Etat de siège à Diyarbakır : la sale guerre de l’Etat turc s’intensifie (1ère partie)

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Depuis juin dernier, l’Etat turc et ses flics – se réclamant pour un certain nombre de Daech – font monter la pression au Kurdistan. Certaines villes et quartiers du Kurdistan déclarent en effet leur autonomie en écho au mouvement autogestionnaire qui voit le jour au Rojava (Kurdistan syrien) et cela ne plaît pas du tout au président-dictateur Erdoğan et à ses collègues de la bourgeoisie turque. Leur réponse est la reprise de la « sale guerre » des années 90 que leurs prédécesseurs avaient menée contre le peuple kurde. Cela se concrétise par des centaines de couvre-feux de plusieurs jours à de nombreux endroits, ainsi que le sièges de villes et quartiers. [Un article sur le site Susam-sokak reprend ça en détail ; voir aussi Kedistan.fr]. Neuf jours de siège à Cizre (120000 habitants) pour y exterminer les « terroristes » kurdes [sic] en septembre. Puis Silvan en novembre où les tanks turcs ont détruits 3 quartiers. Puis Nusaybin, Mardin,… et Diyarbakır, la plus grande ville du Kurdistan (850000 hab.) que beaucoup considèrent comme la « capitale » du peuple kurde… Diyarbakır (Amed en kurde), plus précisément, Sur, le quartier de la vieille ville fortifiée, un symbole historique et l’un des trois « cœurs » de Diyarbakır avec les quartiers d’Ofis et de Bağlar. Sur, sa population pauvre et son labyrinthe de ruelles, coupée du reste de la ville…

Voici un récit des journées du au 11 décembre.

8 décembre : Sur sous les bombes et les balles
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Sur, la vieille ville fortifiée de Diyarbakır, est assiégée par les forces armées de l’État turc depuis maintenant 7 jours consécutifs. Nous voulions nous rendre dans le quartier comme à notre dernière visite il y a quelques mois. Mais aujourd’hui, impossible d’avancer plus loin que sur le trottoir en face de l’historique muraille. Pour qui y a déjà été, les souvenirs reviennent vite, il n’y a pas à dire ce quartier il est difficile de ne pas aimer y venir et s’y perdre dans ses ruelles. On y trouve, en temps normal, des vendeurs de racines et leurs charrettes en bois, des boissons chaudes improbables, des échoppes par milliers, des terrasses où l’on boit le thé sans soif ni fin, des femmes marchant avec leur gosses ou leurs copines bras dessus bras dessous, des vieux en train de glander allongés sur l’herbe, des jeunes rigolant en pagaille… Sur !

Et ce que l’on peut voir aujourd’hui est maalesef à des années-lumière de tout ça. Les commerces sont fermés, plus personne dans les rues, impossible de franchir Dağkapı, une des portes de la vieille ville. Tout accès est bloqué. La meydan, la place, par laquelle on accède à la vieille ville, habituellement pleine de gens, est vide : un chien errant essaye de trouver un passage à travers les barrières de police, panique un instant, et parvient enfin à trouver à une sortie au piège dans lequel il était pris. Les flics en civil, kalach’ à la main, font face aux passants qui les regardent inquiets. D’autres keufs patrouillent dans leurs panzer (blindés de la police) ou dans leurs toma (canons à eau utilisés au quotidien). C’est ce que l’on peut voir du siège de Sur. Tout a bien changé en l’espace de quelques mois : à l’extérieur de la vieille ville, malgré une ambiance pesante, les gens continuent de vivre leur quotidien quasi « normalement », à ceci près que chacun entend tirs en rafales, grondements et explosions, chacun voit des colonnes de fumée noircir le ciel. Les gens qu’on croise et rencontre, racontent tous les mêmes choses. Nous en partageons les quelques bribes qui nous sont parvenues : les forces spéciales balancent en effet des bombes par hélicoptère sur les habitant.e.s et les camarades qui résistent à l’intérieur. Et même une mosquée de Sur, monument qui date de plus de 500 ans, a été littéralement soufflée par une bombe des flics. Les pompiers venus pour éteindre la mosquée en feu, n’ont eu droit qu’à une seul mot des forces spéciales : « Laissez ! Cette ville de sales bâtards devrait cramer en entier »… Face à cela, des guerillas et des jeunes des YDG-H sont venus aider à défendre le quartier. On nous dit qu’ils et elles sont à peine 200, mais se relayent par groupe de 10 ou 15 à tenir les positions. Les forces spéciales qui font le siège n’arrivent pas à rentrer et se font régulièrement mettre à l’amende (blindés détruits, keufs blessés ou tués). Les guerillas ne sont pas les seuls à défendre le quartier : des habitantes de Sur de tous âges, elles aussi, aident à monter les barricades de sacs de sable et prennent les armes pour se défendre.

Aujourd’hui, ce 8 novembre, quelques centaines d’habitants ont manifesté dans le quartier d’Ofis pour dénoncer ce sièges qui n’en finit plus. La foule a forcé le barrage des flics, les jeunes ont dressé des barricades et ont attaqué la police. Mais les keufs sont arrivés en mode commando, ont gazé comme des porcs, utilisé leurs canons à eaux, tiré avec leurs flash-ball, et également à balles réelles : un jeune de 14 ans a été touché par une balle, il est mort quelques heures plus tard. Plusieurs témoignages précisent que les assassins du jeune sont des flics spéciaux, sortes de barbouzes, sortant d’un gros 4×4 noir banalisé et vitres teintées qui rode souvent aux alentours des manifs…

Une personne, habitant non loin de Sur, concluera cette journée : « On s’endort avec le bruit des tirs… Et on se réveille avec le bruit des tirs. »

9 décembre : le reste de la ville sous les gaz

Comme tous les jours, aujourd’hui encore les avions de chasse survolent la ville et maintiennent une pression psychologique par le boucan qu’ils font. C’est aussi la 8ème journée consécutive de siège du quartier de Sur. Le fracas des explosions et le bruit des rafales retentissent toujours, les nuages de fumée montent vers le ciel derrière les murailles de la vieille ville fortifiée. A midi, en parlant avec un vendeur de journaux à Ofis, nous apprenons qu’une manifestation a lieu une heure plus tard pas loin de là où nous nous trouvons. Nous nous y rendons. Les flics sont partout : blindés, canons à eau, police anti-émeute, keufs en civil kalash’ à la main. Il s’agit pour la petite centaine de courageuses et de courageux du jour de faire entendre les revendications suivantes : la libération d’Abdullah Öcalan – toujours prisonnier sur une île turque dont il est le seul résident depuis 1999 et dont plus personne n’a de nouvelles depuis avril dernier – ; la reprise des négociations pour la paix ; et la reconnaissance d’autonomie formulée par les villes et les quartiers du Kurdistan par l’État turc. Autant dire que c’est tendu et stressant, les flics instaurant là encore une ambiance de petite terreur. Le rassemblement s’ébroue et commence à partir en manif. La police menace en hurlant dans les hauts-parleurs que manifester est interdit (comme en France !) et les blindés et les casqués se lancent illico à la poursuite de la déambulation. Les manifestants décident de ne faire qu’un tour de pâté de maison pour calmer les ardeurs de la flicaille, ne pas lui permettre de gazer, tabasser et tirer dans le tas une fois de plus. Une demi-heure plus tard, après sitting et prises de paroles, les manifestants se dispersent. Nous partons nous balader dans les quartiers alentours. Quelques heures plus tard nous avons à nouveau droit au gaz lacrymogène. Toutes les rues que nous empruntons en sont gavées. Les nombreux passants – pères de familles, lycéennes, vieilles femmes – pleurent tout comme nous. Personne ne sait vraiment ni où ni pour quelles raisons les keufs ont gazé depuis leurs blindés. Ce gaz se répand partout, il est invisible et met du temps à s’évaporer. On nous dira le lendemain que c’est un gaz d’un type nouveau, et bien plus puissant qu’avant : « Ça fait 22 ans que je suis là et que je respire du gaz, celui-ci est pire que les précédent… »

10 décembre : solidarité avec les assiégés

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13 heures. Manifestation aujourd’hui en solidarité avec les habitants et les camarades qui résistent

aux assauts de l’État dans Sur. 500 à 600 personnes, à peine, devant la Porte d’Urfa de la citadelle. Gros dispositif policier, comme d’habitude. Mais qui ne suffit pas à démotiver les manifestants qui font face. Ça tape sur les rideaux de fer baissés, ça siffle et frappe dans les mains pour faire un maximum de bruit et se faire entendre depuis l’intérieur. Ça ressemble quasiment à une manif devant une taule en soutien aux prisonniers. Beaucoup de jeunes voire de très jeunes, de 8 à 14 ans, qui courent en ribambelle. Comme le fait remarquer un manifestant, « Ce sont les mères et les enfants qui nous aident à tenir moralement. La vraie force ce sont eux ». Un bon paquet, aussi, de grand-mère remontées par des décennies de massacre, de tortures, de taules et d’humiliations racistes au quotidien.

Le face à face avec les flics dure bien deux heures : la police menacent régulièrement d’attaquer la manifestation car elle est interdite (comme en France !) ; les cocuklar, les enfants, s’échauffent et commencent à dépaver et briser les briques pour en faire des projectiles ; les adultes calment le jeu et appellent tout le monde à venir s’asseoir et chanter la guerilla au plus près des flics. Et dans les temps morts ça discute. Un certain nombre de personnes s’énervent contre le fait qu’il y a vraiment peu de monde, comme le fait ce père de famille : « Mais où sont les autres ? Cette ville est gigantesque et nous ne sommes que 500. Que font les autres ? Ils boivent du thé ? » Et c’est vrai que la question se pose. L’État turc joue la carte de la terreur et de l’épuisement : il tente de diviser le mouvement en effrayant le plus grand nombre. Tous les États procèdent ainsi, ce n’est pas nouveau, mais le phénomène semble visible de manière cruciale en ce moment à Diyarbakır. La plupart des discussions tournent autour des questions de la paix et de la guerre. « Faut il attendre encore avant d’assumer franchement la guerre qui nous est faite ? » ; « La paix, il faut œuvrer à la paix et ne pas céder aux provocations de l’État » ; « D’accord, mais en attendant, ils tuent tous les jours plusieurs de nos jeunes » ; « Est-ce que le PKK et les YDG-H adoptent la bonne stratégie ? L’autodéfense des villes et des quartiers, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? » ; « Il n’est pas possible de baisser la tête devant Daech et Erdoğan ! »… etc. Telles sont les discussions, les questionnements, les prises de têtes du moment.

Cinq cocuklar de 9 à 13 ans lancent un chant révolutionnaire, la foule les reprend en chœur. Puis d’autres jeunes allument deux grands feux à même la chaussée. Vieux frigos déglingués et autres débris font de bons combustibles. Mais ça ne plaît pas aux larbins du Sultan. Quelques minutes après ils chargent avec canons à eau et blindés lanceurs de gaz. Nous partons en courant dans les petites rues avant de se disperser.

11 décembre : État de siège et arnaque tactique

Toujours être entre guerre et paix. Telle semble être la stratégie de l’État turc et de ses forces spéciales. Hier au soir, il annonçait la levée du siège de Sur, mais ce n’était malheureusement que de la poudre aux yeux. Comme nous avons pu le constater en nous y rendant. Toujours être entre guerre et paix pour fatiguer, déstabiliser et faire tergiverser le mouvement kurde…

Nous nous dirigeons ver Sur, donc. Pour fêter la fin du siège, croyions nous.

Nous arrivons au meydan, les grilles de la police barrent toujours l’accès. Ce premier signe montre qu’il y a anguille sous roche. Et second signe : fouille à l’entrée, palpage et vérification des identités des personnes qui veulent rentrer dans Sur. Passeport européen, c’est louche, une vérification plus poussée. Avant de rentrer, par simple provocation, ou simple envie de comprendre leur présence dans un quartier où la levée de l’interdiction a été annoncée : « Pourquoi vous êtes toujours là ? » « Nous sommes là contre la terreur »… Ah ! Une fois dans les rues où plus personne ne pouvait circuler depuis des jours, on comprend rapidement avec tristesse et colère, en voyant la multitude des forces de police, que ce n’est pas du tout une levée d’interdiction. C’est juste une « pause » avoueront rapidement les forces spéciales. Toutes les rues sont bloquées par des tireurs, qui ont le doigt sur la détente, près à tirer. Des agents cagoulés avec des kalashs à la main. Des tanks, des canons à eaux, et d’autres véhicules blindés… Si tu veux continuer à te déplacer ou emprunter une rue, les contrôles se font encore. Peu de commerces sont ouverts, peut-être un sur quatre. Les animaux enfin sont sans doute un bon indicateur sur l’ambiance de ces sales derniers jours : des cadavres de chats à même la rue, et les chats survivants semblent malades et affamés.

On atterrit à la terrasse d’un café au cœur de la vieille ville. Des femmes arrivent, se posent à côté de nous. Abattues. Elles parlent en kurde, et nous traduisent en turc leurs discussions : « On a entendu hier soir la levée du siège. On vient voir, et la déception est doublement douloureuse. Ça présage rien de bon. Les fouilles, les policiers, les tanks, partout. Quel sens ça donne à cette soit disant levée dinterdiction ? On ne peut même pas rentrer dans Sur. Vous imaginez ce que vivent les gens encerclés par les forces de l’État ? Ils sont sans eau, sans électricité, sans nourriture depuis neufs jours. Les seuls à se battre ce sont eux, nos jeunes. Et tout les autres ? Où sont tils ? Hein ? Je vous le demande !  Certains veulent la paix, la paix sociale, un accord qu’on attend, qui se ferait avec l’État, mais qui n’arrive pas. Et d’autres veulent se battre, faire la guerre, pour enfin avoir la paix : nos jeunes. Ils sont plus courageux que bien d’autres. Eux se battent pour nous défendre, pour qu’on puisse exister librement ». Comme d’autres ces derniers temps, elles critiquent le HDP pour la mollesse dans leurs propos « La paix avant tout », « Restez chez vous », et soulignent que ça casse le mouvement du peuple en le rendant plus frileux. Puis les femmes nous embrassent et s’en vont. Nous nous remettons en chemin. Et rapidement nous pouvons voir des maisons vides où il y eu des affrontements, les vitres sont brisés, des centaines de douilles de balles gisent au sol, et les sacs de sables se font plus nombreux. Pour celles et ceux qui continuer à s’aventurer près des zones d’affrontement, le risque de contrôle est grand. Et ça l’est encore plus pour les étrangers vus comme une réelle menace par les forces spéciales de la police du Sultan – journalistes, espions, pkk’lı, allez savoir ce que s’imaginent ces criminels… Une fouille de sac et ils sont toujours plus tendus, plus menaçants quand ils tombent sur un appareil photo ou un enregistreur audio : ça les fait psychoter. Expliquer le fait d’être des touristes ou simplement venu voir la famille n’évacuent pas toute méfiance. Heureusement ni photos compromettantes ni sons politiquement pas clairs. Ils hésitent et demandent à coup sûr ce que des yabanci, des étrangers, foutent dans les quartiers d’ici. Et bien on a plus le droit de circuler ou quoi ! Et si vous avez la malchance d’être français, le chef en cagoule finira par lancer menaçant :  « Vous voyez, en France, votre pays a déclaré 3 mois de couvre feu avec possibilité de prolonger à 6 mois. Ici en Turquie, nous sommes dans un vrai pays de droits. C’est un des pays le plus libre du monde. Tout le monde peut se déplacer librement. » Et oui, ça donnerait presque envie d’éclater de rire ! Même si ça peut être étonnant de voir qu’il connaît ce qu’il se passe en France et qu’il n’a pas tort.

Vite sortir de la souricière et de Sur, il y a vraiment des flics partout. Ce n’était effectivement qu’une arnaque tactique policière : permettre aux habitants qui le souhaitent de partir de chez eux, et ainsi, tenter d’approfondir la distance entre guerilla et peuple. Direction la sortie, donc. Dans la rue qu’on emprunte, une femme parle fort, avec sa fille qui l’accompagne et dit : « Sur est en État de siège depuis 9 jours, et le gouvernement n’a pas réussi à avancer d’un pas dans ces rues. Enragé, l’État et sa force armée sont près à tout dévaster pour avoir le dernier mot, il y a qu’à voir les photos. Ils veulent rentrer avec les tanks et les chars, mais la zone est maintenue par les forces du YDGH et du PKK avec des barricades, et des armes. Les habitants restant, soignent et soutiennent les combattants. Et là, ils font semblant d’enlever l’interdiction, pour vider les habitants restants et pour attaquer avec plus de violence Sur. Vous avez rien vu de ce qu’ils ont fait dedans. Allez voir là où ils interdissent l’accès. Ils ont tout démolit, et incendié. Que veux l’État ? Nous anéantir, en nous faisons passer pour des terroristes ? Je reviens de l’intérieur, j’habite dans ce quartier qu’ils ont saccagé avec la même violence et la même mentalité que Daesh. Et ils disent qu’ils sont là pour nous protéger. Ils veulent nous tuer un par un. Mais on continuera de résister. Pardon je vous parle, mais je sais même pas si vous êtes policiers ou agents de l’État. Mais ça m’est égal, j’en peux plus. » Elles nous disent qu’elles ont pris des photos de l’intérieur, et qu’elles veulent nous les envoyer, et faire entendre à l’Europe la terreur de l’État turc sur le peuple kurde.

[2ème partie à venir…]

 

Entretien autour des YDG-H, les groupes d’autodéfense des quartiers au Kurdistan

Nous rencontrons A. le 10 décembre lors d’une manifestation en solidarité avec les habitants et les camarades assiégés dans la vieille ville de Sur à Diyarbakır. Il y a environ 500-600 personnes présentes et qui avancent vers les flics barrant la route, qui chantent et lancent des slogans. Là, au milieu de la foule, un jeune garçon d’à peine 14 ans nous intrigue. Sur sa main, entre le pouce et l’index, trois points tatoués qui nous rappellent immédiatement les trois points du « mort aux vaches » de par chez nous. Intimidé par notre intérêt, ce sont les jeunes hommes à côté de lui qui répondent à notre curiosité. Oui, c’est bien un tatouage anti-flic : un point pour « je n’ai rien vu », un autre pour « je n’ai rien entendu », et le dernier pour « je n’ai rien à dire », face à la police, pas de poukave, pas de balance ! La discussion est lancée avec ce petit groupe de manifestants. Mais c’est avec A., 25 ans, qu’elle durera le plus longtemps. Il nous dit que sa sœur, engagée dans la guerilla depuis longtemps, est sûrement de l’autre côté du barrage de keufs, de l’autre côté de la muraille, en train de se battre. Il n’a pas de réelles nouvelles mais a cru comprendre qu’elle se trouvaient dans le coin de Diyarbakır, alors il vient la soutenir de l’autre côté. La discussion est tout de suite prenante et nous lui proposons de faire, au cœur de la manif, un petit entretien autour des YDG-H, les groupes d’autodéfense armée des quartiers composés par les jeunes qui y habitent…

Peux-tu nous expliquer ce qu’est le mouvement YDG-H (Yurtsever Devrimci Gençlik Hareket, en gros le « Mouvement de la jeunesse révolutionnaire patriote ») ? Est-ce que c’est une sorte de mouvement d’autodéfense des quartiers ?

Le YDG-H est un mouvement qui est né dans les régions kurdes, pour protéger la culture et le peuple kurde. En ce moment, on peut les voir agir à Diyarbakır et dans tout le Kurdistan pour défendre les valeurs d’émancipation sociale du peuple.

Ce mouvement est-il lié au PKK ?

Ce n’est pas une branche du PKK, mais vu que c’est un mouvement de guérilla, pour ce qui est de l’aspect technique des choses le PKK aide à former les YDG-H au combat. Le YDG-H se forme dans les montagnes, et vient ensuite défendre le peuple dans les zones urbaines.

On peut donner un exemple pour faire une comparaison : c’est un peu comme dans les années 90, quand le PKK avait été aidé dans sa formation par le mouvement TIKKO (parti marxiste-léniniste maoïste). Ils n’ont pas les mêmes idéologies, mais se retrouvent sur plusieurs aspects, d’avoir le même ennemi, de vouloir défendre leur peuple, et de vouloir la libération des peuples.
Les PKK’li restent les guerillas des montagnes, et les YDG-H sont les guerillas urbains. Contre toutes les oppressions qu’on subit, les gardes-à-vue, les perquisitions à répétitions, les enfermements, et bien d’autres injustices, ces guerillas sont là pour l’autodéfense, et défendre le peuple.

Le gouvernement dit qu’il est là pour protéger le peuple, qu’il est là pour faire valoir les droits de chacun, et que rien ne va dans ce sens, c’est de là que vient ce mouvement. Imaginons un chat, si on l’attaque il sort ses griffes, c’est instinctif, c’est de la défense. Et d’une façon normal et naturelle, contre toutes ces attaques de l’État, il a été vital d’avoir une protection du peuple dans les quartiers.

Concrètement comment ça s’organise ? C’est un groupe de potes qui se retrouvent et qui décident d’aller se former à la montagne ? Il y a différents groupes qui se coordonnent comme ça ?

Ces organisations se sont créées dans les quartiers. Ces groupes se sont formés d’abord pour lutter contre la prostitution et la drogue dans leurs quartiers. Les jeunes disent : « nous, on ne veut pas de drogue chez nous ! » en prenant en considération les ravages que ça provoque sur les gens. Ils disent qu’ils ne veulent pas être exploités, ni exploiter. Ils veulent du coup protéger le quartier de tout ce qui pourrait les fragiliser dans leur émancipation. De là naît le mouvement des YDG-H.

Faut pas croire que ces jeunes sont des jeunes « voyous », où se baladent les bras ballant sans rien comprendre à se qui les entours. Ce sont des jeunes qui sortent de différentes organisations. Ils ont étudié leur histoire, connaissent leur culture, étudient leur peuple, et de cette façon décident et réfléchissent à comment défendre tout cela. En réalité, ils travaillent et s’activent à faciliter l’émancipation des gens dans nos quartiers. Mais ces derniers mois, ils sont malheureusement contraints de ne se pencher que sur la question de l’autodéfense.

Et si les manifestations se font de plus en plus grandes au Kurdistan, ces dernières années, c’est aussi dû à l’histoire. Le gouvernement turc scandait, après les massacres perpétrés dans les années 80-90 : « Nous avons bien enterré le peuple kurde, et avec tout le ciment que nous avons versé sur leur tombe, ils ne sont pas près de se relever. ». Et notre leader [Abdullah Öcalan], nous a fait relevé la tête. Et les YDG-H ne s’arrêteront plus dans leur lutte.

Il y a le leader qui motive et active les actions des uns et des autres mais pas seulement. Il y a aussi la présence du gouvernement sur nos terres qui devient de plus en plus absurde. Aucune solution n’est trouvé pour les difficultés que rencontre le peuple dans les quartiers, alors les gens veulent s’autonomiser, et se débrouiller par eux-même. Le gouvernement ici, attaque et massacre son peuple, d’une manière de plus en plus violente et terrifiante. Du coup, oui, ça s’organise, oui, ça se bat, oui, on essaye de nous défendre comme on peut.

Ce que nous n’arrivons pas à comprendre à propos des YDG-H, c’est si ce sont des petits groupes qui sont fédérés, mais qui ont aussi leurs propres initiatives ? Par exemple ceux de Bağlar, ceux de Ofis, ceux de Sur [différents quartiers de Diyarbakır]… ou si c’est au niveau de Diyarbakır, ou de plus haut que les décisions sont prises ?

Ce sont des petits groupes qui s’organisent. Par exemple à Bağlar des groupes se rencontrent et s’organisent, à Sur aussi, et dans différents autres quartiers de Diyarbakır. Ce sont des groupes d’une dizaine, d’une quinzaine de personnes. Et ensuite dans ces groupes de personnes, certaines d’entre-elles se portent volontaire pour porter la parole des uns et des autres… Et ceux qui portent la parole se réunissent pour proposer les différentes idées de manifestations qui ont été discutées avant dans chacun des groupes. Si l’action doit se faire à Bağlar, ça se fait là, si c’est ailleurs ça se fait ailleurs… Les décisions sont prises comme ça. Mais aussi au moyen des outils technologiques d’aujourd’hui. Mais je voudrais préciser aussi, que dans beaucoup de manifestations ou de rassemblements, il n’y a pas forcément des membres du YDG-H, ou très peu. Parfois il va y avoir une initiative, un membre d’un groupe va la proposer, et ça va pousser les autres à participer à la manif. Et du point de vue technique, comme ils ont été formés aux armes ils savent ceux qu’ils ont à faire au moment voulu.

Du coup, ils sont tous formés ? Quand on voit comme tout à l’heure le gamin de 13 ans qui jettent des cailloux, est ce qu’il peut intégrer les YDG-H s’il en avait 16 ?

Non, ce n’est pas comme ça. Comme je l’ai dit au début, tous les jeunes de quartier ne sont pas du YDG-H. Ceux qui jettent les pierres ce sont ces gamins qui subissent aussi la répression, les gardes-à-vue, et la terreur de l’Etat. C’est des jeunes qui se défendent aussi mais qui ne font pas parti du YDG-H. Dans les quartiers, il y a des initiatives de groupes de jeunes, ils agissent de la manière qu’ils trouvent le plus juste.

Est ce qu’il y a d’autres forme d’autodéfense dans les quartiers ? Par exemple chez les plus jeunes ?

L’une des luttes qu’on mène aujourd’hui, c’est pour la libération de notre leader, mais aussi pour autonomiser nos territoires. Les jeunes sont souvent dans des groupes politisés, ils organisent aussi des manifestations, des rassemblements, qui va faire bouger le peuple de chez eux. Mais les jeunes YDG-H qui font des actions armées ne divulguent pas leurs actions aux habitants. Le peuple, et les différents partis politiques ne sont pas avertis de leur mouvement, ça vient de leur initiative propre.

Juste pour dire aussi qu’un gamin de 13 ans qui va jeter son caillou c’est une initiative personnelle. Là par exemple le rassemblement d’aujourd’hui, personnes n’était vraiment au courant de cette initiative hier, chacun va s’informer, de bouche à oreille, et voilà qu’on est environ 500 à être réunis.

Est-ce que tu fais partie d’autres organisations civiles, légales ou non ?

Je suis les réseaux sociaux, et je me tiens informé, et je viens dès que je peux. Je ne mets aucune importance sur la question légale ou non. Là, nous sommes ici, à cette manifestation, et si on subit des attaques, ben, on pensera à se défendre.

J’avais cru voir qu’il y avait des YDG-KH, est-ce qu’il y a des femmes dedans ? Et si ça existe est-ce que c’est comme les YPG et les YPJ [les Unités de protection du peuple du Rojava], avec une organisation mixte et une autre que de femmes ?

Oui oui, le groupe des YDG-KH existe. J’ai un exemple, cette année à Cizre, une famille a voulu marier leur fille adolescente qui ne voulait pas, et le groupe est intervenue dans le mariage, et ont sauvé la jeune fille. Le YDG-H c’est comme le PKK, qui a dedans d’autres groupes, comme le groupe d’autodéfense des femmes. Ce sont des groupes qui existent face à toutes les saloperies faites au peuple kurde.

Y a-t-il des groupes composés uniquement de femmes ?

Oui, y a des groupes non mixte. Elles ont leurs propres formation, théorique et technique. Parfois les YDG-H et les YDG-KH se retrouvent aussi à mener des actions ensemble.

Il y en a ici à Diyarbakır ?

Oui, y en a oui.

Est-ce qu’on voit les YDG-H souvent à l’action ?

On en sait rien, en fait ! Il y a une personne membre qui pourrait s’asseoir avec vous, discuter, et faire partie du YDGH, et vous n’en sauriez rien. J’ai l’impression que vous voulez savoir si les personnes duYDG-H ont une identité : et bien non, ils ne tiennent pas à avoir une identité. C’est seulement une organisation illégale. Et ce, pour par qu’on les démasque. Les réflexions en ce moment sont porté sur l’autodéfense, mais dans l’idée les YDG-H aimeraient étendre leurs savoirs du côté de chez les Turcs aussi, car eux aussi peuvent subir comme nous un jour des attaques de l’Etat.

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