Le Rojava : Oser imaginer

girke-mese-sermezarkirine-turk-2Un texte de Dilar Dirik.

Dans un monde capitaliste dans lequel le consumérisme et l’individualisme s’intensifient de manière extrême, où aucune cause ne semble assez bonne pour qu’on lutte pour elle, une résistance collective jusqu’à la dernière balle semble être un acte incroyablement irrationnel.

Les sacrifices, la résistance, le communalisme, et la lutte pour la justice et la liberté ont été rejetés tellement loin de nos consciences qu’elles semblent accessibles uniquement en tant qu’objets consommables, tels que des débats théoriques vides de sens, des manifs de temps à autre, des shoots d’adrénaline devant nos écrans et des tee-shirts rebelles fabriqués par des magasins de vêtements !

[…] Alors que les rêves étaient brutalisés et massacrés dans les sphères publiques du Sud mondial ou tués préventivement dans l’œuf dans l’Occident développé capitaliste, la volonté d’une communauté toute entière de se mobiliser collectivement pour se défendre contre la doctrine mortifère de l’État Islamique et au-delà de cela, pour protéger les couleurs diverses de la mosaïque du Moyen-Orient, pour prendre leur destin entre leurs mains, résonnait chez toutes les personnes en lutte à travers le monde.

Que des femmes d’une communauté oubliée deviennent les plus féroces ennemies de l’EI, dont l’idéologie est basée sur la destruction de toutes cultures, communautés, langues et couleurs du Moyen-Orient, bouscule la compréhension ordinaire de ce qu’est une volonté politique. Ce n’est pas parce que des hommes protégeaient des femmes ou qu’un État protégeait ses “sujets” que Kobané restera inscrite dans l’Histoire humaine de la résistance, mais parce que des femmes et des hommes souriant.e.s ont tourné leurs idées et leurs corps vers la frontière idéologique sur laquelle l’EI et sa vision violeuse du monde se sont effrités.

[…] Soudain, le Kurdistan est devenu un pèlerinage pour les mouvements anti-système et révolutionnaires du monde entier. Qu’est-ce que la liberté, qu’est-ce que l’autonomie ? Leurs yeux se tournaient vers la Mésopotamie pour remettre ces questions en perspective. L’émergence d’une démocratie radicale en plein milieu de l’enfer a provoqué un moment d’introspection pour les groupes en lutte à travers le monde.

[…] Demandons-nous : qu’est-ce que le Rojava veut dire dans l’histoire, pour le présent et le passé ? Qu’est-ce qui fait que les idées deviennent des actes ? Qu’est-ce que veut dire le Rojava en cette époque de révolutions détournées et critiquées ? Tout ceci est bien abstrait, j’en ai conscience, mais laissez moi vous emmener en voyage. Ne vous inquiétez pas, c’est pour la recherche !

* * *

Pour une jeune personne du Kurdistan Nord (Kurdistan de Turquie ou Bakûr), dont le sentiment de Kurdicité s’est formé autour de la lutte de gauche révolutionnaire d’un peuple opprimé, c’est quelque chose d’étrange d’arriver dans cet endroit qui est internationalement accepté comme étant le “Kurdistan” – le Kurdistan d’Irak, ou Kurdistan du Sud (Başûr). Le mot Kurdistan est écrit dans l’espace public, beaucoup trop près de panneaux publicitaires turcs, comme si tout allait bien entre eux.

Est-ce que ce sont des Kurdes qui ont vraiment planté ces arbres ? Ouvert ces écoles ? Au milieu des centres commerciaux importés des États-Unis après 2003, à l’architecture inspirée du concept stérile universel qui fait que vous pourriez vous croire à Londres, Paris ou New York, même si l’EI est à seulement quelques kilomètres, au milieu des faux sapins de Noël et des résidences de vacances, des hôtels de luxe et de gens qui ont l’air de faire du business, on se demande si c’est bien ici qu’a eu lieu un jour la résistance contre Saddam Hussein.

Les Kurdes de Turquie, dont l’existence a été niée, ont vécu dans la lutte, ont donné un sens à leur identité dans l’action, l’ont remodelée, réarticulée, et ont complètement politisé l’identité qu’on appelle “Kurde”, l’ont transformée en une plateforme de lutte radicale pour la démocratie. Un vent similaire soufflait dans le Kurdistan Sud à une époque, mais un nouveau concept de “liberté” l’a remplacé.

Ici, je regarde autour de moi et je vois deux choses qui me sont familières : la Kurdicité, quoi que veuille dire ce mot, et de l’autre côté le capitalisme et son meilleur ami, l’État. Mais alors, c’est du… capitalisme, de l’Étatisme en Kurde ! Est-ce même intrinsèquement possible ?! Kurdistan, qu’y a-t-il dans ce mot ? L’identité est clairement ce que l’on en fait. La liberté est le système que l’on choisit de construire. La suite plus tard.

Donc voilà où j’en étais en laissant derrière moi le glorieux Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) qui dépend des importations de yaourt d’Iran et de poulet du Brésil, comme si cette géographie n’avait pas fait partie d’une des plus anciennes civilisations, l’ancienne Mésopotamie ; j’ai traversé le Khabour, qui mène à la rivière Euphrate qui a nourri et qui a donné naissance à tant de vie, de cultures, de langues et de civilisations et qui à présent, dans l’actuel ordre mondial des états-nations, divise arbitrairement deux constructions monopolistiques artificielles mais violemment efficaces, nommées « Irak » et « Syrie ».

Je ne sais pas si vous me croyez lorsque je dis que j’ai ressenti physiquement la révolution. « Comment peut-on sentir la liberté dans son corps ? » pourriez-vous légitimement demander. Pourtant – que la déesse Ichtar me soit témoin – à peine avais-je posé le pied sur le sol du Rojava, tout à coup, j’ai respiré librement pour la première fois de ma vie. Et même si je me trouvais dans l’un des endroits les plus dangereux du monde, je ne me suis jamais autant sentie en sécurité. J’étais dans les bras de nos rêves vieux de dizaines d’années, ils m’enlaçaient, dansaient avec moi, séchaient mes larmes. D’une certaine manière, un poids géant, qui semblait dater de milliers d’années malgré mon âge, m’a été retiré des épaules, et le sentiment d’étrangeté entre moi et la société s’est dissous. Quelque chose d’insidieux et subtile, et pourtant intrusivement oppressif semble s’être évaporé. Comme si les yeux imaginaires que j’ai toujours senti sur moi venaient de disparaître et que pour une fois je devenais moi-même un sujet. C’est alors que j’ai réalisé que l’omniprésence de l’institution de l’État n’existait plus. Que le Kurdistan invitait l’Histoire à une danse de réconciliation. Je me sens humaine, je me sens en paix. Je me perds et je me trouve en même temps… Quelqu’un me sert dans ses bras : « Bienvenue au Rojava ! ».

Tout est sacré, mais pas dans le sens habituel du terme : pas sacré comme quelque chose d’effrayant, pas sacré comme quelque chose de tabou, pas sacré pour maintenir un statu quo. Tout est sacré parce que tout m’appartient, vous appartient, appartient à tout le monde. Parce que son aspect précieux dépend de nous toutes et tous qui en prenons collectivement la responsabilité, de nous qui le déclarons nôtre, qui le déclarons comme étant à tout le monde. Des gens souriants partout, humainement si beaux qu’on n’ose pas les regarder. Ce que l’on ne peut peut-être pas lire entre les lignes écrites des déclarations officielles ou des contrats sociaux depuis le monde extérieur, irradie des yeux des travailleurs ordinaires qui considèrent l’organisation et la mobilisation comme seule manière de survivre. Des personnes qui aiment tellement la vie qu’ils sont prêts à mourir pour elle.

Les quartiers qui ont décidé de s’organiser en communes sont constitués des lambeaux de la Terre – la politique devient vivante, tandis que les rires d’enfants deviennent la mélodie derrière laquelle les décisions sur les heures d’électricité et les comités de pacification sont prises. Ô combien peu efficace, peu officiel – mais c’est ce qui fait sa beauté. Donner du pouvoir à des gens qui n’ont jamais rien eu demande du courage, de la confiance, de l’amour.

Je suis hébergée dans une famille – l’un des fils et mort en martyr, un autre a été blessé dans une explosion, encore un autre est journaliste, et les deux derniers sont dans des académies culturelles. La mère se lève à 5h pour retrouver ses amies dans leur ferme coopérative de femmes et ramène à la maison des légumes frais, pour ensuite participer au conseil des femmes. En se mobilisant pour sa communauté, elle déclare la guerre au système d’État-nation, vivant ainsi l’autonomie qu’elle souhaite et qu’elle mérite. Le père se rend à la Maison du Peuple écouter les besoins du voisinage. Il y a toujours du monde chez eux. Les gens viennent à l’improviste, avec leurs enfants, qui pour critiquer, qui pour discuter, ou encore pour suggérer et partager des avis. Les problèmes sociaux deviennent sociaux au sens premier du terme, étant donné que chacun.e se les approprie et s’en sent responsable.

Un prêtre me parle de l’urgence de réussir à coexister et de sa foi en la force des femmes. Les Syriaques Chrétien.ne.s m’apprennent à saluer dans leur langue. Un commandant tchétchène des YPG rit et me coiffe de son moelleux papakha avant que nous prenions une photo. Les jeunes hommes arabes qui défendent les checkpoints près de al-Yaroubia sortent des blagues à notre passage. Les “youyous” qui s’échappent des lèvres ridées de femmes hautement politisées, en robes colorées et qui apprennent à lire et à écrire dans leur langue pour la première fois sonnent à mes oreilles. Je remarque le bras manquant d’un infatigable membre de l’administration expliquant ce qu’est la lutte pour créer une mentalité libre et indépendante dans la société, une culture démocratique. J’assiste à une pièce de théâtre pour enfants où le “chat travailleur” se libère des “chats dorés”. Je pleure en silence devant les fleurs en plastique qui ornent les pierres tombales de fortune de milliers de combattant.e.s et civil.e.s…

L’académie des Sciences sociales de Mésopotamie, créée à Qamishlo en septembre 2014, remet en cause les structures hiérarchiques du monde universitaire, scientifique et intellectuel. L’académie critique la division des sciences sociales en une myriade de matières et rejette activement l’état actuel de la profession. Constituée de trois trimestres, l’année scolaire débute par une introduction à l’histoire et à la sociologie. Plutôt que d’apprendre par cœur des théories bien établies, les étudiant.e.s discutent de l’importance de l’histoire et de la sociologie pour donner du sens au monde, ainsi que de l’aspect subjectif de l’histoire écrite par l’oppresseur dominant. Le deuxième trimestre est consacré aux lectures et aux débats. Le troisième trimestre est dédié à l’écriture d’un mémoire ou à la création d’un projet, dont le but est d’identifier un problème social dans leur communauté et de proposer des pistes afin de le résoudre. Les sciences sociales ne sont pas vues uniquement comme des méthodes de catégorisation et d’analyse, mais aussi comme des outils qui doivent servir la communauté. On n’attend pas des étudiant.e.s des bonnes ou des mauvaises réponses, mais plutôt qu’ils/elles soient capables de proposer des interprétations et des critiques pertinentes, afin d’élaborer des solutions.

Bien que manifestement les étudiant.e.s apprennent des professeur.e.s, à l’académie on ne se réfère pas les un.e.s aux autres en tant que professeur.e ou étudiant.e.s, le mot utilisé est celui de « heval » (ami, ou camarade), étant donné qu’on tente d’éliminer les hiérarchies et les relations de pouvoir. Après chaque session, les étudiant.e.s peuvent critiquer leurs professeur.e.s. Les étudiant.e.s de dernière année enseignent à leur camarades. L’apprentissage devient alors un processus constant au lieu de quelque chose que l’on peut terminer. On me raconte différentes histoires, comme celle d’une femme de 70 ans qui récite des contes traditionnels à l’Académie de Mésopotamie, afin de remettre en question l’écriture de l’histoire par les pouvoirs hégémoniques et le science positiviste, ce qui constitue un acte radical de rébellion contre l’ancien système moniste [NdT: système qui considère que l’ensemble des choses peut être réduit à une substance unique]. L’un des objectifs centraux que poursuit le Rojava concernant l’éducation, est de redonner toute son importance au savoir et à la sagesse, en brisant l’hégémonie des sciences modernes. Le savoir est partout, il demande à être valorisé et partagé.

En-dehors de cette académie-ci, des académies d’art, de cinéma, de femmes, de jeunes, de musique, de sport, d’économie, etc… ont été créées afin de communaliser l’éducation.

Dr. Agirî, médecin et membre d’un des centres de santé qui existent au Rojava, explique que les problèmes de santé sont très souvent liés aux perspectives de vie et nécessitent donc la politisation de la population. Il affirme que si la santé publique se détériore partout dans le monde, c’est parce que les êtres humains ne sont pas considéré.e.s comme faisant partie de la vie. Les politiques capitalistes des entreprises et des industries ne peuvent être séparées de leurs conséquences sur nos modes de vie et sur nos relations sociales. « Si le mental de la société est malade, le corps tombera malade également ». Par conséquent, la santé, l’éducation, la protection de la nature, l’activisme politique ne peuvent être séparées les unes des autres et l’on doit les regarder comme étant un tout. Il explique comment l’assimilation culturelle des États-nations dépend de la destruction de la mémoire collective, qui en retour dépend de l’éloignement de la nature et de la vie communaliste. Le fait que le stress soit la cause principale de la plupart des maladies et qu’il soit relié aux conditions de vie, montre qu’il faut repenser le système dans lequel nous vivons. Il poursuit sur l’impact de l’urbanisation sans limite et de la technologie sur les personnes, insistant sur le fait que bien qu’étant au milieu de la foule, aujourd’hui les gens se retrouvent seul.e.s, puisque même à l’intérieur des familles, chacun.e s’isole sur son smartphone. Les relations se robotisent, les amitiés deviennent virtuelles. Il pense que c’est un état d’esclavage moderne, où les fouets sont inutiles. Dans une époque où l’obésité est traitée pour des raisons esthétiques et non de santé, il affirme que « la santé est un problème idéologique ». C’est pourquoi, dans leur tentative de créer une société à la fois plus saine et plus politisée, leurs politiques de santé prévoient de développer des espaces verts pour une socialisation écologique, bien que cela soit souvent impossible en raison de l’embargo et des urgences liées à la guerre. La politisation de la société par la cohésion entre la santé et l’individu, la société et l’environnement, est au cœur de la philosophie du Rojava concernant la santé.

*  *  *

Les forces de défense au Rojava, sont l’illustration de la manière dont l’auto-défense peut fonctionner sans hiérarchie, ni contrôle, ni domination.

Au cœur de la guerre, les Unités de défense du Peuple (YPG) et les Unités de défense des Femmes (YPJ), ainsi que les unités de sécurité intérieure (les Asayîş), se concentrent sur l’éducation idéologique. La moitié de celle-ci concerne l’égalité des genres. Les académies enseignent aux combattant.e.s qu’ils ne sont pas une force de revanche et que la militarisation actuelle est nécessaire en raison de la guerre. Les académies d’asayîş ont pour but l’émergence d’une communauté où les asayîş seraient désarmé.e.s, et seraient de simples médiateurs et médiatrices lors des disputes dans les quartiers. Le but ultime étant d’abolir les asayîş eux-mêmes, en construisant une société « éthico-politique » qui réglera ses propres problèmes. Dans cette société, la « commune » serait l’entité la plus importante. Illes rejettent d’être étiqueté.e.s comme policièr.e.s, car illes sont au service du peuple et non de l’État, étant eux-même le peuple.

L’académie des asayîş de Rimelan était auparavant un centre des services secrets du régime syrien. Certain.e.s des étudiant.e.s qui suivent des cours sur la libération des femmes et qui organisent collectivement leurs travaux d’études, de jardinage et de cuisine, ont un jour été torturé.e.s, en tant que prisonnièr.e.s politiques du régime d’Assad, dans ces mêmes bâtiments. Il existe des mesures disciplinaires pour celles et ceux qui ne respecteraient pas le code de conduite militaire des forces [de défense]. Il est difficile de se battre contre un ennemi tel que Daesh tout en suivant une ligne éthique, si l’on a pas déterminé un agenda politique qui se plie à des valeurs libératrices.

Les commandant.e.s sont élu.e.s en fonction de leur expérience, de leur engagement, et de leur volonté de prendre des responsabilités, par les membres des bataillons. Cette manière de diriger est empreinte d’un esprit de sacrifice, ce qui explique le fait que de nombreux.ses martyr.e.s des YPG/YPJ étaient des commandant.e.s aimé.e.s et expérimenté.e.s.

« Nous ne voulons pas que le monde entende parler de nos armes, mais de nos idées ». Ce sont les mots de Sozda, une commandante des YPJ à Amûde. Elle pointe du doigt les photos affichées aux murs de leur salle commune : des combattant.e.s de la guérilla et Abdullah Öcalan, le représentant idéologique du mouvement, actuellement emprisonné. « Nous ne sommes pas seulement des femmes qui combattons Daesh. Nous nous battons pour changer la mentalité de la société, et montrer de quoi les femmes sont capables ».

Abdullah Öcalan décrit les femmes comme étant la première colonie de l’histoire. Il considère que la masculinité est la clé des problèmes sociétaux. « L’homme est un système. Le mâle est devenu un état et l’a transformé en culture dominante. Les oppressions de classe et de sexe se développent en même temps ; la masculinité à créé un genre dominant, une classe dominante, et un État dominant. Lorsqu’on analyse l’homme dans ce contexte, il est clair qu’il faut tuer la masculinité. De fait, l’un des principes fondamentaux du socialisme est de tuer l’homme dominant. C’est ce que signifie le pouvoir de tuer : tuer la domination unilatérale, l’inégalité et l’intolérance. C’est également tuer le fascisme, la dictature et le despotisme ».

De plus, il déclare explicitement que le patriarcat, le capitalisme et l’État sont ensemble à la base de l’oppression, de la domination et du pouvoir. Il fait clairement le lien entre les trois : « Toutes les idéologies de pouvoir et d’État découlent d’attitudes et de comportements sexistes. L’esclavage des femmes est le lieu social le plus profond et le plus caché où se perpétuent toutes sortes d’esclavages, d’oppressions et de colonisation. Le capitalisme et l’État-nation agissent en toute conscience de cela. Sans l’esclavage des femmes, aucun autre type d’esclavage ne peut se développer de lui-même. Le capitalisme et l’État-nation incarnent le mâle dominant dans sa plus haute forme institutionnelle. Pour dire les choses plus clairement et directement : le capitalisme et l’État-nation sont le monopole du mâle despote et exploiteur. »

La mobilisation en masse des femmes à Kobanê n’est pas sortie de nulle part. Elle s’appuie sur des traditions bien ancrées et se considère elle-même comme une continuation de la lutte des femmes du PKK. Le même ordre international qui encense les femmes qui se battent contre Daesh, utilise depuis des dizaines d’années un vocabulaire sexiste insultant pour décrire les femmes de la guérilla du PKK, qui se battent contre la Turquie, la deuxième puissance armée de l’OTAN.

Au jour d’aujourd’hui, le mouvement de libération kurde [proche du PKK] partage le pouvoir de manière égale entre une femme et un homme [à chaque niveau décisionnaire], du Qandil à Diyarbakir en passant par Qamishlo et Paris. Le système du Rojava applique également ce principe de co-présidence, des directions de canton aux conseils de voisinage. Tandis que cela est difficile à appliquer dans Kobanê quasi-détruite, ce fonctionnement est maintenant effectif dans les cantons d’Afrîn et de Cîzre. En plus de donner aux hommes et aux femmes un pouvoir de décision égal, le système de co-présidence a pour but de décentraliser le pouvoir, d’empêcher sa monopolisation, et de promouvoir la recherche de consensus. Seules les femmes peuvent élire la co-présidente, tandis que le co-président est élu par tout le monde.

En dehors des co-présidences et des quotas, les cantons du Rojava ont aussi créé les unités de défense de femmes, des communes de femmes, des académies, des tribunaux ainsi que des coopératives, tout cela au milieu de la guerre et sous le poids d’un embargo. Le mouvement des femmes Yekîtiya Star s’organise de manière autonome dans tous les domaines de la vie, que ce soit pour la défense, l’économie, l’éducation ou la santé. Les conseils autonomes de femmes existent en parallèle des conseils du peuple et peuvent imposer leur véto concernant les décisions de ces derniers. Les hommes qui commettent des violences contre des femmes ne sont pas censés faire partie de l’administration et les femmes sont les premières décisionnaires, juges et législatrices sur les problèmes concernant les femmes, comme notamment les violences sexistes. Les discriminations de genre, les mariages forcés, la violence domestique, les crimes d’honneur, la polygamie, le mariage des enfants et les dots sont proscrits. De nombreuses femmes non-Kurdes, essentiellement des Arabes et des Syriaques, rejoignent les unités de défense et l’administration au Rojava, et sont également encouragées à s’organiser de manière autonome.

Une lutte pour la liberté, si elle veut avoir du sens, doit avoir pour objectif la libération des femmes, et que cette dernière soit également l’une des méthodes concrètes du processus de libération. De fait, c’est le degré de libération des femmes qui définit réellement une démocratie. Cela ne signifie bien sûr pas qu’une société féministe est déjà en place, mais le programme de libération des femmes du Rojava est vraiment révolutionnaire. Comme le déclare une grande bannière dans le centre-ville de Qamishlo : « Nous provoquerons la défaite de Daesh en garantissant la liberté des femmes au Moyen-Orient ».

Nous avons grandi dans l’idée que les couleurs kurdes [rouge-jaune-vert] ne signifient rien si nous ne les accompagnons pas du V de la victoire fait avec nos doigts. Mais ici, au Rojava, ces idées sont en train de prendre vie. Le Rojava tente de systématiser la liberté, de démocratiser l’identité. Ce n’est pas sa perfection, mais sa réalité, son honnêteté, son courage qui sont frappants. Le Rojava ne revendique pas la pureté, mais il ose imaginer l’utopie et créer les étapes pour la rendre vivante. Étrangement, l’utopie semble si naturelle, si humaine.

Heval Kînem, qui enseigne à l’académie des asayîş de Rimelan, me dit : « Tout va bien. Toutes celles et ceux qui viennent au Rojava tombent en larmes ».

*  *  *

Parlons un peu des idées et des vents qui portent leurs graines. Démystifions le mot “démocratie radicale”.

Clairement, il n’existe aucune formule mathématique de la liberté. Mais elle a beaucoup à voir avec l’amour pour la communauté. Cela peut paraître tellement banal, mais vraiment, bien plus que des idées théoriques, la démocratie radicale est en train de naître au Rojava, car contrairement à des sociétés au capitalisme avancé, le sens communautaire n’est pas encore mort. Je me souviens de mon premier voyage au Rojava – nous avions organisé la première délégation universitaire internationale dans la région. Bien que la majorité d’entre nous soient de gauche, je me demandais combien pourraient réellement vivre dans un tel système.

Combien de personnes pourraient supporter de vivre dans une société où nous partageons les ressources et résolvons les problèmes avec nos voisin.e.s, renonçant à l’anonymat des institutions d’État ? Serions-nous à l’aise avec le fait que des non-professionnels soient responsables de la justice ? Dédierions-nous notre énergie à transformer les personnes les plus marginalisées et les plus déshumanisées en sujets politiques, sans abandonner au premier obstacle ? Mais sans leur “enseigner”, juste en étant leurs égales ? Intrinsèquement, la révolution demande de l’amour et du courage.

Combien de personnes pensent qu’une mère pauvre, de dix enfants, subissant des violences domestiques et ne sachant ni lire ni écrire, puisse avoir une conscience politique plus profonde qu’elles ? Combien auraient confiance dans le fait qu’une femme comme elle prenne des décisions [au sein de la communauté] ? Combien de ceux et celles qui rejettent catégoriquement l’autorité d’Öcalan, se considèrent comme étant au même niveau que “le peuple” ? Combien auraient suffisamment de patience et de sens du sacrifice pour se consacrer à une communauté, au point d’être prêt.e.s à mourir pour elle, sans que leurs noms ne soient connus ? On ne peut pas s’attendre à ce que des milliers d’années de vieilles mentalités et d’oppression intériorisée disparaissent avec quelques conseils et assemblées ou des principes théoriques, sauf si on parle de machines, et non de société. La majorité des luttes commencent avec une demande de reconnaissance, d’une place dans l’histoire.

Certain.e.s gauchistes des pays au capitalisme avancé qui s’attendent à ce que le Rojava soit une révolution parfaite, pure, sans contradictions, lisse et accomplie, et qui la rejettent dès qu’elle ne ressemble pas à l’image qu’ils s’en étaient faite, sont représentatifs d’un problème plus large qui traverse la gauche aujourd’hui : elle est plus occupée à discuter de radicalité d’une manière inaccessible, se constituant en groupes de camarades de lutte qui partagent les mêmes privilèges et le même vocabulaire, qu’à essayer concrètement de résoudre les nœuds Gordiens de la société. Quelle est la radicalité d’une lutte qui échoue à se répandre ? Comme l’a dit un ami au Rojava, « De la même manière que nous, au Moyen-Orient, avons besoin de lutter pour contrer la mentalité autoritaire et dogmatique d’État, ceux et celles de l’Ouest doivent lutter contre leur extrême individualisme imposé par le capitalisme ».

Pour être dans une forme de solidarité plus consciente et plus instinctive, ces personnes devraient se poser des questions sur leur purisme idéologique, qui est l’expression d’un privilège – tout le monde ne peut aspirer au purisme idéologique, à la cohérence théorique, surtout pas dans un contexte de lutte pour rester en vie. Même si souvent, dans les luttes de la vraie vie, nous ne recevons pas de gratification instantanée, que la mentalité capitaliste intériorisée demande, on ne peut pas jeter sans autre forme d’appréciation les moments historiques d’une révolution sous prétexte qu’ils ne sont pas parfaits, alors que ces mères de dix enfants, qui se mobilisent politiquement, continuent de contredire le status quo [de par leur simple existence]…

*  *  *

« Tu es une femme, pourquoi tu voyages toute seule ? Où est ton père, ton frère ? Pourquoi tu n’es pas encore mariée ? Comment se fait-il que tes parents te laissent venir jusqu’ici toute seule ? Donc tu trouves ça normal que ta famille te laisse te débrouiller par toi-même ? Alors tu penses que tu es “libre” maintenant ? »

Me suis-je réveillée d’un rêve ? Non, j’ai tout simplement retraversé la rivière Khabour [qui sépare le Kurdistan syrien et irakien].

On m’a interrogée, juste parce que je suis une femme kurde qui voyage seule, ce qui suffit au PDK pour être méfiant envers moi. Me voilà de retour dans le système étatique, l’ordre international. La réalité du statut quo se rappelle à moi sous la forme d’une violente claque métaphysique en pleine face.

Après avoir débattu de nouvelles épistémologies de la liberté, après avoir interviewé des réfugié.e.s qui construisent des structures autonomes après avoir fui Daesh, je me retrouvais assise en face de cet homme agressif dont l’esprit ne pouvait s’adapter au fait que j’ose exister par moi-même en tant que femme. « Dis-moi qui est vraiment avec toi ! » Je me suis expliquée, mais quand j’ai fait référence au Rojava en parlant de “Kurdistan de l’Ouest”, il a écarquillé ses yeux d’étonnement, et a crié : « Non, non, non. Ça c’est la Syrie, pas le Kurdistan ! Le Kurdistan, c’est ici ! »

Alors, qu’est-ce que le Kurdistan ? Je me souviens de ma conversation avec des étudiants de l’université Mésopotamie, des hommes qui recevaient des cours sur la jinéologie – le nouveau paradigme épistémologique du mouvement des femmes kurdes… L’un d’eux avait dit : « J’ai réalisé qu’avec ma mentalité patriarcale, je me comportais exactement comme l’État ».

Ce qui différencie de manière aussi radicale l’ouest et l’est de la rivière, c’est une compréhension de ce qu’est la liberté et une perspective sur la vie et son sens. Ces deux visions ne se sont pas développées au Kurdistan par hasard. C’est une lutte millénaire – qui commence avec les Ziggurats de Sumer, la première armée au monde, qui fomentait des complots contre les anciennes déesses, symbole de la chute de la femme et de la communauté, comme du début de la fin de l’harmonie humaine, et qui connaît son expression finale dans le féminicide que pratique un nouvel “État” auto-proclamé [l’État Islamique ou Daesh], contre les femmes du Moyen-Orient.

Parfois, il est impossible de croire aux utopies dont on rêve, et d’autres fois, la ligne qui sépare le système de la révolution, est une simple rivière. Mais après tout, le combat entre les forces de résistance et le système de domination est à peu près aussi ancien que l’Euphrate.

Je passe quelques mois au Kurdistan Irakien ; mon corps commence à s’habituer au harcèlement constant qui m’entoure. Comment osé-je être une femme ? Mais si le vent est clément, et même si l’on coupe les fleurs régulièrement parce que l’esprit humain a tendance à domestiquer la beauté, effrayé par sa créativité, les idées se répandent comme le pollen. Je me souviens du regard curieux de la fille qui travaillait à la frontière côté Irakien lors de mon interrogatoire : « Est-ce que c’est réellement vrai ce qu’on raconte sur le Rojava ? Les femmes sont-elles aussi fortes qu’on le dit ? »

Près de Kirkouk, à seulement quelques minutes en voiture de Daesh, un jeune homme auparavant peshmerga pour le PDK, me décrit l’image que se font les jeunes ici des guérilleros et guérilleras du PKK, qui sont présent.e.s dans la région depuis l’an dernier : la manière dont les femmes et les hommes interagissent d’égale à égal, leur style de vie (« Nous voyons à quoi ressemblent leurs tables, nous voyons ce qu’ils mangent. Ils et elles n’ont rien qui leur appartiennent »), et le fait qu’ielles se battent et meurent, ni pour du pétrole, ni pour de l’argent, ni pour du territoire, mais pour les gens.

Je prends le thé chez les membres d’une famille arabe, qui ne veulent pas que je publie leurs photos, qui ne me laissent pas enregistrer leurs voix, qui vont jusqu’à écrire eux-mêmes leur histoire sur mon cahier, parce que leur maison a été attaquée trois fois par Daesh. La mère de famille, une femme qui semble avoir une bonne soixantaine d’années, m’offre un joli foulard en cadeau, qu’elle a ramené de la Mecque. Nous avons besoin d’un traducteur mais nous nous aimons. Elle ne peut afficher son affection pour la guérilla ouvertement pour des raisons de sécurité, alors, en secret, elle leur cuit et leur envoie du pain.

A Slemani, je prends un taxi, et le chauffeur, un vieux monsieur, après avoir seulement jeté un œil sur moi dans le miroir et avoir brièvement écouté les deux phrases que j’ai prononcées dans mon dialecte, sort une vieille photo de sa boîte à gants : « Mon fils était un guérillero du PKK et il est mort en martyr dans la région du Botan en 1997 ». Il me fait confiance parce qu’il pense que je suis une camarade. Le Khabour peut certes séparer le système de la révolution – mais qui peut sous-estimer le pouvoir d’un vent sans loi qui ne connaît pas de frontières ?

L’histoire du Rojava sonne comme une épopée héroïque, la trame d’un roman. Mais cela ne peut nullement être une coïncidence si au moment exact où l’ordre global sombre dans une nouvelle crise existentielle, ces deux lignes – des femmes souriantes et pleines d’espoir d’un côté, des violeurs meurtriers et violents, qui construisent leur hégémonie des ténèbres sur la destruction et la brutalité fasciste de l’autre – se battent à l’endroit même où la première structure ressemblant à un État a émergé, où les femmes ont pour la première fois perdu leur statut dans la société. Il n’y a pas de choc des cultures entre deux civilisations comme voudrait nous le faire croire le système dominant. Dans la signification du Rojava, malgré ses limites, nous voyons un autre affrontement : le choix entre l’esclavage ou la liberté. Entre la soumission et la domination ou la résistance et l’amour. Ce n’est pas un hasard si ceux et celles dont l’histoire n’a jamais été écrite ont le cœur de se battre contre ceux qui tentent d’effacer l’histoire purement et simplement. De la même manière que ce n’est pas un hasard si quelques mètres peuvent diviser deux idées différentes de la liberté au Kurdistan, si nous conceptualisons la liberté comme étant un système. L’ordre actuel peut bien être l’héritage de systèmes millénaires de pouvoir hiérarchique, il peut bien y avoir toujours eu de l’oppression, ce qui est sûr c’est que dans le même temps, des luttes révolutionnaires, rebelles, de résistance, ont aussi toujours existé.

Donc, si la liberté n’est pas quelque chose que l’ont peut garantir ou juste proclamer, mais nécessite d’être construite, par le sacrifice et la solidarité ; défendre cette révolution est la tâche de tous et toutes à travers le monde, afin qu’elle puisse atteindre son potentiel et nourrir notre créativité humaine d’émancipation.

Le Rojava n’est pas la réponse à tout, il ne peut être décrit par un seul adjectif. Il n’est probablement pas un système parfait, mais c’est un manifeste de vie. Le Rojava est réellement une révolution de peuples qui tentent d’oser imaginer un autre monde.

Extraits des Merhaba Hevalno n°9 et n°10.
Source : dilar91.blogspot.fr  – Traduction : Merhaba Hevalno

[entretien] Être une erreur kurdo-turque

Dans cet entretien réalisé par Robert Leonard Rope, Saladdin Ahmed, professeur assistant de philosophie à Mardin Artuklu parle d’identité kurde, de politique, de religion, de démocratie et de la situation actuelle des Kurdes au Moyen-Orient. Cet entretien a d’abord été publié sur Open Democracy, dans le cadre du thème « auto-organisation des migrants et solidarité ».

Robert Leonard Rope : Pouvez-vous rapidement décrire votre parcours ? […] Comment est-ce d’enseigner dans une université en Turquie ?

Saladdin Ahmed : Je n’ai jamais su répondre aux questions sur mon passé, surtout parce que mon identité s’est toujours forgée autour de négations et pas en mettant positivement en avant une certaine éducation. Je ne dirais pas que je fais une crise d’identité, mais je dirais que l’identité, du moins dans le monde d’aujourd’hui, est elle-même en crise.

Quand être kurde est vu comme quelque chose à quoi il faut renoncer, je suis Kurde, sans hésitation. Au moment où ça devient l’identité du dirigeant, je ne peux que me tenir du côté de l’opposition, avec l’opprimé. C’est-à-dire que je suis Kurde tant que la kurdicité représente une négation de l’oppression. La première fois où je me suis retrouvé à un endroit où être Kurde revenait à être privilégié, en 2013, j’ai été frappé d’une crise morale aiguë, et j’ai commencé à tisser des liens avec les minorités non-kurdes et non-musulmanes.

Avant même de m’en rendre compte, critiquer le nationalisme kurde et l’Islam était devenu ma principale activité intellectuelle jusqu’à ce que je quitte de nouveau le Kurdistan irakien.

[…] En tant qu’enfant kurde, j’ai grandi à Kirkouk sous le régime baasiste en étant persuadé que j’étais une erreur existentielle, mais j’aimais être une erreur. J’aime toujours être une erreur.
Pour ce qui est de mon expérience d’enseignement en Turquie, quand je suis arrivé en automne 2014, la situation était sans précédent. Pour la première fois en quarante ans, la région kurde du pays profitait d’une certaine paix d’où est sorti un mouvement culturel et intellectuel impressionnant. Nous parlons là d’une région qui a été tellement opprimée que même une danse kurde traditionnelle y est considérée comme un acte politique. Le premier groupe d’étudiants kurdes était très impliqué dans la vie publique, à la fois dans l’université et en dehors. C’était en somme très exaltant d’être à Mardin à ce moment-là.

Malheureusement, mon expérience d’enseignement à l’université de Mardin Artuklu n’a pas duré longtemps. Environ deux mois après mon arrivée du Canada, le recteur libéral a été viré et remplacé par un islamiste soutenu par Erdogan. Juste après avoir été nommé par Erdogan, le nouveau recteur a entamé une campagne pour mettre les non-islamistes à la porte de l’administration de l’université. Quelques mois plus tard, il a mis unilatéralement fin à mon contrat et à ceux de 12 autres enseignants, qui se trouvaient tous être des citoyens étrangers. Pour empirer les choses, la guerre a recommencé dans la région kurde, accompagnée d’une violente oppression des jeunes, de grandes opérations militaires, d’arrestations de masse, etc. Ce qu’Erdogan a fait aux universités turques à Istanbul et à Ankara dans les semaines qui ont suivi le coup d’État avorté du 15 juillet 2016 a commencé un an avant dans le Sud-est.

Comme vous le savez, la Turquie est actuellement sous le coup de l’état d’urgence – des milliers de personnes ont été arrêtées, de nombreux professeurs et journalistes, sans parler des membres des forces armées – et il y a de nombreux cas reportés de torture. Quelle est votre perspective sur tout ça : comment ça va finir ?

Je pense que la Turquie va entrer dans une ère de terreur dans les années à venir. Cette purge va mener à un effondrement total de la confiance déjà fragile parmi les différentes sections des forces armées et du MIT. Ceux qui sont en position de pouvoir vont essayer de plus en plus d’utiliser le climat de peur et de manque de transparence pour se débarrasser de leurs rivaux.

Donc je pense que les cas d’assassinats et de tortures vont devenir de plus en plus habituels. L’armée en Turquie a toujours été considérée comme la gardienne de l’État, mais elle va maintenant devoir se soumettre au gouvernement, ce qui n’aura pas lieu sans douleur. […]

Quelle est votre opinion sur la « démocratie turque » ? Est-ce qu’une telle chose a déjà existé ? Est-ce qu’Erdogan l’a d’abord nourrie, puis détruite ? Est-ce que les gens veulent d’une démocratie à l’occidentale ? Démocratie vs. théocratie ?

Je ne pense pas qu’il y ait jamais eu une « démocratie turque ». Oui, des élections ont eu lieu, mais même des pays comme l’Iran et le Pakistan tiennent régulièrement des élections. Il y a aussi un parlement à Ankara, mais c’est un parlement qui symbolise le rejet de la pluralité en Turquie.
Je vais être plus précis : il y a toujours eu deux Turquies, celle de l’ouest et celle de l’est. Dans la Turquie de l’ouest, qui s’étend d’Istanbul à Izmir, Antalya, Ankara et Adana, une sorte de quotidien à l’européenne était tout à fait envisageable, tout au moins selon l’estimation d’un touriste moyen. Tout cela est en train de changer de façon évidente, et c’est pourquoi la situation actuelle en Turquie attire autant l’attention au niveau international.

Mais la Turquie de l’est a toujours été soumise au joug militaire. Il est impossible d’imaginer la brutalité de la vie dans l’est du pays du point de vue d’Istanbul. Des milliers de jeunes kurdes ont disparu lors d’opérations militaires turques durant les années 1980 et 1990. L’autre visage de la Turquie, c’est des tanks et des véhicules blindés qui occupent les places des villes ou rôdent dans les quartiers, c’est des checkpoints de militaires ou de policiers dressés entre les villes ou dans les villes, c’est d’énormes bases militaires installées dans les centres-ville et c’est des milliers de villages totalement détruits. Si l’on s’autorise à voir cet autre visage, la notion de « démocratie turque » ne peut paraître qu’absurde. […]

Comment pouvons-nous, en Occident, faire efficacement pression sur Erdogan et ses partisans pour défendre et restaurer les droits humains et l’état de droit en Turquie ?

Les droits humains ne peuvent pas être « restaurés » parce qu’ils n’ont jamais été respectés de toute façon. Peut-être peut-on restaurer le tourisme, mais les droits humains sont une chose pour laquelle on doit se battre de façon collective.

Erdogan fait pression sur l’Occident, pas l’inverse. D’après ce que je constate, Erdogan va continuer à utiliser les réfugiés syriens et irakiens pour faire du chantage qui s’adresse aux politiciens européens, sans cesser de consolider son pouvoir dans le monde sunnite. Puisqu’il travaille à éliminer toute opposition régionale à sa vision d’un empire islamique prévu pour 2023, il faut nous attendre à davantage de guerres désastreuses au Moyen-Orient. Elles auront pour conséquence l’augmentation du nombre de réfugiés cherchant à s’échapper vers l’Europe. Et l’Europe ne parviendra pas à maintenir la crise hors de ses frontières en s’appuyant sur un gardien qui est lui-même l’une des principales causes du problème. Arrêtons de nous voiler la face : l’EI n’a pu survivre jusqu’à présent que grâce aux afflux de jihadistes, d’armes, de munitions et d’argent qui passent par la Turquie. […]

En ce qui concerne l’EI, quelle est selon vous la meilleure stratégie à adopter pour le détruire ?

L’EI s’occupe du sale boulot pour la Turquie, et en contrepartie la Turquie fonctionne comme une route de ravitaillement pour l’EI, en plus de lui fournir une aide directe. Tant que la Turquie est autorisée à continuer ainsi, même si l’EI est détruit, des dizaines de groupes armés islamistes continueront de prospérer en Syrie. Je pense qu’Erdogan continuera à soutenir les islamistes en Syrie jusqu’à ce qu’il n’ait plus besoin d’eux. Bien sûr, les choses ne se passent pas toujours comme on le souhaite. À chaque jour qui passe, la ressemblance entre la Turquie et la Syrie devient de plus en plus frappante en ce qui concerne la polarisation de la société, qui pourrait très bien mener à l’éclatement éventuel d’une guerre civile.

L’unique problème de la Turquie, et le pire, est le fameux « problème kurde ». Erdogan soutient surtout l’EI, Jabhat al-Nusra, récemment renommé Jabhat Fatah al-Sham, et de nombreux autres mouvements islamistes pour empêcher les Kurdes syriens de contrôler les régions du nord de la Syrie, le long de la frontière turque.

Lorsqu’il est devenu évident que l’EI ne pouvait pas stopper les forces kurdes après la bataille de Kobanê, la Turquie s’est directement interposée pour empêcher les Kurdes d’expulser l’EI de la dernière bande de 100 km qu’ils contrôlent le long de la frontière turque. Ankara répète régulièrement que cette zone est une « ligne rouge » que les Kurdes ne peuvent pas franchir. En soi, la région de Jarablus est donc contrôlée par l’EI et protégée par la Turquie.

Erdogan s’est toujours appuyé sur l’EI pour juguler la soi-disant menace kurde en Turquie. Ces dernières années, l’EI a mené de nombreuses attaques contre des cibles kurdes. Lors du massacre de Suruş du 20 juillet 2015, 32 étudiants kurdes et turcs qui étaient en route pour aider à la reconstruction de Kobanê ont été tués dans un attentat suicide commandité par l’EI. Environ six semaines plus tôt, le 5 juin, une autre attaque à la bombe de l’EI lors d’un rassemblement électoral kurde à Diyarbakir avait causé la mort de quatre personnes. Le 10 octobre 2015, une attaque à la bombe de l’EI a causé la mort de plus de 100 civils et en a blessé plus de 500 lors d’une marche pour la paix organisée à Ankara par le parti pro-kurde de la démocratie des peuples (HDP) et par plusieurs syndicats. […]

Comment pouvons-nous aider de manière significative ceux qui sont actuellement emprisonnés dans les prisons turques ?

Une manière significative d’aider les victimes d’un régime despotique, quel qu’il soit, est d’abord de ne pas soutenir ce régime en lui vendant des armes ou en y effectuant des visites touristiques. Je pense que l’Occident doit se libérer du cycle qui consiste à soutenir les islamistes pour se débarrasser de dictateurs indésirables, comme Qadafi et Al-Assad, puis à soutenir des régimes militaires pour renverser les islamistes.

C’est un cycle infernal au Moyen-Orient, et la Turquie n’y fait pas exception. La longue histoire de l’oppression en Turquie a offert une légitimité populaire à Erdogan et il est en train de tranquillement devenir un dictateur oppressif. Ce n’est pas que je pense qu’une troisième option, démocratique, n’existe pas, mais à tous les endroits et tous les moments où le fascisme est relativement populaire, les forces démocratiques sont faibles, précisément parce qu’elles sont contre la violence de façon inhérente, ce qui les empêche d’arrêter le fascisme.

En Turquie, il existe un mouvement progressiste qui s’oppose à la fois au fascisme nationaliste et au fascisme islamiste. C’est un mouvement démocratique, séculaire, pluraliste, multiethnique et féministe mené par le HDP. Pendant les semaines qui ont précédé le coup d’État de juillet, l’AKP d’Erdogan a soutenu une loi offrant aux soldats l’immunité contre toute poursuite judiciaire afin de permettre aux forces armées de tuer plus facilement dans la région kurde. Le parti a aussi proposé une autre loi visant à priver les députés – en réalité, ceux du HDP – de leur immunité parlementaire. Le HDP est le dernier espoir de la Turquie, si le régime d’Erdogan trouve le moyen de faire taire ses dirigeants et ses activistes, par la prison ou par d’autres moyens d’oppression, la Turquie va devenir un cas d’école de régime dictatorial.

En Turquie, l’histoire des Kurdes est longue et tourmentée. Pour la première fois, un cessez-le-feu avait été conclu avec le PKK et des négociations entamées avec le gouvernement. Ces derniers temps, le HDP est resté sur la défensive et des centaines de civils kurdes ont été tués par les forces gouvernementales, avant le coup d’État. Est-ce qu’Erdogan va reprendre sa guerre contre les Kurdes ?

Erdogan n’a montré aucune intention de relancer le processus de paix. Il est maintenant dans une alliance avec les ultra-nationalistes et il poursuivra la guerre contre les Kurdes pour soutenir cette alliance. Au départ, il a repris la guerre pour plaire aux ultranationalistes qui sont farouchement opposés à la moindre reconnaissance des droits des Kurdes.

Il est difficile d’imaginer que la Turquie puisse accepter de reprendre le processus de paix avec les Kurdes, mais je pense que le mariage entre Ankara et l’EI se brisera un jour ou l’autre. Lorsque cela aura lieu, Ankara passera probablement un accord avec les Kurdes. Historiquement, les Kurdes se sont toujours montrés prêts à accepter une offre de paix, mais ils n’ont jamais eu assez de pouvoir pour imposer la paix en Turquie.

Même si l’Occident utilise maintenant les Kurdes pour se dresser contre l’EI, les médias internationaux ne parlent presque pas de l’oppression brutale des Kurdes en Turquie. Et parce qu’Erdogan est en train de faire du chantage à l’Europe avec le problème des réfugiés en menaçant d’ouvrir les portes de l’Europe aux réfugiés syriens, l’UE n’ose pas critiquer la Turquie au sujet des violations des droits humains au Kurdistan.

En Turquie, la pression sur le gouvernement n’est pas assez forte pour lancer un processus de paix. Il est plutôt ironique que d’un côté, les Kurdes subissent chaque jour la violence de l’État et l’absence de solidarité populaire, mais que d’un autre, on leur reproche de ne pas ressentir pleinement leur appartenance à la Turquie. Ce n’est que si la Turquie se retrouve plongée dans une crise sérieuse qu’Ankara envisagera un processus de paix.

La question kurde est très compliquée en Turquie, elle fait remonter 100 ans de reniement, d’humiliation, d’assimilation forcée et de gestion sociale. En Turquie, j’assiste quotidiennement aux conséquences douloureuses des politiques coloniales turques. Un jour, j’étais dans un bus pour l’université, quand deux jeunes enfants accompagnés de leur mère et de leur grand-mère sont montés. La grand-mère parlait kurde avec la mère, mais la mère parlait turc avec les enfants. Je suppose que la grand-mère ne connaissait pas le turc ou se sentait mal à l’aise de parler à sa fille dans une langue étrangère. Je suppose aussi que les enfants ne parlaient pas le kurde, comme les nombreux enfants kurdes qui ont été turquisés par l’État. Alors que le bus continuait de rouler, l’un des enfants a commencé à chanter une chanson triste kurde en regardant par la fenêtre. Dans un moment ordinaire comme celui-là, on peut assister à l’annihilation qui traverse les générations.

À quel point les femmes sont-elles libres ou opprimées en Turquie aujourd’hui ? Les femmes kurdes et turques ?

Le kémalisme a aidé les femmes turques a conquérir beaucoup de leurs libertés individuelles, mais c’est en train de changer avec le gouvernement islamiste d’Erdogan. Erdogan a clairement indiqué, à de multiples occasions, qu’il ne pense pas que l’homme et la femme soient égaux. Il a largement encouragé les familles turques à avoir davantage d’enfants et a enjoint les femmes à faire de l’éducation des enfants une priorité.

Par un effet de retournement intéressant, de nombreuses féministes turques s’inspirent dorénavant du mouvement féministe kurde. Historiquement, la région kurde était plus conservatrice en ce qui concerne les droits des femmes, ce qui n’est allé qu’en empirant avec la politique oppressive et les conditions économiques imposées dans la région kurde.
Cependant, l’émancipation des femmes est l’un des piliers de l’actuel mouvement kurde de libération. Öcalan, le leader emprisonné du PKK, a eu une phrase célèbre : « tuez l’homme ». C’est l’un des slogans de l’académie des femmes du Rojava (Kurdistan de Syrie). Bien sûr, cette citation est à prendre de façon métaphorique, mais elle démontre un changement puissant dans les consciences. Les combattants kurdes en Turquie et en Syrie suivent des cours de féminisme radical pour déconstruire le système de valeurs patriarcal. Ce même mouvement a également promu systématiquement un système de parité consistant à placer des co-dirigeants hommes et femmes à tous les postes de responsabilité en Turquie et en Syrie.

Les municipalités, les partis politiques et les forces militaires des régions kurdes de la Turquie et de la Syrie doivent garantir que le pouvoir est partagé, pour chaque poste, entre un homme et une femme.

Comment se passe la vie des personnes LGBT en Turquie aujourd’hui ?

Depuis plusieurs années, les personnes LGBT sont également confrontées à une pression accrue de la part du gouvernement d’Erdogan. En réalité, la police a essayé d’empêcher la gay pride d’Istanbul ces deux dernières années. Bien sûr, comme pour les libertés des femmes, ce n’est pas facile pour le gouvernement de supprimer tous les droits LGBT d’un coup, mais ces droits peuvent être complètement perdus en quelques années, comme cela s’est produit ailleurs. La société iranienne était, à une époque, très libérale à l’encontre des relations personnelles/sexuelles, malgré une violente dictature. Maintenant, sous le régime despotique actuel, les Iraniens ne bénéficient plus de ces libertés passées.

La Turquie semble suivre le même chemin : en plus de l’absence de libertés politiques, les libertés « personnelles » vont être de plus en plus restreintes. […]

Extrait de Merhaba Hevalno n°9.
Source : Kurdish Question – Traduction : Merhaba Hevalno.

[mis à jour 30/12] Solidarité avec Maxime Azadî arrêté en Belgique

15621670_1271541052937055_667951610619792830_nMaxime, libéré, raconte sur son blog son arrestation et sa « détention » de deux semaines dans une prison en Belgique…

J’ai été arrêté le 15 décembre près de Bruxelles par la police belge à la demande du pouvoir turc, alors que je conduisais.  La police a dit que j’ai été signalé par la Turquie. C’était la seule raison. J’ai été menotté les mains derrière le dos, avant de passer la nuit dans une cellule d’un poste de police à Mechelen, en Région flamande dans la province d’Anvers. Dès mon arrestation j’ai entamé une grève de la faim. La Turquie avait émis un mandat d’arrêt international contre moi, via Interpol, devenu un mécanisme arbitraire de la répression. Certes, ce n’était pas la première arrestation au sein de la communauté kurde. Je n’ai signé aucun papier durant ma garde à vue pour protester contre cette injustice. Le 16 décembre, j’ai été amené mains liées devant le tribunal de Turnhout, situé à 85 km de Bruxelles.  Le procureur a demandé mon extradition vers la Turquie. La demande venait de la Turquie. Le juge a ordonné mon arrestation. Or, le juge avait admis qu’il n’y avait aucune information pour le moment pour justifier cette arrestation. Un scandale. Comment pouvait-on considérer comme « crédibles » les accusations venant d’un pays où la justice, la liberté de la presse et de l’expression n’existaient pas ? Selon mon avocat belge Luc Walleyn et le juge, le dossier sur moi était préparé par le tribunal de Sirnak, une ville dans laquelle je n’avais jamais mis les pieds. Les accusations sont fondées sur des articles publiés à partir du 4 mars 2013. Toujours selon un document envoyé par la Turquie,  un tribunal turc a ordonné mon arrestation au 31 août 2015. Je risquerais au moins 25 ans de prison, sans parler d’autres enquêtes ouvertes contre moi dans plusieurs villes en Turquie. Les premières informations étaient très limitées. Le juge m’a demandé ce que je penserais en cas d’extradition vers la Turquie. « C’est vous qui devrez avoir des soucis, car ce serait une honte pour la démocratie belge » répondis-je.

DEUX SEMAINES D’ISOLEMENT

A la fin de l’audience, j’ai été envoyé à la prison de Turnhout. J’ai continué à mener ma grève de la faim. Pendant trois jours, je n’ai consommé que très peu de thé et d’eau. Je ne recevais l’eau chaude pour le thé que le matin et le soir. Le premier jour, le directeur de la prison a dit que je serai soumis à un régime spécial, car j’étais considéré comme « terroriste ».  Mes contacts avec les autres détenus ont été limités. Les appels et les visites ont été interdits. On m’a dit que j’avais le droit d’appeler mon avocat tous les jours, et je n’ai jamais pu l’appeler. Cependant j’ai pu rencontrer mon avocat trois fois, car je n’avais aucun contact avec l’extérieur. À part une visite de mes parents, mes amis et mes collègues n’ont jamais pu franchir les portes de la prison. Les autres détenus avaient le droit de parler au téléphone quinze minutes par jour. Ils pouvaient sortir à la cour de promenade deux heures par jours.  Malgré le régime spécial, j’ai été mis dans une cellule où déjà deux détenus de droit commun étaient placés. Le paradoxe. Je me suis trouvé dans une prison surpeuplée. Les quatre premiers jours, je dormais par terre.  Il n’y avait aucune place pour bouger. Les toilettes étaient à l’intérieur de la cellule où on mangeait et dormait.  Pendant ces quatorze jours dans la prison de Turnhout, je n’ai pas eu le droit de sortir de la cellule.  Mes demandes pour aller à la bibliothèque de la prison dans l’espoir d’avoir un livre n’ont eu aucune réponse.  Des livres que mes amis m’avaient envoyés ont été refusés.  Le temps semblait s’arrêter dans cette cellule. Prenant en compte le conseil de mon avocat, j’ai arrêté la grève de la faim trois jours après mon arrestation, mais j’étais déterminé à relancer la grève si la justice refusait de me libérer.

J’ACCUSE…

Après la demande de mon avocat le 19 décembre pour ma libération, j’ai été conduit le 23 décembre, les mains toujours ligotées, devant le juge à Turnhout, avec plusieurs autres détenus de droit commun.  J’ai refusé de me défendre. Tout était dit par mon avocat. Mais mon refus était une réaction à l’injustice, car je n’étais pas coupable. Au contraire, j’accuse.  Je refusais les motivations qui ont conduit à mon arrestation, les mécanismes qui ont été mis en œuvre, la manière de cette arrestation et les traitements indignes durant mon incarcération.  J’accusais les autorités européennes pour leur complicité avec la Turquie et pour avoir cédé aux chantages du régime Erdogan.  Je n’étais ni coupable ni terroriste. Les mentalités et les pratiques qui faisaient vivre la terreur d’État dans la démocratie étaient coupables.

LA RÉSISTANCE EST BELLE

Lors de l’audience du 23 décembre, les accusations dans le dossier turc fondées sur mes articles et d’autres qui avaient été publiés par l’agence de presse Firat dont je suis le directeur ne se sont pas trouvées assez convaincantes pour le maintien de mon incarcération.  Pendant tout ce temps, dehors, une large campagne de soutien avait été lancée pour obtenir ma libération. La Fédération internationale des journalistes et de nombreux médias se sont intéressé à ma situation. Le procureur qui avait auparavant demandé mon arrestation a dit qu’il était en faveur de ma libération. Le juge a ordonné dans ce sens, mais sous caution, alors que j’avais refusé de payer la caution. Le même jour, au retour à la prison, le directeur m’a communiqué la prolongation du régime spécial. Dans la soirée, j’ai reçu la décision de ma libération sous caution. Apparemment mes collègues et mes amis avaient décidé de payer la caution. Cependant, il y avait une autre décision, venant de l’Office des étrangers. Or, j’étais un citoyen européen, ayant la nationalité française.  L’Office des étrangers demandait le maintien de mon incarcération jusqu’à l’extradition vers un autre pays, dont j’ignore le quel, sans aucune interdiction sur le territoire belge. Il était possible que je sois extradé vers la France. D’après mon avocat, la Turquie avait fait la même demande auprès des autorités françaises. Dans ce cas, je risquerais aussi d’être arrêté en France. Je devais être transféré le 29 décembre au centre pour les étrangers illégaux de Merksplas. Mon avocat a fait appel urgent de cette décision. Malgré la libération ordonnée par le juge, j’ai passé cinq jours de plus dans la prison avant d’être libéré le 28 décembre. La menace de la Turquie pèse toujours sur moi.  Le tribunal attend le dossier complet qui devrait être envoyé par les autorités turques.  Par conséquent, si ces méthodes et tant d’injustices et de pratiques qui portaient atteinte à la dignité humaine ont pour objectif d’intimider, je devrais dire qu’ils sont sur la mauvaise direction, car ces attaques n’atteindront pas leur objectif. Je continuerai à écrire, à déranger et à lutter pour un autre monde.  Résister, c’est beau et plus excitant.

Maxime Azadi

* Je remercie tous ceux qui m’ont soutenu après mon arrestation et à travers moi la liberté de l’expression et de la presse, tout en dénonçant cette injustice et la répression du pouvoir turc exportée en Europe.

 

 

Le Collectif VAN informe le 19 décembre :

Les comptes Facebook et Twitter de Maxime Azadi, d’ordinaire très actifs, sont silencieux depuis ce jeudi 15/12 au matin. Selon les nouvelles tournant sur Twitter, le journaliste kurde de Belgique a été arrêté sur demande des autorités turques.
On peut en conclure qu’Erdogan a non seulement fait de la Turquie l’une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes, mais qu’il utilise désormais les dirigeants européens comme chiens de garde contre la liberté de la presse traitant de la question kurde et des minorités. En bafouant à Bruxelles les droits des opposants de Turquie réfugiés sous ses cieux, l’Europe foule aux pieds ses valeurs les plus précieuses.
Maxime diffusait en français une information libre sur la Turquie et c’est en cela qu’il était devenu gênant pour le néo-sultan d’Ankara. Nous l’avions rencontré fin août où il était venu couvrir le Festival du cinéma de Douarnenez, consacré cet été aux peuples de Turquie.
Liberté pour Maxime Azadi !

Mise à jour du 20 décembre et pétition en ligne pour sa libération immédiate :

Notre camarade Maxime Azadi a été arrêté suite à la demande des services de renseignements turcs via Interpol. Il lui est reproché par ces services d’être en  » collaboration avec une organisation terroriste » et d’être le directeur de l’agence kurde « Firat News Agency »(ANF), qui est le premier site d’informations actif des Kurdes d’Europe.

Nous, en tant que citoyens kurdes résidents en Europe, nous avons fui pour la plupart la pression qui pèse sur nous en Turquie, la guerre et l’assimilation forcée par le régime turc qui nous oppresse depuis des années. Nous sommes venus en Europe afin de nous reconstruire une vie, tout en gardant notre origine comme étant quelque chose de précieux. Nous sommes pour la plupart des étudiantEs, des journalistes, des avocat(e)s, des médecins, des chercheur(e)s, des professeur(e)s, dont le but est le même: révéler la réalité du gouvernement turc et l’oppression qui pèse sur les minorités. En aucun cas nous ne pouvons rester silencieux, en aucun cas nous n’accepterons que soient arrêtés des militants pour avoir usé de leur liberté d’expression contre Erdogan.

C’est pour cette raison que nous demandons de façon solidaire la liberté pour Maxime Azadi et sa libération immédiate.

Mise à jour au 21 décembre :

Après plusieurs recherches depuis la nuit passée, nous avons obtenu un peu d’information sur la détention du journaliste kurde Maxime Azadi… Il a été détenu le jeudi 14 décembre par la police belge en Belgique à cause d’une bulletin international de la police turque. Il se trouve actuellement dans la prison de Turnhout près de la frontière hollandaise. Pour son interrogatoire, la police belge attend des renseignements complémentaires des autorités turques. Maxime sera défendu par l’avocat Luc Wallyn. Bien que l’agence ANF et les organisations kurdes en Belgique ne donnent pas l’information détaillée sur cette arrestation, les médias belges ont commencé vers le soir du 20 décembre à donner des dépêches relatives à cette violation de la liberté de la presse.

Solidarité avec Maxime Azadî !

Lisez « Firat News Agency »(ANF) !

Şûjin : Les femmes recréent un nouveau site d’information

15380810_178874172583349_991544977368182809_nJinha le site d’information kurde « par et pour les femmes » avait été fermé par l’Etat turc depuis quelques semaines. L’Etat turc veut mettre sous silence tous les médias d’opposition, notamment ceux du Kurdistan. Mais les militantes ne lâchent rien et reviennent avec un nouveau site :

https://gazetesujin.com

Lire aussi l’article de Kedistan à propos de ce nouveau site !

Merhaba Hevalno mensuel n°10 – décembre 2016

sirnak en ruineDécembre. L’hiver s’installe, doucement, implacablement. Malheureusement, ce mois-ci encore, le flot de mauvaises nouvelles poursuit son cours, et le froid signifie aussi un durcissement des conditions de vie pour celles et ceux qui continuent de résister. […]

En Turquie, les arrestations de membres du HDP et du DBP se poursuivent, les conditions d’isolement des leaders emprisonné.e.s le mois dernier se durcissent, les discours haineux et misogynes du pouvoir sont de plus en plus assumés, tandis que les habitant.e.s des villes détruites par l’armée les mois passés, reconnaissent à peine leurs maisons. Nous publions ce mois-ci le témoignage de l’un d’entre eux.

Au Rojhilat, les nouvelles, éparses, ne sont pas meilleures, et rapportent que les disparitions de civil.e.s kurdes en pleine rue continuent.

Difficile de garder espoir, et pourtant… Les Kurdes nous montrent à chaque instant que même au plus profond de la nuit, la résistance et la rage révolutionnaire sont encore possibles, et qu’au milieu des bombes et de la répression, l’amour de la liberté soulève des montagnes. C’est ce qui ressort de manière très sensible des textes de Dilar Dirik, dont nous publions (encore !) deux écrits ce mois-ci, l’un sur la guerre d’Erdoğan envers les femmes qui résistent, et l’autre qui est un compte-rendu de voyage au Rojava. […]

Certes, c’est l’hiver, certes, tout va mal, mais les graines sont là, elles ont même déjà germé, et qui peut dire ce que le printemps fera éclore ?

Télécharger le ficher pdf

SOMMAIRE :

  • Édito
  • [Bakûr, Turquie] Şırnak, à la recherche d’une humanité détruite
  • [Rojava, Syrie] Le Rojava : oser imaginer [partie 2]
  • [Başûr, Irak] Pour les Kurdes d’Irak, la question de l’indépendance n’est plus d’actualité
  • [Başûr, Irak] Le Shengal deviendra-t-il une nouvelle base du PKK ?
  • [Rojhilat, Iran] KODAR : Créer un front démocratique est une nécessité historique
  • [Rojhilat, Iran] En Iran, la lutte kurde dans l’ombre
  • [Turquie] L’abus sur les mineur.e.s légalisé par mariage ?
  • [Turquie] La guerre d’Erdoğan contre les femmes
  • [Turquie] Messages de lutte pour le 25 novembre
  • [Europe] Attaques contre les intérêts turcs en Europe
  • Glossaire & agenda

Télécharger le ficher pdf

Téléchargez le pdf, imprimez et photocopiez-le et diffusez-le autour de vous, partout ! (Pour imprimer en mode « livret », choisissez du papier A3 pour faire tenir 2 pages sur chaque face.)