Un paquet de lois fascistes !

600x0_cr__UserFiles_Images__upload_2015_2_2_polis12Traduction d’un texte paru dans le journal anar Meydan Gazetesi sous le titre Faşism Paketi !

Pendant les journées d’émeutes de soutien à Kobanê en octobre dernier,  plus d’une cinquantaine de personnes ont été tuées par l’Etat et ses soutiens fascistes.  Le ministre de l’Intérieur, Efkan Ala, avait tenu les propos suivants : « On répondra à la violence par une violence bien plus extrême ». Dans le même temps, Erdogan avait surenchérit : « Ça ne suffira pas de vous opposer à la police, on fera tout ce qu’il faudra… » Après ces déclarations, le gouvernement a annoncé un projet de lois sécuritaires, le Paketi.  Ces nouvelles lois réellement fascistes sont au cœur des débats et mises en avant depuis des mois, aussi bien à la télé que dans les cafés. Pendant que ceux qui sont au pouvoir défendent bec et ongle ce paquet, tous les autres s’y opposent. Pendant que ce projet de lois est en train d’être discuté, six enfants ont encore été tués par la police à Cizirê au Kurdistan. Toujours dans le même temps, à Bingöl, suite à l’assassinat de quatre policiers, quatre personnes ont été arrêtées et accusées des faits : il s’avère finalement que c’est le MIT [Millî İstihbarat Teşkilatı, services secrets turcs] qui a assassinés les flics. Durant les manifestations de soutien aux personnes arrêtées et disculpées, la police a fait preuve d’une extrême violence.

Toutes les personnes mécontentes se retrouvent avec toujours plus de répression. L’État essaie de prendre de cours ce mécontentement en hâtant le vote de ce paquet ultra-sécuritaire. L’AKP [le parti d’Erdogan au pouvoir] met la pression, de manière similaire, sur l’Assemblée Nationale. Et cette tentative de passage en force instille le doute dans la tête de plus en plus de gens. Pour comprendre pour quelles raisons le gouvernement veut faire passer à tous prix rapidement le paketi, il faut comprendre les raisons profondes de la chose et décortiquer un par un les différents aspects du projet de loi.

Qu’y a t-il dans le paketi ?

Les flics n’ont plus besoin des mandats de perquisitions ou d’arrêt – émis par le procureur ou par le juge – pour mener leurs enquêtes et arrestations. Désormais dans les villages et les cantons, ce sont les sous-préfets et les « gouverneurs » locaux – désignés par l’Etat – qui décideront directement des actions à mener par la police. Les décisions des juges seront ainsi, de fait, court-circuitées. Avant, la police devait avoir une autorisation écrite de la Justice pour pouvoir fouiller maisons, véhicules et personnes. Désormais elle n’en a plus besoin.

Les flics ont le droit de réaliser des garde-à-vues de 48 heures sans accord du juge. Le parti Cemat, ancien allié de l’AKP d’Erdogan, a balancé de gros dossiers à  scandales (corruption etc) contre Erdogan qui cherchait à les réprimer. C’est une des raisons pour laquelle le paquet a vu le jour : museler toute critique des autres partis politiques et éviter les scandales pouvant éclabousser l’AKP.

Plus globalement, l’idée est de se passer de l’habituelle Justice, et de donner à la police cette prérogative. Les flics qui pourront quasiment condamner les personnes qu’ils auront arrêtés.

Dans le même temps, le paketi prévoit de protéger les flics auteurs de « bavures » et d’assassinats dans les manifestations. Ils auront également le droit d’ouvrir le feu sur les manifestants sans plus de raisons que cela. Les flics se verront également renforcés dans leur pratique de marquer les manifestants actifs à la peinture (au canon à eau) pour pouvoir les arrêter plus facilement. La police se retrouve donc encouragée à éliminer physiquement tous ceux qui sont contre l’État et ses lois.

Tout ce qui « déplait à l’État », toutes les sortes de manifestations non autorisées, ainsi que celles et ceux qui y participent et qui était déjà réprimés, tout cela, sera encore bien plus fortement puni. Organiser une action ou participer à une manif passera, d’un point de vue pénal, du délit au crime. Toutes les personnes militantes, engagées dans des luttes ou voulant changer les choses, se retrouvent enfermées pour qu’on entende plus leurs idées.  C’est une manière de faire peur aux gens, de les empêcher de prendre la rue, et si ils sortent dehors, ils se feront arrêter, ils se prendront une peine de prison pour mieux les faire taire.

Les sous-préfets et les « gouverneurs » locaux sont sous les ordres de l’État, et donc s’ils refusent d’obéir ils encourront des mises à pieds.  De cette manière, si l’État veut te rendre coupable, tu le seras d’office, car les sous-préfets et les « gouverneurs » locaux ne risqueront pas de se faire taper sur les doigts.

La police, sans la permission du juge, pourra mettre sur écoute et lister et enregistrer toutes les communications. Ses dossiers de mise sur écoute seront traités par le pôle de juges d’Ankara qui traitent habituellement les gros dossiers. L’État est en relation directe avec ce tribunal spécial d’Ankara.

Les autres lois du paquet sont relatives au fait de ne mettre que de hommes choisis par le gouvernement aux postes de policiers, de juges, de sous-préfets et « gouverneurs » locaux, quitte à virer ceux qui n’étaient, jusqu’à aujourd’hui,  pas assez proches des positions de l’AKP. Et pour la population, ce ne sera que les interdictions, la répression, les emprisonnement, les assassinats, et les abus de pouvoir. C’est ça, la nouvelle loi Paketi !

Pourquoi l’État est-il si insistant sur ces lois ?

Après les luttes de Gezi, les histoires de corruption, et la résistance pour Kobanê des kurdes de Turquie, l’État est passé pour étant un peu diminué. Au départ, on pensait que l’État reprendre son autorité, et de faire passer ces lois juste avant les prochaines élections. Mais finalement, le projet de loi est mis en attente. Du coup, ça pose question.

Le pouvoir a-t-il peur de la rébellion ?

Depuis deux ans le PKK et l’État sont dans une phase de cessez-le-feu. Mais ce dernier souhaite relancer les hostilités dans le but d’éliminer tous les rebelles et de démultiplier les fachos acquis à sa cause. Ces derniers temps le pouvoir a fait des promesses de paix avec les Kurdes, mais il ne fait rien pour que ça se réalise, au contraire. Il met même en place de nombreuses stratégies pour saper la lutte de Kobanê contre l’État Islamique. Et la dernière nouvelle : Cemil Bayik, l’un des leaders du PKK, a annoncé que, étant donné que l’État turc ne tenait pas sa parole, la guérilla reprenait le chemin de la montagne.

Est-on dans une période de crise économique ?

On nous fait croire qu’économiquement on se développe, mais il y a de gros budget pour la guerre et la lira fait partie des monnaies qui changent de valeur constamment. Erdogan et la Banque Centrale discutent de l’inflation et des intérêts pour retrouver un « équilibre » économique. Juste avec l’annonce économique d’Erdogan, le dollar repasse à 2,50 tl : ça met le doute dans les esprits. Avec cette stratégie néolibérale, le pouvoir ne pousse que vers la crise économique, qui pousse à sont tour les gens à descendre dans la rue.

Est-ce seulement une provocation avant les élections ?

Erdogan crée de disparités en séparant le peuple en deux : ceux qui votent pour lui, et les autres. Il soutient ceux qui sont pour lui, et considèrent les autres comme des mécréants. En mettant en place le paketi, l’AKP montre qu’il a peur de l’arrivée du HDP [le parti kurde, face politique du PKK] dans l’assemblée. S’il n’arrive pas à mettre en place ce paquet, l’AKP craint de devenir perdant.

Ce paquet est l’arrivée du fascisme !

Ce gouvernement est encore là pour 4 ans au moins. Il essaye pendant ce temps-là de renforcer son pouvoir. Il faut absolument être vigilant à se qu’il met en place. Tout ça pour dire que, quelque soient les raisons qui les poussent à mettre ses lois en place, le pouvoir veut éteindre toutes les idées qui s’opposent à lui, enfermer les gens, les écraser, les faire disparaître. Quelque soit la lutte – une lutte pour la paix, pour l’écologie, pour les droits sociaux, pour la liberté -, l’État veut que personne ne soit dans la rue. Et ceux qui descendront dans la rue, soit ils se feront assassiner, soit ils se feront mettre en prison. Comme ça les rues paraîtront silencieuses et en paix.

Les ministres de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères se sont retrouvés pour créer une autre instance de sécurité globale et y mettre à sa tête un des anciens dirigeants du MIT, Hakan Fidan. C’est une ultime preuve du fait que le fascisme se rapproche de nous…