État de siège à Diyarbakır : Terreur d’État et résistance populaire (2ème partie)

diyarbakir_22aralik_11A Amed (nom kurde de Diyarbakır), du 14 au 22 décembre, le peuple de la « capitale kurde » a repris la rue et les serhildan, pour montrer sa détermination et son soutien à la guerilla. Une semaine de manifestations et d’affrontements. 5 jeunes manifestants exécutés par des « escadrons de la mort »…

Terreur des tanks de l’armée turque contre l’autonomie revendiquée et défendue par le mouvement kurde.

De nouvelles operasyon – ces opérations militaires contre les « terroristes kurdes » comme aiment à en parler les médias aux ordres du Sultan Erdoğan – ont pris corps depuis le 13 décembre. Plus de 10 000 militaires, policiers et gendarmes des forces spéciales sont partis à l’assaut de Silopi, Cizre, Nusaybin etc. Autant de villes kurdes ayant déclaré leur autonomie et qui se sont vue successivement placées sous couvre-feu puis attaquées par les tanks et les bombes de l’État turc. Car il s’agit pour le gouvernement comme il l’a dit et redit sur toutes les chaînes de télé d’une « opération de nettoyage » – ce qui rappelle les envies de karcher de Sarkozy en son temps ou celles de génocides bien pires encore. 10 000 fascistes armés jusqu’aux dents pour mater le mouvement d’émancipation sociale kurde et pour lancer une véritable guerre civile dans la région.

Dans ces villes et quartiers, beaucoup de maisons, d’immeubles, mais aussi des écoles et hôpitaux se font incendier ou éventrer par les bombes des tanks. Et bien que les habitants se fassent quotidiennement tués ou volés leurs biens par les forces spéciales, ils continuent de sortir dehors, d’investir les rues pour manifester, danser, faire du bruit ou même tirer des gros feux d’artifice la nuit pour signifier à l’Etat qu’ils apportent un soutien sans faille aux YDG-H – les jeunes qui défendent les quartiers les armes à la main –, et qu’ils préfèrent mourir que laisser leurs maisons et leurs terres.

Côté baston, les forces spéciales progressent a priori beaucoup moins vite dans leurs opérations sanglantes qu’ils ne l’affirment. Elles se vantent d’avoir tué plus de 120 guerillas dans toutes ces villes, mais rien n’est moins sûr, car comme chacun sait, l’Etat aime toujours s’inventer des chiffres à des fins de propagande. A Sur, d’après ce qu’il se raconte dans les cafés et aux coins des rues, les forces répressives de l’Etat n’avanceraient pas d’un pouce, et les fascistes des forces spéciales se feraient même shooter plus que ce à quoi ils s’attendaient. Le siège du quartier de la vieille ville, commencé le 2 décembre, ne donne semble-t-il pas les résultats escomptés, et c’est tant mieux ! Enfin, les YDG-H revendiqueraient le 21 décembre plus de 25 flics tués pour les derniers jours à Silopi, Cizre et Sur ainsi que plusieurs prisonniers…

Sur le plan politique, le HDP et le BDP – partis pro-kurdes, présent pour le premier à l’assemblée nationale turque pour le premier des deux – sont sortis du silence et de la mollesse que de plus en plus de gens critiquaient ces derniers temps. Le co-président du HDP, Demirtaş, est monté au créneau en défendant l’autonomie des villes et quartiers, l’autodéfense et les fameux hendek. Les hendek sont, au choix, ces barricades de sacs de sable ou ces fossés creusés pour empêcher l’avancée des blindés et des flics, et font diablement polémiques dans les médias aux ordres du Sultan. Impression étrange que de voir Demirtaş appeler aux manifestations alors que tout indique sur les traits de son visage ou dans son regard qu’il sait qu’à coup quasi sûr il se prendra une balle dans les semaines ou mois à venir… Et pourtant, il a réagi… Et une partie du peuple et du mouvement kurde, un peu rassuré, va pouvoir prendre la rue, faire du bruit et montrer que les groupes d’autodéfense et les guerillas sont soutenus…

Manifestations à Amed : barricades et exécutions

Lundi 14 décembre, à Ofis, le quartier du centre de Diyarbakır. Enfin ce moment fort, attendu par un grand nombre de gens du mouvement kurde, se met en marche. Les commerces sont fermés. Les gens sont dans la rue. En début de cortège, « les mères », puis les autres venus de tout les coins de la ville. Le cortège est composé de jeunes, de femmes, d’enfants, des vieux, des hommes, ils et elles sont là pour dénoncer l’Etat de siège qui dure à Sur depuis des jours. Pour dénoncer la présence militaire, et policière dans toute la ville de Diyarbakır. Pour dénoncer la répression de l’Etat contre les villes kurdes ces derniers mois.

La ville continue à être transformée en zone de guerre par les flics. On y trouve tous les types de véhicules blindés possibles : les akrep (Les scorpions), kirpi (l’hérisson), kobra (cobra), des tanks, des panzer, des toma (canons à eau), les fords ranger des « escadrons de la mort », et toute une armada de policiers en kalach. Et tout ce matériel de mort se concrétise en arrestations et gardes-à-vue à foison, en perquisitions, en nuages de gaz à lacrymogènes sans fin, en arrosages non stop de cette satanée eau qui brûle, en survols d’hélico et d’avions de chasse, en tirs à balles réelles…

Mais la vraie crainte du peuple reste les véhicules ford rangers. Ces derniers, en effet, remplacent les beyaz toros (en l’occurence les Renault Toros) des années 90 qui servaient à kidnapper et à faire disparaître les militants kurdes. Le premier ministre actuel, Davutoğlu, a même menacé le printemps dernier, lors d’un de ses meetings à Van (habitants majoritairement kurdes), que si son parti, l’AKP, ne réussissait pas à avoir les 400 députés au parlement, les beyaz toros reviendraient rendre visite aux kurdes. Ces « escadrons de la mort » font partis des forces spéciales de l’État, ils n’hésitent pas à tirer sur les civils. Tous les jeunes abattus froidement dans les ruelles, ou sur les places l’ont été par cet « escadron ». Un jeune raconte : « On manifestait, on jetait des pierres sur les canons à eaux. On a vu la Ford Ranger arriver, on a su qu’il fallait courir. On a prit une ruelle, pas la bonne. J’entendais les tirs qui sifflaient à mes oreilles pour finir sur les murs. Notre camarade est tombé sous nos yeux. Touché à la tête, on pouvait rien faire. Ils continuaient de tirer. On s’est glissé contre les murs, ils continuaient à tirer. Je ne sais pas comment j’ai réussi à me faufiler, je m’en suis sorti. Pas comme mes deux camarades. » Deux jeunes meurent d’une balle dans la tête ce 14 décembre.

https://youtu.be/S4kRciwiink

Les forces spéciales tuent et sèment la terreur dans tout le Kurdistan. Pour affaiblir, pour traumatiser les gens, et les mettre sous silence. Cela a son effet : les gens ont peur…

…Mais pas suffisamment pour ne plus prendre la rue ! Tout les jours donc, depuis le 14 décembre, les gens se rassemblent pour marcher vers Sur. Conférences de presse à la va-vite en pleine rue devant les flics, sittings, slogans, applaudissements, sifflements, innombrables chants ponctuent les débuts de manifestations : « L’AKP et Daech sont main dans la main. Le PKK frappent ces deux porcs ! », « Nous sommes tous Sur, nous sommes tous en lutte ! », « Vive la révolte de Sur ! », « Le PKK c’est le peuple, et le peuple est là ! » Les habitants se réunissent autour de trois quartiers, pour ensuite converger vers Sur. Mais il arrive, malheureusement pas souvent, qu’ils réussissent à passer les barrières de la police. Pourtant l’idée de continuer à se retrouver tous les jours, en sachant la répression qui les attend, semble kamikaze, mais ils le disent eux-mêmes : « Nous avons pas d’autre choix que de dénoncer ce que fait l’État fasciste à son peuple. Cela fait combien de jours que l’État assiège toutes nos villes, nos quartiers ? Jusqu’à quand faut til qu’ils nous tuent pour que le monde se soulève ? » « Nous ne sommes pas nombreux, comment cela se fait t-il ? Pourquoi les gens ne sortent t-ils pas dans les rues avec nous ? »

Une fois que les gens se font disperser par la police, ils s’éparpillent dans les rues. Et circulent comme des passants lambda pour ne pas se faire repérer avant de se regrouper, d’enflammer des poubelles, de monter de petites barricades et de narguer les flics. Dès que les canons à eau passent à côté d’eux, des gamins âgés de 6 à 12 ans, bouteilles en verre à la main, se jettent sur leur cible. Ils loupent, reloupent quasiment à tous les coups et reviennent avec un sourire aux lèvres : « Oldî,oldî » (« C‘est bon ! C‘est bon ! » dans un mélange de turc et de kurde). Les gamins se font engueuler par un vieux qui leur dit de rentrer chez eux. Un gars, la trentaine, voit la scène, et intervient en lui disant : «  Au lieu de gueuler sur les gamins, vas plutôt gueuler sur la police. C’est eux les responsables. Laisse les gosses faire ce qu’ils ont à faire. » Dans toutes les rues, les manifestants les plus actifs sont les jeunes et les çocuklar, les enfants… Les femmes et les « mères » sont également bien présentes. On le voit et on nous le fait remarquer : « Ces femmes sont les piliers du mouvement, sans elles on s’écroulerait. Ces mères ont subi la perte de leur proche, elles ont rien à perdre. Au contraire, elles ont tout à gagner. Et elles ne lâcheront rien. » La jeunesse est aussi déterminé que les mères. Un manifestant insiste : « L’État ne sait pas ce qu’il fait. Il ne se rend pas bien compte de se qu’il est en train de recréer. Ces jeunes déterminés qui luttent contre l’État sont nés dans les années 90. Ils y ont perdu des oncles, leurs pères, leurs frères, leurs grand pères… Ils savent mieux que personnes ce que l’État représente pour eux. Et ils sont près à tout pour se défendre. Et l’État refait la même erreur aujourd’hui. »

Entre les manifs, la population n’oublie pas les şehit, les morts, assassinés par l’État. Des lieux de recueillement ont été mis en place par la mairie HDP de la ville. Les familles des victimes, pendant trois jours et trois nuits, sont visitées par les habitants touchées par la mort des jeunes. Ils viennent faire leur condoléance, manger ensemble, boire le thé, pleurer, faire des agit (« chants, pleur»). Il y a un lieu pour les femmes, un autre pour les hommes. Des centaines de personnes s’y bousculeront pendant ces trois jours.

Baston à Bağlar.

Bağlar est, avec Sur, le quartier le plus populaire du centre ville. C’est un gigantesque entrelacement d’immeubles et de ruelles. « Imprenable par la police ! » avertissent certains. Et c’est dans ce quartier pauvre que les habitants sont les plus actifs dans la lutte et contre la police. Tout le monde s’entraide, se prévient, se protège. Les petites rues voient très régulièrement pneus et poubelles brûler, à toutes heures du jour ou de la nuit. Les trottoirs sont dépavés et servent aux barricades de fortunes ou de projectiles contre les blindés. Chacun et chacune se rappellent des nuits du 6 et 7 octobre 2014, où le serhildanl’émeute, la révolte – pour Kobanê avait enflammé les cœurs. Ce que les jeunes attendent, c’est de refaire la même. De réussir à « maintenir un serhildan quotidien qui relierait Bağlar à Sur en passant par Ofis ».

Les fillettes cassent des briques à la sortie de l’école, et partent dans les rues les mains remplies de projectiles. Et des bandes de gamins hauts comme trois pommes d’à peine 5 ans se masquent le visage et hurlent des slogans antikeufs ! C’est hallucinant ! Les çocuklar sont chaud comme la braise. Au moins dans leurs intentions. Les journées paraissent calmes, mais tout le monde est aux aguets tant les flics peuvent surgir et gazer comme des porcs chaque recoins, balcons, cages d’escaliers : « il y avait tellement de gaz dans la rue que des copains sont tombés dans les pommes », témoigne un jeune du quartier.

Et quand la nuit tombe, les choses sérieuses commencent. Affrontements armés entre les flics et les jeunes les plus téméraires et organisés. La police ne parvient pas, la plupart du temps, à rentrer dans le quartier tant les moyens employés sont virulents. Le 15 décembre, en réponse au fait que les flics ont blessé par balle un jeune du coin, un des commissariats du quartier s’est fait attaqué au lance-roquette. Le même soir, un petit groupe de motivés s’en sont pris à un toma en balançant une bombe artisanale sous le véhicule qui roulait. Les nuits sont chaudes, et les habitants restent en veille pour soutenir leurs jeunes en cas de besoin… C’est bien à Bağlar, comme à Sur, que la révolte gronde. Que les plus pauvres réclament autonomie et liberté.

22 décembre : « aujourd’hui il n’y a pas école… »

Deux nouveaux jeunes tués ce 22 décembre dans les rues de Diyarbakır. L’un, Şiyar Baran, n’avait que 13 ans tandis que l’autre, Serhat Doğan, abattu d’une balle dans la tête, en avait 19.

Aujourd’hui il n’y avait pas école. Et pour cause, les habitants de la capitale kurde avaient décidés de faire ville morte pour protester contre le siège du quartier de Sur et contre la terreur d’État qui s’installe chaque jour plus profondément au Kurdistan. Quasiment tous les commerces sont fermés, les centres commerciaux ont même suivi le mouvement, les gens ne sont pas allés travailler. Et il y a cette fois-ci encore un peu plus de monde à la manifestation du jour. Plus de 5000 personnes devant la mairie qui se mettent à marcher en direction de Dağkapı et les murailles de la vieille ville. Le dispositif policier est impressionnant de tous côtés. Seule une petite rue perpendiculaire au boulevard n’est pas bloquée. Le cortège s’y engouffre et déjà la police se met à gazer et à balancer son eau qui brûle depuis les nombreux toma qui ratissent toutes les rues des quartiers alentours. Les flics barbus de l’AKP, aux commandes de l’opération, peuvent se réjouir de leur travail : ils ont dispersés en deux deux la manifestation. Mais pourtant, après s’être cachés dans les cages d’escaliers ou les appartements voisins pour reprendre souffle et courage, les manifestants et les badauds convergent vers le centre où un nouveau rencard a été donné pour se retrouver. Et à Ofis, c’est la même que d’habitude : affrontements, répressions, caillasses, gaz, barricades, çocuklar et jeunes contre policiers AKPistes et barbus.

Tandis que les affrontements continuent, des rumeurs de hendek en train de se monter dans d’autres quartiers de Diyarbakır commencent à circuler. Reste à voir ce qu’il en sera dans les jours suivants. En attendant, les assassins professionnels, les escadrons de la mort turcs, sont encore sortis de leurs 4×4 noirs pour tuer efficacement et froidement les jeunes manifestants pour la liberté. Et de ce point de vue, le bilan de la journée est encore terriblement bien lourd : à Amed, 2 jeunes sont tombés sous les balles de l’Etat. Tandis que dans le reste du pays, 5 civils se sont faits tués à Cizre, 2 à Nusaybin, 1 à Silopi, 1 à Tarsus et 2 à Istanbul. Gageons qu’ils seront vengés. Quelques heures après leur mort, à la nuit tombée, des jeunes attaquent déjà le commissariat de leur quartier à Bağlar…

[International] Mettre la pression sur l’Etat turc, une idée qui fait son chemin

12347884_1089819834375502_9046324148922912243_n

Depuis une semaine, des manifestations ont eu lieu un peu partout en Europe en solidarité avec le mouvement kurde que le gouvernement Erdogan veut écraser dans le sang. Un certain nombre de personnes ont exprimé leur soutien en manifestant en Allemagne, quelques-unes en France (comme à Paris ou Marseille), à Londres et même en Australie !

D’autres ont choisi des actions plus directes comme les Anonymous qui ont choisit d’attaquer les sites de l’Etat turc. Mais aussi comme les personnes qui sont allées redécorer le consulat turc de Lyon ou lancer des cocktails molotovs sur celui de Thessalonique en Grèce

12321534_1089819814375504_6719252602522373655_n

 

 

 

La situation à Suruç (décembre 2015)

suruç

Cinq mois après l’attentat qui a pris la vie de 33 jeunes turcs au centre culturel Amara de Suruç, la population continue à vivre avec ce trauma. La plupart des réfugiés sont retournés à Kobanê, les camps gérés par la mairie HDP ce sont quasiment vidés. Et la situation de cette petite ville-frontière de 100000 habitants s’est normalisée. Il n’y a plus d’internationaux venus filer un coup de main pour le Rojava. La vie suit son court… Et le travail des flics également, comme partout ailleurs dans le pays : terreur d’Etat ! Une cinquantaine de membres du HDP (le parti pro-kurde) ont été arrêtés la semaine dernière, puis relâchés, avec pour certains l’obligation d’aller pointer plusieurs fois par jours. Le co-maire de la ville est recherché par les keufs qui l’accusent simplement de terrorisme pour être mis en taule. Il a préféré se faire la malle pour se mettre à l’abri. Certains de ses adjoints ont fait de même. Il n’y a plus de mairie donc, et cela devient sujet à blagues : « Si tu sais pas quoi faire, tu peux devenir le maire ! » se disent les habitants entre-eux pour dédramatiser et continuer à rire un peu. La plupart des volontaires et militants un peu actifs autour des camps de réfugiés sont eux aussi arrêtés, gardés-à-vue, puis relâchés et à nouveau recherchés pour les épuiser. Et pour en finir avec cette longue liste des personnes arrêtées, on ne peut oublier de mentionner les frères et sœurs, les familles des jeunes socialistes turcs assassinés lors de l’attentat du 20 juillet. Le climat est tendu et difficile pour tout le monde et les habitants ont peur. Même les derniers habitants du camp de réfugiés Şehit Gelhat reçoivent la visite de plus de 200 militaires : ces derniers y recherchaient quelqu’un. Ils font chou blanc et, du coup, se venge sur le camp, en détruisant l’école et les blocs sanitaires…

Telle est la situation au 15 décembre. Pour autant, comme partout ailleurs au Kurdistan, Suruç ne baisse ni les bras ni la tête. Des manifestations sont prévues pour les jours prochains…

Etat de siège à Diyarbakır : la sale guerre de l’Etat turc s’intensifie (1ère partie)

sursaldc4b1rc4b1sc4b1

Depuis juin dernier, l’Etat turc et ses flics – se réclamant pour un certain nombre de Daech – font monter la pression au Kurdistan. Certaines villes et quartiers du Kurdistan déclarent en effet leur autonomie en écho au mouvement autogestionnaire qui voit le jour au Rojava (Kurdistan syrien) et cela ne plaît pas du tout au président-dictateur Erdoğan et à ses collègues de la bourgeoisie turque. Leur réponse est la reprise de la « sale guerre » des années 90 que leurs prédécesseurs avaient menée contre le peuple kurde. Cela se concrétise par des centaines de couvre-feux de plusieurs jours à de nombreux endroits, ainsi que le sièges de villes et quartiers. [Un article sur le site Susam-sokak reprend ça en détail ; voir aussi Kedistan.fr]. Neuf jours de siège à Cizre (120000 habitants) pour y exterminer les « terroristes » kurdes [sic] en septembre. Puis Silvan en novembre où les tanks turcs ont détruits 3 quartiers. Puis Nusaybin, Mardin,… et Diyarbakır, la plus grande ville du Kurdistan (850000 hab.) que beaucoup considèrent comme la « capitale » du peuple kurde… Diyarbakır (Amed en kurde), plus précisément, Sur, le quartier de la vieille ville fortifiée, un symbole historique et l’un des trois « cœurs » de Diyarbakır avec les quartiers d’Ofis et de Bağlar. Sur, sa population pauvre et son labyrinthe de ruelles, coupée du reste de la ville…

Voici un récit des journées du au 11 décembre.

8 décembre : Sur sous les bombes et les balles
IMG+5843

Sur, la vieille ville fortifiée de Diyarbakır, est assiégée par les forces armées de l’État turc depuis maintenant 7 jours consécutifs. Nous voulions nous rendre dans le quartier comme à notre dernière visite il y a quelques mois. Mais aujourd’hui, impossible d’avancer plus loin que sur le trottoir en face de l’historique muraille. Pour qui y a déjà été, les souvenirs reviennent vite, il n’y a pas à dire ce quartier il est difficile de ne pas aimer y venir et s’y perdre dans ses ruelles. On y trouve, en temps normal, des vendeurs de racines et leurs charrettes en bois, des boissons chaudes improbables, des échoppes par milliers, des terrasses où l’on boit le thé sans soif ni fin, des femmes marchant avec leur gosses ou leurs copines bras dessus bras dessous, des vieux en train de glander allongés sur l’herbe, des jeunes rigolant en pagaille… Sur !

Et ce que l’on peut voir aujourd’hui est maalesef à des années-lumière de tout ça. Les commerces sont fermés, plus personne dans les rues, impossible de franchir Dağkapı, une des portes de la vieille ville. Tout accès est bloqué. La meydan, la place, par laquelle on accède à la vieille ville, habituellement pleine de gens, est vide : un chien errant essaye de trouver un passage à travers les barrières de police, panique un instant, et parvient enfin à trouver à une sortie au piège dans lequel il était pris. Les flics en civil, kalach’ à la main, font face aux passants qui les regardent inquiets. D’autres keufs patrouillent dans leurs panzer (blindés de la police) ou dans leurs toma (canons à eau utilisés au quotidien). C’est ce que l’on peut voir du siège de Sur. Tout a bien changé en l’espace de quelques mois : à l’extérieur de la vieille ville, malgré une ambiance pesante, les gens continuent de vivre leur quotidien quasi « normalement », à ceci près que chacun entend tirs en rafales, grondements et explosions, chacun voit des colonnes de fumée noircir le ciel. Les gens qu’on croise et rencontre, racontent tous les mêmes choses. Nous en partageons les quelques bribes qui nous sont parvenues : les forces spéciales balancent en effet des bombes par hélicoptère sur les habitant.e.s et les camarades qui résistent à l’intérieur. Et même une mosquée de Sur, monument qui date de plus de 500 ans, a été littéralement soufflée par une bombe des flics. Les pompiers venus pour éteindre la mosquée en feu, n’ont eu droit qu’à une seul mot des forces spéciales : « Laissez ! Cette ville de sales bâtards devrait cramer en entier »… Face à cela, des guerillas et des jeunes des YDG-H sont venus aider à défendre le quartier. On nous dit qu’ils et elles sont à peine 200, mais se relayent par groupe de 10 ou 15 à tenir les positions. Les forces spéciales qui font le siège n’arrivent pas à rentrer et se font régulièrement mettre à l’amende (blindés détruits, keufs blessés ou tués). Les guerillas ne sont pas les seuls à défendre le quartier : des habitantes de Sur de tous âges, elles aussi, aident à monter les barricades de sacs de sable et prennent les armes pour se défendre.

Aujourd’hui, ce 8 novembre, quelques centaines d’habitants ont manifesté dans le quartier d’Ofis pour dénoncer ce sièges qui n’en finit plus. La foule a forcé le barrage des flics, les jeunes ont dressé des barricades et ont attaqué la police. Mais les keufs sont arrivés en mode commando, ont gazé comme des porcs, utilisé leurs canons à eaux, tiré avec leurs flash-ball, et également à balles réelles : un jeune de 14 ans a été touché par une balle, il est mort quelques heures plus tard. Plusieurs témoignages précisent que les assassins du jeune sont des flics spéciaux, sortes de barbouzes, sortant d’un gros 4×4 noir banalisé et vitres teintées qui rode souvent aux alentours des manifs…

Une personne, habitant non loin de Sur, concluera cette journée : « On s’endort avec le bruit des tirs… Et on se réveille avec le bruit des tirs. »

9 décembre : le reste de la ville sous les gaz

Comme tous les jours, aujourd’hui encore les avions de chasse survolent la ville et maintiennent une pression psychologique par le boucan qu’ils font. C’est aussi la 8ème journée consécutive de siège du quartier de Sur. Le fracas des explosions et le bruit des rafales retentissent toujours, les nuages de fumée montent vers le ciel derrière les murailles de la vieille ville fortifiée. A midi, en parlant avec un vendeur de journaux à Ofis, nous apprenons qu’une manifestation a lieu une heure plus tard pas loin de là où nous nous trouvons. Nous nous y rendons. Les flics sont partout : blindés, canons à eau, police anti-émeute, keufs en civil kalash’ à la main. Il s’agit pour la petite centaine de courageuses et de courageux du jour de faire entendre les revendications suivantes : la libération d’Abdullah Öcalan – toujours prisonnier sur une île turque dont il est le seul résident depuis 1999 et dont plus personne n’a de nouvelles depuis avril dernier – ; la reprise des négociations pour la paix ; et la reconnaissance d’autonomie formulée par les villes et les quartiers du Kurdistan par l’État turc. Autant dire que c’est tendu et stressant, les flics instaurant là encore une ambiance de petite terreur. Le rassemblement s’ébroue et commence à partir en manif. La police menace en hurlant dans les hauts-parleurs que manifester est interdit (comme en France !) et les blindés et les casqués se lancent illico à la poursuite de la déambulation. Les manifestants décident de ne faire qu’un tour de pâté de maison pour calmer les ardeurs de la flicaille, ne pas lui permettre de gazer, tabasser et tirer dans le tas une fois de plus. Une demi-heure plus tard, après sitting et prises de paroles, les manifestants se dispersent. Nous partons nous balader dans les quartiers alentours. Quelques heures plus tard nous avons à nouveau droit au gaz lacrymogène. Toutes les rues que nous empruntons en sont gavées. Les nombreux passants – pères de familles, lycéennes, vieilles femmes – pleurent tout comme nous. Personne ne sait vraiment ni où ni pour quelles raisons les keufs ont gazé depuis leurs blindés. Ce gaz se répand partout, il est invisible et met du temps à s’évaporer. On nous dira le lendemain que c’est un gaz d’un type nouveau, et bien plus puissant qu’avant : « Ça fait 22 ans que je suis là et que je respire du gaz, celui-ci est pire que les précédent… »

10 décembre : solidarité avec les assiégés

IMG 5891
diyarbakir 8aralik 5
13 heures. Manifestation aujourd’hui en solidarité avec les habitants et les camarades qui résistent

aux assauts de l’État dans Sur. 500 à 600 personnes, à peine, devant la Porte d’Urfa de la citadelle. Gros dispositif policier, comme d’habitude. Mais qui ne suffit pas à démotiver les manifestants qui font face. Ça tape sur les rideaux de fer baissés, ça siffle et frappe dans les mains pour faire un maximum de bruit et se faire entendre depuis l’intérieur. Ça ressemble quasiment à une manif devant une taule en soutien aux prisonniers. Beaucoup de jeunes voire de très jeunes, de 8 à 14 ans, qui courent en ribambelle. Comme le fait remarquer un manifestant, « Ce sont les mères et les enfants qui nous aident à tenir moralement. La vraie force ce sont eux ». Un bon paquet, aussi, de grand-mère remontées par des décennies de massacre, de tortures, de taules et d’humiliations racistes au quotidien.

Le face à face avec les flics dure bien deux heures : la police menacent régulièrement d’attaquer la manifestation car elle est interdite (comme en France !) ; les cocuklar, les enfants, s’échauffent et commencent à dépaver et briser les briques pour en faire des projectiles ; les adultes calment le jeu et appellent tout le monde à venir s’asseoir et chanter la guerilla au plus près des flics. Et dans les temps morts ça discute. Un certain nombre de personnes s’énervent contre le fait qu’il y a vraiment peu de monde, comme le fait ce père de famille : « Mais où sont les autres ? Cette ville est gigantesque et nous ne sommes que 500. Que font les autres ? Ils boivent du thé ? » Et c’est vrai que la question se pose. L’État turc joue la carte de la terreur et de l’épuisement : il tente de diviser le mouvement en effrayant le plus grand nombre. Tous les États procèdent ainsi, ce n’est pas nouveau, mais le phénomène semble visible de manière cruciale en ce moment à Diyarbakır. La plupart des discussions tournent autour des questions de la paix et de la guerre. « Faut il attendre encore avant d’assumer franchement la guerre qui nous est faite ? » ; « La paix, il faut œuvrer à la paix et ne pas céder aux provocations de l’État » ; « D’accord, mais en attendant, ils tuent tous les jours plusieurs de nos jeunes » ; « Est-ce que le PKK et les YDG-H adoptent la bonne stratégie ? L’autodéfense des villes et des quartiers, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? » ; « Il n’est pas possible de baisser la tête devant Daech et Erdoğan ! »… etc. Telles sont les discussions, les questionnements, les prises de têtes du moment.

Cinq cocuklar de 9 à 13 ans lancent un chant révolutionnaire, la foule les reprend en chœur. Puis d’autres jeunes allument deux grands feux à même la chaussée. Vieux frigos déglingués et autres débris font de bons combustibles. Mais ça ne plaît pas aux larbins du Sultan. Quelques minutes après ils chargent avec canons à eau et blindés lanceurs de gaz. Nous partons en courant dans les petites rues avant de se disperser.

11 décembre : État de siège et arnaque tactique

Toujours être entre guerre et paix. Telle semble être la stratégie de l’État turc et de ses forces spéciales. Hier au soir, il annonçait la levée du siège de Sur, mais ce n’était malheureusement que de la poudre aux yeux. Comme nous avons pu le constater en nous y rendant. Toujours être entre guerre et paix pour fatiguer, déstabiliser et faire tergiverser le mouvement kurde…

Nous nous dirigeons ver Sur, donc. Pour fêter la fin du siège, croyions nous.

Nous arrivons au meydan, les grilles de la police barrent toujours l’accès. Ce premier signe montre qu’il y a anguille sous roche. Et second signe : fouille à l’entrée, palpage et vérification des identités des personnes qui veulent rentrer dans Sur. Passeport européen, c’est louche, une vérification plus poussée. Avant de rentrer, par simple provocation, ou simple envie de comprendre leur présence dans un quartier où la levée de l’interdiction a été annoncée : « Pourquoi vous êtes toujours là ? » « Nous sommes là contre la terreur »… Ah ! Une fois dans les rues où plus personne ne pouvait circuler depuis des jours, on comprend rapidement avec tristesse et colère, en voyant la multitude des forces de police, que ce n’est pas du tout une levée d’interdiction. C’est juste une « pause » avoueront rapidement les forces spéciales. Toutes les rues sont bloquées par des tireurs, qui ont le doigt sur la détente, près à tirer. Des agents cagoulés avec des kalashs à la main. Des tanks, des canons à eaux, et d’autres véhicules blindés… Si tu veux continuer à te déplacer ou emprunter une rue, les contrôles se font encore. Peu de commerces sont ouverts, peut-être un sur quatre. Les animaux enfin sont sans doute un bon indicateur sur l’ambiance de ces sales derniers jours : des cadavres de chats à même la rue, et les chats survivants semblent malades et affamés.

On atterrit à la terrasse d’un café au cœur de la vieille ville. Des femmes arrivent, se posent à côté de nous. Abattues. Elles parlent en kurde, et nous traduisent en turc leurs discussions : « On a entendu hier soir la levée du siège. On vient voir, et la déception est doublement douloureuse. Ça présage rien de bon. Les fouilles, les policiers, les tanks, partout. Quel sens ça donne à cette soit disant levée dinterdiction ? On ne peut même pas rentrer dans Sur. Vous imaginez ce que vivent les gens encerclés par les forces de l’État ? Ils sont sans eau, sans électricité, sans nourriture depuis neufs jours. Les seuls à se battre ce sont eux, nos jeunes. Et tout les autres ? Où sont tils ? Hein ? Je vous le demande !  Certains veulent la paix, la paix sociale, un accord qu’on attend, qui se ferait avec l’État, mais qui n’arrive pas. Et d’autres veulent se battre, faire la guerre, pour enfin avoir la paix : nos jeunes. Ils sont plus courageux que bien d’autres. Eux se battent pour nous défendre, pour qu’on puisse exister librement ». Comme d’autres ces derniers temps, elles critiquent le HDP pour la mollesse dans leurs propos « La paix avant tout », « Restez chez vous », et soulignent que ça casse le mouvement du peuple en le rendant plus frileux. Puis les femmes nous embrassent et s’en vont. Nous nous remettons en chemin. Et rapidement nous pouvons voir des maisons vides où il y eu des affrontements, les vitres sont brisés, des centaines de douilles de balles gisent au sol, et les sacs de sables se font plus nombreux. Pour celles et ceux qui continuer à s’aventurer près des zones d’affrontement, le risque de contrôle est grand. Et ça l’est encore plus pour les étrangers vus comme une réelle menace par les forces spéciales de la police du Sultan – journalistes, espions, pkk’lı, allez savoir ce que s’imaginent ces criminels… Une fouille de sac et ils sont toujours plus tendus, plus menaçants quand ils tombent sur un appareil photo ou un enregistreur audio : ça les fait psychoter. Expliquer le fait d’être des touristes ou simplement venu voir la famille n’évacuent pas toute méfiance. Heureusement ni photos compromettantes ni sons politiquement pas clairs. Ils hésitent et demandent à coup sûr ce que des yabanci, des étrangers, foutent dans les quartiers d’ici. Et bien on a plus le droit de circuler ou quoi ! Et si vous avez la malchance d’être français, le chef en cagoule finira par lancer menaçant :  « Vous voyez, en France, votre pays a déclaré 3 mois de couvre feu avec possibilité de prolonger à 6 mois. Ici en Turquie, nous sommes dans un vrai pays de droits. C’est un des pays le plus libre du monde. Tout le monde peut se déplacer librement. » Et oui, ça donnerait presque envie d’éclater de rire ! Même si ça peut être étonnant de voir qu’il connaît ce qu’il se passe en France et qu’il n’a pas tort.

Vite sortir de la souricière et de Sur, il y a vraiment des flics partout. Ce n’était effectivement qu’une arnaque tactique policière : permettre aux habitants qui le souhaitent de partir de chez eux, et ainsi, tenter d’approfondir la distance entre guerilla et peuple. Direction la sortie, donc. Dans la rue qu’on emprunte, une femme parle fort, avec sa fille qui l’accompagne et dit : « Sur est en État de siège depuis 9 jours, et le gouvernement n’a pas réussi à avancer d’un pas dans ces rues. Enragé, l’État et sa force armée sont près à tout dévaster pour avoir le dernier mot, il y a qu’à voir les photos. Ils veulent rentrer avec les tanks et les chars, mais la zone est maintenue par les forces du YDGH et du PKK avec des barricades, et des armes. Les habitants restant, soignent et soutiennent les combattants. Et là, ils font semblant d’enlever l’interdiction, pour vider les habitants restants et pour attaquer avec plus de violence Sur. Vous avez rien vu de ce qu’ils ont fait dedans. Allez voir là où ils interdissent l’accès. Ils ont tout démolit, et incendié. Que veux l’État ? Nous anéantir, en nous faisons passer pour des terroristes ? Je reviens de l’intérieur, j’habite dans ce quartier qu’ils ont saccagé avec la même violence et la même mentalité que Daesh. Et ils disent qu’ils sont là pour nous protéger. Ils veulent nous tuer un par un. Mais on continuera de résister. Pardon je vous parle, mais je sais même pas si vous êtes policiers ou agents de l’État. Mais ça m’est égal, j’en peux plus. » Elles nous disent qu’elles ont pris des photos de l’intérieur, et qu’elles veulent nous les envoyer, et faire entendre à l’Europe la terreur de l’État turc sur le peuple kurde.

[2ème partie à venir…]

 

Entretien autour des YDG-H, les groupes d’autodéfense des quartiers au Kurdistan

Nous rencontrons A. le 10 décembre lors d’une manifestation en solidarité avec les habitants et les camarades assiégés dans la vieille ville de Sur à Diyarbakır. Il y a environ 500-600 personnes présentes et qui avancent vers les flics barrant la route, qui chantent et lancent des slogans. Là, au milieu de la foule, un jeune garçon d’à peine 14 ans nous intrigue. Sur sa main, entre le pouce et l’index, trois points tatoués qui nous rappellent immédiatement les trois points du « mort aux vaches » de par chez nous. Intimidé par notre intérêt, ce sont les jeunes hommes à côté de lui qui répondent à notre curiosité. Oui, c’est bien un tatouage anti-flic : un point pour « je n’ai rien vu », un autre pour « je n’ai rien entendu », et le dernier pour « je n’ai rien à dire », face à la police, pas de poukave, pas de balance ! La discussion est lancée avec ce petit groupe de manifestants. Mais c’est avec A., 25 ans, qu’elle durera le plus longtemps. Il nous dit que sa sœur, engagée dans la guerilla depuis longtemps, est sûrement de l’autre côté du barrage de keufs, de l’autre côté de la muraille, en train de se battre. Il n’a pas de réelles nouvelles mais a cru comprendre qu’elle se trouvaient dans le coin de Diyarbakır, alors il vient la soutenir de l’autre côté. La discussion est tout de suite prenante et nous lui proposons de faire, au cœur de la manif, un petit entretien autour des YDG-H, les groupes d’autodéfense armée des quartiers composés par les jeunes qui y habitent…

Peux-tu nous expliquer ce qu’est le mouvement YDG-H (Yurtsever Devrimci Gençlik Hareket, en gros le « Mouvement de la jeunesse révolutionnaire patriote ») ? Est-ce que c’est une sorte de mouvement d’autodéfense des quartiers ?

Le YDG-H est un mouvement qui est né dans les régions kurdes, pour protéger la culture et le peuple kurde. En ce moment, on peut les voir agir à Diyarbakır et dans tout le Kurdistan pour défendre les valeurs d’émancipation sociale du peuple.

Ce mouvement est-il lié au PKK ?

Ce n’est pas une branche du PKK, mais vu que c’est un mouvement de guérilla, pour ce qui est de l’aspect technique des choses le PKK aide à former les YDG-H au combat. Le YDG-H se forme dans les montagnes, et vient ensuite défendre le peuple dans les zones urbaines.

On peut donner un exemple pour faire une comparaison : c’est un peu comme dans les années 90, quand le PKK avait été aidé dans sa formation par le mouvement TIKKO (parti marxiste-léniniste maoïste). Ils n’ont pas les mêmes idéologies, mais se retrouvent sur plusieurs aspects, d’avoir le même ennemi, de vouloir défendre leur peuple, et de vouloir la libération des peuples.
Les PKK’li restent les guerillas des montagnes, et les YDG-H sont les guerillas urbains. Contre toutes les oppressions qu’on subit, les gardes-à-vue, les perquisitions à répétitions, les enfermements, et bien d’autres injustices, ces guerillas sont là pour l’autodéfense, et défendre le peuple.

Le gouvernement dit qu’il est là pour protéger le peuple, qu’il est là pour faire valoir les droits de chacun, et que rien ne va dans ce sens, c’est de là que vient ce mouvement. Imaginons un chat, si on l’attaque il sort ses griffes, c’est instinctif, c’est de la défense. Et d’une façon normal et naturelle, contre toutes ces attaques de l’État, il a été vital d’avoir une protection du peuple dans les quartiers.

Concrètement comment ça s’organise ? C’est un groupe de potes qui se retrouvent et qui décident d’aller se former à la montagne ? Il y a différents groupes qui se coordonnent comme ça ?

Ces organisations se sont créées dans les quartiers. Ces groupes se sont formés d’abord pour lutter contre la prostitution et la drogue dans leurs quartiers. Les jeunes disent : « nous, on ne veut pas de drogue chez nous ! » en prenant en considération les ravages que ça provoque sur les gens. Ils disent qu’ils ne veulent pas être exploités, ni exploiter. Ils veulent du coup protéger le quartier de tout ce qui pourrait les fragiliser dans leur émancipation. De là naît le mouvement des YDG-H.

Faut pas croire que ces jeunes sont des jeunes « voyous », où se baladent les bras ballant sans rien comprendre à se qui les entours. Ce sont des jeunes qui sortent de différentes organisations. Ils ont étudié leur histoire, connaissent leur culture, étudient leur peuple, et de cette façon décident et réfléchissent à comment défendre tout cela. En réalité, ils travaillent et s’activent à faciliter l’émancipation des gens dans nos quartiers. Mais ces derniers mois, ils sont malheureusement contraints de ne se pencher que sur la question de l’autodéfense.

Et si les manifestations se font de plus en plus grandes au Kurdistan, ces dernières années, c’est aussi dû à l’histoire. Le gouvernement turc scandait, après les massacres perpétrés dans les années 80-90 : « Nous avons bien enterré le peuple kurde, et avec tout le ciment que nous avons versé sur leur tombe, ils ne sont pas près de se relever. ». Et notre leader [Abdullah Öcalan], nous a fait relevé la tête. Et les YDG-H ne s’arrêteront plus dans leur lutte.

Il y a le leader qui motive et active les actions des uns et des autres mais pas seulement. Il y a aussi la présence du gouvernement sur nos terres qui devient de plus en plus absurde. Aucune solution n’est trouvé pour les difficultés que rencontre le peuple dans les quartiers, alors les gens veulent s’autonomiser, et se débrouiller par eux-même. Le gouvernement ici, attaque et massacre son peuple, d’une manière de plus en plus violente et terrifiante. Du coup, oui, ça s’organise, oui, ça se bat, oui, on essaye de nous défendre comme on peut.

Ce que nous n’arrivons pas à comprendre à propos des YDG-H, c’est si ce sont des petits groupes qui sont fédérés, mais qui ont aussi leurs propres initiatives ? Par exemple ceux de Bağlar, ceux de Ofis, ceux de Sur [différents quartiers de Diyarbakır]… ou si c’est au niveau de Diyarbakır, ou de plus haut que les décisions sont prises ?

Ce sont des petits groupes qui s’organisent. Par exemple à Bağlar des groupes se rencontrent et s’organisent, à Sur aussi, et dans différents autres quartiers de Diyarbakır. Ce sont des groupes d’une dizaine, d’une quinzaine de personnes. Et ensuite dans ces groupes de personnes, certaines d’entre-elles se portent volontaire pour porter la parole des uns et des autres… Et ceux qui portent la parole se réunissent pour proposer les différentes idées de manifestations qui ont été discutées avant dans chacun des groupes. Si l’action doit se faire à Bağlar, ça se fait là, si c’est ailleurs ça se fait ailleurs… Les décisions sont prises comme ça. Mais aussi au moyen des outils technologiques d’aujourd’hui. Mais je voudrais préciser aussi, que dans beaucoup de manifestations ou de rassemblements, il n’y a pas forcément des membres du YDG-H, ou très peu. Parfois il va y avoir une initiative, un membre d’un groupe va la proposer, et ça va pousser les autres à participer à la manif. Et du point de vue technique, comme ils ont été formés aux armes ils savent ceux qu’ils ont à faire au moment voulu.

Du coup, ils sont tous formés ? Quand on voit comme tout à l’heure le gamin de 13 ans qui jettent des cailloux, est ce qu’il peut intégrer les YDG-H s’il en avait 16 ?

Non, ce n’est pas comme ça. Comme je l’ai dit au début, tous les jeunes de quartier ne sont pas du YDG-H. Ceux qui jettent les pierres ce sont ces gamins qui subissent aussi la répression, les gardes-à-vue, et la terreur de l’Etat. C’est des jeunes qui se défendent aussi mais qui ne font pas parti du YDG-H. Dans les quartiers, il y a des initiatives de groupes de jeunes, ils agissent de la manière qu’ils trouvent le plus juste.

Est ce qu’il y a d’autres forme d’autodéfense dans les quartiers ? Par exemple chez les plus jeunes ?

L’une des luttes qu’on mène aujourd’hui, c’est pour la libération de notre leader, mais aussi pour autonomiser nos territoires. Les jeunes sont souvent dans des groupes politisés, ils organisent aussi des manifestations, des rassemblements, qui va faire bouger le peuple de chez eux. Mais les jeunes YDG-H qui font des actions armées ne divulguent pas leurs actions aux habitants. Le peuple, et les différents partis politiques ne sont pas avertis de leur mouvement, ça vient de leur initiative propre.

Juste pour dire aussi qu’un gamin de 13 ans qui va jeter son caillou c’est une initiative personnelle. Là par exemple le rassemblement d’aujourd’hui, personnes n’était vraiment au courant de cette initiative hier, chacun va s’informer, de bouche à oreille, et voilà qu’on est environ 500 à être réunis.

Est-ce que tu fais partie d’autres organisations civiles, légales ou non ?

Je suis les réseaux sociaux, et je me tiens informé, et je viens dès que je peux. Je ne mets aucune importance sur la question légale ou non. Là, nous sommes ici, à cette manifestation, et si on subit des attaques, ben, on pensera à se défendre.

J’avais cru voir qu’il y avait des YDG-KH, est-ce qu’il y a des femmes dedans ? Et si ça existe est-ce que c’est comme les YPG et les YPJ [les Unités de protection du peuple du Rojava], avec une organisation mixte et une autre que de femmes ?

Oui oui, le groupe des YDG-KH existe. J’ai un exemple, cette année à Cizre, une famille a voulu marier leur fille adolescente qui ne voulait pas, et le groupe est intervenue dans le mariage, et ont sauvé la jeune fille. Le YDG-H c’est comme le PKK, qui a dedans d’autres groupes, comme le groupe d’autodéfense des femmes. Ce sont des groupes qui existent face à toutes les saloperies faites au peuple kurde.

Y a-t-il des groupes composés uniquement de femmes ?

Oui, y a des groupes non mixte. Elles ont leurs propres formation, théorique et technique. Parfois les YDG-H et les YDG-KH se retrouvent aussi à mener des actions ensemble.

Il y en a ici à Diyarbakır ?

Oui, y en a oui.

Est-ce qu’on voit les YDG-H souvent à l’action ?

On en sait rien, en fait ! Il y a une personne membre qui pourrait s’asseoir avec vous, discuter, et faire partie du YDGH, et vous n’en sauriez rien. J’ai l’impression que vous voulez savoir si les personnes duYDG-H ont une identité : et bien non, ils ne tiennent pas à avoir une identité. C’est seulement une organisation illégale. Et ce, pour par qu’on les démasque. Les réflexions en ce moment sont porté sur l’autodéfense, mais dans l’idée les YDG-H aimeraient étendre leurs savoirs du côté de chez les Turcs aussi, car eux aussi peuvent subir comme nous un jour des attaques de l’Etat.

pkk-youth-fight-for-autonomy-in-turkey-1423855333