Ahmed est un jeune réfugié syrien de 24 ans, arrivé en France avec sa famille il y a quelques mois. Il a pris part dès 2011 à la révolution contre le régime de Bachar Al Assad, avant d’être chassé de Raqqa par l’arrivée de l’État Islamique. Pour Lundi matin, il a accepté de raconter son expérience.
- Quel genre de questions est-ce qu’on te pose, en tant que réfugié, quand tu rencontres des occidentaux ?
- À l’ambassade, ils m’ont demandé de « raconter mon histoire ». Ils voulaient savoir ce que je pensais de l’Islam, quelles étaient mes opinions politiques. Ils voulaient s’assurer du fait que je n’étais pas un « terroriste », que mes idées n’étaient pas du genre à rendre mon pays pire qu’il ne l’est déjà.Sinon, j’avais hier un rendez-vous à l’OFPRA [Office Français de Protection pour les Réfugiés et les Apatrides]. Avec ce qu’on m’avait raconté, j’étais vraiment inquiet à l’idée de cet entretien. Je pensais qu’on me poserait plein de questions, qu’on me demanderait plein de détails, qu’on m’accuserait de mentir. Au final, c’était pas du tout le cas, les deux femmes qui m’ont interrogé n’étaient vraiment pas méchantes. Elles n’en avaient rien à faire du régime d’Assad, seul l’EIIL [État islamique en Irak et au Levant] semblait les intéresser. Elles m’ont demandé de leur raconter mon histoire, ce qu’il s’était passé après que Raqqa ait été libérée, quand l’EIIL a surgi, avec les autres groupes islamistes. Je leur ai dit que ce qui comptait pour moi, c’était avant tout de leur parler du régime d’Assad, parce qu’il s’agit à mes yeux du problème principal. L’EIIL est un enjeu essentiel, mais qui passe au second rang derrière le régime d’Assad.
- J’ai une anecdote marrante aussi. Un jour quand j’étais déjà en France, quelqu’un a toqué chez moi à trois heures du matin. Je n’ai pas voulu ouvrir la porte, mais le mec est entré malgré tout. Il était originaire du Maroc je crois. Il a commencé à gueuler « Djihad, Djihad, Allah Akbar ». J’ai appelé les flics mais quand ils sont arrivés j’avais déjà réussi à le virer et il était parti. J’ai donc accompagné les flics jusqu’au commissariat, et la première question qu’ils m’ont posée c’est : « Est-ce que vous savez qui a commis les fusillades à Charlie Hebdo ? ». Nan mais sérieux ! Je leur ai répondu franchement : « D’accord, je parle arabe et je suis syrien, mais je déteste l’État Islamique et toutes ces conneries. Je vous ai appelé à propos d’un mec qui a débarqué chez moi en gueulant qu’il voulait faire le djihad, pas pour vous dire que j’avais envie de le faire ! »
- Comment était ta vie avant la révolution ? C’étaient quoi tes habitudes ? Quels étaient tes espoirs, à quoi est-ce que tu t’attendais ?
- Avant la révolution, peu de choses m’importaient. J’étais un mec ordinaire, j’aimais bien rencontrer des filles, voyager. Je ne me posais pas la question de la révolution, c’était avant tout ma propre vie à moi, ce qui m’arrivait au quotidien, qui comptait. Le futur m’importait peu. J’ai grandi à Raqqa, puis je suis parti faire des des études de sport à Damas, pendant deux ans.Mais deux mois avant que la révolution ne commence, je suis retourné à Raqqa. La révolution avait déjà commencé à Tunis, et se propageait de pays en pays. On attendait, on discutait longtemps, chez les uns et chez les autres. On a commencé à parler de plus en plus discrètement, on avait peur que les gens entendent ce qu’on racontait. Le régime d’Assad se préparait alors ; il a toujours su que la révolution finirait pas surgir en Syrie.
- Tu voyageais où ?
- Je voyageais uniquement en Syrie. Les choses sont différentes là-bas, si on compare à l’Europe. Ici, les gens peuvent décider à tout instant de partir voyager, n’importe où. C’est bien plus difficile de sortir de Syrie. J’espérais peut-être pouvoir aller un jour au Liban, mais rien de plus. Et puis je n’avais pas d’argent, ça compliquait les choses.
- C’est quoi les événements particuliers qui ont lancé la révolution ?
- Le moment où on a commencé à parler sérieusement entre nous de la révolution, c’est quand Bouazizi s’est immolé. Là on a senti que quelque chose allait vraiment se passer, qu’il fallait s’y préparer. C’est à ce moment que je me suis vraiment lancé dans tout ça, et que j’ai su que tout le monde autour de moi, ma famille, mes amis, y prendraient également part.
Puis c’est enfin [le 13 mai 2011] quand le régime a arrêté des gamins à Deraa, qui avaient tagué des slogans de la révolution égyptienne, que tout était réuni pour que l’on se dise : « Ça suffit ! ». Bien sur, tout le monde n’a pas choisi de nous suivre. Au contraire, on n’était qu’une minorité à nous opposer au régime d’Assad, la plupart des gens prenaient plutôt parti pour lui. C’est ça qui a mené à des conflits entre les personnes elles-mêmes, on a vu un père tuer son propre gosse, une fille qui disait « Va te faire foutre » à son frère, il y avait quelque chose de réellement nouveau, d’immense.
Mais il n’y a jamais rien qui réellement « lance » la révolution, tu ne « décides » jamais de faire la révolution, c’est quelque chose dans lequel tu t’embarques, dans lequel tu es embarqué, spontanément. De la même façon, certaines personnes qui avaient rejoint la révolution ont fini par s’en détourner, par prendre position contre elle. Ces gens, ils n’étaient pas tant contre la révolution, ils voulaient surtout justifier leur peur, rendre compte de leur retournement.
- Ça voulait dire quoi pour toi, pour tes amis, pour ta famille, de « se tenir prêt pour la révolution » ?
- On savait que la révolution en Syrie serait nécessairement différente de celle qui avait eu lieu en Égypte ou en Tunisie. On était conscients, de par l’histoire syrienne – l’armée qui avait été mise sur pied par Hafez Al Assad, et les massacres qu’elle avait perpétué en 82 à Hama –, que beaucoup d’entre nous mourraient. Se tenir prêts pour la révolution, ça voulait dire se préparer à ces morts, accepter de mourir, et aussi accepter de continuer, peu importe ce qui se passerait. C’est ce qui est arrivé quand Bachar Al Assad a utilisé l’arme chimique à Damas, quand 1400 Syriens sont morts en une seule journée ; on savait dès le début que les choses se passeraient ainsi.Mais malgré tout il y a un point important que je veux souligner là : si les médias ne montrent que les tirs, le sang ou la violence, et s’il fallait que l’on s’y prépare, on ne ressentait pas les choses ainsi immédiatement. Ce que l’on ressentait, c’était de la joie, on rigolait, je rencontrais même des filles dans les manifestations, on échangeait nos numéros. On était entourés par le danger, mais on était heureux. C’était bête bien évidemment, on se marrait alors que des flics nous pointaient leur arme à la figure ; mais c’est ça la révolution, tu fais des trucs absurdes, mais tu n’y prêtes pas attention. Quand les gens descendent dans la rue, ils ont déjà leurs problèmes, et c’est précisément par rapport à ces problèmes qu’ils descendent, pour les oublier, pour être heureux. Plusieurs d’entre mes amis sont morts en manifestant ; mais quand je repense à eux aujourd’hui, je ne pense pas au fait qu’ils sont morts, je les revois souriant, en pleine manifestation.
- Qu’est-ce que tu as fait, d’un point de vue pratique ? Comment t’es-tu impliqué concrètement dans la révolution ?
- J’étais pas du tout un héros de la révolution. J’étais juste comme n’importe quel type révolutionnaire, comme n’importe quel mec à Raqqa. Beaucoup de gens arrivaient de différentes villes pour manifester à Raqqa, alors on les aidait, on leur donnait un endroit où dormir, de quoi manger. Tout ça était illégal bien entendu, le régime d’Assad t’arrêtait immédiatement si il apprenait que tu faisais ça.J’avais une librairie à Raqqa, où je vendais des livres mais aussi des fournitures pour les étudiants. Quand la révolution a commencé, j’ai mis toute la librairie au service de la révolution. On imprimait des tracts la nuit, sur un coup de tête, rapidement, on écrivait « Fuck you Bachar Al Assad » et on les distribuait dans les maisons du coin, même dans les maisons des « Shabiha » [les milices pro-régimes].On décidait jamais vraiment de rien, on ne planifiait rien, on faisait juste quelque chose de notre vie, parfois de façon stupide. Si tu réfléchis trop à ce que tu veux faire, les gens ne te suivent plus. Les gens veulent juste des choses simples. C’est ça dont je me souviens de la révolution : on ne planifiait pas, on agissait. On avait tellement peur, on entendait nos cœurs battra à toute vitesse, mais on agissait. Et quand tu l’as fait, tu te sens comme le gars le plus fort sur Terre.
- Tu t’es fait arrêter ?
- J’habite à Raqqa, une petite ville, où tout le monde se connaît. Tu peux juste te pointer et demander à n’importe qui où habite untel, il te le dira immédiatement. Quatre mois après le début de la révolution, le 1er décembre, on m’a arrêté : Al Amn al Askari [les services secrets de l’armée] sont venus dans ma librairie, où j’étais avec mon père. J’avais une énorme trouille. Un des mecs qui était là, surnommé Abou Jassem est connu pour être la plus grosse ordure du régime, il a 45 ans et c’est un type extrêmement intelligent. Il m’a posé des questions sans interruption. À un moment il a dit « Dis à ton père ce que tu lui caches. ». J’ai répondu que je ne lui avais jamais rien caché. Et il m’a dit « Dis lui pour tes bombes. » Je me suis mis à rire, parce que je ne savais absolument pas de quoi il parlait. Ma réaction l’a profondément énervé, ils ont chassé mon père, et ils m’ont emmené.
- Tu as passé combien de temps en prison ? Tu peux nous dire comment les choses se passaient là bas ?
- C’était la première fois dans ma vie que j’allais en prison. Enfin, c’était pas vraiment la prison. Ils t’emmènent au moukhabarat [les services secrets] où ils te frappent pour que tu lâches des noms.Moi ils m’avaient arrêté pour deux raisons : tout d’abord à cause de ma participation aux manifestations, et ensuite en lien avec mon frère aîné. Il était une figure importante de la révolution, et le régime voulait, à travers moi, obtenir des informations sur lui. Je suis resté 25 jours en prison. Les 9 premiers jours ils m’ont battu, ils voulaient des noms. Un jour ils ont ramené trois amis, trois bons amis à moi. J’avais les yeux bandés. Ils m’ont accusé de tout et n’importe quoi. Ils ont dit que j’étais un terroriste et que je leur avais donné de l’argent. Mes propres amis !Le pire de tout n’était pas tant la prison en elle-même que le moment où je me suis rendu compte qu’il y avait un rat dans ma cellule. Enfin, ma « cellule » ; on m’avait juste enfermé dans les chiottes. Et j’ai une vraie phobie des rats. J’ai réussi à le tuer, mais c’était terrible. Pendant tout le moment où ils m’avaient frappé, j’avais réussi à trouver la force pour résister, psychologiquement. Mais le rat c’était trop, je ne peux pas trop expliquer, je ne comprends pas bien ma réaction, encore aujourd’hui ; je ne me suis plus senti humain d’un coup, j’ai pleuré pendant dix heures.
Finalement, des observateurs de l’ONU américains sont venus visiter la prison, et ils ont permis aux manifestants d’être libérés. Je suis parti à 18 heures. J’étais traumatisé, mais j’ai décidé de combattre ma peur : plutôt que de rentrer immédiatement voir ma famille, je suis allé au marché, où les gens manifestaient. C’était la seule façon pour moi de m’assurer que je continuerai à participer à la révolution. J’y suis resté seulement deux minutes, mais ces deux minutes étaient absolument nécessaires.
- Qu’est-ce que tu as fait après ?
- En 2012 je suis resté un bon bout de temps à Raqqa, où j’aidais ma mère à accueillir les Syriens qui arrivaient des autres villes. Mon grand frère était à Idleb à ce moment-là, et là-bas la révolution avait une ampleur bien plus grande qu’à Raqqa. Le régime n’y était pas, l’ASL (Armée Syrienne Libre) était sur place, les manifestants s’exprimaient publiquement dans plein d’endroits, tandis qu’à Raqqa les gens étaient toujours plus discrets. J’étais jaloux de mon frère, de sa place centrale dans la révolution. Je suis allé lui rendre visite pendant six jours, en mars 2012. En janvier 2013, j’ai appris qu’on voulait de nouveau m’arrêter. Je suis immédiatement parti à Tall Abiad, où je militais dans les médias de l’ASL.Deux mois après, j’ai appris que mon frère allait se marier, avec une fille, une alaouite. Elle avait fui sa famille qui soutenait le régime et avait été arrêtée deux fois. Ma mère a toujours aimé énormément mon frère, c’est son fils aîné. Elle avait toujours voulu organiser une énorme fête pour son mariage. Mais malgré tout ce dont elle avait pu rêver, on s’est retrouvés à n’être que 6 personnes présentes au mariage, qui avait lieu en Turquie. Enfin, le deuxième jour du mariage, le 5 mars 2013, on m’a appris que Raqqa était libérée. Je n’ai même pas dit au revoir à mon frère, et je suis parti pour Raqqa. Pour la première fois de a vie, je me sentais libre. Je suis allé au siège des moukhabarat [les services secrets] où je m’étais fait rouer de coups. Je suis entré dans le bâtiment vide, et j’y suis resté pendant trois heures, à pleurer. C’était la première fois dans ma vie que je me sentais libre, c’était incroyable pour tout le monde, Raqqa était la première ville libre de Syrie.Après que Raqqa ait été libérée, tout le monde voulait faire quelque chose, même ceux qui jusque là n’avaient pas été actifs, même les Shabbiha [les milices pro-régime], et même eux on les a acceptés. Tout le monde savait qu’il n’y aurait pas de retour en arrière. On voulait montrer que l’on pouvais créer quelque chose comme un conseil de ville. Quelque chose qui serait un exemple pour les autres villes, qui inciterait les gens à rejoindre la révolution. Encore aujourd’hui si quelqu’un pose la question : « Que se passerait-t-il si Bachar Al Assad quitte le pays ? », personne ne peut répondre. On voulait tenter d’y répondre, on a donc commencé à créer de petits groupes, comme Tal Janoub Al Shabbab Al Raqqa Al Hoch [Jeunesse Libre de Raqqa].
- Mais toi tu faisais quoi exactement à ce moment ?
- C’était pas moi qui faisais, on faisait ensemble, moi et mes amis. C’est important : « on faisait ». On a créé plein d’autres groupes après comme Hakuna [Notre Droit] ou Hafad al Rashid [les Descendants d’al Rashid], mais le premier était celui de la Jeunesse Libre de Raqqa.Ce groupe n’était ni religieux, ni politique, c’était un groupe de volontaires qui voulait seulement que Raqqa s’organise. On était plus de 400 au début ; la première chose qu’on a faite, c’est nettoyer les rues. On voulait montrer aux gens que cette ville comptait pour nous, qu’on voulait voir les choses changer. On donnait toute notre énergie à la ville, c’était très simple, très naïf. On n’avait aucune expérience, aucune connaissance : on a connu tellement d’échecs.Il y a tout d’abord eu un conflit entre les jeunes et les vieux. Beaucoup de vieux voulaient nous voir regagner des partis traditionnels, rigides, et ils ont réussi : plusieurs d’entre nous les ont rejoint. Mais surtout après deux mois nous avons commencé à sentir qu’un nouveau pouvoir était en jeu. L’ASL avait très peu d’argent et des groupes islamistes, surtout Al Nostra et Ahrar Al-Sham, ont commencé par occuper une position chaque jour plus importante, leur voix se faisait de plus en plus entendre. Notre force s’est peu à peu épuisée. Ces groupes tenaient des discours affirmant ce qui est ou non haram, ce que les femmes avaient ou non le droit de faire – en condamnant celles qui portaient du rouge à lèvre par exemple. On a commencé à entendre tous ces nouveaux discours. On s’en foutait un peu au début, puis on a commencé à manifester contre ces groupes, contre Al Nostra, contre Ahrar Al-Sham. Mais ce n’était pas suffisant. Ces groupes étaient armés, et nous n’avions que notre langue, que la parole, pour nous exprimer.
On a fait la révolution jusqu’à ce que ces groupes islamistes prennent des armes, et on s’est arrêté. C’était notre plus grosse erreur. Si je pouvais revenir en arrière, je voudrais que tous les gens honnêtes, du côté de l’ASL, prennent les armes. Mais on n’a pas eu la force, la puissance, de prendre cette décision. J’ai été incapable de surmonter ma réticence à tuer un homme. Mais dans une révolution, c’est ça qu’il faut faire, c’est ça qu’on aurait dû faire.
- Pourquoi la révolution a-t-elle été si facilement récupérée ?
- Au début, chaque groupe qui jouait un rôle dans la révolution, du côté de l’ASL ou des groupes islamistes, recevait des aides des pays européens ou du Moyen-Orient. Mais à un moment les choses ont changé. L’ASL ne recevait plus d’aides, tandis que les groupes islamistes continuaient à êtres soutenus financièrement, depuis le Golfe, par de nombreux donateurs privés notamment, en raison de leurs revendications islamistes. Ces hommes qui n’avaient pas d’argent avant la révolution, ils ont été profondément changés par ces aides, le pouvoir qu’ils ont acquis les a transformés. Ils vivent comme des princes aujourd’hui, ils peuvent tout faire.Ce qu’il faut surtout comprendre, c’est que l’EIIL ou Al Nostra ne sont pas des ennemis qui auraient débarqué d’Iraq ou de n’importe où ailleurs. Ces ennemis ont surgi parmi les Syriens eux-mêmes, ils ont trouvé leur force à l’intérieur même des problèmes propres à la Syrie, comme le rapport à la religion.
Et cela, le régime d’Assad l’a bien compris, et l’a utilisé. Assad a utilisé la montée en puissance de ces groupes pour énoncer une fausse alternative : « Ou bien moi, ou bien ces groupes. » - Une fois que tu es parti de Raqqa, tu as travaillé en tant qu’assistant dans une ONG. Tu peux nous en dire plus ?
- À la base je viens d’Idlep, et je travaillais à Raqqa : je connaissais donc beaucoup de gens dans les deux villes. Une fois que je suis parti de Raqqa, j’ai commencé à travailler pour une ONG turque : j’avais pour tâche de visiter les conseils locaux dans les petits villages syriens et de rendre compte de leurs besoins matériels à l’ONG, afin qu’ils puissent être subventionnés.Ces conseils locaux étaient la plupart du temps des toutes petites organisations, avec deux ou trois personnes qui se retrouvaient dans une étroite maison, et qui cherchaient à satisfaire les besoins élémentaires des habitants. J’écrivais des rapports avec les différents projets (d’approvisionnement en électricité, en eau, en nourriture, ou de construction d’écoles par exemple) qui pouvaient les aider.
Mais tout était très compliqué, la plupart des gens de l’ONG n’avaient aucune connaissance de la situation en Syrie ; ils avaient affaire à des villages où ils ne connaissaient personne, et n’avaient aucune idée de leur fonctionnement. Par exemple, ils demandaient aux conseils locaux de leur fournir des plans prévisionnels sur trois mois, ce qui n’avait aucun sens ! Les conseils locaux étaient très compétents, mais ils n’avaient jamais raisonné en ces termes, ils fonctionnaient d’une manière très simple, très spontanée, et l’ONG était incapable de s’adapter à ce mode de fonctionnement. Ils voulaient les faire rentrer dans leur case, dans leur façon de raisonner, ils voulaient en faire des organisations professionnelles. J’essayais en permanence de faire le lien entre ces deux visions, c’était épuisant. - Et maintenant que tu es en France, tu souhaites continuer à t’impliquer ?
- Je pense que pour faire quelque chose pour la Syrie, il faut être en Syrie. Surtout, il faut que les choses soient faites en silence, pas en paradant devant les médias, comme je vois plusieurs Syriens le faire à Paris en ce moment, en annonçant qu’ils envisagent de faire ceci ou cela, qu’ils veulent envoyer de l’argent à telle ville, ou des choses comme ça.Si il faut être là-bas, c’est parce que contrairement à ce qu’on entend, ce n’est pas tant la guerre qui a lieu en ce moment en Syrie, c’est la révolution qui se poursuit. Nous qui sommes partis, on a merdé, mais la révolution continue ; on se rendra certainement compte de tout cela seulement après.Repris du site Lundi matin.