Merhaba Hevalno mensuel n°2 – mars 2016

DSC00260Voici le deuxième numéro de « Merhaba Hevalno mensuel », une revue de presse dans laquelle nous publions chaque mois des textes à la fois d’actualité et d’analyse sur les mouvements de résistance en cours au Kurdistan.

« Nous voudrions, en publiant ce bulletin, mettre en mot et en acte notre solidarité avec les mouvements de résistance au Kurdistan. Malgré la complexité de la situation là-bas nous tenterons de rendre les articles aussi accessibles que possible, pour qu’on en parle, et pour que les mots et les cris de résistance des gens sur place puissent se répandre et se transformer en d’autres actes concrets, pour qu’on s’organise en solidarité avec ce mouvement en ayant d’autres informations et critiques que les « infos » pré-mâchées de la presse classique.

Si, collectivement, nous avons décidé de publier ce bulletin, c’est parce qu’au-delà de la vision romantique (réductrice) de la guérilla lançant des attaques depuis les montagnes, nous entrevoyons les liens qui peuvent exister entre les révolutions sociales et politiques du Kurdistan Syrien (Rojava) et du Kurdistan Turc (Bakur) et d’autres mouvements populaires du passé et du présent. Que nous entrevoyons aussi ce que cette ré-organisation anticapitaliste, ouvertement féministe et auto-gestionnaire, d’une échelle sans précédent et ce malgré le contexte de guerre, peut avoir d’inspirant pour nos collectifs (qui, il faut bien le dire, paraissent bien bordéliques à côté !).

Nous pensons à toutes celles et ceux  qui, dans leurs montagnes, dans leurs quartiers, à la campagne ou en ville, résistent et se battent pour que le peuple kurde, ainsi que ses luttes et sa résistance, ne se fassent ni enterrer par les États et groupes fascistes du Moyen-Orient, ni récupérer par les puissances coloniales occidentales, dont bien sûr notre chère fRance fait partie.

Nous saluons aussi toutes celles et ceux qui se mobilisent déjà en Europe pour que cette révolution continue à faire écho ici, et pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli ni dans la déchetterie de l’ignorance générale créée par les médias classiques.

Nous espérons, enfin, que cette publication puisse donner, si petit qu’il soit, un souffle à l’élan de solidarité avec les mouvements kurdes, et que les mots puissent renforcer et nourrir nos luttes à nous tout-e-s, là-bas comme ici.« 

Ce bulletin mensuel autour de l’actualité du Kurdistan est notamment rédigé depuis la ZAD de NDDL,mais pas seulement ! Un certain nombre de camarades de Toulouse, Marseille, Angers, Lyon et d’ailleurs y participent…
Pour nous contacter : actukurdistan(a)riseup.net

Téléchargez le pdf (16p A4), imprimez et photocopiez-le et diffusez-le autour de vous, partout !

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Sommaire :
  • Le Mouvement d’auto-gouvernance kurde au Bakur
  • Les habitant.e.s de Cizre attendent le jour de vengeance
  • Rojava, comment défaire l’Etat
  • Oubliez l’ONU ! Rencontrez les réfugié.e.s autonomes au Kurdistan
  • L’UE finance Daesh
  • Mettre la pression sur le régime turc
  • Agenda et Newroz
  • Brèves du Bakur, du Rojava, d’Irak et d’Iran, de Turquie et d’Europe
  • Glossaire, etc…

Panorama historique des luttes au Kurdistan

yazilama1370Texte repris de Merhaba Hevalno n°1.

Quand on parle des Kurdes on fait référence à une culture ancestrale implantée depuis plus de 5000 ans en Mésopotamie (au sein de ce qu’on appelle maintenant le « Proche Orient »). Ce territoire montagneux donne naissance aux fleuves du Tigre et de l’Euphrate, ce qui aura permis la sédentarisation des tribus semi-nomades à travers l’agriculture ; on considère d’ailleurs ce territoire comme le berceau des civilisations.
Néanmoins, les Kurdes ne constituent pas un peuple unifié, mais plutôt une société composée de multiples tribus qui parlent plusieurs langues (dont quatre principales de nos jours) et qui se sont trouvées séparées depuis le XVIIème siècle entre l’empire ottoman et l’empire perse. C’est au XXème siècle, après la 1ère Guerre Mondiale, que les États occidentaux gagnants (notamment la France, le Royaume-Uni et l’Italie) ont  démantelé le perdant – l’empire ottoman – en plein de morceaux et les ont soumis à leur contrôle. C’est ainsi que les zones de population kurde se sont retrouvées traversées par de nouvelles frontières, divisées entre quatre des États nouvellement créés : la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran.
Ce nouveau modèle pour la région, l’État-Nation, va reproduire ce qui avait eu lieu en Europe des siècles auparavant, à savoir, l’imposition par la force d’une seule identité nationale, niant toute existence de cultures très variées. En Turquie, l’État a été créé par le mouvement nationaliste des « Jeunes Turcs » qui avait utilisé des hommes de toutes les autres cultures (notamment, les Kurdes) comme chair à canon dans sa guerre d’indépendance jusqu’à décrocher en 1923 la République de Turquie. Ceci sous la direction de Mustafa Kemal, qui prendra le nom d’Atatürk (le « père des Turcs »). C’est à partir de là que des tribus kurdes vont se soulever, dirigées par des chefs militaires ou religieux. Chaque soulèvement sera écrasé dans le sang ; le plus tristement célèbre étant celui de 1937 à Dersim, qui finira avec la moitié de la population de la région de Dersim déportée vers les villes de l’ouest ou exterminée (environ 40000 personnes). Il s’agit du premier
génocide kurde.
Toute spécificité culturelle étant interdite et réprimée, les Kurdes (ainsi que les Arménien.ne.s, les Lazes, les Assyrien. ne.s et toutes les autres cultures) seront emprisonné.e.s, exécuté.e.s ou porté.e.s disparu.e.s pour avoir parlé leur langue en public, chanté ou dansé sur leur musique traditionnelle, et ce, jusque dans les années 2000. C’est pourquoi aujourd’hui la résistance kurde est indissociable de sa langue, sa musique et sa danse. La politique de la République de Turquie continue jusqu’à aujourd’hui de considérer les Kurdes comme une sous-culture turque arriérée, qui n’a comme choix que « l’assimilation » ; en gros, se plier à la
« turquicité » ou mourir. La répression brutale et la militarisation de tout le territoire Kurde (du sud-est du pays) aura contraint des millions de Kurdes à la déportation vers des villes de l’ouest de la Turquie et vers l’Europe. En ce moment, la population Kurde (estimée à plus de 40 millions) est répartie environ selon ces chiffres : 25 millions en Turquie, 8 en Iran, 5 en Irak, 4 en Syrie, et 2 en Europe occidentale (dont 1,5 en
Allemagne, et 250000 en France).

Ce n’est qu’à partir des années 1970 que des mouvements de libération nationale kurdes apparaissent en Turquie (inspirés notamment par les mouvements en Amérique latine), en particulier le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) créé en 1978 par des étudiants marxiste-léninistes qui voulaient voir évoluer la société tribale kurde en une société révolutionnaire et indépendante de la souveraineté turque. Après le coup d’État de 1980, le régime militaire va se déchaîner sur tous les militant.e.s de gauche, en emprisonnant et exécutant une bonne partie. Le PKK décide alors de prendre les armes et lance le 15 août son premier
soulèvement. Constitué en comités régionaux qui font du porte à porte et qui essayent d’attirer un maximum de familles, le PKK devient assez vite le principal acteur de la lutte kurde.

Les années 1980-1990 seront marquées par la guerre entre d’un côté l’armée turque et de l’autre les combattant.e.s du PKK et les civil.e.s habitant les villes et villages kurdes. Environ 4000 villages sont brûlés,
à nouveau 3 millions de réfugié.e.s quittent leur terre, 30.000 civil.e.s sont tué.e.s, et des milliers de militant.e.s et intellectuel.le.s, etc., emprisonné.e.s (beaucoup sont toujours derrière les barreaux). Ces décennies sanglantes auront gravé la mémoire des Kurdes et auront laissé orpheline toute une génération
de jeunes qui ont perdu leur père ou un.e autre proche, et qui se battent actuellement contre la police et  l’armée depuis cet été. Mais c’est aussi de cette période que le PKK tire sa réputation de « stalinien » ; il est vrai que, comme toute force armée dans une guerre, le PKK n’est pas tout blanc et a commis des violences douteuses, y compris à l’intérieur du mouvement. Néanmoins, une grande partie de la population kurde de Turquie reconnaît au PKK, et à son leader Abdullah Öcalan, leur courage et leur détermination qui auront
réussi à créer un véritable rapport de force capable de faire valoir certains de leurs droits de base (par exemple, depuis les années 2000 la langue kurde et le mot — « kurde » — ne sont plus interdits).

Quelque chose d’impressionnant pour un mouvement politique de masse c’est l’autocritique qui a été portée
d’abord par le leader « Apo » (« tonton ») enfermé sur l’île-prison d’Imrali depuis 1999. Cette réflexion sur le PKK et les autres luttes de libération nationale a mené le PKK à adopter une toute autre philosophie et tactique politiques, nommée le « confédéralisme démocratique ». En résumé, cette théorie part du constat que l’État est le résultat d’une évolution sociale et politique basée sur la domination par quelques humains sur le reste des humains et sur les écosystèmes, puisant ses racines dans le système de domination patriarcal (né au néolithique avec la figure du chasseur/guerrier). La conclusion étant que si l’on veut libérer une  communauté (ou autrement dit, instaurer une véritable « démocratie »), cela ne peut en aucun cas passer par  la revendication d’un État et cela ne peut avoir lieu sans la révolution des femmes. Le « confédéralisme démocratique » prône, comme son nom l’indique, une organisation confédérale de communes locales, coordonnées entre elles à plusieurs échelles. Il s’agit en fait d’une adaptation du « municipalisme libertaire » de Murray Bookchin (fondateur de « l’écologie sociale »).

Il serait sûrement naïf de croire que tout un mouvement, et en particulier une organisation armée, aient pu entièrement changer de fond politique, mais cette approche est tout de même prônée par l’ensemble du  mouvement de lutte kurde en Turquie, et expérimentée dans une certaine mesure dans le Kurdistan de  Turquie (Bakûr) et en une plus grande mesure dans le Kurdistan de Syrie (Rojava) depuis sa prise d’autonomie face au régime de Bachar al-Assad en 2012. Dans la partie irakienne (Başûr), la réalité est bien différente. La tribu des Barzani est au pouvoir depuis bien longtemps et a négocié sa demi-indépendance avec  le régime de Bagdad instauré par les États-Unis, devenant ainsi un allié des pays occidentaux et de l’OTAN (dont la Turquie), ce qui va de pair avec le développement capitaliste, notamment de sa capitale, Erbil. Les opposant.e.s (dont le PÇDK proche du PKK) sont peu nombreux.ses et bien réprimé.e.s.

C’est certainement en Iran que la situation est la pire. La dictature de Rohani réprime toute pratique déviant de la loi imposée par le régime. Prison, torture, exécutions et lapidations. Les quelques combattant.e.s survivant.e.s du PJAK (parti proche du PKK dans le Kurdistan d’Iran, Rojhelat) se sont réfugié.e.s il y a longtemps dans les montagnes de Başûr, et la plupart des autres résistant.e.s ont dû s’exiler à l’étranger.

C’est pourquoi lorsqu’on s’intéresse au mouvement révolutionnaire kurde, on fini par focaliser son attention sur le Bakûr et le Rojava, même si le confédéralisme porté là-bas a la prétention de s’étendre à l’entièreté du Kurdistan ainsi que du Moyen-Orient.

Jîn Jîyan Azadî !

gazetee_154c880eb7a153Émission spéciale Libre Débat et Gang des Gazières sur la situation de guerre au Kurdistan nord autour d’interviews de militantes du mouvement des femmes, diffusée le mercredi 17 février 2016 sur les ondes de radio Galère 88.4 FM (Marseille).

Depuis plusieurs mois, dans le silence ou la désinformation des médias français, l’État turc a intensifié la guerre menée contre le peuple du Kurdistan, en lutte pour son existence et une révolution sociale et politique. A partir d’infos relayées par des médias indépendants, on propose de revenir sur la chronologie des derniers mois et d’essayer de comprendre l’évolution de la situation, les enjeux des guerres menées à la fois par l’Etat turc et Daesh avec la complicité de l’Union Européenne.

Dans cette émission, on écoutera l’interview de militantes kurdes de la ville d’Amed (Dyarbakir en turc), rencontrées en décembre 2015. Elles nous ont parlé de la guerre menée par l’état turc sur les populations kurdes en Turquie, de la résistance et de l’organisation du mouvement des femmes.

A Marseille, on a interviewé des militantes de l’assemblée des femmes Arin Mirkan du Centre Communauté Démocratique Kurde sur la situation et leurs actions.

Ne restons pas sans agir, solidarité internationale et féministe avec la lutte au Kurdistan !

Émission en MP3 à écouter et  télécharger :

MP3 - 133.8 Mo

Pour en savoir plus :

On remercie particulièrement le Collectif Solidarité Femmes Kobane et le blog Ne var ne yok ? d’où sont tirées la majorité de nos infos

Musique :
Aynur Doğan – Keçe Kurdan
Ayşe Şan

Article repris de Radiorageuses.

L’esprit de la Commune de Paris plane à Sur

commune sur 1La Commune de Paris, qui constitue l’une des expériences d’autogestion peut-être les plus importantes dans l’histoire de l’Europe – avec sa résistance qui dura 72 jours – reste inscrite dans l’histoire comme l’une des plus grandes célébrations de la liberté du XIXème siècle, et continue encore aujourd’hui, à inspirer et enthousiasmer l’humanité en tant qu’expérience de vie sans État.

La résistance de Sur [NdT : quartier d’Amed, capitale du Kurdistan du Nord], avec ses barricades, ses chants révolutionnaires, les zılgıt des femmes [NdT : exclamations de rage et de souffrance des femmes kurdes], le battement des ailes des colombes de la liberté, prolonge au XXIème siècle l’esprit de la Commune de Paris qui s’est déroulée au XIXème siècle. Sur résiste depuis 72 jours [NdT : 80 jours au 19 février] et salue Paris.

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Retour de Syrie [Interview]

Ahmed est un jeune réfugié syrien de 24 ans, arrivé en France avec sa famille il y a quelques mois. Il a pris part dès 2011 à la révolution contre le régime de Bachar Al Assad, avant d’être chassé de Raqqa par l’arrivée de l’État Islamique. Pour Lundi matin, il a accepté de raconter son expérience.

arton103Quel genre de questions est-ce qu’on te pose, en tant que réfugié, quand tu rencontres des occidentaux ?
À l’ambassade, ils m’ont demandé de « raconter mon histoire ». Ils voulaient savoir ce que je pensais de l’Islam, quelles étaient mes opinions politiques. Ils voulaient s’assurer du fait que je n’étais pas un « terroriste », que mes idées n’étaient pas du genre à rendre mon pays pire qu’il ne l’est déjà.Sinon, j’avais hier un rendez-vous à l’OFPRA [Office Français de Protection pour les Réfugiés et les Apatrides]. Avec ce qu’on m’avait raconté, j’étais vraiment inquiet à l’idée de cet entretien. Je pensais qu’on me poserait plein de questions, qu’on me demanderait plein de détails, qu’on m’accuserait de mentir. Au final, c’était pas du tout le cas, les deux femmes qui m’ont interrogé n’étaient vraiment pas méchantes. Elles n’en avaient rien à faire du régime d’Assad, seul l’EIIL [État islamique en Irak et au Levant] semblait les intéresser. Elles m’ont demandé de leur raconter mon histoire, ce qu’il s’était passé après que Raqqa ait été libérée, quand l’EIIL a surgi, avec les autres groupes islamistes. Je leur ai dit que ce qui comptait pour moi, c’était avant tout de leur parler du régime d’Assad, parce qu’il s’agit à mes yeux du problème principal. L’EIIL est un enjeu essentiel, mais qui passe au second rang derrière le régime d’Assad.

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