Un gamin à Diyarbakir

Un gamin à Diyarbakir

Le 29 décembre à Diyarbakir…

La journaliste : Quand tu sors de chez toi tu as peur ? Qu’est ce tu fais ? T’as mère te dis quoi ?

Le petit gars : Elle me dit « allah’a emanet ol » que dieu te protège. Je suis courageux, mon signe c’est capricorne, et je suis courageux. Et même s’il m’arrive quelque chose, il se passera rien.

La journaliste : Y a des enfants de ton âge qui regardent, et la plupart ne comprennent pas se qu’il se passe ici. Si tu pouvais leur raconter, que leur dirais tu ?

Le petit gars : Ils ne comprendraient pas. Qu’ils viennent voir l’état de Diyarbakir, comme ça ils comprendront

Guerre et paix : entretien avec un camarade de Diyarbakır

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Réalisé le 11 décembre 2015 à Amed, cet entretien apporte un éclairage sur la guerre qui malheureusement se profile chaque jour davantage au Kurdistan…

Les choses ont beaucoup changé depuis quelques mois. Tout le monde au Kurdistan réclame la paix à corps et à cris. Mais la guerre s’intensifie partout : en Syrie et en Irak, elle continue de s’étendre, et en Turquie, l’État a recommencé sa sale guerre au Kurdistan. Depuis deux semaines, il assiège Sur, le quartier historique de Diyarbakır… Comment imagines-tu la suite des choses ? Que va-t-il se passer ?

Pour parler de ce qu’il se passe actuellement au Kurdistan, et des changements à l’œuvre ces derniers mois, il est impératif de prendre en compte les mouvements sociaux et politiques en Turquie, en Syrie et en Irak, et de mesurer l’impact des puissances internationales sur ces réalités, parce que la guerre en Syrie et en Irak, et plus spécifiquement au Rojava, a des répercussions et des effets sur la situation au Kurdistan turc.

Avant les élections du 7 juin 2015, il y avait un accord de paix entre l’État turc et le PKK. Cet accord a été rompu lors d’une réunion des MGK (Milli Güvenlik Konseyi, le Conseil de sécurité) en octobre 2014 : l’État turc prend alors la décision de repartir en guerre. Sauf qu’il n’a pas encore de raison valable à mettre en avant. Pour justifier son choix et faire monter la tension, plusieurs attaques meurtrières ont donc été perpétrées par l’État contre le mouvement kurde pendant la campagne des élections législatives, mais les militants « pro-kurdes » n’ont pas répondu à la provocation.
Et le massacre de Suruç peu de temps après le scrutin du 7 juin révèle malheureusement la signification de la grande victoire du HDP avec ses 80 députés élus. 33 jeunes qui devaient amener des jouets pour Kobanê y ont en effet trouvé la mort le 21 juillet. Le mouvement kurde est resté ensuite suffisamment fort pour continuer à réclamer la paix. Mais après ce qui s’est passé à Caylinpinar, avec la mort de 2 policiers [tués en réponse au massacre], l’État turc a enfin trouvé le prétexte qu’il attendait : le 24 juillet, il décide d’attaquer le PKK à plusieurs endroits et envoie 60 avions bombarder les positions de la guérilla dans les montagnes.

Mais la vraie question, en fait, n’est pas là. Pour le Rojava, l’idée était de rallier le canton de Kobanê à celui de Cizre : Tall Abyad, la ville frontière côté « syrien » a été reprise à Daech, et les deux cantons ont pu ainsi être reliés. Cela coupait le passage que l’État turc et l’État islamique empruntaient pour passer d’un côté à l’autre. Les élites turques et le haut commandement militaire ont rapidement pris la décision conjointe de déclarer la guerre aux kurdes, pour éviter l’ouverture de ce fameux corridor kurde, de Mossoul et Kirkuk jusqu’à la mer méditerranée. Pour les autorités turques, cela représentait un vrai cauchemar. Voilà la vraie raison de la guerre déclarée aux kurdes.

La seconde raison, c’est que depuis le 4 avril, la liaison est rompue avec le leader Abdullah Öcalan [en prison, isolé sur une île depuis 1999]. Il subit une répression très dure, dans l’isolement le plus complet. Comment pourrait-on faire la paix avec une force qui détient un de nos symboles entre ses mains ? Ce n’est pas possible, en fait. Avec ce mouvement, les kurdes, les jeunes kurdes, dans certains quartiers ou certaines villes, ont déclaré l’autonomie. Du coup, l’État a envoyé ses forces spéciales à ces endroits-là : tanks, roquettes, armes lourdes. Ils occupent carrément des quartiers entiers, où vivent évidemment des civils. Les jeunes s’opposent à cette intrusion des forces armées dans leurs quartiers, ce à quoi l’État répond par de nombreuses violences, gardes-à-vue, assassinats, viols… Les jeunes disent qu’ils n’en peuvent plus, et étendent l’autonomie à d’autres endroits. Et quand on parle de l’autonomie, on dit qu’elle a « neuf pieds » : l’économique, le social, le culturel, la santé, l’écologie, les femmes, etc… Dans ces « neufs pieds », il y a aussi l’autodéfense.

L’autodéfense a pris une place de premier plan car l’État attaque avec des armes lourdes. Si l’État n’attaquait pas, s’il faisait un pas en arrière, le peuple s’organiserait autrement. Bien évidemment ce qui se passe ici est en lien direct avec ce qui se passe en Syrie et en Irak. Les américains, qui ont des bases aériennes en Turquie, ont autorisé l’État turc à attaquer les positions du PKK. L’ordre donné était que l’attaque pouvait se faire sur le PKK mais pas sur les YPG/YPJ. « Parce que nous, les américains, nous travaillons avec les YPG/YPJ ». C’est la politique du bâton et de la carotte. Dans le même temps où ils essayent d’affaiblir le PKK à l’est, ils ont besoin des YPG au Rojava, donc ils maintiennent de bonnes relations avec ces derniers. En réalité, les YPG ont besoin de l’Union Européenne, et l’Union Européenne a besoin des YPG car les YPG n’ont pas d’armée de l’air, et les autres n’ont pas de forces sur terre. Ils sont donc obligés de collaborer.

Mais ce qu’on a pu voir ces derniers mois, c’est que l’État turc attaque sauvagement des villes, des quartiers, des régions kurdes où des civils sont présents, et face à ça, l’Occident reste silencieux. Et sachez-le bien : l’État turc mène ces attaques contre les kurdes, dans leurs propres quartiers, dans leurs villes, avec une mentalité semblable à celle de Daech. Seul le nom diffère. Les façons de faire sont identiques. La semaine dernière, j’étais à Urfa dans un commissariat. Une jeune femme avait été violée. Les flics lui ont dit « nous sommes des membres de Daech ». Une lettre de cette femme, qu’elle a envoyée pendant son incarcération, raconte ce qu’elle a vécu. La mentalité de l’État turc et celle de Daech sont les mêmes. Je voudrais rajouter que le peuple kurde n’a cessé de réclamer la paix depuis 1993. Le PKK a demandé à huit reprises l’accord de paix, et l’a fait de différentes façons, par des manifestations, des propositions de discussions, etc. Et ce sont ces deux dernières années, au moment précisément où le PKK cesse de prendre les armes, que l’État turc a déclaré la guerre au peuple kurde à cause de la conjoncture actuelle.

Ces jeunes qui défendent les quartiers, les villes, les villages, ont été contraints de le faire. Ce ne sont pas des terroristes. Personne ne voudrait vivre nez à nez avec la mort, n’est-ce pas ? C’est simple, les jeunes refusent l’entrée des forces armées dans leurs quartiers. Ils veulent l’arrêt des assassinats, des gardes à vue, des tortures dans les commissariats, des enfermements dans les prisons. Mais l’État reste sourd à ces demandes, voire fait tout pour continuer à appliquer ces mesures. Pour toutes ces raisons, à Cizre, à Gever, à Nusaybin, à Derik, à Sur, à Silvan, à Varto, la confrontation continue.

Du coup on a l’impression que c’est la guerre sans que ce soit vraiment la guerre, ce sont des guerres très localisées sur une durée définie. Nous nous demandons si les gens sont prêts à la guerre. Nous avons vu par exemple qu’il y a eu une semaine de festival suite à l’assassinat de Tahir Elçi, l’avocat de Diyabakır. Sur l’affiche, il est écrit « Quoi qu’il arrive, on veut la paix ». Est-ce que ce sont les mêmes personnes qui défendent la paix et dans le même temps s’organisent pour la guerre. En d’autres termes, si la guerre se met en route, est-ce que tout le monde suivra ?

Depuis 40 ans, ou plus précisément depuis les années 1990, ce peuple a vécu sous l’oppression de l’État. Ils ont payé beaucoup de leur « peau ». Rien que durant la décennie 1990, plus de 4 000 villages ont été incendiés. Trois millions de personnes ont dû émigrer vers les métropoles. La guerre, elle nous a brûlés de près. Moi, par exemple, je n’ai pas pu vivre ma jeunesse. En raison des conditions de guerre au quotidien, on ne pouvait sortir que le jour, c’était ennuyeux. Je parle des années 1990. Le peuple kurde a vraiment soif de paix. Même là où la situation est la plus dure, là où la répression est la plus féroce, les kurdes vont quand même continuer à scander des slogans de paix. La valeur de la paix, seuls les vrais combattants en connaissent le sens. Depuis 30 ans, les kurdes se battent sans relâche mais suite aux évolutions de la situation, les kurdes sont de nouveau confrontés à devoir faire des choix. Il y a la réalité de Daech, et de ses liens avec l’État turc, il n’y a pas de doute là-dessus. Pour se défendre, la Turquie a dû trouver une stratégie capable d’arrêter l’avancée des kurdes.

On a compris aussi qu’on ne pouvait pas s’en sortir avec les méthodes de guérilla à l’ancienne, comme l’on fait les Hizbullah [au Liban]. La stratégie a été de prendre des lieux, des terrains, de s’entraîner sur ces espaces, en mobilisant les uns et les autres. Et ces organisations continueront d’évoluer. Il est vrai que la population a vécu un choc, car ils avaient à l’esprit l’exemple de Kobanê : en l’espace de quinze jours, plusieurs centaines de villages, dont la ville principale, ont été vidés de leur population. 400 000 personnes ont dû partir. La ville a été entièrement détruite. Beaucoup de jeunes ont perdu la vie en défendant le lieu. Plus de jeunes encore ont été blessés. Le peuple kurde a apporté un grand soutien, c’est certain, mais ça se passait loin de chez eux. Lorsque cette guerre est entrée dans leur quartier, là oui, ils ont pris peur. Mais on sait aussi qu’un grand nombre de personnes restera et soutiendra la force d’autodéfense qui est avec eux. Si les YDG-H continuent de défendre tous ces quartiers, le peuple continuera lui aussi de soutenir ces jeunes. Comme à Cizre, Yüksekova, Derik, pour ne citer qu’elles… Là où les habitants apportent leur soutien, l’État ne parvient pas vraiment à attaquer.

Sur, par exemple, est un lieu où il y a des commerçants, et du coup le quartier est assiégé par les forces de l’ordre. L’État veut manœuvrer là-bas, c’est ce qui explique qu’il y ait davantage de conflits. Les lieux non délaissés par les civils sont les lieux où l’État n’arrive pas à avancer. Je pense que ces résistances vont se répandre dans toute la zone kurde et que le peuple va manifester son soutien.

Si nous posons cette question, c’est qu’on sait bien que c’est un choix de faire la guerre, c’est difficile et compliqué de choisir entre construire pacifiquement son autonomie et se défendre face à la violence de l’État et de Daech. Idéalement, on préférerait tous le premier choix.

C’est en effet ce qu’il faudrait. Dans la période de construction de ce mouvement d’autonomie et d’autogestion, on aurait dû pouvoir entamer ces travaux sans avoir à faire intervenir les armes. On aurait pu s’organiser de manière passive dans nos quartiers, dans nos villages, dans nos villes. C’est un manque du parti politique légal kurde, le HDP. Si on avait su bouger avec la foule des habitants, l’État n’aurait pas pu entrer dans les quartiers. Comme il a continué à opprimer et réprimer les habitants, les jeunes ont été obligés de s’armer. En réalité ça commencé il y a un an à Cizre où 8 jeunes ont été abattus par des militaires. Des barricades ont été creusées. Mais avec l’arrivée du parti légal kurde, la stratégie des barricades a été mise en attente. A Silvan, par exemple, quand les premières barricades ont été montées au mois d’août, l’État a fait marche arrière en disant : « On ne vous fera aucun mal. On ne procédera à aucune garde à vue, on n’emprisonnera personne. Enlevez seulement ces barricades. » Mais une fois que les jeunes ont retiré les barricades, et qu’eux-mêmes se sont retirés de la zone de conflit, les forces de l’ordre ont attaqué les quartiers comme des barbares. Ils ont brûlé les maisons, les commerces. Ceux qu’ils ont attrapé ont été battus, torturés, enfermés. Là encore les jeunes ont dû reprendre les armes.

Vous savez qui sont ces jeunes aujourd’hui? Ce sont les jeunes qui ont perdu un parent ou un membre de leur famille : abattu, torturé, mis en prison ou porté disparu par l’État. Leurs villages, leurs maisons ont été incendiés. Ils ont été forcés de migrer vers les villes. Cette génération de jeunes est le résultat des années charnières 1990. Ils ont grandi avec ces histoires. Et la vengeance anime leurs pensées.

Mais il y a un vrai paradoxe à Sur, comme vous avez pu en juger par vous-mêmes, une vraie guerre y est perpétrée par l’État, alors que quand vous regardez vers l’ouest de la ville, une vie de luxe continue tranquillement son train-train. Une espèce de schizophrénie pour le peuple. Pourquoi cela? Pourquoi d’un côté nos jeunes perdent la vie et de l’autre les gens continuent à mener la leur tranquillement, dans les bars, à siroter du thé ou du café.

Les gens payent fort leur combat, en comprenant la valeur des jeunes qu’ils perdent. Les gens attendent que la guerre arrive chez eux. En Syrie c’est pas ce qu’il s’est passé ? Ça a commencé d’un coup à Homs, et aujourd’hui c’est toute la Syrie qui brûle. En Irak aussi, ça a commencé à Falluja, et c’est l’Irak entier qui brûle aujourd’hui. Au Yemen pareil, ça a commencé à Aden, et le pays brûle aussi. Idem en Libye. On ne peut pas savoir si au Kurdistan ça sera pareil ou pas. Mais quoi qu’il arrive, ces jeunes, on ne peut pas les laisser tout seuls. Pas pour la guerre mais pour la paix.

 

Est-ce que c’est une nouvelle stratégie, assiéger un quartier ou une petite ville, la couper du monde, lui faire la guerre, en faisant en sorte que le reste des habitants ne se sentent pas concernés par ces attaques très ciblées ?

Ça n’aurait pas dû se passer comme ça. Comme on l’a dit tout à l’heure, pendant cette période de construction, l’autodéfense est le dernier « pied » de l’autonomie. L’autodéfense est quelque chose qui est mis en place pour des attaques qui pourraient survenir en interne et non en externe. L’autonomie et l’autodéfense se font sans arme. Sauf si une attaque est perpétrée de l’extérieur avec des armes, là oui, tu dois toi aussi sortir les armes. L’autodéfense est quelque chose qui naît naturellement en toute personne qui se rebelle contre n’importe quelle forme de pouvoir.

Et ça bien-sûr, l’État s’en rend compte et attaque son peuple avec violence. Il veut lui faire peur. Il veut casser la volonté propre de chacun. Il veut vider les villes et les villages, casser cette lutte, et pacifier le peuple. Et il veut que le peuple se rende à lui. Il y a un tas de raisons à cela. L’État veut détruire le Kurdistan, et la lutte de son peuple. Il est fou de rage que face à lui les gens aient deviné son intention, et ses futures attaques possibles.

Et savez-vous aussi pourquoi nous étions informés que l’État s’était préparé à nous attaquer durant ces deux dernières années de paix ? Ils avaient préparé des véhicules blindés qu’on n’avait jamais vus jusque-là. Au moins 5 modèles différents. Ce sont des véhicules avec un système informatique intégré. Les armes se trouvent au-dessus des blindés, les forces armées sont comme sur leur joystick, comme devant leur playstation : ils font et contrôlent la guerre. Mais ce ne sont que des préparatifs, en réalité. On a aussi l’impression que les forces spéciales qui nous combattent étaient auparavant en Syrie. Ils n’agissent pas comme les anciennes forces armées. Ils ont un entraînement technique et une bonne formation militaire. On s’est rendu compte que ces deux années de paix ont permis à la Turquie de préparer un plan d’attaque pour que le peuple kurde se rende. Mais les jeunes sont entrés en résistance contre cette attaque.

Regardez juste si on imaginait qu’à Paris, Marseille, Toulouse, Bordeaux, peu importe, des gens masqués fracassent les portes de chez vous pendant que vous dormez, en hurlant, en vous insultant et en violant votre intimité. En un instant les voilà dans votre chambre, qu’est-ce que vous auriez ressenti à ce moment-là ? Nos jeunes en ce moment se battent précisément contre tout ça.

Je vais parler de moi. Ma mère me disait quand j’étais petit : « Attention, si tu ne vas pas te coucher, les militaires turcs vont venir te chercher ». C’était notre loup à nous, elle nous faisait peur comme ça. Est-ce que vous arrivez à comprendre ce que ça signifie ? Un matin, les militaires viennent dans votre village, ils rassemblent les hommes sur la place, les insultent, les humilient, les frappent, les torturent… Toutes ces sales choses qu’on peut s’imaginer, ils les font. Et ensuite, ils rentrent dans vos maisons et font ce qu’ils veulent. Auprès des femmes et des enfants. Et si c’était vous, qu’est-ce que vous auriez fait ? Historiquement, ceux avec qui la France a eu le plus de conflits, c’est avec les Anglais. Imaginez si l’État anglais vous avait fait ça, qu’est-ce que les français auraient pensé ? Ou si c’était le contraire, qu’est-ce que les Anglais auraient pensé de l’État français ? Les kurdes résistent simplement face à cela.

Chaque instant de la vie est devenu un moment de torture pour nous. J’ai 38 ans aujourd’hui, et je ne me sens en sécurité que là où les forces armées ne sont pas présentes.

Main basse sur Sur

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Traduction d’un article de Hüseyin Ali, paru dans Özgur Gündem, le 25 décembre 2015.

L’État turc est en train de mener ses attaques génocidaires au Kurdistan. En attaquant physiquement le mouvement du peuple, il veut casser sa résistance, et développer un génocide culturel. Erdoğan dit chaque jour : « un peuple, une patrie, un pays, un drapeau. » Et l’Etat dit qu’une fois qu’ils auront cassé le mouvement kurde, ils vont faire plus de commissariat, ils vont mieux éduquer les enfants, ils vont les assimiler, et si besoin les enfants seront déplacés ailleurs en Turquie. Ils disent qu’ils mettront en place un système éducatif allant contre le peuple kurde.

L’AKP, jusqu’à ce jour, a assassiné des centaines de femmes, d’enfants, de jeunes, de vieux, et d’hommes, et sans honte retourne la faute sur ceux qu’il agresse. Avec ses tanks, avec ses obus, les forces spéciales détruisent tout, mettent les villes s’en dessus dessous. Femmes ou enfants, ils tuent sans distinctions. Ils bombardent les moquées, des monuments historiques. Ils font exploser les générateurs électriques et les citernes d’eaux. Et quand le peuple lutte contre ces attaques, ils se font traités de « vandales ».

L’Etat turc ne fait que mentir pour tromper les peuples de Turquie. C’est lui qui réprime, tue, et ensuite fait comme si c’était les kurdes qui se faisaient ça à eux-mêmes. Tous les jours, les sbires tuent entre 5 et 10 personnes, et ensuite disent « le PKK a encore tué des civils ». L’Etat turc trompe son peuple. Le gouvernement AKP, en premier lieu, et surtout Erdoğan, le chef fasciste, tournent tous leurs discours de manière à duper les peuples de Turquie.

Le peuple kurde lui sait réellement ce qu’il se passe, car il le vit et le voit. En ce moment la plus grosse opération est en train de se dérouler contre Sur. L’âme d’Amed, le quartier historique de Sur, est encerclé, et leur objectif est de faire disparaître ce lieu. La raison de cette manœuvre n’est pas seulement de casser le mouvement et la résistance du peuple de Sur et d’Amed, mais d’enlever l’âme de cette ville.

C’est comme dans les années 80, quand les responsables de la prison de Diyarbakır, 5 nolu, emprisonnant des sympathisants du PKK, ont tenté d’y creuser un cimetière pour y enterrer l’espoir du peuple kurde. Et aujourd’hui en mettant s’en dessus dessous Sur, leur envie est d’enterrer l’âme d’Amed. L’âme d’Amed brille par Sur, par l’histoire de Sur, par l’architecture de Sur, par la culture de Sur, par la vie que mène les gens les uns avec les autres, l’affection mutuelle qu’ils se portent. Et aujourd’hui en détruisant l’âme d’Amed, ça sera le plus grand génocide culturel du Kurdistan.

Tous les militants, et tous les kurdes doivent le voir. Pour ces raisons, il faut créer une barricade de résistance tout autour de Sur, car la résistance de Sur ne doit pas rester seule. La lutte de Sur est la résistance de toute l’histoire kurde et l’histoire de sa liberté. C’est la résistance de Şix Sait [leader de l’insurrection en 1921 à Dersim], la résistance des bagnes, la résistance de Vedat Aydin [président du partie HEP ancêtre du BDP, assassiné par l’État], la résistance de la semaine des héros/héroïnes de 2006, la résistance de Zekiye Alkan [résistante des années 1990, femme qui s’est immolée pour le newroz quand c’était encore interdit]. En incendiant, en détruisant Sur, ils veulent arracher les racines de ces résistances. C’est pour ça que Sur est un lieu stratégique et historique. C’est une réelle résistance de défendre l’architecture et le quartier de Sur. […]

L’Etat détruit Sur car l’objectif qu’il veut atteindre n’est pas seulement la destruction de l’histoire de ce lieu, mais tout Amed. Parce qu’à partir du moment où Sur sera détruit, la seule âme qui planera, sera la culture de l’exploitation, et du capitalisme. Parce que Sur donne son âme dans chaque quartier d’Amed, et dans chacune de ces communes. L’idée est de retirer le cœur et l’âme de la résistance pour affaiblir et anéantir toute la résistance du Kurdistan.
A chaque fois qu’un obus est jeté, qu’une balle est tirée, qu’une bombe est lancée, qu’une attaque est faites à Sur… C’est tout Amed et le Kurdistan qui sont visés. Ce qui se joue aujourd’hui est d’une importance historique. La résistance de Sur doit continuer et s’accroître.

Au moment même où la résistance est forte à Sur, l’Etat annonce : « les TOKI doivent rentrer dans Sur. Sur détruit doit être remplacé par des habitats plus modernes. » Si les TOKI [grands ensembles d’habitations construits par le bétonneur TOKI] rentrent dans Sur, l’âme historique de ce lieu disparaîtra en y mettant des blocs de béton sans sens et sans âme. Et d’autres vont se faire de l’argent sur le dos de cette culture quı, exploitée, sera vouée à disparaître. C’est pour cette raison aussi, qu’il s’agit d’un génocide lorsque l’Etat brule et détruit les maisons à Sur pour y faire couler du béton,.
Le peuple kurde doit défendre, comme il défendrait son pays, chaque maison qui se trouve à Sur.
Les TOKI ne peuvent pas rentrer dans Sur ! Il n’est pas question qu’un litre de béton ne soit couler dans Sur ! Ces TOKI auront, et ont pour objectif de viser le peuple kurde et le mouvement de libération. Tout le monde, dès aujourd’hui doit s’en rendre compte. Chaque recoin explosé, détruit par l’État, doit être refait comme avant avec l’aide du peuple et de la mairie. Défendre un lieu historique c’est aussi un bout de l’autonomie que nous recherchons. C’est une défense de territoire. Les kurdes ne regardent plus leurs monuments historiques comme un simple bout de pierre. Ils savent qu’ils ont une âme, une histoire, un présent et un avenir.

Pourquoi cette résistance se fait-elle à Sur ?

Parce que ce n’est pas seulement le temps présent qui résiste, mais bien aussi les luttes passées et la mémoıre culturelle de ces luttes. Tout le monde doit le savoir. La lutte qu’il y a aujourd’hui à Sur, contre l’occupation de l’État, contre le génocide culturel, ne s’arrêtera pas là. Une fois que l’État voudra faire couler du béton dans Sur, ils feront face à une nouvelle résistance.

Le peuple kurde et les habitants d’Amed nourrissent leurs cultures depuis des milliers d’années, et ne laisseront pas assassiner leur âme. Aucune personne ne pourra venir toucher Sur impunément, comme ils ont pu le faire ailleurs. Ceux et celles qui veulent la peau de Sur, l’histoire les frappera en plein visage, sa culture les foudroiera, l’âme de sa résistance les heurteront. Et si jamais ils essayent d’y mettre la main, ils se prendront une telle gifle, qu’ils ne comprendront pas ce qui leur arrive.

Les exécutions de civils et de manifestants se systématisent au Kurdistan

nusaybin_mb_4Fin décembre 2015. Alors que la « très démocratique » Union Européenne reprend ses discussions pour intégrer la Turquie à l’espace européen, l’Etat turc, fort de ce chèque en blanc, approfondit sa politique de terreur et d’élimination de celles et ceux qui expriment encore leurs désaccords.

Depuis six mois, la police a mis des milliers d’opposants – turcs et kurdes – en garde-à-vues et de centaines d’entre-eux ont atterris en taule. Les tabassages systématiques et tortures font à nouveau largement parties des pratiques policières selon de nombreux témoignages. Les journaux et sites internet d’opposition se font interdire et censurer : le site sendika.org, par exemple, en est à sa 7ème fermeture en quelques mois, tandis que la chaîne d’infos DIHA (Dicle Haber Ajansi) a déjà vu son site internet fermé 27 fois ! Environ 35 journalistes ont été mis en taule, souvent pour leurs accointances avec les fameux « terroristes kurdes ». Enfin, impossible d’oublier les massacres perpétrés par l’« Etat profond » turc (et ses collusions avec Daech) lors des attentats de Diyarbakır, Suruç et Ankara.

Mais cela ne semble plus suffire à l’Etat turc et au Sultan Erdoğan. Quelqu’en soit la raison – résistance du mouvement à la pression mise jusqu’alors qui agace le pouvoir, ou volonté délibérée et planifiée de mater le peuple –, la mode est depuis quelques semaines aux exécutions sommaires…

 

Cinq femmes exécutées à Istanbul

En cinq mois, cinq militantes et opposantes politiques ont été tuées chez elles lors de perquisitions. Les flics venaient pour les abattre. Point barre. Les deux dernières, Yeliz Erbay et Şirin Oter, militantes du MLKP ont été flinguées le 21 décembre. L’une d’elle au moins, d’après le rapport d’autopsie, est morte suite à de nombreux coups de feu dont plusieurs dans le vagin. De véritables porcs. Et un double assassinat : tuer la militante politique, et tuer la femme.

 

Escadrons de la mort en fin de manifestations

En seulement 15 jours, 8 jeunes manifestants ont été exécutés lors de manifestations à Diyarbakır. Et le rythme a tendance a s »intensifier : 2 ont été butés suite à la manif du 22 décembre et 3 autres suite à celle du 24 décembre. A chaque manifestation – interdite évidemment – les personnes rassemblées se font quasiment immédiatement et durement attaquées par les flics (gaz, flash-balls, canons à eau, arrestations, etc…) et les jeunes tentent de se défendre en balançant quelques pierres sans conséquences sur les blindés. C’est à ce moment-là, en fin de manifestation, les « escadrons de la mort » turcs – comment les appeler autrement ? – sortent de leurs 4×4 banalisés noirs, les fameux Ford Ranger que tout le monde reconnaît maintenant à Diyarbakır, et partent en quête de sang frais : loger une balle dans la tête de quelques jeunes manifestants en guise d’exemple. Les 3 jeunes exécutés le 24 décembre auraient en plus eu un traitement de faveur puisque leurs corps ont été retrouvés menottés : ils auraient été torturés avant de se faire abattre…

 

Des dizaines de civils exécutés à Silopi, Cizre, Nusaybin…

Le gouvernement turc se vante d’avoir déjà été tué plus de 150 « terroristes du pkk » depuis le début de sa grande « opération de nettoyage » qu’il a déclenché il y a un peu plus de 10 jours. Le chiffre est sans doute largement gonflé à des fins de propagande. Et on ne sait pas si l’Etat intègre dans son macabre décompte les dizaines de civils exécutés depuis le début de l’operasyon. Dans toutes les villes sous couvre-feux – Silopi, Cizre, Sur, Nusaybin, Kerkoban, Derik, etc… –, les 10 000 hommes des forces spéciales ne se contentent pas d’attaquer les YDG-H avec leurs tanks, ils choisissent consciemment d’attaquer les civils. De nombreux enfants, femmes et personnes âgées en ont déjà fait les frais. Voici, ci-dessous, une liste non exhaustive datant du 24 décembre, présentant un aperçu de l’étendue des exécutions :

CİZRE
1 16.12.2015 – HEDİYE ŞEN (femme, 30 ans)
2 17.12.2015 – DOĞAN ASLAN (homme, 32 ans)
3 18.12.2015 – İBRAHİM AKHAN (homme, 15 ans)
4 19.12.2015 – LÜTFÜ AKSOY (homme, 16 ans)
5 19.12.2015 – YILMAZ ERZ (homme, 42 ans)
6 19.12.2015 – SELAHATTİN BOZKURT (homme, 70 ans)
7 20.12.2015 – ZEYNEP YILMAZ (homme, 45 ans)
8 22.12.2015 – CAHİDE ÇIKAL (femme, 35 ans)
9 22.12.2015 – DOĞAN İŞÇİ (homme, 18 ans)
10 22.12.2015 – MEHMET TEKİN (homme, 25 ans)
11 22.12.2015 – MEHMET SAÇAN (homme, 38 ans)
12 22.12.2015 – AMİNE DUMAN (femme, 70 ans)
13 23.12.2015 – DİKRAN SAYACA (homme)
14 23.12.2015 – AZİME AŞAN (femme, 50 ans)
15 24.12.2015 – FERDİ KALKAN (homme, 20 ans)
16 24.12.2015 – A. MECİT YANIK (homme)
17 25.12.2015 – un bébé de 6 mois

SİLOPİ
1 16.12.205 – HÜSEYİN GÜZEL (femme, 70 ans)
2 17.12.2015 – YUSUF AYBİ (homme, 81 ans)
3 19.12.2015 – REŞİT EREN (homme, 17 ans)
4 19.12.2.105 – AXİN KANAT (homme, 16 ans)
5 19.12.2015 – İBRAHİM BİLGİN (homme, 16 ans)
6 19.12.2015 – ŞİYAR ÖZBEK (homme, 25 ans)
7 19.12.2015 – SÜLEYMAN ÇOBAN (homme, 70 ans)
8 20.12.2015 – AYBET İNAN (femme, 57 ans)
9 20.12.2015 – YUSUF İNAN SİLOPİ (homme, 40 ans)
10 20.11.2015 – AYŞE BURUNTEKİN (femme, 40 ans)
11 21.12.2015 – MEHMET METE (homme, 11 ans)
12 21.12.2015 – ÖMER SAYAN (homme, 70 ans)

NUSAYBİN
1 16.12.2015 – HÜSEYİN AHMED (homme, 22 ans)
2 20.12.2015 – EMİRE GÖK (femme, 39 ans)
3 22.12.2015 – MEDENİ ORAL (homme, 45 ans)

DARGEÇİT
1 13.12.2015 – TAKYEDİN ORAL (homme)
2 23.12.2015 – NECİM KILIÇ (homme, 67 ans)
3 23.12.2015 – SEBAHAT KILIÇ (femme, 28 ans)

SUR
1 2.12.2015 – ALİ ÇEKVAR ÇUBUK (homme, 16 ans)
2 2.12.2015 – GÜLER EROĞLU (femme, 20 ans)
3 3.12.2015 – MEHMET DEMİREL (homme)
4 14.12.2015 – ŞERDİL CENGİZ (homme, 21 ans)
5 14.12.2015 – ŞİYAR SALMAN (homme, 21 ans)
6 22.12.2015 – SERHAT DOĞAN (homme, 19 ans)
7 23.12.2015 – SALİH BAYGIN (homme, 70 ans)
8 23.12.2015 – MESUT SEVİKTEKİN (homme)

État de siège à Diyarbakır : Terreur d’État et résistance populaire (2ème partie)

diyarbakir_22aralik_11A Amed (nom kurde de Diyarbakır), du 14 au 22 décembre, le peuple de la « capitale kurde » a repris la rue et les serhildan, pour montrer sa détermination et son soutien à la guerilla. Une semaine de manifestations et d’affrontements. 5 jeunes manifestants exécutés par des « escadrons de la mort »…

Terreur des tanks de l’armée turque contre l’autonomie revendiquée et défendue par le mouvement kurde.

De nouvelles operasyon – ces opérations militaires contre les « terroristes kurdes » comme aiment à en parler les médias aux ordres du Sultan Erdoğan – ont pris corps depuis le 13 décembre. Plus de 10 000 militaires, policiers et gendarmes des forces spéciales sont partis à l’assaut de Silopi, Cizre, Nusaybin etc. Autant de villes kurdes ayant déclaré leur autonomie et qui se sont vue successivement placées sous couvre-feu puis attaquées par les tanks et les bombes de l’État turc. Car il s’agit pour le gouvernement comme il l’a dit et redit sur toutes les chaînes de télé d’une « opération de nettoyage » – ce qui rappelle les envies de karcher de Sarkozy en son temps ou celles de génocides bien pires encore. 10 000 fascistes armés jusqu’aux dents pour mater le mouvement d’émancipation sociale kurde et pour lancer une véritable guerre civile dans la région.

Dans ces villes et quartiers, beaucoup de maisons, d’immeubles, mais aussi des écoles et hôpitaux se font incendier ou éventrer par les bombes des tanks. Et bien que les habitants se fassent quotidiennement tués ou volés leurs biens par les forces spéciales, ils continuent de sortir dehors, d’investir les rues pour manifester, danser, faire du bruit ou même tirer des gros feux d’artifice la nuit pour signifier à l’Etat qu’ils apportent un soutien sans faille aux YDG-H – les jeunes qui défendent les quartiers les armes à la main –, et qu’ils préfèrent mourir que laisser leurs maisons et leurs terres.

Côté baston, les forces spéciales progressent a priori beaucoup moins vite dans leurs opérations sanglantes qu’ils ne l’affirment. Elles se vantent d’avoir tué plus de 120 guerillas dans toutes ces villes, mais rien n’est moins sûr, car comme chacun sait, l’Etat aime toujours s’inventer des chiffres à des fins de propagande. A Sur, d’après ce qu’il se raconte dans les cafés et aux coins des rues, les forces répressives de l’Etat n’avanceraient pas d’un pouce, et les fascistes des forces spéciales se feraient même shooter plus que ce à quoi ils s’attendaient. Le siège du quartier de la vieille ville, commencé le 2 décembre, ne donne semble-t-il pas les résultats escomptés, et c’est tant mieux ! Enfin, les YDG-H revendiqueraient le 21 décembre plus de 25 flics tués pour les derniers jours à Silopi, Cizre et Sur ainsi que plusieurs prisonniers…

Sur le plan politique, le HDP et le BDP – partis pro-kurdes, présent pour le premier à l’assemblée nationale turque pour le premier des deux – sont sortis du silence et de la mollesse que de plus en plus de gens critiquaient ces derniers temps. Le co-président du HDP, Demirtaş, est monté au créneau en défendant l’autonomie des villes et quartiers, l’autodéfense et les fameux hendek. Les hendek sont, au choix, ces barricades de sacs de sable ou ces fossés creusés pour empêcher l’avancée des blindés et des flics, et font diablement polémiques dans les médias aux ordres du Sultan. Impression étrange que de voir Demirtaş appeler aux manifestations alors que tout indique sur les traits de son visage ou dans son regard qu’il sait qu’à coup quasi sûr il se prendra une balle dans les semaines ou mois à venir… Et pourtant, il a réagi… Et une partie du peuple et du mouvement kurde, un peu rassuré, va pouvoir prendre la rue, faire du bruit et montrer que les groupes d’autodéfense et les guerillas sont soutenus…

Manifestations à Amed : barricades et exécutions

Lundi 14 décembre, à Ofis, le quartier du centre de Diyarbakır. Enfin ce moment fort, attendu par un grand nombre de gens du mouvement kurde, se met en marche. Les commerces sont fermés. Les gens sont dans la rue. En début de cortège, « les mères », puis les autres venus de tout les coins de la ville. Le cortège est composé de jeunes, de femmes, d’enfants, des vieux, des hommes, ils et elles sont là pour dénoncer l’Etat de siège qui dure à Sur depuis des jours. Pour dénoncer la présence militaire, et policière dans toute la ville de Diyarbakır. Pour dénoncer la répression de l’Etat contre les villes kurdes ces derniers mois.

La ville continue à être transformée en zone de guerre par les flics. On y trouve tous les types de véhicules blindés possibles : les akrep (Les scorpions), kirpi (l’hérisson), kobra (cobra), des tanks, des panzer, des toma (canons à eau), les fords ranger des « escadrons de la mort », et toute une armada de policiers en kalach. Et tout ce matériel de mort se concrétise en arrestations et gardes-à-vue à foison, en perquisitions, en nuages de gaz à lacrymogènes sans fin, en arrosages non stop de cette satanée eau qui brûle, en survols d’hélico et d’avions de chasse, en tirs à balles réelles…

Mais la vraie crainte du peuple reste les véhicules ford rangers. Ces derniers, en effet, remplacent les beyaz toros (en l’occurence les Renault Toros) des années 90 qui servaient à kidnapper et à faire disparaître les militants kurdes. Le premier ministre actuel, Davutoğlu, a même menacé le printemps dernier, lors d’un de ses meetings à Van (habitants majoritairement kurdes), que si son parti, l’AKP, ne réussissait pas à avoir les 400 députés au parlement, les beyaz toros reviendraient rendre visite aux kurdes. Ces « escadrons de la mort » font partis des forces spéciales de l’État, ils n’hésitent pas à tirer sur les civils. Tous les jeunes abattus froidement dans les ruelles, ou sur les places l’ont été par cet « escadron ». Un jeune raconte : « On manifestait, on jetait des pierres sur les canons à eaux. On a vu la Ford Ranger arriver, on a su qu’il fallait courir. On a prit une ruelle, pas la bonne. J’entendais les tirs qui sifflaient à mes oreilles pour finir sur les murs. Notre camarade est tombé sous nos yeux. Touché à la tête, on pouvait rien faire. Ils continuaient de tirer. On s’est glissé contre les murs, ils continuaient à tirer. Je ne sais pas comment j’ai réussi à me faufiler, je m’en suis sorti. Pas comme mes deux camarades. » Deux jeunes meurent d’une balle dans la tête ce 14 décembre.

https://youtu.be/S4kRciwiink

Les forces spéciales tuent et sèment la terreur dans tout le Kurdistan. Pour affaiblir, pour traumatiser les gens, et les mettre sous silence. Cela a son effet : les gens ont peur…

…Mais pas suffisamment pour ne plus prendre la rue ! Tout les jours donc, depuis le 14 décembre, les gens se rassemblent pour marcher vers Sur. Conférences de presse à la va-vite en pleine rue devant les flics, sittings, slogans, applaudissements, sifflements, innombrables chants ponctuent les débuts de manifestations : « L’AKP et Daech sont main dans la main. Le PKK frappent ces deux porcs ! », « Nous sommes tous Sur, nous sommes tous en lutte ! », « Vive la révolte de Sur ! », « Le PKK c’est le peuple, et le peuple est là ! » Les habitants se réunissent autour de trois quartiers, pour ensuite converger vers Sur. Mais il arrive, malheureusement pas souvent, qu’ils réussissent à passer les barrières de la police. Pourtant l’idée de continuer à se retrouver tous les jours, en sachant la répression qui les attend, semble kamikaze, mais ils le disent eux-mêmes : « Nous avons pas d’autre choix que de dénoncer ce que fait l’État fasciste à son peuple. Cela fait combien de jours que l’État assiège toutes nos villes, nos quartiers ? Jusqu’à quand faut til qu’ils nous tuent pour que le monde se soulève ? » « Nous ne sommes pas nombreux, comment cela se fait t-il ? Pourquoi les gens ne sortent t-ils pas dans les rues avec nous ? »

Une fois que les gens se font disperser par la police, ils s’éparpillent dans les rues. Et circulent comme des passants lambda pour ne pas se faire repérer avant de se regrouper, d’enflammer des poubelles, de monter de petites barricades et de narguer les flics. Dès que les canons à eau passent à côté d’eux, des gamins âgés de 6 à 12 ans, bouteilles en verre à la main, se jettent sur leur cible. Ils loupent, reloupent quasiment à tous les coups et reviennent avec un sourire aux lèvres : « Oldî,oldî » (« C‘est bon ! C‘est bon ! » dans un mélange de turc et de kurde). Les gamins se font engueuler par un vieux qui leur dit de rentrer chez eux. Un gars, la trentaine, voit la scène, et intervient en lui disant : «  Au lieu de gueuler sur les gamins, vas plutôt gueuler sur la police. C’est eux les responsables. Laisse les gosses faire ce qu’ils ont à faire. » Dans toutes les rues, les manifestants les plus actifs sont les jeunes et les çocuklar, les enfants… Les femmes et les « mères » sont également bien présentes. On le voit et on nous le fait remarquer : « Ces femmes sont les piliers du mouvement, sans elles on s’écroulerait. Ces mères ont subi la perte de leur proche, elles ont rien à perdre. Au contraire, elles ont tout à gagner. Et elles ne lâcheront rien. » La jeunesse est aussi déterminé que les mères. Un manifestant insiste : « L’État ne sait pas ce qu’il fait. Il ne se rend pas bien compte de se qu’il est en train de recréer. Ces jeunes déterminés qui luttent contre l’État sont nés dans les années 90. Ils y ont perdu des oncles, leurs pères, leurs frères, leurs grand pères… Ils savent mieux que personnes ce que l’État représente pour eux. Et ils sont près à tout pour se défendre. Et l’État refait la même erreur aujourd’hui. »

Entre les manifs, la population n’oublie pas les şehit, les morts, assassinés par l’État. Des lieux de recueillement ont été mis en place par la mairie HDP de la ville. Les familles des victimes, pendant trois jours et trois nuits, sont visitées par les habitants touchées par la mort des jeunes. Ils viennent faire leur condoléance, manger ensemble, boire le thé, pleurer, faire des agit (« chants, pleur»). Il y a un lieu pour les femmes, un autre pour les hommes. Des centaines de personnes s’y bousculeront pendant ces trois jours.

Baston à Bağlar.

Bağlar est, avec Sur, le quartier le plus populaire du centre ville. C’est un gigantesque entrelacement d’immeubles et de ruelles. « Imprenable par la police ! » avertissent certains. Et c’est dans ce quartier pauvre que les habitants sont les plus actifs dans la lutte et contre la police. Tout le monde s’entraide, se prévient, se protège. Les petites rues voient très régulièrement pneus et poubelles brûler, à toutes heures du jour ou de la nuit. Les trottoirs sont dépavés et servent aux barricades de fortunes ou de projectiles contre les blindés. Chacun et chacune se rappellent des nuits du 6 et 7 octobre 2014, où le serhildanl’émeute, la révolte – pour Kobanê avait enflammé les cœurs. Ce que les jeunes attendent, c’est de refaire la même. De réussir à « maintenir un serhildan quotidien qui relierait Bağlar à Sur en passant par Ofis ».

Les fillettes cassent des briques à la sortie de l’école, et partent dans les rues les mains remplies de projectiles. Et des bandes de gamins hauts comme trois pommes d’à peine 5 ans se masquent le visage et hurlent des slogans antikeufs ! C’est hallucinant ! Les çocuklar sont chaud comme la braise. Au moins dans leurs intentions. Les journées paraissent calmes, mais tout le monde est aux aguets tant les flics peuvent surgir et gazer comme des porcs chaque recoins, balcons, cages d’escaliers : « il y avait tellement de gaz dans la rue que des copains sont tombés dans les pommes », témoigne un jeune du quartier.

Et quand la nuit tombe, les choses sérieuses commencent. Affrontements armés entre les flics et les jeunes les plus téméraires et organisés. La police ne parvient pas, la plupart du temps, à rentrer dans le quartier tant les moyens employés sont virulents. Le 15 décembre, en réponse au fait que les flics ont blessé par balle un jeune du coin, un des commissariats du quartier s’est fait attaqué au lance-roquette. Le même soir, un petit groupe de motivés s’en sont pris à un toma en balançant une bombe artisanale sous le véhicule qui roulait. Les nuits sont chaudes, et les habitants restent en veille pour soutenir leurs jeunes en cas de besoin… C’est bien à Bağlar, comme à Sur, que la révolte gronde. Que les plus pauvres réclament autonomie et liberté.

22 décembre : « aujourd’hui il n’y a pas école… »

Deux nouveaux jeunes tués ce 22 décembre dans les rues de Diyarbakır. L’un, Şiyar Baran, n’avait que 13 ans tandis que l’autre, Serhat Doğan, abattu d’une balle dans la tête, en avait 19.

Aujourd’hui il n’y avait pas école. Et pour cause, les habitants de la capitale kurde avaient décidés de faire ville morte pour protester contre le siège du quartier de Sur et contre la terreur d’État qui s’installe chaque jour plus profondément au Kurdistan. Quasiment tous les commerces sont fermés, les centres commerciaux ont même suivi le mouvement, les gens ne sont pas allés travailler. Et il y a cette fois-ci encore un peu plus de monde à la manifestation du jour. Plus de 5000 personnes devant la mairie qui se mettent à marcher en direction de Dağkapı et les murailles de la vieille ville. Le dispositif policier est impressionnant de tous côtés. Seule une petite rue perpendiculaire au boulevard n’est pas bloquée. Le cortège s’y engouffre et déjà la police se met à gazer et à balancer son eau qui brûle depuis les nombreux toma qui ratissent toutes les rues des quartiers alentours. Les flics barbus de l’AKP, aux commandes de l’opération, peuvent se réjouir de leur travail : ils ont dispersés en deux deux la manifestation. Mais pourtant, après s’être cachés dans les cages d’escaliers ou les appartements voisins pour reprendre souffle et courage, les manifestants et les badauds convergent vers le centre où un nouveau rencard a été donné pour se retrouver. Et à Ofis, c’est la même que d’habitude : affrontements, répressions, caillasses, gaz, barricades, çocuklar et jeunes contre policiers AKPistes et barbus.

Tandis que les affrontements continuent, des rumeurs de hendek en train de se monter dans d’autres quartiers de Diyarbakır commencent à circuler. Reste à voir ce qu’il en sera dans les jours suivants. En attendant, les assassins professionnels, les escadrons de la mort turcs, sont encore sortis de leurs 4×4 noirs pour tuer efficacement et froidement les jeunes manifestants pour la liberté. Et de ce point de vue, le bilan de la journée est encore terriblement bien lourd : à Amed, 2 jeunes sont tombés sous les balles de l’Etat. Tandis que dans le reste du pays, 5 civils se sont faits tués à Cizre, 2 à Nusaybin, 1 à Silopi, 1 à Tarsus et 2 à Istanbul. Gageons qu’ils seront vengés. Quelques heures après leur mort, à la nuit tombée, des jeunes attaquent déjà le commissariat de leur quartier à Bağlar…