Interview d’un volontaire français dans les YPG

15030075851_5592b39c11_bLa situation ne fait qu’empirer dans le Bakur [Kurdistan nord dans l’Etat turc], avec des niveaux de répression qui s’apparentent à une nouvelle guerre civile. Comment les gens et les militants (dans le Rojava, mais aussi ailleurs dans le Kurdistan) voient-ils cette guerre qui s’annonce et s’amplifie au nord ? (Cet interview a été réalisé avant les dernières exécutions de Kurdes en Turquie et l’attentat d’Istanbul)

Il est difficile de vous dire comment les gens voient cette guerre dans le Kurdistan nord, dans la mesure où je me trouve au Rojava. La guerre civile au Bakûr, qui a déjà commencé, est omniprésente ici. Cela est dû, dans une large mesure, à la présence importante de militants du Bakûr au Rojava. S’il est sans doute abusif, comme le font parfois certains médias, de présenter le PYD et les YPG comme la « branche syrienne du PKK », il est clair que les militants du PKK ont joué le rôle principal dans la formation des YPG. Aujourd’hui encore, la grande majorité des cadres des YPG sont issus du PKK, même si le gros de leurs troupes a été recruté localement. Cela ne procède nullement d’une volonté d’hégémonie ou d’un mépris du PKK envers les « locaux », mais plutôt de la longue expérience de combat des premiers. Il est par ailleurs difficile de vous donner des proportions, même approximatives, car de nombreux militants du PKK cachent, à tout le moins aux occidentaux présents sur place, leur appartenance passée ou présente à cette organisation, toujours considérée comme « terroriste » en Europe, pour des raisons diplomatiques.

On comprend donc aisément que la guerre entre les YPG et l’Etat islamique soit perçue, par les combattants YPG du Bakûr et du Rojava, comme le théâtre local d’un conflit général plus large, en tout cas comme indissociable de la répression de l’Etat turc contre les militants kurdes. L’analyse faite par les chaînes de télévision pro-kurdes prisées des combattants (proches du PKK comme Mednuçe ou du PYD comme Ronahî TV) tranche radicalement, à cet égard, avec le traitement des médias occidentaux qui prennent soin de dissocier ces deux conflits.

On peut certes questionner, objectivement, l’unité du Kurdistan et des conflits en cours dans les différents tronçons, qui répondent plus à des dynamiques « nationales » différentes qu’à une « question kurde » unique. La carte, la représentation d’un Kurdistan un et indivisible dont le partage ne serait que momentané, un accident de l’histoire sont sans doute une construction identitaire, un élément central du discours national des différentes organisations kurdes ; il n’en demeure pas moins que l’arrivée massive de militants du PKK « turc » en Syrie et l’intervention de l’Etat turc dans ce pays ont objectivement imbriqué les deux conflits dans une même problématique.

La réaction d’Erdoğan est en partie liée à la situation en Syrie, notamment celle de ses divers protégés et proxies (ISIS, al-Nosra, Ahrar al-Sham…). Or aujourd’hui, ceux-ci perdent du terrain ainsi que ceux de l’Arabie saoudite (situés eux surtout dans le sud du pays). Les prochaines batailles des SDF (Forces démocratiques de Syrie, dont les YPG/J forment la principale force), en direction de Mabij et Jarabulus (ouest de l’Euphrate) et dans la région d’Azaz (nord d’Alep), sont des « lignes rouges » pour le régime turc, qui ne cesse de le réaffirmer, surtout qu’il y a (surtout dans la zone d’Azaz) en face des SDF des unités spécifiquement turkmènes, entièrement armées et financées (et encadrées) par des Turcs liés à l’appareil d’État, aux mouvances AKP et MHP (Loups gris, cercles ottomanistes, etc.) La Turquie prendrait-elle le risque de défendre militairement ses « lignes rouges » et donc de pénétrer sur le sol syrien alors que la Russie veille et qu’en l’état actuel des choses, Poutine n’hésitera pas à frapper ? Mais, vu sa rhétorique actuelle, Erdoğan peut-il renoncer à combattre les ‟terroristes” kurdes au sud de sa frontière qui engrangent les victoires sur le terrain ? Dans quelle mesure, sa guerre contre les Kurdes de Turquie n’est-elle pas le prix qu’il fait payer au mouvement kurde dans son ensemble pour la relative mais réelle réussite de la lutte menée par les Kurdes au Rojava (qu’Erdoğan interprète comme une menace, le début d’une défaire ou une défaite à venir) ?

En l’état, il est improbable que la Turquie intervienne directement en Syrie. Cet avis est partagé par la plupart des combattants ici. La Turquie n’était pas intervenu militairement contre les YPG (à l’exception de quelques tirs à la frontière) afin de ne pas froisser son allié américain, on imagine mal qu’elle le fasse aujourd’hui, quand l’entrée en scène de la Russie vient compliquer un peu plus le conflit syrien. Sans doute faut-il interpréter en ce sens la récente attaque contre le barrage de Tishrin et la percée vers Manbij, qui montrent que les YPG ne craignent plus une intervention armée turque directe et franchissent allègrement les « lignes rouges » fixées par Erdoğan. Sans doute l’Etat turc se limitera-t-il à soutenir financièrement et militairement tel ou tel acteur du conflit syrien, comme par le passé, mais on imagine mal que ceux-ci puissent jouer à l’avenir un rôle décisif face au régime et aux YPG, les deux bêtes noires de la Turquie.

En ce qui concerne l’intervention de la Russie en Syrie, il est intéressant de noter qu’elle a été perçue de façon très positive par les combattants que j’ai côtoyés, ce pour plusieurs raisons. D’abord, les frappes russes donnent du fil à retordre aux djihadistes, l’ennemi commun, ce qui est du pain béni pour les YPG. Ensuite, le soutien diplomatique et surtout militaire se limitait pour l’heure à celui des Etat occidentaux, Etats-Unis en tête, ce qui introduisait de fait une relation de subordination des YPG vis-à-vis de ce pays. Aucun contact officiel n’a, à ma connaissance, eu lieu entre la Russie et les YPG, mais la possibilité d’une entente ou d’opérations communes permet de relâcher la bride occidentale sur les YPG qui peuvent désormais, si les exigences des Etats-Unis se faisaient trop rapaces, se tourner vers un autre soutien international potentiel. L’intervention russe offre donc la possibilité aux YPG, comme me l’a résumé un combattant, de jouer sur deux impérialismes, pour le moment antagonistes, ce qui est toujours plus confortable que de dépendre des seuls caprices de la politique étrangère américaine, laquelle pêche rarement par la constance.

Notons au passage que la politique des YPG a souvent été critiquée dans les milieux révolutionnaires en France en raison du soutien des impérialistes américains. C’est oublier un peu vite qu’il s’agit d’un soutien purement conjoncturel, les YPG représentant pour les impérialistes occidentaux, en Syrie du moins, la seule force militaire organisée combattant efficacement l’Etat islamique qui est l’ennemi prioritaire du moment. De leur côté, les YPG profitent des frappes de la coalition contre les djihadistes, qui offrent un avantage militaire décisif et permettent de limiter le nombre de victimes (du côté kurde). Les frappes militaires sont d’ailleurs la décision des puissances impérialistes et il ne dépend pas des YPG de les empêcher ou de les intensifier. Auraient-ils dû se priver d’un soutien militaire à l’heure où ils luttaient pour une existence fragile ? Au lecteur d’en juger.

Pour prendre une référence bien connue des révolutionnaires, et au risque de s’éloigner du sujet, rappelons que l’état-major allemand a permis à Lénine de regagner la Russie en 1917. Des critiques similaires s’étaient alors faite entendre et le « wagon plombé » était devenu le symbole de la collusion supposée entre les intérêts du Kaiser et des bolcheviques. Sans le soutien de l’état-major allemand à Lénine en 1917, il n’y aurait toutefois pas eu de révolution d’Octobre. Tout dépend en réalité des objectifs que se fixent les YPG, s’ils envisagent le « soutien » américain comme le début d’une alliance durable et d’ouvrir le Rojava aux capitalistes occidentaux, ou s’ils ne font que profiter d’un appui militaire qu’ils savent passager par nature.

Je n’ai pas de réponse à cette interrogation et ignore les intentions des dirigeants du Rojava, mais les militants kurdes rencontrés ici ne se font, à quelques exceptions près, guère d’illusions sur le « soutien » des Etats-Unis et des Etats occidentaux. Ils savent que celui-ci est dicté par les seuls intérêts de ces pays dans la région, de même que le soutien inconditionnel américain à l’Etat turc quand celui-ci réprime les « terroristes » du PKK. La question de l’après-Daesh, c’est-à-dire quand les YPG auront perdu leur utilité aux yeux des impérialistes américains et européens, ne cesse de se poser car il est peu probable que la politique du PYD, si critiquable qu’elle soit, trouve un terrain d’entente avec les appétits occidentaux dans la région. L’accueil positif réservé, par les combattants du moins, à l’intervention russe, est révélateur de ces craintes.

Revenons à l’aspect plus « militaire » au sein des YPG. Quelle est la place des « internationaux », forment-ils des unités spécifiques ou sont-ils intégrés à d’autres ? Ce qui nous intéresse aussi c’est « l’ambiance », la façon dont les gens vivent la situation (les mêmes questions se posaient en Espagne dans les BI)… le degré d’information, le sentiment d’être utile, la situation kurde est-elle vécue dans sa totalité ou tend -elle à se restreindre à la zone concernée ?

Les volontaires internationaux viennent pour des raisons très diverses, on ne peut parler d’un groupe homogène. Les volontaires passent par un entraînement d’un mois environ composé d’une partie théorique, ou « idéologique », qui enseigne aux volontaires des rudiments d’histoire kurde, de la langue, mais aussi les principes du confédéralisme démocratique ou les théories d’Abdullah Öcalan sur l’origine des inégalités hommes/femmes. Ensuite, les volontaires sont dirigés dans différentes unités de leur choix. Ils peuvent s’y retrouver à plusieurs ou seuls, mais restent très minoritaires dans tous les cas. Si des problèmes apparaissent, ou si un volontaire se sent mal dans une unité, il lui est possible d’en changer sur simple demande (je n’ai jamais entendu parler de contrainte à ce sujet). Les volontaires étrangers (occidentaux serait d’ailleurs plus juste dans la mesure où les volontaires venus de Turquie, de loin majoritaires, ne sont pas considérés comme tels) ne jouissent d’aucun statut ou privilège particulier. Ils sont logés à la même enseigne que leurs camarades kurdes et partagent les tâches communes. Certains volontaires reprochent parfois aux YPG, ce qui n’est pas tout à fait infondé, de renâcler à les envoyer au combat ou de chercher à les protéger. Il est courant qu’un volontaire doive insister un certain temps avant d’être envoyer au front. Toutefois, l’idée selon laquelle les volontaires étrangers seraient cantonnés à des tâches inférieures (cuisine, construction, nettoyage, etc.) est fausse, comme en témoigne le nombre de tués parmi ceux-ci (et comme je l’ai constaté). Il s’agit avant tout pour les YPG d’éviter toute perte inutile ou d’envoyer au front des gens sans une formation adéquate.

La comparaison avec la guerre d’Espagne et la Brigade internationale, devenue un lieu commun à l’extrême-gauche, est infondée. Les « gauchistes » venant se battre au Rojava pour des raisons politiques sont en effet une minorité assez insignifiante (une petite dizaine au plus), même si l’on en compte plus dans le civil.

La majorité des volontaires sont d’anciens militaires de carrière venus combattre Daesh, mais ne se préoccupant pas de l’expérience politique et sociale du Rojava. Les anciens militaires sont plutôt, parmi ceux que j’ai fréquentés, indifférents sur le plan politique. Les enragés de la gâchette, les nationalistes forcenés venus tuer de l’islamiste voire du musulman existent, mais ne sont pas majoritaires chez les militaires. Je peux toutefois citer plusieurs exemples. Parmi les volontaires présents à mon entraînement se trouvait un ancien soldat américain ayant combattu en Afghanistan. Républicain convaincu, celui-ci m’a chanté les louanges de George Bush sur tous les tons et semblait enchanté par les Kurdes, très « occidentaux » à son goût, qu’ils opposaient aux Arabes fanatiques par la culture si ce n’est par les gênes. Un autre, Israélien, suintait le mépris envers les Kurdes, qu’il comparait certes aux pionniers de la colonisation juive, mais qui restaient visiblement trop « arabes » ou « islamiques » à ses yeux. Ce même volontaire m’a expliqué que les Arabes israéliens puaient et qu’il était possible, en se promenant dans Jérusalem, de savoir si l’on se trouvait dans un quartier arabe ou juif à la seule odeur. Précisons que ce volontaire se définissait comme étant « de gauche »…

Beaucoup viennent sans but précis, pour s’accomplir, vivre la grande aventure ou tout simplement pour fuir une routine insupportable. Ceux-ci ne restent généralement pas très longtemps, certains quittent le Rojava après avoir posté quelques photos en armes sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un vrai problème pour les YPG, car faire entrer un volontaire illégalement en Syrie représente des moyens logistiques et financiers non négligeables. Notons enfin la présence des « médiatiques », venus profiter de l’occasion pour se tailler une notoriété à peu de frais et imméritée. Ceux-ci sont souvent méprisés par les autres volontaires qui font le choix de l’anonymat dans leur majorité.

Il importe d’être lucide quant à l’utilité des volontaires internationaux et ne pas se faire d’illusions sur notre rôle. Les anciens militaires de carrière apportent un savoir-faire incontestable et des compétences précieuses au combat. Néanmoins, des divergences de tactique et sur les méthodes de combat apparaissent régulièrement, car les combattants des YPG sont issus d’un mouvement de guérilla. Il est arrivé fréquemment que d’anciens militaires occidentaux quittent les YPG pour cette raison et intègrent les peshmergas irakiens, calqués sur le modèle des armées occidentales, où ils sont rémunérés environ 300 dollars par mois (les YPG ne rémunèrent pas leurs volontaires). La création fin octobre d’une unité entièrement composée d’anciens militaires professionnels, par un ancien Marine américain, visait notamment à stopper le départ de ceux-ci.

Mais l’utilité des volontaires sans formation militaire préalable (dont je suis) est des plus limitées. Nous sommes tout sauf indispensables car d’anciens combattants du PKK, ayant 15 ans de combat à leur actif, peuvent sans problème se passer de l’aide d’étudiants révolutionnaires habitués au confort parisien, même s’ils accueillent ces derniers à bras ouverts. Il faut être certain de son choix et savoir précisément pourquoi l’on vient. Ceux qui viennent se battre au Rojava par « romantisme », ou pour des raisons éthérées et abstraites (« défendre la liberté », « se battre contre la barbarie », etc.) risquent d’être déçus sur place lorsqu’ils prendront conscience de leur place et de la réalité du terrain. Le risque est surtout de ne pas tenir dans les conditions très sommaires du front (peu de sommeil, pas d’eau courante, longues périodes d’attente, pas ou très peu de contact avec l’extérieur…) si l’on vient sur un coup de tête.
Faut-il, pour autant, renoncer à venir au Rojava pour des révolutionnaires de gauche ? Certainement pas ! Je ne puis au contraire qu’encourager ceux qui le souhaitent à venir se battre ici, au Rojava, pourvu qu’ils soient conscients des difficultés qui les attendent et, surtout, qu’ils ne se fassent pas d’illusions.

La création des SDF (forces démocratiques syriennes) est la meilleure nouvelle qui pouvait arriver pour tout le nord de la Syrie (pour les Kurdes et les non-Kurdes). Mais qu’en est-il ailleurs en Syrie, dans la ville d’Alep même où la situation est très complexe, et aussi dans les autres régions du pays (Idlib, Homs, Hama, Damas….) : y a-t-il à sa connaissance des contacts et des regroupements possibles, ou en cours, similaires aux SDF (ni le régime d’Assad, ni les djihadistes), dans ces autres régions ?

La création des SDF est en effet un excellente nouvelle. Le ralliement de divers groupes combattants aux Kurdes est symptomatique de la bipolarisation en court du conflit entre le régime syrien d’une part, et les YPG de l’autre. Difficile d’imaginer ce qu’il adviendra quand ces deux seuls acteurs resteront en scène. Des pourparlers similaires sont très probablement en cours mais, n’étant pas dans le secret des dirigeants kurdes de Syrie, il m’est impossible de vous en dire plus à ce sujet.

Sans avoir été à Kobanê, comme tu l’as précisé tu as dû un peu te déplacer dans le Rojava. As-tu eu l’impression de zones où il existe une vie économique, quelques productions, quelques échanges, ou bien au contraire une vie plutôt morte du fait de la guerre et du déplacement des populations. Comment les YPG sont-ils approvisionnés ?

J’ai en effet eu l’occasion de me rendre dans plusieurs villes du Rojava. Il existe bien évidemment une vie économique : il suffit de déambuler dans les rues d’Amudê, de Dêrik ou de Qamishlo (encore partiellement aux mains du régime) pour s’en rendre compte. Difficile d’oublier que l’on se trouve dans un pays en guerre avec les check-points, les portraits omniprésents des martyrs et la présence importante d’une police militaire (« Asayisa Rojava »), mais les magasins sont relativement bien achalandés, sur la frontière du moins. On constate d’ailleurs que de nombreuses marchandises viennent de Turquie. Mais cette vie économique ne doit pas masquer les difficultés terribvles que traversent le Rojava. Les salaires y restent très bas (70 dollars par mois pour certains fonctionnaires) et le chômage endémique. Cela amène nombre de jeunes à ne voir aucun avenir dans ce pays et à se laisser séduire par le rêve d’une vie meilleure en Europe. Les campagnes de prévention organisées par plusieurs organisations politiques semblent inefficaces pour le moment. Je passe ici sur les zones de combats, désertées totalement par la population civile et en partie détruites.

La vie économique du Rojava est donc précaire et Daesh sait où frapper pour désorganiser celle-ci. Après les derniers attentats meurtriers au camion piégé, des contrôles routiers poussés ont été instaurés pour les poids lourds.

Sans être allé moi-même à Kobanê, j’ai entendu dire que la situation là-bas était très différente. D’arès les bruits qui me sont parvenus, la ville est toujours privée d’électricité et reste plongée dans le noir la nuit tombée. Les besoins les plus vitaux y sont assurés par des groupes électrogènes. La ville reste largement en ruines. La reconstruction a certes avancé mais, paraît-il, celle-ci se ferait sans véritablement de plan, de façon spontanée et désorganisée.

J’ignore où et comment les YPG s’approvisionnent, mais le ravitaillement des unités militaires, y compris sur le front, ne représente pas de problème majeur. En cas d’opérations, les repas sont préparés à l’arrière et amenés directement aux combattants, de façon plus ou moins régulière.

Tu parles d’une présence importante de militants du Bakur au Rojava. Que feront ces derniers en cas de victoire sur Daesh (ce qui n’est pas gagné !) : rester et s’intégrer au Rojava (avec par exemple la mission de servir de cadres pour redémarrer et réorganiser la zone) ou retourner chez eux ?

J’ignore ce que feront les militants venus du Bakur après la victoire sur Daesh. Il est clair que beaucoup d’entre eux retourneront là-bas, surtout si la situation militaire s’y aggrave et qu’Erdogan persiste dans sa logique de confrontation armée. Certains combattants du Bakur brûlent déjà de rentrer chez eux pour en découdre avec l’armée turque, mais restent au Rojava par sens du devoir, pour ne pas déserter un front où ils sont indispensables.

 Il a été dit récemment que les organisations kurdes (hostiles au PKK) d’Irak voulaient instaurer un enrôlement obligatoire dans l’armée. Cela est-il évoqué au Rojava parmi les unités que tu as côtoyé ? Question annexe l’information sur ce qui se passe en Irak remonte-telle à peu près vers le Rojava ?

J’ignore ce qu’il en ait pour le Kurdistan irakien. La conscription obligatoire est déjà en place au Rojava, mais j’en ignore les modalités, n’ayant pas côtoyé moi-même de conscrits. Ces derniers seraient d’ailleurs plutôt employés à l’arrière, mais je n’ai guère plus d’informations à ce sujet. Je n’ai pas entendu parler, pour le moment, de la conscription obligatoire voulue par certains Kurdes d’Irak.

Pour ce qui est de Barzani, celui-ci est très largement méprisé par les Kurdes de Syrie, surtout chez les YPG. La liste des reproches adressés à « Dollarzani » (le sobriquet donné par les YPG) est longue : corruption et népotisme endémique, soummission aux intérêts américains, proximité avec l’Etat turc (l’armée turque forme des unités de l’armée kurde d’Irak), trahison (notamment la fuite des peshmergas et l’abandon de Shengal aux djihadistes).

Le PDK essaie certes de s’implanter au Rojava, mais avec un succès des plus limités pour le moment. Notons au passage que, si le PDK n’est pas en odeur de sainteté auprès des YPG et du PYD, celui-ci est autorisé et a pignon sur rue. Il arrive de trouver, dans certains commerces, des portraits de Barzani sans que ceux-là ne soient réprimés. Pour l’anecdote, il existe un magasin dans la ville de Dêrik où l’on trouve, au milieu des écussons YPG et des drapeaux du PKK, des portes-clefs et d’autres babioles à l’effigie de Barzani ! Les affaires sont les affaires : cette anecdote démontre bien qu’il existe une demande en ce sens, que certains s’empressent de satisfaire.

Interview OCL/courant alternatif.

Guerre et paix : entretien avec un camarade de Diyarbakır

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Réalisé le 11 décembre 2015 à Amed, cet entretien apporte un éclairage sur la guerre qui malheureusement se profile chaque jour davantage au Kurdistan…

Les choses ont beaucoup changé depuis quelques mois. Tout le monde au Kurdistan réclame la paix à corps et à cris. Mais la guerre s’intensifie partout : en Syrie et en Irak, elle continue de s’étendre, et en Turquie, l’État a recommencé sa sale guerre au Kurdistan. Depuis deux semaines, il assiège Sur, le quartier historique de Diyarbakır… Comment imagines-tu la suite des choses ? Que va-t-il se passer ?

Pour parler de ce qu’il se passe actuellement au Kurdistan, et des changements à l’œuvre ces derniers mois, il est impératif de prendre en compte les mouvements sociaux et politiques en Turquie, en Syrie et en Irak, et de mesurer l’impact des puissances internationales sur ces réalités, parce que la guerre en Syrie et en Irak, et plus spécifiquement au Rojava, a des répercussions et des effets sur la situation au Kurdistan turc.

Avant les élections du 7 juin 2015, il y avait un accord de paix entre l’État turc et le PKK. Cet accord a été rompu lors d’une réunion des MGK (Milli Güvenlik Konseyi, le Conseil de sécurité) en octobre 2014 : l’État turc prend alors la décision de repartir en guerre. Sauf qu’il n’a pas encore de raison valable à mettre en avant. Pour justifier son choix et faire monter la tension, plusieurs attaques meurtrières ont donc été perpétrées par l’État contre le mouvement kurde pendant la campagne des élections législatives, mais les militants « pro-kurdes » n’ont pas répondu à la provocation.
Et le massacre de Suruç peu de temps après le scrutin du 7 juin révèle malheureusement la signification de la grande victoire du HDP avec ses 80 députés élus. 33 jeunes qui devaient amener des jouets pour Kobanê y ont en effet trouvé la mort le 21 juillet. Le mouvement kurde est resté ensuite suffisamment fort pour continuer à réclamer la paix. Mais après ce qui s’est passé à Caylinpinar, avec la mort de 2 policiers [tués en réponse au massacre], l’État turc a enfin trouvé le prétexte qu’il attendait : le 24 juillet, il décide d’attaquer le PKK à plusieurs endroits et envoie 60 avions bombarder les positions de la guérilla dans les montagnes.

Mais la vraie question, en fait, n’est pas là. Pour le Rojava, l’idée était de rallier le canton de Kobanê à celui de Cizre : Tall Abyad, la ville frontière côté « syrien » a été reprise à Daech, et les deux cantons ont pu ainsi être reliés. Cela coupait le passage que l’État turc et l’État islamique empruntaient pour passer d’un côté à l’autre. Les élites turques et le haut commandement militaire ont rapidement pris la décision conjointe de déclarer la guerre aux kurdes, pour éviter l’ouverture de ce fameux corridor kurde, de Mossoul et Kirkuk jusqu’à la mer méditerranée. Pour les autorités turques, cela représentait un vrai cauchemar. Voilà la vraie raison de la guerre déclarée aux kurdes.

La seconde raison, c’est que depuis le 4 avril, la liaison est rompue avec le leader Abdullah Öcalan [en prison, isolé sur une île depuis 1999]. Il subit une répression très dure, dans l’isolement le plus complet. Comment pourrait-on faire la paix avec une force qui détient un de nos symboles entre ses mains ? Ce n’est pas possible, en fait. Avec ce mouvement, les kurdes, les jeunes kurdes, dans certains quartiers ou certaines villes, ont déclaré l’autonomie. Du coup, l’État a envoyé ses forces spéciales à ces endroits-là : tanks, roquettes, armes lourdes. Ils occupent carrément des quartiers entiers, où vivent évidemment des civils. Les jeunes s’opposent à cette intrusion des forces armées dans leurs quartiers, ce à quoi l’État répond par de nombreuses violences, gardes-à-vue, assassinats, viols… Les jeunes disent qu’ils n’en peuvent plus, et étendent l’autonomie à d’autres endroits. Et quand on parle de l’autonomie, on dit qu’elle a « neuf pieds » : l’économique, le social, le culturel, la santé, l’écologie, les femmes, etc… Dans ces « neufs pieds », il y a aussi l’autodéfense.

L’autodéfense a pris une place de premier plan car l’État attaque avec des armes lourdes. Si l’État n’attaquait pas, s’il faisait un pas en arrière, le peuple s’organiserait autrement. Bien évidemment ce qui se passe ici est en lien direct avec ce qui se passe en Syrie et en Irak. Les américains, qui ont des bases aériennes en Turquie, ont autorisé l’État turc à attaquer les positions du PKK. L’ordre donné était que l’attaque pouvait se faire sur le PKK mais pas sur les YPG/YPJ. « Parce que nous, les américains, nous travaillons avec les YPG/YPJ ». C’est la politique du bâton et de la carotte. Dans le même temps où ils essayent d’affaiblir le PKK à l’est, ils ont besoin des YPG au Rojava, donc ils maintiennent de bonnes relations avec ces derniers. En réalité, les YPG ont besoin de l’Union Européenne, et l’Union Européenne a besoin des YPG car les YPG n’ont pas d’armée de l’air, et les autres n’ont pas de forces sur terre. Ils sont donc obligés de collaborer.

Mais ce qu’on a pu voir ces derniers mois, c’est que l’État turc attaque sauvagement des villes, des quartiers, des régions kurdes où des civils sont présents, et face à ça, l’Occident reste silencieux. Et sachez-le bien : l’État turc mène ces attaques contre les kurdes, dans leurs propres quartiers, dans leurs villes, avec une mentalité semblable à celle de Daech. Seul le nom diffère. Les façons de faire sont identiques. La semaine dernière, j’étais à Urfa dans un commissariat. Une jeune femme avait été violée. Les flics lui ont dit « nous sommes des membres de Daech ». Une lettre de cette femme, qu’elle a envoyée pendant son incarcération, raconte ce qu’elle a vécu. La mentalité de l’État turc et celle de Daech sont les mêmes. Je voudrais rajouter que le peuple kurde n’a cessé de réclamer la paix depuis 1993. Le PKK a demandé à huit reprises l’accord de paix, et l’a fait de différentes façons, par des manifestations, des propositions de discussions, etc. Et ce sont ces deux dernières années, au moment précisément où le PKK cesse de prendre les armes, que l’État turc a déclaré la guerre au peuple kurde à cause de la conjoncture actuelle.

Ces jeunes qui défendent les quartiers, les villes, les villages, ont été contraints de le faire. Ce ne sont pas des terroristes. Personne ne voudrait vivre nez à nez avec la mort, n’est-ce pas ? C’est simple, les jeunes refusent l’entrée des forces armées dans leurs quartiers. Ils veulent l’arrêt des assassinats, des gardes à vue, des tortures dans les commissariats, des enfermements dans les prisons. Mais l’État reste sourd à ces demandes, voire fait tout pour continuer à appliquer ces mesures. Pour toutes ces raisons, à Cizre, à Gever, à Nusaybin, à Derik, à Sur, à Silvan, à Varto, la confrontation continue.

Du coup on a l’impression que c’est la guerre sans que ce soit vraiment la guerre, ce sont des guerres très localisées sur une durée définie. Nous nous demandons si les gens sont prêts à la guerre. Nous avons vu par exemple qu’il y a eu une semaine de festival suite à l’assassinat de Tahir Elçi, l’avocat de Diyabakır. Sur l’affiche, il est écrit « Quoi qu’il arrive, on veut la paix ». Est-ce que ce sont les mêmes personnes qui défendent la paix et dans le même temps s’organisent pour la guerre. En d’autres termes, si la guerre se met en route, est-ce que tout le monde suivra ?

Depuis 40 ans, ou plus précisément depuis les années 1990, ce peuple a vécu sous l’oppression de l’État. Ils ont payé beaucoup de leur « peau ». Rien que durant la décennie 1990, plus de 4 000 villages ont été incendiés. Trois millions de personnes ont dû émigrer vers les métropoles. La guerre, elle nous a brûlés de près. Moi, par exemple, je n’ai pas pu vivre ma jeunesse. En raison des conditions de guerre au quotidien, on ne pouvait sortir que le jour, c’était ennuyeux. Je parle des années 1990. Le peuple kurde a vraiment soif de paix. Même là où la situation est la plus dure, là où la répression est la plus féroce, les kurdes vont quand même continuer à scander des slogans de paix. La valeur de la paix, seuls les vrais combattants en connaissent le sens. Depuis 30 ans, les kurdes se battent sans relâche mais suite aux évolutions de la situation, les kurdes sont de nouveau confrontés à devoir faire des choix. Il y a la réalité de Daech, et de ses liens avec l’État turc, il n’y a pas de doute là-dessus. Pour se défendre, la Turquie a dû trouver une stratégie capable d’arrêter l’avancée des kurdes.

On a compris aussi qu’on ne pouvait pas s’en sortir avec les méthodes de guérilla à l’ancienne, comme l’on fait les Hizbullah [au Liban]. La stratégie a été de prendre des lieux, des terrains, de s’entraîner sur ces espaces, en mobilisant les uns et les autres. Et ces organisations continueront d’évoluer. Il est vrai que la population a vécu un choc, car ils avaient à l’esprit l’exemple de Kobanê : en l’espace de quinze jours, plusieurs centaines de villages, dont la ville principale, ont été vidés de leur population. 400 000 personnes ont dû partir. La ville a été entièrement détruite. Beaucoup de jeunes ont perdu la vie en défendant le lieu. Plus de jeunes encore ont été blessés. Le peuple kurde a apporté un grand soutien, c’est certain, mais ça se passait loin de chez eux. Lorsque cette guerre est entrée dans leur quartier, là oui, ils ont pris peur. Mais on sait aussi qu’un grand nombre de personnes restera et soutiendra la force d’autodéfense qui est avec eux. Si les YDG-H continuent de défendre tous ces quartiers, le peuple continuera lui aussi de soutenir ces jeunes. Comme à Cizre, Yüksekova, Derik, pour ne citer qu’elles… Là où les habitants apportent leur soutien, l’État ne parvient pas vraiment à attaquer.

Sur, par exemple, est un lieu où il y a des commerçants, et du coup le quartier est assiégé par les forces de l’ordre. L’État veut manœuvrer là-bas, c’est ce qui explique qu’il y ait davantage de conflits. Les lieux non délaissés par les civils sont les lieux où l’État n’arrive pas à avancer. Je pense que ces résistances vont se répandre dans toute la zone kurde et que le peuple va manifester son soutien.

Si nous posons cette question, c’est qu’on sait bien que c’est un choix de faire la guerre, c’est difficile et compliqué de choisir entre construire pacifiquement son autonomie et se défendre face à la violence de l’État et de Daech. Idéalement, on préférerait tous le premier choix.

C’est en effet ce qu’il faudrait. Dans la période de construction de ce mouvement d’autonomie et d’autogestion, on aurait dû pouvoir entamer ces travaux sans avoir à faire intervenir les armes. On aurait pu s’organiser de manière passive dans nos quartiers, dans nos villages, dans nos villes. C’est un manque du parti politique légal kurde, le HDP. Si on avait su bouger avec la foule des habitants, l’État n’aurait pas pu entrer dans les quartiers. Comme il a continué à opprimer et réprimer les habitants, les jeunes ont été obligés de s’armer. En réalité ça commencé il y a un an à Cizre où 8 jeunes ont été abattus par des militaires. Des barricades ont été creusées. Mais avec l’arrivée du parti légal kurde, la stratégie des barricades a été mise en attente. A Silvan, par exemple, quand les premières barricades ont été montées au mois d’août, l’État a fait marche arrière en disant : « On ne vous fera aucun mal. On ne procédera à aucune garde à vue, on n’emprisonnera personne. Enlevez seulement ces barricades. » Mais une fois que les jeunes ont retiré les barricades, et qu’eux-mêmes se sont retirés de la zone de conflit, les forces de l’ordre ont attaqué les quartiers comme des barbares. Ils ont brûlé les maisons, les commerces. Ceux qu’ils ont attrapé ont été battus, torturés, enfermés. Là encore les jeunes ont dû reprendre les armes.

Vous savez qui sont ces jeunes aujourd’hui? Ce sont les jeunes qui ont perdu un parent ou un membre de leur famille : abattu, torturé, mis en prison ou porté disparu par l’État. Leurs villages, leurs maisons ont été incendiés. Ils ont été forcés de migrer vers les villes. Cette génération de jeunes est le résultat des années charnières 1990. Ils ont grandi avec ces histoires. Et la vengeance anime leurs pensées.

Mais il y a un vrai paradoxe à Sur, comme vous avez pu en juger par vous-mêmes, une vraie guerre y est perpétrée par l’État, alors que quand vous regardez vers l’ouest de la ville, une vie de luxe continue tranquillement son train-train. Une espèce de schizophrénie pour le peuple. Pourquoi cela? Pourquoi d’un côté nos jeunes perdent la vie et de l’autre les gens continuent à mener la leur tranquillement, dans les bars, à siroter du thé ou du café.

Les gens payent fort leur combat, en comprenant la valeur des jeunes qu’ils perdent. Les gens attendent que la guerre arrive chez eux. En Syrie c’est pas ce qu’il s’est passé ? Ça a commencé d’un coup à Homs, et aujourd’hui c’est toute la Syrie qui brûle. En Irak aussi, ça a commencé à Falluja, et c’est l’Irak entier qui brûle aujourd’hui. Au Yemen pareil, ça a commencé à Aden, et le pays brûle aussi. Idem en Libye. On ne peut pas savoir si au Kurdistan ça sera pareil ou pas. Mais quoi qu’il arrive, ces jeunes, on ne peut pas les laisser tout seuls. Pas pour la guerre mais pour la paix.

 

Est-ce que c’est une nouvelle stratégie, assiéger un quartier ou une petite ville, la couper du monde, lui faire la guerre, en faisant en sorte que le reste des habitants ne se sentent pas concernés par ces attaques très ciblées ?

Ça n’aurait pas dû se passer comme ça. Comme on l’a dit tout à l’heure, pendant cette période de construction, l’autodéfense est le dernier « pied » de l’autonomie. L’autodéfense est quelque chose qui est mis en place pour des attaques qui pourraient survenir en interne et non en externe. L’autonomie et l’autodéfense se font sans arme. Sauf si une attaque est perpétrée de l’extérieur avec des armes, là oui, tu dois toi aussi sortir les armes. L’autodéfense est quelque chose qui naît naturellement en toute personne qui se rebelle contre n’importe quelle forme de pouvoir.

Et ça bien-sûr, l’État s’en rend compte et attaque son peuple avec violence. Il veut lui faire peur. Il veut casser la volonté propre de chacun. Il veut vider les villes et les villages, casser cette lutte, et pacifier le peuple. Et il veut que le peuple se rende à lui. Il y a un tas de raisons à cela. L’État veut détruire le Kurdistan, et la lutte de son peuple. Il est fou de rage que face à lui les gens aient deviné son intention, et ses futures attaques possibles.

Et savez-vous aussi pourquoi nous étions informés que l’État s’était préparé à nous attaquer durant ces deux dernières années de paix ? Ils avaient préparé des véhicules blindés qu’on n’avait jamais vus jusque-là. Au moins 5 modèles différents. Ce sont des véhicules avec un système informatique intégré. Les armes se trouvent au-dessus des blindés, les forces armées sont comme sur leur joystick, comme devant leur playstation : ils font et contrôlent la guerre. Mais ce ne sont que des préparatifs, en réalité. On a aussi l’impression que les forces spéciales qui nous combattent étaient auparavant en Syrie. Ils n’agissent pas comme les anciennes forces armées. Ils ont un entraînement technique et une bonne formation militaire. On s’est rendu compte que ces deux années de paix ont permis à la Turquie de préparer un plan d’attaque pour que le peuple kurde se rende. Mais les jeunes sont entrés en résistance contre cette attaque.

Regardez juste si on imaginait qu’à Paris, Marseille, Toulouse, Bordeaux, peu importe, des gens masqués fracassent les portes de chez vous pendant que vous dormez, en hurlant, en vous insultant et en violant votre intimité. En un instant les voilà dans votre chambre, qu’est-ce que vous auriez ressenti à ce moment-là ? Nos jeunes en ce moment se battent précisément contre tout ça.

Je vais parler de moi. Ma mère me disait quand j’étais petit : « Attention, si tu ne vas pas te coucher, les militaires turcs vont venir te chercher ». C’était notre loup à nous, elle nous faisait peur comme ça. Est-ce que vous arrivez à comprendre ce que ça signifie ? Un matin, les militaires viennent dans votre village, ils rassemblent les hommes sur la place, les insultent, les humilient, les frappent, les torturent… Toutes ces sales choses qu’on peut s’imaginer, ils les font. Et ensuite, ils rentrent dans vos maisons et font ce qu’ils veulent. Auprès des femmes et des enfants. Et si c’était vous, qu’est-ce que vous auriez fait ? Historiquement, ceux avec qui la France a eu le plus de conflits, c’est avec les Anglais. Imaginez si l’État anglais vous avait fait ça, qu’est-ce que les français auraient pensé ? Ou si c’était le contraire, qu’est-ce que les Anglais auraient pensé de l’État français ? Les kurdes résistent simplement face à cela.

Chaque instant de la vie est devenu un moment de torture pour nous. J’ai 38 ans aujourd’hui, et je ne me sens en sécurité que là où les forces armées ne sont pas présentes.

La situation à Suruç (décembre 2015)

suruç

Cinq mois après l’attentat qui a pris la vie de 33 jeunes turcs au centre culturel Amara de Suruç, la population continue à vivre avec ce trauma. La plupart des réfugiés sont retournés à Kobanê, les camps gérés par la mairie HDP ce sont quasiment vidés. Et la situation de cette petite ville-frontière de 100000 habitants s’est normalisée. Il n’y a plus d’internationaux venus filer un coup de main pour le Rojava. La vie suit son court… Et le travail des flics également, comme partout ailleurs dans le pays : terreur d’Etat ! Une cinquantaine de membres du HDP (le parti pro-kurde) ont été arrêtés la semaine dernière, puis relâchés, avec pour certains l’obligation d’aller pointer plusieurs fois par jours. Le co-maire de la ville est recherché par les keufs qui l’accusent simplement de terrorisme pour être mis en taule. Il a préféré se faire la malle pour se mettre à l’abri. Certains de ses adjoints ont fait de même. Il n’y a plus de mairie donc, et cela devient sujet à blagues : « Si tu sais pas quoi faire, tu peux devenir le maire ! » se disent les habitants entre-eux pour dédramatiser et continuer à rire un peu. La plupart des volontaires et militants un peu actifs autour des camps de réfugiés sont eux aussi arrêtés, gardés-à-vue, puis relâchés et à nouveau recherchés pour les épuiser. Et pour en finir avec cette longue liste des personnes arrêtées, on ne peut oublier de mentionner les frères et sœurs, les familles des jeunes socialistes turcs assassinés lors de l’attentat du 20 juillet. Le climat est tendu et difficile pour tout le monde et les habitants ont peur. Même les derniers habitants du camp de réfugiés Şehit Gelhat reçoivent la visite de plus de 200 militaires : ces derniers y recherchaient quelqu’un. Ils font chou blanc et, du coup, se venge sur le camp, en détruisant l’école et les blocs sanitaires…

Telle est la situation au 15 décembre. Pour autant, comme partout ailleurs au Kurdistan, Suruç ne baisse ni les bras ni la tête. Des manifestations sont prévues pour les jours prochains…

Merhaba Hevalno : l’actualité du Kurdistan en brochures hebdomadaires

merhaba-hevalno-10-brochure-kurdistan-nddl-zadVoici quelques-uns des derniers numéros de Merhaba Hevalno qui nous propose un résumé hebdomadaire de l’actualité du Kurdistan rédigé depuis la ZAD de NDDL.

Pour les retours contacter : actukurdistan@riseup.net Continuer la lecture de Merhaba Hevalno : l’actualité du Kurdistan en brochures hebdomadaires

Entretien avec un jeune communiste français parti lutter pour la révolution au Kurdistan syrien et contre l’EI

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Nous reproduisons, une fois n’est pas coutume, un article de la presse officielle, en l’occurrence du très spectaculaire journal sur internet Vice. Il donne un certain nombre d’indication sur l’engagement dans le bataillon internationaliste qui combat aux côtés des YPG/YPJ au Rojava. Nous ne partageons évidemment pas, ni les raccourcis du camarade antifa ni ses envolées virilistes…
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