1er numéro de « Merhaba Hevalno mensuel » – des nouvelles du Kurdistan

barricade SurVoici le premier numéro de « Merhaba Hevalno mensuel », une revue de presse dans laquelle nous publierons chaque mois des textes à la fois d’actualité et d’analyse sur les mouvements de résistance en cours au Kurdistan.

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Bien que les luttes du peuple Kurde commencent à apparaître, de manière très limitée, dans les médias classiques français, cela ne signifie pas pour autant que ces luttes soient quelque chose de nouveau. Il n’est pas question d’un groupuscule armé faisant son apparition soudaine sur la scène politique du Moyen-Orient, mais bien d’un vaste mouvement populaire révolutionnaire qui a su combiner les luttes armées, politiques et sociales, tenant une position très importante, et souvent ignorée, dans les conflits de la région. Nous voudrions, en publiant ce bulletin, mettre en mot et en acte notre solidarité avec les mouvements de résistance au Kurdistan. Malgré la complexité de la situation là-bas (des dizaines de partis politiques, d’organisations, de groupes armées, etc.), sans parler du fait que la région nommée « Kurdistan » soit actuellement divisée entre quatre pays, nous tenterons de rendre les articles aussi accessibles que possible, en prenant bien en compte le fait que, de loin et de nos points de vue (majoritairement) occidentaux, nous sommes très loin d’avoir une compréhension globale de la situation.
Nous pensons à toutes celles et ceux qui, dans leurs montagnes, dans leurs quartiers, à la campagne ou en ville, résistent et se battent pour que le peuple kurde, ainsi que ses luttes et sa résistance, ne se fassent ni enterrer par les États et groupes fascistes du Moyen-Orient, ni récupérer par les puissances coloniales occidentales, dont bien sûr notre chère France fait partie.
Nous saluons aussi toutes celles et ceux qui se mobilisent déjà en Europe pour que cette révolution continue à faire écho ici, et pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli ni dans la déchetterie de l’ignorance générale créée par les médias classiques. Nous espérons, enfin, que cette publication puisse donner, si petit qu’il soit, un souffle à l’élan de solidarité avec les mouvements kurdes, et que les mots puissent renforcer et nourrir nos luttes à nous tout-e-s, là-bas comme ici.

 

Ce bulletin mensuel autour de l’actualité du Kurdistan est notamment rédigé depuis la ZAD de NDDL,mais pas seulement ! Un certain nombre de camarades de Toulouse, Marseille et d’ailleurs y participent…
Pour nous contacter : actukurdistan@riseup.net

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Sommaire :

  • Massacres à cizre
  • Panorama historique des luttes au Kurdistan
  • Guerre et paix
  • Les YPS-Jin aux femmes du monde
  • Un volontaire français dans les YPG
  • Appel du collectif Solidarité Femmes Kobanê suite aux attentats du 13 nov.
  • Sakine, Leyla et Fidan
  • Brèves du Bakur, du Rojava, d’Irak et d’Iran, de Turquie et d’Europe
  • Carte, glossaire, agenda

L’Union Européenne finance Daech : 3 milliards d’euros donnés à la Turquie !

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Prendre le titre de cet article comme vérité pourrait sembler hâtif. Et pourtant, c’est à peu de choses près ce que l’Europe, en pleine contradiction (ou pas?), vient de faire.

Le président-dictateur turc Erdoğan, a beau être près à toutes les horreurs pour asseoir définitivement son pouvoir, il n’en est pas moins malin. Il a bien manœuvrer l’été dernier. En ouvrant les vannes des syriens et irakiens réfugiés en Turquie vers l’Europe, il a mis une pression phénoménale sur cette dernière. L’Union Européenne, prise de panique, a cédé à toutes les exigences de l’État turc. Non seulement elle a décidé de se cacher dans un silence assourdissant quant aux pratiques fascistes du régime turc, aux massacres qu’il perpètre et au climat de terreur qu’il instaure au Kurdistan. Mais l’Europe a également pris la décision de donner 3 milliards d’euros à la Turquie pour externaliser sa politique migratoire, c’est-à-dire pour que l’État turc garde les réfugiés dans ses frontières.

Il faudrait être vraiment stupide pour croire que ces 3 milliards seront utilisés à ces fins. Et ici, en Turquie et au Kurdistan, personne n’y croit : tout le monde sait que la plus grande partie du magot ira directement dans la poche du dictateur pour armer toujours plus ses flics et ses militaires dans leur guerre aux opposants et au mouvement kurde. Chacun sait aussi que les institutions, répressives notamment, sont de plus en plus pénétrées par Daech. Ces 3 milliards ne sont qu’un chèque en blanc au régie fasciste et à l’esprit de Daech en Turquie…

Ci-dessous, 4 personnes différentes – deux à Diyarbakır et deux à Istanbul – ont répondu aux deux petites questions que nous leur avons posés sur le sujet….
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Les exécutions de civils et de manifestants se systématisent au Kurdistan

nusaybin_mb_4Fin décembre 2015. Alors que la « très démocratique » Union Européenne reprend ses discussions pour intégrer la Turquie à l’espace européen, l’Etat turc, fort de ce chèque en blanc, approfondit sa politique de terreur et d’élimination de celles et ceux qui expriment encore leurs désaccords.

Depuis six mois, la police a mis des milliers d’opposants – turcs et kurdes – en garde-à-vues et de centaines d’entre-eux ont atterris en taule. Les tabassages systématiques et tortures font à nouveau largement parties des pratiques policières selon de nombreux témoignages. Les journaux et sites internet d’opposition se font interdire et censurer : le site sendika.org, par exemple, en est à sa 7ème fermeture en quelques mois, tandis que la chaîne d’infos DIHA (Dicle Haber Ajansi) a déjà vu son site internet fermé 27 fois ! Environ 35 journalistes ont été mis en taule, souvent pour leurs accointances avec les fameux « terroristes kurdes ». Enfin, impossible d’oublier les massacres perpétrés par l’« Etat profond » turc (et ses collusions avec Daech) lors des attentats de Diyarbakır, Suruç et Ankara.

Mais cela ne semble plus suffire à l’Etat turc et au Sultan Erdoğan. Quelqu’en soit la raison – résistance du mouvement à la pression mise jusqu’alors qui agace le pouvoir, ou volonté délibérée et planifiée de mater le peuple –, la mode est depuis quelques semaines aux exécutions sommaires…

 

Cinq femmes exécutées à Istanbul

En cinq mois, cinq militantes et opposantes politiques ont été tuées chez elles lors de perquisitions. Les flics venaient pour les abattre. Point barre. Les deux dernières, Yeliz Erbay et Şirin Oter, militantes du MLKP ont été flinguées le 21 décembre. L’une d’elle au moins, d’après le rapport d’autopsie, est morte suite à de nombreux coups de feu dont plusieurs dans le vagin. De véritables porcs. Et un double assassinat : tuer la militante politique, et tuer la femme.

 

Escadrons de la mort en fin de manifestations

En seulement 15 jours, 8 jeunes manifestants ont été exécutés lors de manifestations à Diyarbakır. Et le rythme a tendance a s »intensifier : 2 ont été butés suite à la manif du 22 décembre et 3 autres suite à celle du 24 décembre. A chaque manifestation – interdite évidemment – les personnes rassemblées se font quasiment immédiatement et durement attaquées par les flics (gaz, flash-balls, canons à eau, arrestations, etc…) et les jeunes tentent de se défendre en balançant quelques pierres sans conséquences sur les blindés. C’est à ce moment-là, en fin de manifestation, les « escadrons de la mort » turcs – comment les appeler autrement ? – sortent de leurs 4×4 banalisés noirs, les fameux Ford Ranger que tout le monde reconnaît maintenant à Diyarbakır, et partent en quête de sang frais : loger une balle dans la tête de quelques jeunes manifestants en guise d’exemple. Les 3 jeunes exécutés le 24 décembre auraient en plus eu un traitement de faveur puisque leurs corps ont été retrouvés menottés : ils auraient été torturés avant de se faire abattre…

 

Des dizaines de civils exécutés à Silopi, Cizre, Nusaybin…

Le gouvernement turc se vante d’avoir déjà été tué plus de 150 « terroristes du pkk » depuis le début de sa grande « opération de nettoyage » qu’il a déclenché il y a un peu plus de 10 jours. Le chiffre est sans doute largement gonflé à des fins de propagande. Et on ne sait pas si l’Etat intègre dans son macabre décompte les dizaines de civils exécutés depuis le début de l’operasyon. Dans toutes les villes sous couvre-feux – Silopi, Cizre, Sur, Nusaybin, Kerkoban, Derik, etc… –, les 10 000 hommes des forces spéciales ne se contentent pas d’attaquer les YDG-H avec leurs tanks, ils choisissent consciemment d’attaquer les civils. De nombreux enfants, femmes et personnes âgées en ont déjà fait les frais. Voici, ci-dessous, une liste non exhaustive datant du 24 décembre, présentant un aperçu de l’étendue des exécutions :

CİZRE
1 16.12.2015 – HEDİYE ŞEN (femme, 30 ans)
2 17.12.2015 – DOĞAN ASLAN (homme, 32 ans)
3 18.12.2015 – İBRAHİM AKHAN (homme, 15 ans)
4 19.12.2015 – LÜTFÜ AKSOY (homme, 16 ans)
5 19.12.2015 – YILMAZ ERZ (homme, 42 ans)
6 19.12.2015 – SELAHATTİN BOZKURT (homme, 70 ans)
7 20.12.2015 – ZEYNEP YILMAZ (homme, 45 ans)
8 22.12.2015 – CAHİDE ÇIKAL (femme, 35 ans)
9 22.12.2015 – DOĞAN İŞÇİ (homme, 18 ans)
10 22.12.2015 – MEHMET TEKİN (homme, 25 ans)
11 22.12.2015 – MEHMET SAÇAN (homme, 38 ans)
12 22.12.2015 – AMİNE DUMAN (femme, 70 ans)
13 23.12.2015 – DİKRAN SAYACA (homme)
14 23.12.2015 – AZİME AŞAN (femme, 50 ans)
15 24.12.2015 – FERDİ KALKAN (homme, 20 ans)
16 24.12.2015 – A. MECİT YANIK (homme)
17 25.12.2015 – un bébé de 6 mois

SİLOPİ
1 16.12.205 – HÜSEYİN GÜZEL (femme, 70 ans)
2 17.12.2015 – YUSUF AYBİ (homme, 81 ans)
3 19.12.2015 – REŞİT EREN (homme, 17 ans)
4 19.12.2.105 – AXİN KANAT (homme, 16 ans)
5 19.12.2015 – İBRAHİM BİLGİN (homme, 16 ans)
6 19.12.2015 – ŞİYAR ÖZBEK (homme, 25 ans)
7 19.12.2015 – SÜLEYMAN ÇOBAN (homme, 70 ans)
8 20.12.2015 – AYBET İNAN (femme, 57 ans)
9 20.12.2015 – YUSUF İNAN SİLOPİ (homme, 40 ans)
10 20.11.2015 – AYŞE BURUNTEKİN (femme, 40 ans)
11 21.12.2015 – MEHMET METE (homme, 11 ans)
12 21.12.2015 – ÖMER SAYAN (homme, 70 ans)

NUSAYBİN
1 16.12.2015 – HÜSEYİN AHMED (homme, 22 ans)
2 20.12.2015 – EMİRE GÖK (femme, 39 ans)
3 22.12.2015 – MEDENİ ORAL (homme, 45 ans)

DARGEÇİT
1 13.12.2015 – TAKYEDİN ORAL (homme)
2 23.12.2015 – NECİM KILIÇ (homme, 67 ans)
3 23.12.2015 – SEBAHAT KILIÇ (femme, 28 ans)

SUR
1 2.12.2015 – ALİ ÇEKVAR ÇUBUK (homme, 16 ans)
2 2.12.2015 – GÜLER EROĞLU (femme, 20 ans)
3 3.12.2015 – MEHMET DEMİREL (homme)
4 14.12.2015 – ŞERDİL CENGİZ (homme, 21 ans)
5 14.12.2015 – ŞİYAR SALMAN (homme, 21 ans)
6 22.12.2015 – SERHAT DOĞAN (homme, 19 ans)
7 23.12.2015 – SALİH BAYGIN (homme, 70 ans)
8 23.12.2015 – MESUT SEVİKTEKİN (homme)

État de siège à Diyarbakır : Terreur d’État et résistance populaire (2ème partie)

diyarbakir_22aralik_11A Amed (nom kurde de Diyarbakır), du 14 au 22 décembre, le peuple de la « capitale kurde » a repris la rue et les serhildan, pour montrer sa détermination et son soutien à la guerilla. Une semaine de manifestations et d’affrontements. 5 jeunes manifestants exécutés par des « escadrons de la mort »…

Terreur des tanks de l’armée turque contre l’autonomie revendiquée et défendue par le mouvement kurde.

De nouvelles operasyon – ces opérations militaires contre les « terroristes kurdes » comme aiment à en parler les médias aux ordres du Sultan Erdoğan – ont pris corps depuis le 13 décembre. Plus de 10 000 militaires, policiers et gendarmes des forces spéciales sont partis à l’assaut de Silopi, Cizre, Nusaybin etc. Autant de villes kurdes ayant déclaré leur autonomie et qui se sont vue successivement placées sous couvre-feu puis attaquées par les tanks et les bombes de l’État turc. Car il s’agit pour le gouvernement comme il l’a dit et redit sur toutes les chaînes de télé d’une « opération de nettoyage » – ce qui rappelle les envies de karcher de Sarkozy en son temps ou celles de génocides bien pires encore. 10 000 fascistes armés jusqu’aux dents pour mater le mouvement d’émancipation sociale kurde et pour lancer une véritable guerre civile dans la région.

Dans ces villes et quartiers, beaucoup de maisons, d’immeubles, mais aussi des écoles et hôpitaux se font incendier ou éventrer par les bombes des tanks. Et bien que les habitants se fassent quotidiennement tués ou volés leurs biens par les forces spéciales, ils continuent de sortir dehors, d’investir les rues pour manifester, danser, faire du bruit ou même tirer des gros feux d’artifice la nuit pour signifier à l’Etat qu’ils apportent un soutien sans faille aux YDG-H – les jeunes qui défendent les quartiers les armes à la main –, et qu’ils préfèrent mourir que laisser leurs maisons et leurs terres.

Côté baston, les forces spéciales progressent a priori beaucoup moins vite dans leurs opérations sanglantes qu’ils ne l’affirment. Elles se vantent d’avoir tué plus de 120 guerillas dans toutes ces villes, mais rien n’est moins sûr, car comme chacun sait, l’Etat aime toujours s’inventer des chiffres à des fins de propagande. A Sur, d’après ce qu’il se raconte dans les cafés et aux coins des rues, les forces répressives de l’Etat n’avanceraient pas d’un pouce, et les fascistes des forces spéciales se feraient même shooter plus que ce à quoi ils s’attendaient. Le siège du quartier de la vieille ville, commencé le 2 décembre, ne donne semble-t-il pas les résultats escomptés, et c’est tant mieux ! Enfin, les YDG-H revendiqueraient le 21 décembre plus de 25 flics tués pour les derniers jours à Silopi, Cizre et Sur ainsi que plusieurs prisonniers…

Sur le plan politique, le HDP et le BDP – partis pro-kurdes, présent pour le premier à l’assemblée nationale turque pour le premier des deux – sont sortis du silence et de la mollesse que de plus en plus de gens critiquaient ces derniers temps. Le co-président du HDP, Demirtaş, est monté au créneau en défendant l’autonomie des villes et quartiers, l’autodéfense et les fameux hendek. Les hendek sont, au choix, ces barricades de sacs de sable ou ces fossés creusés pour empêcher l’avancée des blindés et des flics, et font diablement polémiques dans les médias aux ordres du Sultan. Impression étrange que de voir Demirtaş appeler aux manifestations alors que tout indique sur les traits de son visage ou dans son regard qu’il sait qu’à coup quasi sûr il se prendra une balle dans les semaines ou mois à venir… Et pourtant, il a réagi… Et une partie du peuple et du mouvement kurde, un peu rassuré, va pouvoir prendre la rue, faire du bruit et montrer que les groupes d’autodéfense et les guerillas sont soutenus…

Manifestations à Amed : barricades et exécutions

Lundi 14 décembre, à Ofis, le quartier du centre de Diyarbakır. Enfin ce moment fort, attendu par un grand nombre de gens du mouvement kurde, se met en marche. Les commerces sont fermés. Les gens sont dans la rue. En début de cortège, « les mères », puis les autres venus de tout les coins de la ville. Le cortège est composé de jeunes, de femmes, d’enfants, des vieux, des hommes, ils et elles sont là pour dénoncer l’Etat de siège qui dure à Sur depuis des jours. Pour dénoncer la présence militaire, et policière dans toute la ville de Diyarbakır. Pour dénoncer la répression de l’Etat contre les villes kurdes ces derniers mois.

La ville continue à être transformée en zone de guerre par les flics. On y trouve tous les types de véhicules blindés possibles : les akrep (Les scorpions), kirpi (l’hérisson), kobra (cobra), des tanks, des panzer, des toma (canons à eau), les fords ranger des « escadrons de la mort », et toute une armada de policiers en kalach. Et tout ce matériel de mort se concrétise en arrestations et gardes-à-vue à foison, en perquisitions, en nuages de gaz à lacrymogènes sans fin, en arrosages non stop de cette satanée eau qui brûle, en survols d’hélico et d’avions de chasse, en tirs à balles réelles…

Mais la vraie crainte du peuple reste les véhicules ford rangers. Ces derniers, en effet, remplacent les beyaz toros (en l’occurence les Renault Toros) des années 90 qui servaient à kidnapper et à faire disparaître les militants kurdes. Le premier ministre actuel, Davutoğlu, a même menacé le printemps dernier, lors d’un de ses meetings à Van (habitants majoritairement kurdes), que si son parti, l’AKP, ne réussissait pas à avoir les 400 députés au parlement, les beyaz toros reviendraient rendre visite aux kurdes. Ces « escadrons de la mort » font partis des forces spéciales de l’État, ils n’hésitent pas à tirer sur les civils. Tous les jeunes abattus froidement dans les ruelles, ou sur les places l’ont été par cet « escadron ». Un jeune raconte : « On manifestait, on jetait des pierres sur les canons à eaux. On a vu la Ford Ranger arriver, on a su qu’il fallait courir. On a prit une ruelle, pas la bonne. J’entendais les tirs qui sifflaient à mes oreilles pour finir sur les murs. Notre camarade est tombé sous nos yeux. Touché à la tête, on pouvait rien faire. Ils continuaient de tirer. On s’est glissé contre les murs, ils continuaient à tirer. Je ne sais pas comment j’ai réussi à me faufiler, je m’en suis sorti. Pas comme mes deux camarades. » Deux jeunes meurent d’une balle dans la tête ce 14 décembre.

https://youtu.be/S4kRciwiink

Les forces spéciales tuent et sèment la terreur dans tout le Kurdistan. Pour affaiblir, pour traumatiser les gens, et les mettre sous silence. Cela a son effet : les gens ont peur…

…Mais pas suffisamment pour ne plus prendre la rue ! Tout les jours donc, depuis le 14 décembre, les gens se rassemblent pour marcher vers Sur. Conférences de presse à la va-vite en pleine rue devant les flics, sittings, slogans, applaudissements, sifflements, innombrables chants ponctuent les débuts de manifestations : « L’AKP et Daech sont main dans la main. Le PKK frappent ces deux porcs ! », « Nous sommes tous Sur, nous sommes tous en lutte ! », « Vive la révolte de Sur ! », « Le PKK c’est le peuple, et le peuple est là ! » Les habitants se réunissent autour de trois quartiers, pour ensuite converger vers Sur. Mais il arrive, malheureusement pas souvent, qu’ils réussissent à passer les barrières de la police. Pourtant l’idée de continuer à se retrouver tous les jours, en sachant la répression qui les attend, semble kamikaze, mais ils le disent eux-mêmes : « Nous avons pas d’autre choix que de dénoncer ce que fait l’État fasciste à son peuple. Cela fait combien de jours que l’État assiège toutes nos villes, nos quartiers ? Jusqu’à quand faut til qu’ils nous tuent pour que le monde se soulève ? » « Nous ne sommes pas nombreux, comment cela se fait t-il ? Pourquoi les gens ne sortent t-ils pas dans les rues avec nous ? »

Une fois que les gens se font disperser par la police, ils s’éparpillent dans les rues. Et circulent comme des passants lambda pour ne pas se faire repérer avant de se regrouper, d’enflammer des poubelles, de monter de petites barricades et de narguer les flics. Dès que les canons à eau passent à côté d’eux, des gamins âgés de 6 à 12 ans, bouteilles en verre à la main, se jettent sur leur cible. Ils loupent, reloupent quasiment à tous les coups et reviennent avec un sourire aux lèvres : « Oldî,oldî » (« C‘est bon ! C‘est bon ! » dans un mélange de turc et de kurde). Les gamins se font engueuler par un vieux qui leur dit de rentrer chez eux. Un gars, la trentaine, voit la scène, et intervient en lui disant : «  Au lieu de gueuler sur les gamins, vas plutôt gueuler sur la police. C’est eux les responsables. Laisse les gosses faire ce qu’ils ont à faire. » Dans toutes les rues, les manifestants les plus actifs sont les jeunes et les çocuklar, les enfants… Les femmes et les « mères » sont également bien présentes. On le voit et on nous le fait remarquer : « Ces femmes sont les piliers du mouvement, sans elles on s’écroulerait. Ces mères ont subi la perte de leur proche, elles ont rien à perdre. Au contraire, elles ont tout à gagner. Et elles ne lâcheront rien. » La jeunesse est aussi déterminé que les mères. Un manifestant insiste : « L’État ne sait pas ce qu’il fait. Il ne se rend pas bien compte de se qu’il est en train de recréer. Ces jeunes déterminés qui luttent contre l’État sont nés dans les années 90. Ils y ont perdu des oncles, leurs pères, leurs frères, leurs grand pères… Ils savent mieux que personnes ce que l’État représente pour eux. Et ils sont près à tout pour se défendre. Et l’État refait la même erreur aujourd’hui. »

Entre les manifs, la population n’oublie pas les şehit, les morts, assassinés par l’État. Des lieux de recueillement ont été mis en place par la mairie HDP de la ville. Les familles des victimes, pendant trois jours et trois nuits, sont visitées par les habitants touchées par la mort des jeunes. Ils viennent faire leur condoléance, manger ensemble, boire le thé, pleurer, faire des agit (« chants, pleur»). Il y a un lieu pour les femmes, un autre pour les hommes. Des centaines de personnes s’y bousculeront pendant ces trois jours.

Baston à Bağlar.

Bağlar est, avec Sur, le quartier le plus populaire du centre ville. C’est un gigantesque entrelacement d’immeubles et de ruelles. « Imprenable par la police ! » avertissent certains. Et c’est dans ce quartier pauvre que les habitants sont les plus actifs dans la lutte et contre la police. Tout le monde s’entraide, se prévient, se protège. Les petites rues voient très régulièrement pneus et poubelles brûler, à toutes heures du jour ou de la nuit. Les trottoirs sont dépavés et servent aux barricades de fortunes ou de projectiles contre les blindés. Chacun et chacune se rappellent des nuits du 6 et 7 octobre 2014, où le serhildanl’émeute, la révolte – pour Kobanê avait enflammé les cœurs. Ce que les jeunes attendent, c’est de refaire la même. De réussir à « maintenir un serhildan quotidien qui relierait Bağlar à Sur en passant par Ofis ».

Les fillettes cassent des briques à la sortie de l’école, et partent dans les rues les mains remplies de projectiles. Et des bandes de gamins hauts comme trois pommes d’à peine 5 ans se masquent le visage et hurlent des slogans antikeufs ! C’est hallucinant ! Les çocuklar sont chaud comme la braise. Au moins dans leurs intentions. Les journées paraissent calmes, mais tout le monde est aux aguets tant les flics peuvent surgir et gazer comme des porcs chaque recoins, balcons, cages d’escaliers : « il y avait tellement de gaz dans la rue que des copains sont tombés dans les pommes », témoigne un jeune du quartier.

Et quand la nuit tombe, les choses sérieuses commencent. Affrontements armés entre les flics et les jeunes les plus téméraires et organisés. La police ne parvient pas, la plupart du temps, à rentrer dans le quartier tant les moyens employés sont virulents. Le 15 décembre, en réponse au fait que les flics ont blessé par balle un jeune du coin, un des commissariats du quartier s’est fait attaqué au lance-roquette. Le même soir, un petit groupe de motivés s’en sont pris à un toma en balançant une bombe artisanale sous le véhicule qui roulait. Les nuits sont chaudes, et les habitants restent en veille pour soutenir leurs jeunes en cas de besoin… C’est bien à Bağlar, comme à Sur, que la révolte gronde. Que les plus pauvres réclament autonomie et liberté.

22 décembre : « aujourd’hui il n’y a pas école… »

Deux nouveaux jeunes tués ce 22 décembre dans les rues de Diyarbakır. L’un, Şiyar Baran, n’avait que 13 ans tandis que l’autre, Serhat Doğan, abattu d’une balle dans la tête, en avait 19.

Aujourd’hui il n’y avait pas école. Et pour cause, les habitants de la capitale kurde avaient décidés de faire ville morte pour protester contre le siège du quartier de Sur et contre la terreur d’État qui s’installe chaque jour plus profondément au Kurdistan. Quasiment tous les commerces sont fermés, les centres commerciaux ont même suivi le mouvement, les gens ne sont pas allés travailler. Et il y a cette fois-ci encore un peu plus de monde à la manifestation du jour. Plus de 5000 personnes devant la mairie qui se mettent à marcher en direction de Dağkapı et les murailles de la vieille ville. Le dispositif policier est impressionnant de tous côtés. Seule une petite rue perpendiculaire au boulevard n’est pas bloquée. Le cortège s’y engouffre et déjà la police se met à gazer et à balancer son eau qui brûle depuis les nombreux toma qui ratissent toutes les rues des quartiers alentours. Les flics barbus de l’AKP, aux commandes de l’opération, peuvent se réjouir de leur travail : ils ont dispersés en deux deux la manifestation. Mais pourtant, après s’être cachés dans les cages d’escaliers ou les appartements voisins pour reprendre souffle et courage, les manifestants et les badauds convergent vers le centre où un nouveau rencard a été donné pour se retrouver. Et à Ofis, c’est la même que d’habitude : affrontements, répressions, caillasses, gaz, barricades, çocuklar et jeunes contre policiers AKPistes et barbus.

Tandis que les affrontements continuent, des rumeurs de hendek en train de se monter dans d’autres quartiers de Diyarbakır commencent à circuler. Reste à voir ce qu’il en sera dans les jours suivants. En attendant, les assassins professionnels, les escadrons de la mort turcs, sont encore sortis de leurs 4×4 noirs pour tuer efficacement et froidement les jeunes manifestants pour la liberté. Et de ce point de vue, le bilan de la journée est encore terriblement bien lourd : à Amed, 2 jeunes sont tombés sous les balles de l’Etat. Tandis que dans le reste du pays, 5 civils se sont faits tués à Cizre, 2 à Nusaybin, 1 à Silopi, 1 à Tarsus et 2 à Istanbul. Gageons qu’ils seront vengés. Quelques heures après leur mort, à la nuit tombée, des jeunes attaquent déjà le commissariat de leur quartier à Bağlar…

Manifestations à Diyarbakir contre l’état de siège [18/12]

diyarbakir_mb_18aralik_1Cela fait 17 jours que le quartier de la vieille-ville de Sur est assiégé par les militaires et les forces spéciales de la police. Le peuple de Diyarbakir est une fois de plus sorti dans la rue pour protester contre l’Etat turc. Il y a eu des rassemblements qui devaient partir de 3 endroits différents – Yenisehir, Kayapinar et Baglar – pour se retrouver à Ofis et marcher ensemble vers Sur. Mais la police a directement attaqué avec des gaz et les habitants n’ont cesser de lutter jusqu’au soir pour que le siège soit levé de Sur. Une journée quotidienne à Diyarbakir…

Traduction de Sendika.org. Et quelques photos de Aktivist Kamera.

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