nous devons rejeter la politique du parti sans aucun compromis. Il n’y a pas d’autre moyen. L’AKP veut empêcher l’intégralité de la société d’exercer le moindre pouvoir. Mais quiconque se rend a perdu.

Réciproquement, quiconque résiste gagnera. La seule façon de battre l’AKP et de créer un espace pour une politique démocratique et civile revient à introduire une lutte permanente à tous les niveaux de la vie : sur le champ de bataille, au sein de la société civile, dans les assemblées politiques, les médias, les universités, les arts – partout.

La lutte pour la démocratie et la liberté est le seul antidote contre le fascisme. Nous menons cette lutte avec succès. Si les Kurdes ne résistaient pas face à la politique fasciste de la Turquie et si le HDP et les forces démocratiques en Turquie ne résistaient pas non plus, le pays se trouverait dans une terrible situation. Ce serait comme l’Afghanistan, le Pakistan, la Syrie ou l’Irak, des pays bien connus pour leur manque de démocratie et qui sont déchirés par des guerres civiles.

Le président Erdoğan veut réintroduire le sultanat ottoman en Turquie. Il veut remettre au goût du jour la tradition ottomane et il se voit lui-même comme un sultan. C’est pour cela qu’il a imposé un changement de régime au pays en le faisant passer sous le label du « système présidentiel ». Ce qu’il essaye de mettre en place, c’est un sultanat dictatorial, fasciste et totalitaire exigeant une obéissance totale. Une lutte engagée contre tout cela est inévitable. Erdoğan et l’AKP sont des ennemis de la démocratie.

En reprenant le principe de confédéralisme démocratique proposé par Abdullah Öcalan, le KCK soutient un concept politique qui est significativement différent des ambitions néo-ottomanes d’Erdoğan et des tourmentes que traverse actuellement le Moyen-Orient. À quoi ressemblerait un Moyen-Orient basé sur le principe de confédéralisme démocratique ?

Le concept de confédéralisme démocratique n’est pas étranger au Moyen-Orient. Ceux qui connaissent l’histoire de la région savent qu’il ne s’agit pas d’une utopie et qu’il correspond aux traditions locales. Durant des milliers d’années, ou même des dizaines de milliers si vous prenez la période présumérienne, les habitants du Moyen-Orient ont vécu de façon très communale.

Même après l’apparition de l’État dans la période post-sumérienne, des peuples, des classes sociales et des groupes sociaux différents ont vécu ensemble librement et paisiblement. Ils étaient organisés en confédérations tribales. Dans certaines zones, ces systèmes perdurent encore. La structure sociale du Kurdistan fait partie de cette tradition.

En 1937-1938, par exemple, il existait un système tribal confédéré dans la région de Dersim au Kurdistan, qui comprenait, outre Dersim que nous connaissons aujourd’hui, Erzincan et des parties de Sivas et d’Elazig. Le système comprenait des conseils et se basait sur un code moral. Nous parlons vraiment d’une vision politique qui n’est absolument pas étrangère à la région et à ses habitants.

Au niveau ethnique comme religieux, le Moyen-Orient est un mélange coloré d’identités multiples. Des communautés culturelles variées coexistent. Elles ont vécu ensemble durant des milliers d’années. La notion d’un système démocratique et confédéré se base sur cette histoire et y est étroitement connectée. Le bouleversement actuel que connaît le Moyen-Orient n’a commencé que récemment, en particulier avec l’émergence des États-nations au 20e siècle.

Le système de l’État-nation est nationaliste et raciste. Il renie toutes les identités à l’exception d’une seule, et souhaite les détruire.

En Turquie, un état fortement nationaliste a été établi, rejetant toutes les identités à l’exception de l’identité turque. Cela ne concerne pas seulement les Kurdes et les Chrétiens mais aussi les Arméniens, les Assyriens, les Grecs, les Lazes, les Adyguéens et les Géorgiens. L’identité turque a été mise au centre de tout, et un système tout entier de déni et de destruction a été construit autour. La politique génocidaire à l’encontre des Kurdes, qui s’est poursuivie durant 90 ans, en a été l’une des conséquences.

Nous assistons à des développements similaires dans d’autres pays de la région : la création de l’État-nation syrien a eu pour conséquence l’oppression de toutes les identités à l’exception de l’identité arabe. Dans l’État-nation irakien, toutes les communautés non arabes ont été massacrées – une fois de plus, surtout les Kurdes. Ce à quoi nous avons assisté dans des lieux comme Alep ou Halabja, ou pendant la campagne de l’Anfal, étaient les effets directs de la tragédie de l’État-nation. La même chose a eu lieu en Iran : lorsque l’État-nation persan a été établi, l’existence des Kurdes, des Baloutches, des Arabes et de nombreux autres groupes de différentes confessions ont été reniés.

Notre vision démocratique et confédérée est le résultat de l’examen critique du système d’État-nation. Nous pensons que le système d’État-nation détruit les peuples, leur culture, leur histoire et leur géographie. Nous pensons que le système démocratique confédéré est la meilleure alternative.

Nous croyons également que le système démocratique confédéré correspond à l’histoire et à la culture de notre région. C’est pour cela qu’une réelle possibilité de le réaliser existe ; qu’il ne s’agit pas d’une utopie. Ou disons, d’une utopie qui ne puisse pas être réalisée. Il s’agit d’une utopie qui peut prendre vie, prendre forme. Le système démocratique confédéré du Rojava le prouve. Au Rojava, les Kurdes, les Turcs, les Arabes, les Turkmènes, les Assyriens, les Arméniens, même les Adyguéens et les Tchétchènes vivent ensemble dans un système libre et démocratique qu’ils gouvernent eux-mêmes. Ils conservent leurs identités, leurs cultures et leurs langues respectives. Il n’y a pas de problème.

Le PKK, la Turquie et les autres pays du Moyen-Orient ne sont pas les seuls acteurs dans la région. Que pouvez-vous dire du rôle joué par les États-Unis, la Russie et l’Union européenne, en particulier l’Allemagne ?

Aucune de ces puissances n’adopte de position claire à l’encontre des Kurdes. Aucune n’exige de solution démocratique. Elles ont une politique différente dans chaque pays et dans chaque partie du Kurdistan. Leurs politiques dépendent de leurs propres intérêts. C’est ce qu’elles ont toutes en commun : elles approchent la question kurde de façon pragmatique, d’une façon qui est dictée par leur propre intérêt. C’est vrai de la Russie, des États-Unis et des pays européens.

Mais leurs méthodes sont différentes. Les États-Unis, par exemple, tolèrent et même encouragent la politique génocidaire de l’AKP à l’encontre des Kurdes, surtout depuis qu’ils ont signé un accord concernant la base aérienne d’Incirlik.

C’est la même chose pour les pays européens, en particulier l’Allemagne. Sous l’égide d’Angela Merkel, l’Allemagne a activement soutenu l’AKP et continue de le faire. Les Kurdes sont très remontés contre la politique de Merkel. Erdoğan peut continuer à mener sa campagne génocidaire contre les Kurdes uniquement parce qu’elle est encouragée par l’Europe, surtout l’Allemagne, et par les États-Unis.

L’Allemagne a joué un rôle important en permettant à l’AKP de recevoir 29,5 % des votes aux élections de novembre 2015. Merkel s’est rendue en Turquie en octobre et a été reçue par Erdoğan au palais blanc, juste avant les élections. L’AKP et à Erdoğan ont largement bénéficié de cette visite. Elle a aussi attiré l’attention à l’internationale. La visite de Merkel a été fortement critiquée par le public européen et par la société civile européenne. Mais Merkel n’a pas modifié sa politique. L’Allemagne a été aux petits soins avec le président  Erdoğan et le Premier ministre Davutoğlu, ce qui les a confortés dans la poursuite de leur politique génocidaire.

Bien sûr, il s’agit d’une situation désagréable. Les centaines de milliers de Kurdes qui habitent l’Allemagne sont eux aussi touchés de façon négative. En tout, il y a 40 millions de Kurdes, sans droits ni autodétermination. Vingt millions de Kurdes vivent en Turquie, où leur langue et leur culture sont interdites. C’est une situation terrible.

Et pourtant les politiques du gouvernement turc sont soutenues par les puissances européennes, même si cela entre en contradiction avec les valeurs démocratiques supposées de l’Europe. L’Union européenne et les gouvernements européens clament haut et fort qu’ils sont attachés aux valeurs démocratiques. Mais quand il s’agit de la question kurde, ces valeurs n’ont plus d’importance à leurs yeux.

Ce pour quoi les Kurdes se battent, et ce qu’ils demandent à la Turquie et au reste du monde n’est rien d’autre que le respect des droits humains. Ces droits sont universels et l’Europe est censée les respecter. Alors pourquoi l’Europe ferme-t-elle les yeux devant ce qui a lieu au Moyen-Orient ? Pourquoi n’écoute-t-elle pas ? L’Europe doit changer son approche de la question kurde. La première étape, qui est aussi la plus importante, est de rayer le PKK des listes des organisations terroristes.

Cela mènerait également à la démocratisation de la Turquie. Si le PKK était retiré de la liste des organisations terroristes par l’Union européenne et les gouvernements européens, la Turquie se verrait forcée à résoudre la question kurde. Tant que le PKK est inscrit sur les listes d’organisations terroristes, la Turquie ne peut ni devenir une démocratie ni être stable.

Il n’y aura pas de stabilité au Moyen-Orient sans résolution de la question kurde. Apporter une solution démocratique à la question kurde permettrait d’apporter la démocratie et la paix pour la Turquie et pour l’ensemble de la région. L’Europe serait stabilisée à son tour, car c’est la déstabilisation du Moyen-Orient qui provoque la déstabilisation de l’Europe.

La problématique des réfugiés permet à la Turquie de faire du chantage, en prenant l’Europe complètement en otage. L’Europe doit savoir que la situation des réfugiés ne peut pas être résolue par le soutien de la politique génocidaire de la Turquie, mais par un processus de démocratisation en Turquie et par une solution démocratique de la question kurde.

C’est la raison pour laquelle l’Europe doit forcer l’AKP à travailler à une solution démocratique de la question kurde et à démocratiser la Turquie. La suppression du PKK des listes d’organisations terroristes est une avancée drastique dans cette direction. Si les pays européens et les États-Unis étaient clairs par rapport à ça, s’ils changeaient leur approche de la question kurde et si le PKK était supprimé des listes d’organisations terroristes, la situation des réfugiés ainsi que les problèmes posés par l’état islamique seraient également résolus.

Quel genre de soutien attendez-vous de la part des forces de gauche, révolutionnaires et démocratiques en Europe ?

Le soutien le plus important serait de forcer les gouvernements européens à mettre fin à leur collaboration avec l’AKP. L’AKP et sa politique doivent être critiqués et défiés à tous les niveaux. Sans alliés internationaux, l’AKP ne pourrait jamais mener à bien ses campagnes génocidaires contre les Kurdes, comme c’est le cas maintenant.

L’AKP dépend du soutien international. Les forces de gauche, socialistes et démocratiques d’Europe doivent essayer de mettre fin à ce soutien. Voilà ce que nous attendons des peuples européens. Ils ne doivent pas rester muets face à une politique qui remet en cause les valeurs dont l’Union européenne est censée se revendiquer. Les peuples européens doivent élever leurs voix et s’y opposer. Et les forces de gauche, socialistes et démocratiques devraient lancer une campagne spécifique pour que le PKK soit retiré des listes des organisations terroristes.

Interview : Peter Schaber et LowerClass.

Traduction : Pisîka Sor (@pierasim) – Version allemande.

Repris de Inforojava.