Une Commune au Rojava ?

Nous reproduisons des extraits ce texte parce ce que nous voulons construire des liens de solidarité non pas dans l’angélisme ou le romantisme mais dans la construction commune d’un mouvement qui sait se remettre en question, qui sait entendre et formuler des critiques. Dans le texte suivant l’auteur doute notamment du fait que le modèle de confédéralisme se propage dans la région en raison des tensions existantes entre PYD et groupes arabes, et qui sont liées aux choix du PYD face à Bachar al-Assad.

Classe et économie au Rojava
[…] Le système capitaliste n’a pas beaucoup progressé au Rojava. C’est essentiellement une région agricole avec la présence d’une petite classe ouvrière moderne. Mais le Rojava reste une région très productive. Dans la Syrie ba’athiste, le Rojava pouvait être comparé à une colonie intérieure. La région produisait des matières premières comme le blé et le pétrole qui était transformées ailleurs. Öcalan a décrit la situation socio-économique du Rojava comme étant composée, d’une part, d’unités économiques basées sur la famille, et d’autre part, d’une économie d’Etat.

La vision d’Öcalan d’une alternative socio-économique de ces conditions peut être décrite comme social-démocrate : « selon moi, la justice exige qu’un travail créatif devrait être comptabilisé en fonction de sa contribution au processus total de production. La rémunération du travail créatif, qui contribue à la productivité de la société, devrait se faire proportionnellement aux autres activités créatives. Garantir un emploi à chacun.e devrait devenir une tâche publique générale. Tout le monde devrait pouvoir participer au système de santé, d’éducation, au sport et à l’art, selon ses capacités et ses besoins. »

Les propositions économiques relativement vagues du PYD pour le Rojava peuvent être aussi considérées comme sociales-démocrates. Le but est d’arriver à une économie mixte avec une forte présence des services sociaux. Le “Contrat social” du Rojava déclare que les ressources naturelles et la terre appartiennent au peuple et que son exploitation doit être régulée par des lois.

En même temps, le contrat protège la propriété privée et personne ne devrait être exproprié. Près de 20% des terres du Rojava sont entre les mains de propriétaires. Les anciennes fermes d’Etat ont été distribuées à des familles pauvres. La création de coopératives est encouragée par le Tev-Dem (Tevgera Civaka Demokratîk, ou le mouvement pour une société démocratique), structure gouvernementale du Rojava. A long terme, les coopératives devraient devenir le mode d’organisation majoritaire des entreprises.

Le PYD parle d’une nouvelle expérience au Rojava, une nouvelle sorte de révolution qui aurait tiré les leçons de l’échec d’autres mouvements passés. D’où la décision de ne pas exproprier les biens en utilisant la force, afin d’éviter l’autoritarisme qui a défiguré la tentative d’établir le socialisme par le passé. Le refus du PYD d’expulser complètement les forces de l’armée syrienne du Rojava, et donc de se joindre aux insurgés contre le régime d’Assad, est basée sur le même refus d’utiliser la force. Cependant, c’est le soulèvement contre l’Etat syrien qui a donné au mouvement kurde la possibilité de prendre le contrôle sur le Rojava, puisque le régime d’Assad a décidé de se concentrer sur le front contre les insurgés.

Nous devrions être attentifs à ne pas projeter d’idées européo-centrées de révolution socialiste sur ce qui se passe au Rojava. Mais en l’absence d’une classe ouvrière qui dans sa lutte pour une auto-émancipation aurait pu être le moteur d’un changement social, il est clair que c’est le PYD lui-même qui s’apprête à jouer ce rôle décisif. Avant d’être largement effacée par les contre révolutionnaires – le régime d’Assad d’un coté, et le djihadisme salafiste de l’autre — l’auto-organisation était un élément important dans la révolution syrienne, comme le montrent les structures d’organisation par le bas qui avaient surgi en Syrie dans la première phase de la révolution.

Les comités, au Rojava, sont créés par une force politique, et non par des initiatives venant du bas vers le haut. Le PYD est la force dominante au sein du Tev-Dem. Les forces armées au Rojava (YPG, YPJ, et les forces de sécurité, Asayiş) sont formées par l’idéologie du PYD et prêtent serment à Öcalan.

La survie du Rojava vis-à-vis de l’Etat Islamique est sans aucun doute une victoire pour la gauche. Le mouvement Kurde mérite une solidarité concrète dans sa lutte pour l’autodétermination, d’autant plus qu’au Rojava le peuple essaie de construire une alternative progressiste. Il n’y a pas de contradiction dans le fait que la gauche occidentale puisse être solidaire du projet qui se construit au Rojava tout en gardant un oeil critique sur ses limites. Le Kurdistan Syrien peut peut-être poser la question du dépassement du capitalisme, mais la réponse ne pourra être trouvée que dans un contexte plus large dans la région et en coopération avec d’autres forces.

Compte tenu des tensions entre le mouvement kurde et les mouvements arabes en Syrie et à l’étranger, cette perspective est de plus en plus difficile à imaginer. Le rôle décisif du PYD au Kurdistan syrien et son refus d’expulser complètement les troupes gouvernementales syriennes pour rejoindre l’insurrection contre Assad a conduit à des accusations de « coopération » avec la dictature. Différents groupes rebelles arabes, mais aussi d’autres groupes kurdes syriens, décrivent le Kurdistan syrien comme une « dictature du PYD. »

Quand des rapports sont faits sur les violations des Droits Humains, le premier réflexe devrait être de s’en préoccuper grandement. Amnesty International a sonné l’alarme avec des rapports disant que des unités de YPJ avaient chassé des civils arabes. Le co-président du PYD Salih Muslim a admis que les combattants YPJ avaient fait une « erreur » en ouvrant le feu sur un groupe de manifestants dans Âmûde en Juillet 2014. Human Rights Watch a également publié un rapport critique sur la répression de manifestations au Rojava. Suite à cela, le Commandant des YPG Hemo a déclaré, que le choix de la date pour la publication du rapport d’Amnesty international était « suspect à un moment où nous nous préparons à mener une grande guerre contre Daech. » Laisser entendre que la critique ferait partie d’un complot fomenté par l’ennemi n’est pas très convaincant.
De telles accusations de violations des Droits Humains, ainsi que l’attitude du PYD vis-à-vis des interventions impérialistes, créent le risque de détériorer les relations encore nouvelles entre les Kurdes et les Arabes. La coopération entre le YPG et les forces de la Coalition, ainsi que sa proposition de coopérer avec la Russie, dont la plupart des bombardements ne visent pas Daech, peuvent êtres légitimées dans un combat pour la survie. Mais la gauche ne devrait pas fermer les yeux sur les conséquences que pourraient avoir une coopération avec les pouvoirs impérialistes.

Pour la gauche occidentale, la “solidarité” a souvent été synonyme de soutien et de sympathie pour les mouvements des Pays du Sud. Mouvements souvent fantasmés par les personnes de gauche occidentales qui projettent leurs rêves et leurs espoirs sur ces expériences lointaines. La déception, et la fin des collaborations, devenaient presque inévitables. Il a souvent été répété à la gauche qu’elle devrait apprendre des mouvement internationaux. Cela passe par considérer ces expériences dans toute leur complexité et leurs contradictions.

Extraits d’un texte écrit à l’hiver 2016 par Alex de Jong, éditeur du journal Grenzeloos, de la IVe internationale-section hollandaise.
Source : newpol.org.

Repris de Merhaba Hevalno n°2.

[Photos] Le retour à Sur (fin mai 2016)

[Photos] Le retour à Sur (fin mai 2016)

13221139_1096865893702871_3314984418873210924_oIls se font signe « ici c’était ma maison« , « non toi, c’était ici« … Sur est ouvert à nouveau depuis aujourd’hui… Parmi les habitant.e.s, certain.e.s vont voir leur maison, d’autres recherchent encore leur morts (leurs corps n’ont pas été donné, récupéré par les forces de la police turque), d’autres viennent pour voir leur proches, d’autres sont venus récupérer leurs affaires pour ne plus revenir… Nous aussi on était là bas. On a rajouté d’autres nouvelles photos, de ces yeux qui ne cessent de voir la peine… en disant « Là-bas y avait un Sur, c’était loin » …

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Solidarité du Rojava à Bakur

Solidarité du Rojava à Bakur

Action de solidarité, le 28 mai 2016, à la frontière Qamishlo/Nusaybin pour soutenir la résistance et la ville sous les bombardements des forces spéciales de l’armée turque depuis 77 jours.

Merhaba Hevalno mensuel n°4 – mai 2016

12647402_1647537328829041_6028603301150045679_nVoici le quatrième numéro de « Merhaba Hevalno mensuel », une revue de presse dans laquelle nous publions chaque mois des textes à la fois d’actualité et d’analyse sur les mouvements de résistance en cours au Kurdistan.

 

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On en est au quatrième numéro, et on essaie toujours de recueillir et traduire des textes divers qui, on l’espère, permettent de comprendre la réalité complexe du mouvement révolutionnaire kurde. On trouve important de diffuser du discours direct, parce qu’on ne veut pas parler à la place des gens. Et des textes critiques, parce qu’on veut entretenir une solidarité non pas aveugle mais critique.

Comme on le disait dans le premier numéro « Nous espérons que cette publication puisse donner, si petit qu’il soit, un souffle à l’élan de solidarité avec les mouvements kurdes, et que les mots puissent renforcer et nourrir nos luttes à nous tout-e-s, là-bas comme ici ». Et ce mois-ci on est heureuses de pouvoir relayer tout un tas d’actions qui ont eu lieu en Europe, de toutes formes, qui nous donnent espoir que ça bouge ici!

Ce dernier mois, l’État turc a continué sa guerre contre le mouvement kurde (couvre-feux, destructions, emprisonnements, etc.) et s’est muni pour cela d’un nouvel arsenal juridique qu’on tente d’expliquer en plusieurs articles : déchéance de nationalité et confiscation des biens des personnes considérées « terroristes », levée de l’impunité pour les députés des partis pro-Kurdes, etc.. Par ailleurs, fin avril-début mai correspond à l’anniversaire des deux génocides perpétrés en Turquie, contre les Arménien.ne.s. puis contre les Alévi.e.s vivant à Dersim. Et n’oubliez pas de lire les brèves pour voir comment la résistance continue, ainsi que l’article sur les journalistes de JINHA, l’agence de presse de femmes, riche source d’informations.

En ce qui concerne le Rojava, on nous pose toujours beaucoup de questions sur les alliances stratégiques du mouvement kurde. On a donc choisi ce mois-ci de vous parler des affrontements qu’il y a eu à Qamichlo, contre l’État syrien non pas contre Daech et au cœur du Rojava non pas à sa frontière, pour donner des clés de compréhension de la relation complexe entre le Rojava et Bachar Al-Assad. On reviendra aussi sur la déclaration d’autonomie qui a été faite mi-mars, ou plutôt, sur les réactions qu’elle a suscité pour mieux saisir les alliés du projet fédéral et ses ennemis.

Ce mois-ci on a un peu fait l’impasse sur l’Irak, mais on a eu des nouvelles du Rojhelat (Iran) où les combattant-e-s ont annoncé une reprise du conflit armé. On essaie dans un article de donner quelques éléments de contexte et d’expliquer pourquoi cette annonce. On essaiera de faire plus prochainement.

Regardez l’agenda ! Envoyez-nous des infos, des commentaires, des rendez-vous que vous organisez, des récits de manifs, de voyage.

Et bonne lecture!

Au sommaire :

  • Edito & agenda
  • Entretien avec Duran Kalkan (haut commandant du PKK)
  • Entretien avec Selahattin Demirtaş (co-président du HDP)
  • Arsenal juridique antiterroriste
  • Entretiens avec Jinha, l’agende de presse de femmes
  • L’état turc mène une contre-révolution au Bakûr
  • Réactions face à la création d’un système fédéral au Rojava
  • Affrontements à Qamishlo avec les troupes du régime syrien
  • Luttes et répression au Rojhilat
  • Journée internationale contre les accords entre l’UE et l’Etat fasciste turc
  • Glossaire et plus…

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Extrait de l’entretien avec une journaliste de JINHA :

 » C’est très important d’avoir JINHA ici, maintenant. Quand Kobané est sortie aux informations internationales, les gens étaient focalisés sur les combattantes des YPJ. L’angle était le suivant : « Daesh a attaqué, alors les femmes ont été forcées de prendre les armes », mais c’est faux ! Les femmes ici combattent depuis bien avant Daesh, mais cela ne convenait pas aux médias occidentaux, alors ils ont jeté notre histoire. Ils ont enlevé le contexte. C’est pourquoi il est important que nous soyons là, pour montrer la réalité. Le pouvoir est entre les mains qui se révoltent contre les structures de pouvoir à chaque fois qu’elles y sont confrontées.
Je suis dangereuse. Toutes les femmes dans ce bureau sont dangereuses. L’État veut que vous pensiez comme lui, que vous mangiez comme lui, que vous marchiez comme lui. Ils veulent que nous écrivions exactement ce qu’ils décident, mais nous ne serons jamais comme eux. Nous n’avons pas peur d’eux et quand la police ou les militaires voient des femmes sur les lignes de front qui n’ont pas peur d’eux, c’est quelque chose de terrifiant.  »

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