25 000 flics pour empêcher le 1er mai à Istanbul : cela n’a pas suffit !

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Le climat social et politique est toujours tendu en Turquie. Mais ce 1er mai 2015 s’annonçait chaud chaud. Des élections législatives à risques pour le président dictateur Erdogan et son parti islamo-conservateur l’AKP. Une batterie de lois sécuritaires, le Paketi, qui vient d’être adopter et que d’aucuns qualifient de « fascistes ». Un mouvement kurde dynamique et qui commence à imposer sa vision du monde au-delà du strict Kurdistan… Autant d’ingrédients pour cette fête des travailleurs millésime 2015.

1er mai interdit et état de siège

« L’AKP bouscule les tabous et célèbre de nouveau la fête des travailleurs. Toutes les places de la Turquie seront ouvertes le 1er mai. » affirmait le 30 avril, le Premier ministre, Ahmet Davutoglu. Ce n’était là que pure rhétorique démocrate à destination des médias et de l’Occident. Ce 1er mai est interdit par l’État comme les années précédentes. A Istanbul, la préfecture a décidé de bloquer la place Taksim – symbole de la lutte du parc Gezi en 2013 mais surtout du 1er mai 1977 où 33 manifestants ont été tués par la police. De bloquer également le centre de la partie « européenne » d’Istanbul, les quartiers de Beşiktaş, Şişli, Kurtuluş, Mecidiyeköy, Okmeydanı, Dolmabahçe, Kabataş, Karaköy, ainsi que les deux ponts permettant de traverser le Bosphore et d’atteindre le côté dit « asiatique ». 7 kilomètres de barrières anti-émeutes selon les médias ! Les transports en communs sont coupés sur toute la zone de 6h du matin à 20h : plus aucun métro ni vapur – ces bateaux qui assurent la navette entre les deux rives du Bosphore – ni bus municipaux. Ces derniers servent à déplacer les troupes de keufs… Ces derniers sont 25000 à saturer les rues du centre de la ville, armés de tout leur arsenal – flash-balls, lacrymogènes, matraques – et aidés de 70 toma, les canons à eaux turcs et de 3 hélicoptères. Pour eux, il s’agit que rien ne se passe. Que personne ne sorte dans la rue. Qu’aucune revendication sociale et qu’aucun slogan contestataire ne puissent se faire entendre. Pour eux, la chasse est ouverte…

…Et pourtant, des dizaines de milliers de personnes prennent la rue pour clamer leur ras-le-bol de se faire exploiter par la mafia capitaliste locale et réprimer par les forces de l’État jour après jour. Beaucoup d’entre-elles se sont débrouillées la veille pour être du bon côté du Bosphore pour faire entendre qu’elles ne s’étaient en rien résigner.

 

Option n°1 : fêter le 1er mai au quartier

Si vous débarquez là sans avoir vos marques ou sans être préparé vous pouvez prendre le chemin de la rue à la recherche de regroupements de manifestants. C’est la première possibilité. L‘ambiance est bizarre et tendue dans les petites rues populaires des quartiers du centre. Les flics sont partout avec leurs grilles bloquant une rue sur deux. Dès qu’ils voient un groupe de personnes – manifestants ou non, d’ailleurs – se rapprocher un peu trop d’eux, ils se mettent à charger et à gazer comme des tarés. Un groupe de personnes est décidé à en découdre : des pères de famille commencent à dépaver, des jeunes se masquent le visage et commencent à insulter les flics. C’est parti, première grosse charge, il faut vite calter, prendre une rue au pif, puis une autre, avec toujours le stress de tomber sur un autre de barrage de flics. Ces derniers veulent prendre tout ce beau monde en étau. Chacun se réfugie avec les camarades de circonstance dans une cage d’escalier ouverte gentiment par un habitant solidaire. Certains se planquent même dans les appartements de peur que les flics forcent les portes d’entrée des immeubles. Pour celles et ceux qui n’ont pas eu le temps de leur échapper c’est l’arrestation « en mode carnage« , c’est dégueulasse. « Tous les flics sont des bâtards », en Turquie, comme partout ailleurs dans le monde, ce slogan se vérifie, ACAB…

Un certain nombre d’habitants de ces quartiers populaires et politisés du centre-ville choisissent chaque année de défendre leur quartier contre les forces d’occupation de l’État. Ils préfèrent affronter les flics là où ils vivent et tenter de les faire déguerpir plutôt que d’essayer de rejoindre un grand rassemblement de manifestants. Et c’est d’ailleurs là que les flics ont le plus souvent du mal à manœuvrer : petites rues, haine des flics et nombreuses organisations politiques d’extrême-gauche aguerries à la baston contre les keufs. Cette année, c’est les jeunes kurdes des YDG-H qui s’illustrent particulièrement. Mais il y a aussi l’ESP (Parti Socialiste des Opprimés [!]), le DHKP-C ou le marxisme-léninisme à la papa, ou encore Partizan, etc… Cocktails molotov, lance-pierres et barricades enflammées tiennent la flicaille en respect dans les rues de Kurtuluş et d’Okmeydanı. Certains n’hésitent pas à monter dans des immeubles en construction pour balancer des parpaings sur les forces de l’État. Et celles-ci répliquent durement et tirent même à un moment à balles réelles. Les douilles des balles sont retrouvées, prises en photos et balancées sur Twitter par les habitants choqués.

 

Option n°2 : faire le 1er mai sur une grande place

Vous pouvez aussi tenter de rallier la grande place où les manifestants essayent de se rassembler. Direction celle du quartier Beşiktaş, cette année. C’est la deuxième option ! Pour cela, il faut d’abord soit marcher des heures pour échapper à la police dans les petites rues et à leurs barrages. Soit tenter le coup d’un taxi sans être sûr d’arriver à destination. Mais bon, on se débrouille. Du coup, beaucoup de monde sur un petit boulevard. Un cortège de plusieurs centaines de manifestants s’est formé et prend la route de Beşiktaş. Une fois de plus, les keufs bloquent et tirent des gaz. La tête de cortège réplique, des barricades sont enflammées : c’est le face-à-face. Une fois de plus, les flics forment une souricière en prenant à revers le cortège et tirent comme des fous gaz et balles de caoutchouc. A nouveau, les cages d’escaliers. Chacun s’échappe comme il peut. A chaque regroupement, les flics attaquent et nous dispersent dans les rues alentours. A chaque dispersion, on se retrouve tous à zoner, à se refiler les infos sur là où on peut passer ou pas, à se soigner s’il faut, à se regrouper. Il y a avec des étudiantes et des collégiens, des femmes syndiquées avec leurs casques de chantiers jaunes pour éviter les coups, des anciens, et des petites familles qui ne veulent pas se laisser impressionner par l’État et ses sbires. C’est dans cette ambiance bon enfant et quelque peu surréaliste – tout est bloqué et à moitié désert, il n’y a aucune circulation et un certain silence règne – que tout le monde rejoint la place de Beşiktaş.

La plupart des organisations politiques et syndicales y sont réunies. La préfecture, devant l’ordre des choses, a préféré « tolérer » le rassemblement en se disant sans doute que cela circonscrivait aussi les manifestations à un petit périmètre. Toujours est-il que 3000 à 4000 personnes sont parvenues jusqu’ici. La place et toutes les rues adjacentes sont gorgées de milliers de flics prêts à attaquer. Et pourtant pendant une heure ou deux chacun pourra y aller de son slogan ou de sa petite danse traditionnelle kurde. Le groupe de supporters des Çarşı Beşiktaş font une arrivée remarquée en provoquant la flicaille : « Alors, on vous attend ! Pourquoi vous n’utilisez pas vos canons à eau et vos lacrymo ? Z’avez peur ou quoi ?! » Tous les manifestants les applaudissent. Il faut dire que ce club de supporters antifascistes et anarchistes avait acquis une petite notoriété en 2013 à Gezi, où ils étaient très virulents face à la police – parvenant même à attaquer les tomas de flics avec un engin de chantier qu’ils s’étaient réappropriés ! Pour autant la situation reste calme un bon moment avant que les keufs ne fassent une violente charge surprise. Les affrontements continuent pendant une petite heure dans les ruelles du vieux Beşiktaş. Non loin de là, un camarade se fait planter au couteau par des fascistes – des islamistes en l’occurrence – mais ça ne sera heureusement qu’une blessure superficielle.

Pour cette fête des travailleurs, les flics feront une bonne trentaine de blessés et captureront plus de 300 manifestants qu‘ils enverront directement en garde-à-vues pour plusieurs jours. Et les autorités avertiront rapidement, qu’en vertu de l’adoption récente du fameux paquet de lois, le sort des manifestants arrêtés sera directement entre les mains du préfet de police et non des habituels juges. En gros, pas besoin de procès ce sont les keufs qui attribuent les peines…

A bas l’État, les flics et les patrons ! Et big-up à toutes celles et ceux qui ne sont pas laisser faire par la police à Santiago du Chili, Athènes, Milan…