Merhaba Hevalno mensuel n°5 – juin 2016

Voici le cinquième numéro de “Merhaba Hevalno mensuel”, une revue de presse dans laquelle nous publions chaque mois des textes à la fois d’actualité et d’analyse sur les mouvements de résistance en cours au Kurdistan.

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Au sommaire :

* Édito
* Le confédéralisme démocratique
* Tayyip Erdoğan, Apocalypse now
* L’Etat turc refuse le cessez-le-feu à Nusaybin
* Urbicide en cours
* Le mouvement des Femmes Libres
* Groupe d’action pour la « vengeance »
* Soutien avec les journalistes en taule
* Collaboration Rojava-USA ?
* Quel avenir commun pour les Arabes et les Kurdes en Syrie ?
* Des militant.e.s kurdes pendus en Iran
* Situation explosive à Jalawla ?
* Reconstruire Kobanê, c’est démolir le patriarcat !
* Agenda
* Carte & Glossaire

Extrait :

« GEVER :
Le couvre-feu a été levé après plus de 80 jours d’attaques. 20.000 personnes ont perdu leurs maisons. Mexsûdava, un village au centre du district qui avait été brûlé par l’armée il y a 20 ans a été brûlé encore une fois. Halit Aydin, un ancien du village déclare à l’agence de presse ANF : « Ils ont brûlé notre village auparavant, et que s’est-il passé ? En ont-ils fini avec nous ? On est revenus, plus forts qu’avant. Ils doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas résoudre le problème comme ça. On va reconstruire, comme on l’a fait auparavant, mais on a besoin de soutien. Notre liberté est plus importante que notre faim. La lutte va continuer dans ces terres. Le choix est, soit laisser tomber son identité, soit résister. Évidemment on a choisi de résister. » Certains habitant.e.s ont posé des tentes dans le jardin de leur maison détruite, en refusant la politique de déplacement. »

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(Pour imprimer en mode « livret », choisissez du papier A3 pour faire tenir 2 pages sur chaque face.)

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L’Etat turc mène une contre-révolution au Bakûr

Témoignages d’une délégation de femmes parties au kurdistan, 1ère partie.

Malgré la guerre au Kurdistan nord -Bakûr en Kurde-, le mouvement des Femmes Libres continue à se battre au quotidien pour porter les voix des femmes et se situer à la tête du mouvement de libération kurde. La journée mondiale de la femme est célébrée en masse au Kurdistan et porte toujours l’esprit de lutte de ses débuts. Une petite délégation de femmes de plusieurs origines est partie de France cette année pour rejoindre les femmes du Bakûr dans leurs célébrations du 8 mars. Nous nous sommes rendues à Amed (Diyarbakır en Turc) -ville que l’on peut considérer comme la capitale du Bakûr- puis dans le Sud à la frontière avec la Syrie : Cizre, Mardin et deux villes de sa province, Kızıltepe et Nusaybin. À travers cet article, nous avons voulu rendre hommage à ce mouvement de femmes en retransmettant une partie de leurs paroles que nous avons recueillies. Le second objectif de ce texte est de rendre compte de la situation de guerre totale -dont nous avons été témoins- déclarée par l’État turc contre la population Kurde et son mouvement de libération.

L’État turc mène une contre-révolution au Bakûr

La nouvelle guerre déclarée aux Kurdes par l’État turc s’inscrit dans la continuité de ce qu’il a toujours fait depuis sa création, d’abord entre les mains des kémalistes (Atatürk -le père des Turcs- et ses successeurs) et maintenant avec l’AKP en tête. Les années 1980-90 auront marqué l’histoire des mouvements révolutionnaires en Turquie, et en particulier du mouvement de libération kurde. Pendant cette période, la répression a été brutale : des centaines d’opposant.e.s (militant.e.s, journalistes, écrivain.e.s) ont été exécuté.e.s, et celles.eux emprisonné.e.s ont connu les pires tortures. Dans les montagnes du Kurdistan, près de 5000 villages ont été brûlés, forçant la population à la déportation vers les villes (environ 2 millions de personnes déplacées). Les négociations de paix des dernières années, impulsées par le leader kurde, Abdullah Öcalan, avaient donné de l’espoir à toute une génération orpheline, qui maintenant se retrouve à nouveau sous le feu des bombes.
Le mouvement de libération kurde qui a grandi autour du PKK a pris de l’ampleur et un écho international avec la victoire de Kobanê. En effet, le printemps arabe en Syrie a abouti à une guerre civile sur tout le territoire, à l’exception de la région nord principalement kurde, le Rojava, qui a su prendre son émancipation. On parle de révolution du Rojava en référence à ce processus auto-gestionnaire promu par le PYD, parti proche du PKK en Syrie.

Erdoğan et son gouvernement AKP n’ont pas supporté voir grandir un tel mouvement de l’autre côté de la frontière et ont pris conscience que l’organisation politique qui était en train de se mettre en place sur son territoire, à travers les municipalités du BDP (parti majoritaire dans la plupart des villes Kurdes) devenaient une menace pour l’État. En effet, le projet politique qui est en train de s’instaurer dans le Kurdistan Nord (en Turquie) et dans le Kurdistan Ouest (en Syrie) réside en une délocalisation du pouvoir centriste de l’État vers les municipalités qui coordonnent les assemblées de quartiers et de villages et qui favorisent la solidarité entre celles-ci. C’est ce qui est appelé par le mouvement kurde l’autonomie démocratique (inspiré du municipalisme libertaire de Murray Bookchin). Ce projet politique prône donc l’auto-organisation du bas vers le haut (coordonnée par les structures confédérales), mais aussi l’égalité des genres porté par le mouvement des Femmes Libres, ainsi qu’une économie écologique et coopérative.

Ce projet révolutionnaire ne peut que faire peur aux États, vu qu’il est diamétralement opposé à leurs intérêts, et c’est bien pour cela que l’État turc -extrêmement nationaliste- a de nouveau déclaré la guerre aux Kurdes. Il s’agit donc d’une contre-révolution, dirigée vers les populations kurdes qui sont en train de prendre leur autonomie de fait.

Début de génocide, sous coup d’État civil

Depuis l’été 2015, la guerre déclarée contre les Kurdes n’a fait qu’escalader en intensité, faisant entrevoir un génocide. Les mesures d’exception décrétées pour les Zones de Sécurité Spéciale (qui englobent une bonne partie du territoire kurde) permettent de passer au-delà de tout contrôle social, politique ou juridique sur les massacres ordonnés par le gouvernement. Le premier ministre turc a fait passer une directive aux commandants de la police et de l’armée qui en gros revient à leur promettre l’impunité face aux massacres commis sur la population (désignée comme « terroristes »).

Au bout de plusieurs mois de perquisitions et d’arrestations massives, les médias kurdes ont commencé à parler de « génocide politique ». En effet, plusieurs milliers de militant.e.s et élu.e.s ont été arrêtés, et souvent gardé.e.s en prison préventive (illes peuvent attendre des années avant d’être jugé.e.s). Les porte-parole du BDP ont été les premiers.ères à être ciblé.e.s ; une bonne partie des co-maires des 103 municipalités du BDP ont été incarcéré.e.s. Une femme du BDP nous a fait remarquer que malgré que le gouvernement ne reconnaisse pas l’existence de la co-présidence, quand il s’agit de réprimer, il s’en prend bien aux deux co-représentant.e.s.

À cela s’ajoutent les procès aux journalistes et avocat.e.s qui osent raconter ce qu’il se passe. D’après le rapport du KJA de février 2016, l’accès internet à plus de 90 portails et sites d’information a été bloqué par le gouvernement, et 23 sites internet traitant principalement la « question kurde » ont été fermés. De même, les personnes étrangères qui pourraient être témoins sont expulsées et parfois interdites de revenir en Turquie pendant 5 ans.

Notre délégation a finalement pu se rendre partout où c’était prévu, mais nous avons été fouillées et interrogées à de nombreux check-point sur les routes et lors des manifestations pour la journée mondiale des femmes, à Mardin, Kızıltepe (où le rassemblement était entouré de flics et de snipers positionnés sur le toit, puis la sonorisation a été coupée) et à Diyarbakır. Pendant toute la semaine précédant le 8 mars, des manifestations étaient prévues dans plusieurs villes du Kurdistan, la plupart ont été interdites ou alors boycottées par les multiples contrôles postés à différents endroits de la ville où les policiers répandaient la rumeur d’une alerte à la bombe. Cette terreur semée par le gouvernement tente de faire peur aux femmes et de les démobiliser.
Les bombardements des positions des guérillas dans les montagnes (dans le Kurdistan en Turquie et en Irak), ainsi que des cimetières des combattant.e.s (qui ont été quasiment tous ciblés) ne cessent depuis le mois d’août 2015. Les jours que nous avons passé à Diyarbakir, nous avons vu (et surtout entendu!) les avions de chasse décoller et survoler la ville en passant la barrière du son en direction du sud-est. En quelques heures, nous en avons compté une quinzaine. Mais sans doute le plus grave c’est le massacre de plus de 700 personnes dans les villes Kurdes, y compris de très nombreux bébés, enfants et personnes âgées.

Programme de gentrification brutale : exemple de Cizre

Au delà de ces tueries, le gouvernement entreprend de raser les villes kurdes rebelles (qui ont déclaré leur autonomie) et remplacer leur population (par des populations favorables au gouvernement AKP). Le gouvernement a mis en place un programme pour « éliminer de la carte les villes terroristes », puis est occupé depuis 8 mois à passer le rouleau-compresseur sur toutes les villes kurdes qui ont déclaré leur autonomie face à l’État. Mises sous « couvre-feu » 24h/24, ces villes et ces quartiers sont assiégés (impossible d’y accéder ou d’en ressortir), coupées de toute communication, privée d’eau et d’électricité. Ce sont des centaines de milliers de personnes qui se retrouvent en état de siège et attaquées par les forces de police et de l’armée. Et ce, durant des semaines, ou des mois, allant jusqu’à 100 jours à Sûr (centre-ville historique de Amed) ; comme on nous l’a dit plusieurs fois « la résistance de Sûr a été encore plus longue que celle de la Commune de Paris qui a duré deux mois ». Depuis décembre, l’État attaquait trois villes simultanément : Cizre, Sûr et Silopi. Après plus de 3 mois, l’État a déclaré « l’opération finie », ce qui n’implique que l’arrêt de l’artillerie lourde, mais l’occupation policière et militaire et le harcèlement quotidien perdure.

Le programme de l’État est clair : vider ces villes de Kurdes, détruire les quartiers en résistance, reconstruire des barres d’immeuble à leur place, et faire venir une population non-kurde ou en tous cas favorable au gouvernement. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les pelleteuses font leur travail dans les quartiers en ruines de Sûr et Cizre : elles détruisent les seuls bâtiments qui sont restés debout et enlèvent des tas de gravats pour niveler le sol et faire place aux nouveaux bâtiments. En effet, la quasi-totalité des parcelles des quartiers dévastés de Sûr ainsi que de 8 autres districts viennent d’être expropriées par une procédure d’urgence qui empêche tout recours, et vont être cédées au TOKI, l’organisme privé mais allié de l’État qui fait de la spéculation immobilière et qui construit des quartiers entiers de barres d’immeubles.

Notre délégation n’a pas pu accéder aux quartiers assiégés de Sûr car le siège était encore en place. Mais nous avons entendu des bombes lancées sur le quartier, nous avons vu les hélicoptères survoler quasi en permanence ces quartiers, et entendu les récits de proches d’habitant.e.s de Sûr. Pendant notre séjour à Amed, deux histoires de Sûr faisaient le tour des réseaux sociaux. L’une concernait des jeunes hommes arrêtés à Sûr, ayant été torturés par la police, puis déshabillés et pris en photo (nous ignorons leur sort). Puis celle d’une vieille dame de 80 ans, blessée, qui avait appelé maintes fois les secours, toujours bloqués par la police ; elle a fini par être évacuée portée par son mari et des proches ; ils ont tous été incarcérés, sauf elle qui est finalement décédée en arrivant à l’hôpital.

Nous avons pu nous rendre à Cizre, au 3ème jour d’ouverture de la ville (levée partielle du couvre-feu). Arrivées au 4ème et dernier check-point à l’entrée de la ville, après de nombreuses fouilles et contrôles de nos passeports, nous y sommes restées bloquées pendant plus de 3 heures, la police ne voulant pas nous laisser passer, « qu’est-ce que vous faites là ? C’est la guerre ici, ce n’est pas un endroit pour faire du tourisme ! »… Cet officier nous admet donc que c’est la « guerre », ce qu’ils s’efforcent de nier généralement. Au final, par un coup de chance (un fonctionnaire des affaires étrangères passait par là et a donné son feu vert, après avoir examiné nos passeports une énième fois), nous réussissons à accéder à Cizre.

Nous y avons été guidées dans tout le quartier démoli par une jeune femme de la mairie. Pratiquement tous les bâtiments ont été réduits à des gravats, y compris des bâtiments de 5 étages. Des habitant.e.s du quartier nous ont fait rentrer dans les sous-sols où s’étaient réfugiées plus de 150 personnes, parmi lesquelles plusieurs étaient blessées dû à l’écroulement des bâtiments. Après plusieurs semaines pendant lesquelles les blessé.e.s mouraient petit à petit, et personne ne pouvait ressortir sans se faire abattre, l’armée a fini par mettre le feu aux sous-sols et brûlé vives les survivant.e.s. Les soldats ont ensuite sorti les cadavres, en laissant derrière eux des membres éparpillés dans les sous-sols. Des habitant.e.s ont voulu fermer l’accès aux sous-sol par respect pour les personnes assassinées, mais les flics ont à chaque fois rouvert leur accès, nous a-t-on dit « pour que tous les gens voient ça et prennent peur ». Quand nous sommes rentrées, les habitant.e.s avaient débarrassé les membres des corps meurtris qu’illes avaient retrouvés, sauf un os et une main calcinée. L’odeur de mort du deuxième sous-sol nous a empêché d’y rester plus que quelques secondes…

Les murs de la ville (y compris à l’intérieur des maisons) sont recouverts de tags racistes, de symboles nationalistes, et de menaces de viols, laissés par les forces de l’État. On nous a aussi montré le lieu où s’était réfugiée une femme qui se faisait tirer dessus par les snipers. Elle a fini par être abattue dans son refuge, puis les soldats l’ont déshabillée et ont pris des photos de son corps nu pour les montrer sur les réseaux sociaux. Ceci est une pratique courante ces derniers mois. Beaucoup de femmes que nous avons rencontrées interprètent ceci comme une tentative de faire peur aux femmes car « ils savent que les femmes sont une menace pour l’État et la mentalité patriarcale ». Les femmes portent la résistance en elles, ce sont les mères qui parlent en Kurde à leurs enfants et qui transmettent leur culture. Le mouvement des femmes prend une place énorme au sein de la lutte kurde, et ceci fait peur à l’État.

L’État n’arrive pourtant pas à prendre le contrôle de ces villes

Les groupes d’autodéfense des quartiers organisés par les jeunes femmes et hommes se battent avec de simples fusils contre la deuxième armée la plus puissante de l’OTAN. Face à la détermination de ces jeunes et le soutien de tout le quartier, les forces de l’État ne réussissent pas à pénétrer dans ces quartiers en lutte. Ils bombardent depuis leurs véhicules blindés de là où ils accèdent, et parfois depuis les collines environnantes ou encore depuis les hélicoptères. L’État aura mis 3 mois à mettre à bout la résistance à Cizre et à Sûr. Les groupes d’autodéfense ont résisté jusqu’au bout, jusqu’aux dernier.ères survivant.e.s. Quant au reste de la population qui s’était réfugiée en grande partie dans les quartiers ou villes voisines, une grande partie revient en nombre chez elle. Certes, pour découvrir qu’il ne leur reste plus rien, que leur maison est sous les décombres. Mais rien ne leur fera baisser les bras. Toutes les habitantes du quartier de Cudi à Cizre que nous avons rencontrées, nous ont dit « nous ne partirons pas, on a déjà été forcées à quitter nos villages dans les années ‘80-90 pour venir s’installer dans ces villes, maintenant nous ne partirons plus » ; « ils ont beau tué nos corps, ils ne tueront pas notre idéologie ».

Les réfugié.e.s reviennent chez elles dans des quartiers dévastés

Ce sont près de 400.000 personnes (chiffres au mois de mars) qui ont dû fuir les attaques de l’État et quitter leurs maisons avant qu’elles ne se fassent détruire. Nous avons rencontré une chercheuse de l’institut de recherches sociales SAMER. Selon leurs études récentes, les personnes réfugiées de ces villes attaquées, prennent souvent refuge chez des proches dans les quartiers voisins ou les villes proches, et pour la plupart reviennent une fois le siège levé. Dans les années 80-90, deux millions de Kurdes avaient été forcé.e.s à la déportation vers les villes kurdes (qui ont vu leur population se multiplier en peu de temps) ou vers les villes de l’ouest de la Turquie, ou encore vers l’Europe. Par contre, actuellement, la plupart des gens restent au plus proche et sont déterminées à ne plus se laisser déplacer.

Face à cela, le mouvement kurde s’organise pour pouvoir reconstruire ces quartiers et permettre aux habitant.e.s de retourner là où elles habitaient. Pour l’instant, l’urgence c’est de fournir à toutes ces personnes des quartiers de Sûr et de Cizre le minimum vital. Des camps de réfugié.e.s sont en train de se mettre en place (d’abord à Silvan) pour fournir un abri et de la nourriture aux familles qui ont perdu leurs maisons et toutes leurs affaires. L’Association Solidarité Rojava qui s’était créé pour venir en aide aux réfugié.e.s de Kobanê, centre son attention en ce moment dans la récolte de fonds et l’approvisionnement en tentes et nourriture pour ces personnes qui ont tout perdu dans les villes assiégées du Bakûr. Les 2 co-responsables de l’association avec qui nous nous sommes entretenues, nous ont demandé de relayer leur appel urgent en rappelant comment l’aide venue de l’extérieur avait été précieuse après la libération de Kobanê. Illes nous ont dit que « les villes du Bakûr attaquées maintenant sont comme Kobanê. C’est là qu’il faut envoyer de l’aide. La guerre continue, d’autres villes sont attaquées et détruites par le gouvernement. L’État a dit «on va détruire le Kurdistan». » Illes ont insisté sur le besoin urgent que l’aide soit organisée par les organisations civiles en Europe car illes savent bien que les États ne vont pas aider facilement.

L’urgence humanitaire est évidente, vu la destruction provoquée par l’État. Mais le choix qu’ont fait les habitant.e.s de ces quartiers est avant tout politique : illes ont résisté à l’assaut de l’État et, malgré avoir tout perdu, sont prêtes à revenir là d’où elles ont été chassées et sont déterminées à toujours résister, même contre les pelleteuses qui essaient de faire table rase des quartiers. Pour notre délégation, soutenir ces personnes dans ce choix c’est porter un soutien, non seulement humanitaire, mais aussi politique. C’est pourquoi nous tenons à relayer cet appel aux organisations sociales et aux militant.e.s et révolutionnaires à se solidariser avec la population de Silvan, Sûr et Cizre. Puis, comme nous le rappellent les responsables de l’association Rojava, d’autres villes sont actuellement en guerre : c’est le cas de Nusaybin, Idil, Gever, Dargeçit, Şırnak, puis ensuite ce sera le tour d’autres villes encore.

L’Europe garde le silence et finance l’État turc

Lorsque notre délégation parcourait les rues saccagées de Cizre, une femme nous interpelle : « C’est maintenant que vous venez ? Où était l’Europe pendant qu’on se faisait massacrer ? Tout le monde a pu voir les images des sous-sols. Pourquoi personne n’a rien fait ? Nos vies valent-elles aussi peu ?… » Une autre femme complète : « Les images et les vidéos des sous-sol ont tourné sur les réseaux sociaux minute par minute. On peut croire que dans les années ‘90 les gens n’étaient pas au courant de ce qu’il se passait, mais maintenant tout le monde sait. »
Inutile de leur répondre que les États européens ont accepté le chantage d’Erdoğan et ont acheté leur silence en échange de la fermeture de la frontière turque avec l’Europe aux personnes réfugiées. Les médias de masse suivent au pied de la lettre les consignes des gouvernements européens et ne relayent que les attentats ou certaines ripostes contre l’armée. Les Kurdes se demandent où vont les 6 milliards d’euros versés par l’UE à l’État turc -soit disant pour accueillir les réfugiée.s. Ce qui s’entend couramment là-bas c’est que cet argent finance Daesh ainsi que la guerre contre les Kurdes.

Cette complicité mafieuse des États qui vendent leur image d’États ‘démocratiques’ est d’autant plus dangereuse lorsque l’on pense à l’alliance de l’AKP avec Daesh, et aux références qu’a fait Erdoğan au régime nazi en tant que modèle « efficace »…

Repris de Merhaba Hevalno n°4.

 

Entretiens avec JINHA, l’agence de presse des femmes

Voici deux interviews qui ont été menées par Corporate Watch et Vice News, au Kurdistan nord (Bakur), auprès de 3 journalistes de JINHA. Celle qui suit date de juste après les élections législatives de juin 2015, autrement dit juste avant la reprise de la guerre . La deuxième interview (voir l’encart) est plus récente (janvier 2016).

JINHA est une agence de presse entièrement composée de femmes, kurdes dans leur grande majorité. Elle subit une répression féroce de la part de l’État turc. Plusieurs de ses journalistes sont soit en prison, soit en attente d’un procès. C’est le cas de Beritan qui vient d’être condamnée à 1 an et 3 mois d’emprisonnement. Elles sont le plus souvent accusées de complicité avec une organisation terroriste (comprendre  : elles donnent des informations qui ne vont pas dans le sens du gouvernement). Par ailleurs, leur site internet a été hacké 5 fois et interdit par décision de justice. En reportage, elles subissent les attaques de la police, parfois à balles réelles.

Entretien avec Asya Tekin

Peux-tu décrire ce qu’est JİNHA ?

Asya Tekin  : JİNHA a été fondée il y a quatre ans, le 8 mars 2012, la journée internationale des femmes. Son but est de couvrir les événements qui concernent les femmes d’un point de vue de femme avec uniquement des journalistes femmes. Elle a été fondée à Amed. Depuis, un réseau de reporters s’est développé dans tout le Kurdistan – nous comptons actuellement 40 employées. Légalement, nous sommes une entreprise, mais nous travaillons à la manière d’un collectif de femmes.
C’est une agence composée majoritairement de femmes Kurdes, mais en grandissant, nous essayons d’élargir de plus en plus aux problèmes des femmes à travers le monde.
Nous avons un site internet et un service vidéo qui envoie des reportages à différentes chaînes provenant d’un peu partout dans la région. Nous envoyons également des informations à de nombreux journaux de la région.

JINHA subit-elle des discriminations du fait d’être une agence de femmes ?

AT : Nous avons de nombreuses difficultés à diffuser nos informations. Nos abonnés sont des médias de gauche ou alternatifs. Les grosses chaînes d’information ne nous commandent pas de reportages. La plupart du temps, les médias parlent des femmes de manière à faire du buzz, comme dans les magazines people, alors que nous présentons un regard de femmes sur des luttes de femmes. Les lectrices et les téléspectateurs ne sont pas habitué.e.s à cela. De ce fait, nous avons beaucoup de mal à trouver des abonné.e.s.
Nos reporters rencontrent également des difficultés lorsqu’elles sont sur le terrain. Les gens disent que les femmes ne peuvent pas faire du reportage de guerre, et ils considèrent que la caméra devrait être tenue par des hommes. Les discriminations proviennent à la fois de collègues masculins et de personnes lambda.

Pouvez-vous nous parler de la vie quotidienne et de la violence que vous subissez de la part de la police et de l’armée turques au Kurdistan ?

AT : Au quotidien, je ne me sens pas en sécurité, surtout en tant que journaliste femme. Nous nous attendons à des attaques tous les jours. Pendant la campagne électorale [pour les élections législatives de 2015], nous sommes allées dans la région de la Mer Noire. Nous avons été harcelées par la police et nous étions suivies par une voiture sans immatriculation tout le long de la route jusqu’à Malatya. Nous nous sommes plaintes à la police, en leur disant que nous savions que c’était eux, et la police a semblé en prendre note, mais n’a rien fait. Je ne me sens pas en sécurité ici.
C’est un pays où il existe une lutte importante pour la libération des femmes. Des femmes comme Deniz Firat [une correspondante kurde qui travaillait pour l’agence Firat News, tuée en 2014 par Daesh] et d’autres, qui ont été assassinées en faisant leur travail, m’inspirent et me donnent de la force.
Je me vois comme une journaliste qui travaille en état de guerre, et je considère mon activité comme étant en première ligne de cette lutte. Les attaques peuvent avoir des conséquences psychologiques, mais pas assez pour me faire abandonner.
Quand on est témoin d’autant d’injustice autour de soi, on doit le faire savoir. […] Bien sûr, les informations doivent être le plus objectives possible, mais lorsque vous voyez un État commettre autant d’injustices, vous devez en rendre compte en étant du bon côté.[…] D’un point de vue éthique et moral, en tant que personne, je me sens responsable de faire ce qui est juste. Bien sûr nous sommes des journalistes, mais je suis aussi une femme kurde, donc je me sens responsable de ce qui se passe.
Nous ne faisons pas uniquement des reportages sur les femmes qui résistent ; nous rendons compte également des femmes qui ne peuvent pas résister, qui vivent dans des conditions proches de l’esclavage. C’est notre devoir en tant que journalistes femmes. Le point de vue de notre agence est que nous sommes du côté des femmes et de leur liberté, en toutes circonstances.
De la même manière que nous donnons des information sur les femmes résistantes, nous en donnons sur les femmes qui sont victimes de violences et de discriminations ou qu’on écrase. Pour nous, c’est cela montrer les luttes de toutes les femmes, et à quoi ces luttes ressemblent vraiment.[…]

Votre travail doit avoir d’importantes conséquences psychologiques sur vous. Faites-vous quelque chose pour vous soutenir les unes les autres ?

AT : […] En tant que Kurdes, nous sommes habituées au trauma. Ce que nous faisons, est un engagement militant féministe, avant d’être un engagement journalistique. C’est ce qui nous fait tenir.
Nous avons reçu des menaces de la part du Hezbollah [kurde] et de Daesh mais cela ne nous pousse pas à arrêter de faire ce que nous faisons. Cela renforce notre engagement.
[NdT : Nous avons sauté les paragraphes qui racontent les attaques envers les Kurdes et les journalistes de la part de la Turquie et de Daesh]

Que pensez-vous des entreprises qui fabriquent des armes pour l’armée turque ?

AT : Je considère que c’est une erreur de dire que les entreprises sont les premières coupables. Les États renforcent leur pouvoir en utilisant ces armes. Les États en ont besoin pour pouvoir asseoir leur pouvoir répressif. Quand cela disparaîtra, ces entreprises disparaîtront également. Mais je considère que ces entreprises sont des tueuses d’enfants. Leurs patrons sont totalement complices de meurtres.

Pensez-vous que les gouvernements devraient donner des permis d’exportation d’armes à la Turquie ?

AT : Comment se fait-il que ces armes sont toujours envoyées vers le Moyen-Orient ? Comment se fait-il que le monde entier mènent ses guerres au Moyen-Orient ? Comment se fait-il qu’ici, à chaque coin de rue, on trouve un policier avec une arme à la main et qui sait comment tuer quelqu’un, et que lorsqu’on va en Europe, on ne voit d’armes nulle part ? Pourquoi devons-nous vivre sur un territoire où les armes sont omniprésentes ?
Si ces armes n’avaient pas envahi le Moyen-Orient, des groupes comme Daesh ne pourraient pas exister. Et maintenant, on en est rendu au point où les gens qui vivent ici ont besoin d’une arme pour s’auto-défendre. Une femme des YPJ [Unités de Femmes de Protection du Peuple au Rojava] a besoin d’une arme. Si vous vivez là-bas et que vous faites face à la force la plus sauvage qui existe au monde, vous êtes dans l’obligation de vous procurer l’arme qu’elles se sont procurée pour pouvoir vous défendre.
Bien sûr, le peuple kurde a la volonté profonde de résister, mais si seulement nous vivions dans un monde où nous pourrions le faire par de la désobéissance civile ou à travers des débats. Malheureusement, nous vivons au Moyen-Orient et ce n’est pas possible.
Nous voulons vivre dans un monde où nous n’aurions pas à nous procurer des armes. J’espère qu’un jour, les gens n’irons plus à la guerre. J’espère que la résistance des YPJ amènera un jour où les gens pourront vivre en paix et avoir une vie sans guerre.
Dernièrement, les femmes kurdes sont devenues un espoir pour les femmes dans le monde. Elles ont été tuées et violées. On a nié complètement leur existence, et ce sont elles qui résistent. A présent, elles sont l’espoir. Et cela nous rend heureuses d’informer sur les personnes qui font cette résistance.

Que peut-on faire depuis l’extérieur en solidarité avec le Kurdistan ?

AT : Il y a une chose que je souhaite, c’est que toutes les personnes qui sont opprimées au Moyen-Orient et qui sont forcées de vivre une vie de guerre, se relèvent ensemble et retournent à leurs vraies racines. J’aimerais voir cela aussi en-dehors du Kurdistan.
Pour finir, le terrorisme et la violence ne sont pas venues d’ici, mais de l’Occident. Les gens en Occident devraient se demander ce qu’ils doivent faire à ce sujet.

Entretien avec Sarya Gözüoğlu

Peux-tu nous dire ce que c’est que de grandir avec le militarisme turc ?

Sarya Gözüoğlu : C’est comme ça depuis que nous sommes né.e.s. Nous y sommes habitué.e.s, tous les jours nous pouvons perdre quelqu’un.e. À tel point que parfois, nous nous disons que la vie des gens normaux en Turquie doit être ennuyeuse. Nous y sommes tellement habitué.e.s que chaque jour ressemble à un film d’action. Cela ne nous semble plus bizarre. Quand nous étions enfants, ce n’était pas pareil – nous n’en étions pas conscient.e.s – mais quand nous avons quitté la maison, nous nous sommes rendu compte que c’était le mode de vie ici. J’ai toujours vécu à Amed. Bien sûr, cela a toujours été effrayant de voir la police perquisitionner des maisons, prendre les affaires des gens, les arrêter. La peur a provoqué l’engagement à agir contre elle.

Qu’est-ce qui t’a fait devenir une journaliste de JINHA ?

SG : C’était mon rêve depuis que j’étais petite. Mais sans JINHA, je n’aurais peut-être jamais eu le courage car c’est très dur pour les journalistes femmes. Un ami proche de mon oncle, qui était journaliste, a été tué. C’est ce qui m’a inspirée, car mon oncle était vraiment affecté par sa mort. Je n’ai pas étudié le journalisme ; j’ai fait des études en génie agricole, donc je n’ai pas ce bagage, mais cela a toujours été mon rêve. JINHA m’en a donné l’opportunité. J’ai pris confiance car ici il n’y a que des femmes. Certaines n’ont pas fini l’école, d’autres étaient enseignantes. Cette diversité m’a fait réaliser que moi aussi je pouvais le faire. La plupart n’avait pas d’expérience de journalisme, mais en ont acquis ici.

Est-il difficile pour les femmes ici d’être journalistes ?

SG : Bien sûr, je subis des discriminations en tant que femme journaliste. Lorsque vous sortez en tant que journaliste, vous êtes au milieu d’une armée d’hommes. 90 % des journalistes sont des hommes. Ils pensent qu’ils doivent être les meilleurs et que les femmes ne peuvent prendre de bonnes images. Lorsque nous allons à un événement difficile à filmer, les hommes disent : « c’est dommage que vous n’ayez un homme avec vous pour pouvoir filmer ». Si les journalistes ne sont pas capables de voir leurs propres collègues sans préjugés, comment peuvent-ils faire un travail objectif ?

La révolution au Rojava vous a-t-elle donné de l’espoir pour ici ?

SG  : Le Rojava ne devrait pas seulement donner de l’espoir pour le Kurdistan, il devrait en donner aussi au reste du monde. Cette révolution est née dans une région que personne ne connaît. Que cette résistance ait réussi à se faire entendre prouve bien que tout est possible. Cela montre que les gens peuvent décider de leur futur par leur propre volonté. Cela peut donner de l’espoir à de nombreuses personnes à travers le monde.

Est-ce que monter des actions contre ceux qui vendent des armes à la Turquie peut soutenir les mouvements révolutionnaires au Rojava ?

SG  : Oui évidemment. Toute action contre ceux qui vendent des armes à la Turquie est un soutien pour le Rojava car la Turquie donne de l’argent et des armes à Daesh.

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Repris de Merhaba Hevalno n°4.

La riposte des femmes yézidies

Extraits d’un texte de Dilar Dirik publié le 21 août 2015.

La vielle expression Kurde, “Nous n’avons pas d’amies à part les montagnes”, est devenue plus vraie que jamais lorsque, le 3 août 2014, les gangs meurtriers de l’Etat islamique attaquaient la ville de Shengal, massacrant des milliers de personnes, violant et kidnappant les femmes pour les vendre en tant qu’esclaves sexuelles. Cette période est connue comme le 73ème massacre des Yezidi.e.s.

Des dizaines de milliers de Yezidi.e.s ont fuit vers les montagnes de Shengal dans une ‘marche de la mort’ pendant laquelle beaucoup d’entre eux, et surtout des enfants, sont mort.e.s de faim, de soif et d’épuisement. Cette année, les Yezidi.e.s ont marché une nouvelle fois dans les montagnes de Shengal, mais cette-fois-ci pour manifester et montrer que rien ne sera comme avant.

L’année dernière, alors qu’ils avaient promis au peuple de sécuriser la ville de Shengal, les peshmergas du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK, parti au pouvoir dans la région Kurde d’Irak) se sont enfuis face aux attaques de l’Etat islamique, sans prévenir la population et sans leur laisser d’armes pour se défendre. Ce sont la guérilla du PKK, conjointement avec les forces YPG/YPJ du Rojava qui, malgré le fait qu’ils n’avaient que des Kalashnikovs et une poignée de combattant.e.s, ont réussi à ouvrir un corridor humanitaire, ce qui a sauvé la vie de quelques 10 000 personnes.

Pendant l’année entière qui a suivi cet évenement, les femmes Yezidis ont été présentées dans les médias comme étant les simples victimes de viols. Les interviews innombrables posant portant sans cesse sur le nombre de fois où elles on été violées et vendues leur faisaient revivre des moments traumatiques dans le but de nourrir un journalisme sensationnaliste. Les femmes yezidis ont été présentées comme le symbole même de la femme pleureuse et passivement soumise, la victime ultime des gangs de l’Etat islamique, le drapeau blanc féminin du patriarcat. Les présentations orientalistes des médias ont violemment réduit une des plus anciennes religions du monde à un nouveau champ d’exploration exotique a découvrir.

On passe sous silence le fait que les femmes Yezidis se sont armées et se sont alors mobilisées sur les plans idéologiques, sociaux, politiques et militaires dans le cadre de l’idéologie élaboré par le leader du PKK, Abdullah Ocalan. En Janvier, le Conseil de la Fondation de Shengal a été établi par les délégu.é.e.s Yezidi.e.s venant des montagnes ainsi que des camp de réfugiées, demandant un système d’autonomie indépendant du gouvernement central Irakien et du KRG. Plusieurs comités, centrés autour de thèmes quotidiens comme l’éducation, la santé, la défense, les femmes, la jeunesse et l’économie ont été mis en place.

Le Conseil, fondé sur les bases de la théorie de l’autonomie démocratique élaborée par Öcalan, a du faire face a une forte opposition de la part du PDK, ce même parti qui avait fui Shengal sans montrer aucune opposition a l’Etat Islamique.

Ce sont les YBS (Unité de Résistance de Shengal), les YPJ-Shengal, agissant de concert avec le PKK qui tiennent les lignes de front contre l’Etat islamique au Shengal, sans accès aux armes fournies aux peshmergas par les forces internationales. Plusieurs membres du YBS et du Conseil de la Fondation de Shengal se sont aussi fait arreter au Kurdistan Irakien.

Le 29 Juillet fut un moment historique lorsque les femmes de tous ages ont créé le Conseil des Femmes de Shengal (CFS), promettant que “L’organisation des femmes Yezidis sera une vengeance pour tous les massacres”. Elles ont déclaré que les familles ne doivent pas empêcher la participation des femmes au mouvement, ni leur volonté de démocratiser et transformer leur communauté. Elles ne veulent pas simplement « racheter » les femmes kidnappées, mais les libérer par le biais d’une mobilisation active en établissant les moyens d’auto-défense non seulement physique, mais aussi philosophique, contre toutes les formes de violence.

Le système international dépolitise insidieusement toutes les personnes affectées par les guerres, surtout les refugié.e.s, en les enfermant dans des discours qui les présentent comme n’ayant pas de volonté propre, ni de savoir-faire, ni de conscience politique. […]

Une jeune combattante du YPJ-Shengal, qui s’est renommée Arîn Mîrkan en hommage a la martyre héroïne de la résistance de Kobanê, m’a dit : « Pour la première fois dans notre histoire, nous prenons les armes, parce que lors du dernier massacre nous avons compris que personne ne nous protégera ; nous devons le faire nous-mêmes. » Elle m’a expliqué comment les filles comme elle n’avaient jamais osé avoir des rêves, restant à la maison familiale jusqu’à ce qu’elles soient mariées par la famille. Mais, tout comme elle, des centaines de filles ont maintenant rejoint la lutte, comme par exemple cette jeune fille qui s’est coupé les cheveux, les a posés sur la tombe de son mari mort en martyr, et est partie rejoindre la résistance.

Le génocide des corps a beau être fini, les femmes ici sont conscientes d’un génocide “blanc”, quand les gouvernements de l’Union Européenne, surtout l’Allemagne, cherchent a attirer les femmes Yezidis vers l’Europe, les déracinant de leurs lieux de vie sacrés et se servant d’elles pour leurs propres agendas. […]

Il y a un an seulement, le monde était témoin du génocide inoubliable des Yezidi.e.s. Aujourd’hui, les mêmes personnes qui ont sauvé les Yezidi.e.s alors que le reste du monde les avait abandonnés sont en train de se faire bombarder, avec l’accord de l’OTAN, par l’allié de l’Etat islamique : l’Etat turc. Lorsque les Etats qui ont contribué a la création et la montée au pouvoir de l’Etat islamique promettent de détruire ce dernier, et en même temps de détruire le tissu social du Moyen-Orient, la seule option de survie est la mise en place d’une autodéfense populaire et d’une démocratie par le bas.

En passant dans les montagnes de Shengal, le plus beau signe du changement qui a eu lieu depuis un an dans cette zone dévastée, ce sont les enfants présents dans la rue et qui, a chaque fois qu’ils voient « les camarades » passer en voiture, chantent : « Vive la résistance de Shengal ! Vive le PKK ! Vive Apo ! »

Grâce a l’autonomie démocratique, ces mêmes enfants qui auparavant ouvraient leurs petites mains pour demander de l’argent lorsque les peshmergas passaient en voiture, lèvent maintenant ces mêmes petites mains en poignées et en signes de victoire.

Source : http://dilar91.blogspot.fr.

Repris de Merhaba Hevalno n°2.

Oubliez l’ONU ! Rencontrez les réfugié-e-s autonomes au Kurdistan !

Un texte de Dilar Dirik, daté du 5 octobre 2015.

Rejetant les discours victimisants, des camps de réfugiés soutenus par le PKK au Kurdistan ont pris le contrôle de leur destin en créant leur propre organisation autonome.Sans rentrer dans les débats brutaux et déshumanisants qui dominent la soi-disant « crise des refugié.e.s », explorons une histoire différente de ces réfugié-e-s. Une histoire d’autonomie, d’auto-détermination et de prise de confiance en soi. Trois camps de réfugié-e-s au Kurdistan illustrent cette alternative radicale au statu quo.

Notre voyage commence à Makhmour, à quarante minutes en voiture d’Erbil (capitale de la région kurde irakienne). Ce camp est “un miracle” d’après les mots de ses propres habitantes. Il a été créé dans les années 1990 après que l’armée turque ait détruit des villages et poussé 100 000 personnes à l’exil, fuyant les massacres et l’assimilation forcée. A mille lieux de la réalité d’Erbil – décor de pacotille à l’américaine avec des panneaux publicitaires turcs – quand on entre dans le camp de Makhmour qui est gardé par des militant-e-s du PKK on sent une atmosphère différente : une vie collective.

A cause de la nature explicitement politique du camp – le PKK y est présent au grand jour – il a été déplacé plusieurs fois et fréquemment criminalisé, envahi et partiellement détruit au fil des années par l’Etat turc ou irakien, et même par le KDP (Parti démocratique Kurde) qui gouverne Erbil. Pour ces mêmes raisons, l’ONU n’a jamais apporté son soutien au camp.

De nombreux enfants sont morts suite à des piqûres de scorpions durant les premières années du camp, situé dans une zone désertique et hostile. Au fil du temps, malgré les attaques venant de l’extérieur, les gens se sont organisés et ont fait de ce désert un coin fertile. Chaque quartier ici forme une commune, qui chacune contient un groupe autonome de femmes. L’éducation – y compris le programme – comme les service de santé ou l’économie sont des sujets discutés et déterminés de manière autonome et indépendante du gouvernement régional d’Erbil. Toute l’infrastructure a été construite collectivement. “Chacun-e a placé une brique de chaque maison ici” dit l’histoire de Makhmour.

Le conseil des femmes d’Ishtar a été créé en 2003 afin de représenter les désirs et besoins des femmes. L’académie des femmes « Martyr Jiyan » (du nom d’une femme du camp tuée par le KDP lors d’un soulèvement) organise des cours d’alphabétisation, d’auto-défense (philosophique et physique), de géographie régionale et mondiale, d’histoire des femmes, sur le confédéralisme démocratique, d’écologie, etc..

« Apprendre c’est prendre conscience » explique Aryen, qui enseigne à l’académie. « Il fut un temps en Mésopotamie où les femmes organisaient la société. Ce temps, au niveau de l’éthique et de l’égalité, paraît très loin. Nous voulons en tant que femmes faire revivre ces valeurs et donner de la force aux femmes pour résister et prendre conscience. »

Celles et ceux qui ont pu témoigné de l’invisibilité des femmes dans la ville ultra-patriarcale d’Erbil rencontrent ici des femmes extrêmement différentes : confiantes, dynamiques, heureuses -un signe frappant de l’impact qu’ont les environnements systémiques sur les femmes.
Bien que le camp soit sous protection de l’ONU, seul le PKK était là pour évacuer et défendre les gens quand Daech attaquait l’année dernière. Tous les adultes du camp savent manier un fusil et prennent des tours de garde la nuit.

Notre prochaine étape nous amène dans les montagnes du Sinjar (Shengal), la scène du dernier massacre des kurdes yézidis. « C’est clairement le dernier massacre des Yezidis » disent les gens ici, « si on se disperse dans la diaspora, ça sera notre fin, on cessera d’exister en tant que communauté. C’est pourquoi la seule solution est de s’organiser. »
C’est ce que de nombreuses personnes peinent à comprendre : l’attachement au territoire est un élément existentiel pour de nombreuses communautés, le déplacement implique l’effacement irréversible de leur histoire.

« En raison des trahisons et du manque d’organisation, on devient des victimes » explique un membre du Conseil Fondateur de Shengal, établi en janvier 2015, basé sur les principes du confédéralisme démocratique. « Maintenant on sait que si on ne se prend pas en charge nous-mêmes, personne ne le fera. »

Approximativement 40 000 personnes vivent aujourd’hui dans des tentes sur la montagne. « On a commencé par marcher de tente en tente pour se rendre compte des besoins basiques des gens. Progressivement, on a commencé à construire notre propre organisation à travers des comités dédiés aux questions de santé, de culture, d’éducation, d’économie, etc., au niveau des problématiques quotidiennes comme à plus long terme. Les femmes et les jeunes s’organisent de manière autonome. Très rapidement on est devenu une épine dans le pied du KDP, qui s’est retiré quand le massacre a commencé » a-t-il ajouté. Alors qu’il bloque l’accès aux autres, le KDP distribue ici l’aide internationale en son nom propre.

Notre dernier arrêt est le camp du Newroz (nouvel an kurde) qui a été créé en août 2014 à Dêrik (ville syrienne, appellée al-Malikiyah en arabe) après que 10 000 Yézidis aient fui depuis Shengal (Irak) vers le Rojava (Syrie) à travers le « corridor humanitaire » organisé par les YPG.

Lors de ma première visite du camp en décembre 2014, l’embargo du Rojava était total, il était imposé par l’Etat turc comme par le KDP. Il bloquait l’aide humanitaire, la nourriture, les couvertures et mêmes les livres aux frontières.

Suite à des pressions politiques, et particulièrement après la résistance de Kobané, quelques organisations internationales fournissent à présent une aide limitée, mais l’embargo continue. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies a essayé de recréer le camp en accord avec ses concepts universels, négligeant le fait qu’il y avait déjà une auto-organisation en place. Il s’est heurté à la résistance de l’assemblée du camp, et a été forcé de respecter ses demandes et de fournir le matériel nécessaire, que les gens coordonnent eux-mêmes.

Les institutions internationales sensées avoir pris en charge le camp ont souvent laissé ces gens être affamés, souffrir et mourir, en confiant l’aide aux agences étatiques. Cependant les réfugié-e-s qui se sont vues prendre tout ce qu’illes avaient, ont reconstruit ici une vie dans la dignité et la force.

En Septembre 2015, la photo du jeune Alan Kurdi de Kobané étendu noyé sur la plage, a réussi à toucher la conscience silencieuse de l’humanité. Mon ami Mehmet Aksoy écrit alors : « Parfois le destin d’un enfant est écrit 100 ans avant qu’il naisse. Je ne parle pas de destin divin, mais de causes historiques et politiques, de pouvoir et d’économie, d’exploitation et de colonialisme. »

Ce qui rend les corps comme celui d’Alan Kurdi si cruellement jetables c’est cet ordre du monde qui accorde plus de valeurs aux Etats-frontières qu’aux êtres humains.

Dans un monde dirigé par les états-nations, qu’est-ce qu’on peut attendre d’un système comme celui de l’ONU qui ne fait que respecter les ordres d’Etats qui sont la cause et la racine des massacres, génocides, nettoyage ethniques, déplacements de masses, pauvreté, guerres et destructions auxquelles on assiste aujourd’hui, parce que l’existence même de ce système les nécessite, surtout en tenant compte du fait que son centre de pouvoir les plus gros vendeurs d’armes au monde ?
Rendre les personnes déplacées dépendantes et dépolitisées, tout en menant un discours chauvin dans les pays d’accueil qui se sont établis à travers l’impérialisme, le racisme, la colonisation, le vol, l’exploitation, la guerre, les assassinats et le viol, est une stratégie de l’ordre international pour maintenir le statu quo raciste. Les camps de Makhmour, de Dêrik et de Shengal, qui rejettent les Etats-nations, racontent une autre histoire.

Sabriye, une femme de Makhmour explique : « Ils nous craignent parce que nous tenons sur nos jambes. Nous ne faisons confiance à personne pour nous sauver. Nous prenons nos destins en main et nous créons notre auto-défense et notre système social. Nous rendons la vie plus douce en nous organisant par nous-mêmes. »

Plutôt que de charité, les réfugié-e-s ont besoin de camarades qui les aident à combattre les causes des déplacement de populations (comme les invasions étrangères ou le commerce d’armes) et qui soutiennent leur processus d’autonomie. Le mois dernier, le père d’Alan Kurdi, a appelé à la reconnaisance politique du Rojava : « Je vous suis reconnaissant pour votre sympathie, ça m’a donné l’impression de ne pas être seul. Mais une étape essentielle pour mettre fin à cette tragédie et éviter qu’elle se répète serait de soutenir notre mouvement d’auto-organisation ».

Le monde entier a pleuré pour le père d’Alan Kurdi, va-t-il soutenir sa politique aussi ?

Source : http://dilar91.blogspot.fr.

Repris de Merhaba Hevalno n°2.