3 brèves autour des couvre-feux et des opérations des forces spéciales..

silopi1traduit depuis Sendika et DIHA

Le 15 décembre à Diyarbakır

Plus de 10 000 personnes ont participé aux funérailles de Şerdıl Cengiz et de Şiyar Selman, deux jeunes abattu par la police le 14 décembre à Diyarbakır. Ils ont été enterré au cimetière de Yeniköy.
Tout les habitants de la ville ont accueilli les jeunes assassinés avec des slogans. «  Şehid namirin » (« nos morts sont immortels »), « Le PKK est le peuple, le peuple est là ! », des sifflets et des applaudissements. La cérémonie de deuil s’est fait au parc de Koşuyolu, et les députés du HDP, Çağlar Demirel et Selma Irmak, étaient aussi dans le cortège. Après la prière, MEYA-DER [l’association des parents et proches de personnes tuées par la police] a déclaré « Ces jeunes ont été assassinés aujourd’hui à Koşuyolu par les mêmes qui ont assassinés leurs grand-pères, leurs pères, leurs grands frères. Maintenant ça suffit. Vous assassinez nos enfants avec le même état d’esprit que Daech. Nous refusons cette situation. Retirez votre sale politique et vos sales mains des terres du Kurdistan. »

Le co-président du DBP Ali Şimşek, a relancé l’attention sur les interdictions et couvre-feux à répétitions sur Sur, « malgré cette politique de terreur et de massacre, il ne faut pas se résigner, mais continuer la lutte ». « En ce moment une sale politique est faite au peuple kurde, la seule façon de contrer cette politique c’est la lutte du peuple kurde. On doit continuer de lutter en déclarant notre autonomie, nous n’allons pas changer d’avis. »

Le père de Cengiz : « Cela suffit, refusez de baisser la tête, et ne refusez pas d’être kurde, par peur, par intérêt, par oublie, assumez votre identité ! ». « Je m’adresse au peuple kurde. Ça suffit. Ça fait des années que vous fuyez votre identité. Arrêtez d’avoir peur. Venez, il faut qu’on soit tous ensemble. Cher Barzani je voudrais te dire : ʺça suffit d’être complice des pouvoirs sanguinaires, et d’avoir du sang kurde sur les mains.ʺ »

Après les prises de paroles, la foule s’est dirigée en direction du cimetière. Cette foule s’est agrandit au fur à mesure du parcours. Les slogans ont continué d’être scandé en kurde et en turc par la foule : «  Biji berxwedana Surê » (« Vive la lutte de Sur »), des applaudissements, des sifflets… les commerces ont baissé les rideaux pour soutenir les familles et le mouvement de lutte. Des centaines de manifestants ont rejoint le cortège, des passants, des habitants dans les quartiers, dans les rues, des personnes sur leur balcons, à leur fenêtre avec le signe de victoire.

La foule à l’arrivée au cimetière avait atteint les 100000 manifestants. Après la minute de silence, le chant de la marche kurde a été repris par tout le monde, “Çerxa Şoreşê”. Şiyar et Şerdıl ont été enterré avec des slogans criant vengeance…


Le 15 décembre à Diyarbakır

A Diyarbakır, sur la route de Silvan, une explosion a tué 2 policiers, et en a blessé 4 autres. Suite à cette attaque les ambulances et des forces de polices ont été renforcées.


mardin1

Le 15 décembre à Silvan, Cizre et Nusaybin

Des manifestations ont eu lieu contre les couvre-feux annoncés à Nusaybin, Cizre et Silopi. A Nusaybin, les forces spéciales sont en train de mener des attaques d’ampleur, mais le peuple a repris la lutte et la rue. A Cizre, la police a tué un enfant à la tête pendant les affrontements du premier soir.

A Nusaybin

En plus du couvre-feu à Nusaybin, avec l’interdiction de sortir dans les rues, les forces spéciales ont commencé leurs opérations rapidement. Dans la rue de Çağçağ, sur la place du Newroz, à l’ancien Otogar et sur la route d’İpek, des véhicules blindés et armés ont tiré dans les quartiers en lutte comme à Fırat, Abdülkadirpaşa, Dicle et Yenişehir. Le peuple répond en affirmant son autonomie et son autodéfense. Mais les militaires ont coupé l’électricité, ont continué à envoyer des bombes, des tirs de roquettes, et de mitraillettes : Ce matin, par exemple, les forces spéciales ont fait exploser une bombe sur la place près de la rue de Çağçağ.

Voir une vidéo sur IMC TV

Le peuple de Cizre aux barricades

Quelques heures après l’annonce du couvre-feu, et de l’interdiction de sortir dans les rues, à Cizre les habitants ont mené des actions et ont manifesté. Pour bloquer les véhicules blindés de la police les habitants ont fermé les rues. Dans les quartier de Yafes, Orhan Doğan, Arîn Mîrxan ve Kobanê le peuple a construit des barricades. Et dans d’autres quartiers des tranchés ont été creusées. Les gens ont stocké beaucoup de nourriture. Des rassemblements devant les barricades ont été organisés avec des prises de paroles de la part des habitants annonçant le maintien des barricades et le fait qu’ils ne quitteront pas la ville.

Pendant la nuit, un convoi de véhicules blindés des forces spéciales de police a tourné dans les quartiers. A Yafes et à Nur, des attaques ont été mené par. Dans l’attaque de Yafes, un jeune de 15 ans a été gravement blessé par balle à la tête, sa vie est en danger.

Et dans le même temps, les forces armées de l’Etat continuent d’arriver et de s’installer dans la région de Cizre. Après avoir envoyer l’ordre aux professeurs de l’éducation nationale de quitter la région pour 3 jours de vacances, les forces spéciales se sont installées dans les écoles. Et dans les quartiers de Konak et de Yafes, les policiers s’installent dans les internats.

Contre les interdictions, des manifestations à Silopi

Quelques heures après l’annonce du couvre-feu à Silopi, les habitants sont venus faire une prise de parole devant le bâtiment du HDP pour protester. Le député HDP Ferhat Encü a déclaré : « Ces couvre-feux se font en dehors des droits, se fichant éperdument de la présence des civils. Et ces attaques violentes ne régleront rien à la situation. La population de Botan ne peut que se défendre, contre les couvre-feux, contre les interdictions de sortir dans les rues, contre cette barbarie, cette violence. Tout le monde va voir la lutte que le peuple va mener contre cette terreur d’Etat »

sources : Sendika.Org, DİHA

Etat de siège à Diyarbakır : la sale guerre de l’Etat turc s’intensifie (1ère partie)

sursaldc4b1rc4b1sc4b1

Depuis juin dernier, l’Etat turc et ses flics – se réclamant pour un certain nombre de Daech – font monter la pression au Kurdistan. Certaines villes et quartiers du Kurdistan déclarent en effet leur autonomie en écho au mouvement autogestionnaire qui voit le jour au Rojava (Kurdistan syrien) et cela ne plaît pas du tout au président-dictateur Erdoğan et à ses collègues de la bourgeoisie turque. Leur réponse est la reprise de la « sale guerre » des années 90 que leurs prédécesseurs avaient menée contre le peuple kurde. Cela se concrétise par des centaines de couvre-feux de plusieurs jours à de nombreux endroits, ainsi que le sièges de villes et quartiers. [Un article sur le site Susam-sokak reprend ça en détail ; voir aussi Kedistan.fr]. Neuf jours de siège à Cizre (120000 habitants) pour y exterminer les « terroristes » kurdes [sic] en septembre. Puis Silvan en novembre où les tanks turcs ont détruits 3 quartiers. Puis Nusaybin, Mardin,… et Diyarbakır, la plus grande ville du Kurdistan (850000 hab.) que beaucoup considèrent comme la « capitale » du peuple kurde… Diyarbakır (Amed en kurde), plus précisément, Sur, le quartier de la vieille ville fortifiée, un symbole historique et l’un des trois « cœurs » de Diyarbakır avec les quartiers d’Ofis et de Bağlar. Sur, sa population pauvre et son labyrinthe de ruelles, coupée du reste de la ville…

Voici un récit des journées du au 11 décembre.

8 décembre : Sur sous les bombes et les balles
IMG+5843

Sur, la vieille ville fortifiée de Diyarbakır, est assiégée par les forces armées de l’État turc depuis maintenant 7 jours consécutifs. Nous voulions nous rendre dans le quartier comme à notre dernière visite il y a quelques mois. Mais aujourd’hui, impossible d’avancer plus loin que sur le trottoir en face de l’historique muraille. Pour qui y a déjà été, les souvenirs reviennent vite, il n’y a pas à dire ce quartier il est difficile de ne pas aimer y venir et s’y perdre dans ses ruelles. On y trouve, en temps normal, des vendeurs de racines et leurs charrettes en bois, des boissons chaudes improbables, des échoppes par milliers, des terrasses où l’on boit le thé sans soif ni fin, des femmes marchant avec leur gosses ou leurs copines bras dessus bras dessous, des vieux en train de glander allongés sur l’herbe, des jeunes rigolant en pagaille… Sur !

Et ce que l’on peut voir aujourd’hui est maalesef à des années-lumière de tout ça. Les commerces sont fermés, plus personne dans les rues, impossible de franchir Dağkapı, une des portes de la vieille ville. Tout accès est bloqué. La meydan, la place, par laquelle on accède à la vieille ville, habituellement pleine de gens, est vide : un chien errant essaye de trouver un passage à travers les barrières de police, panique un instant, et parvient enfin à trouver à une sortie au piège dans lequel il était pris. Les flics en civil, kalach’ à la main, font face aux passants qui les regardent inquiets. D’autres keufs patrouillent dans leurs panzer (blindés de la police) ou dans leurs toma (canons à eau utilisés au quotidien). C’est ce que l’on peut voir du siège de Sur. Tout a bien changé en l’espace de quelques mois : à l’extérieur de la vieille ville, malgré une ambiance pesante, les gens continuent de vivre leur quotidien quasi « normalement », à ceci près que chacun entend tirs en rafales, grondements et explosions, chacun voit des colonnes de fumée noircir le ciel. Les gens qu’on croise et rencontre, racontent tous les mêmes choses. Nous en partageons les quelques bribes qui nous sont parvenues : les forces spéciales balancent en effet des bombes par hélicoptère sur les habitant.e.s et les camarades qui résistent à l’intérieur. Et même une mosquée de Sur, monument qui date de plus de 500 ans, a été littéralement soufflée par une bombe des flics. Les pompiers venus pour éteindre la mosquée en feu, n’ont eu droit qu’à une seul mot des forces spéciales : « Laissez ! Cette ville de sales bâtards devrait cramer en entier »… Face à cela, des guerillas et des jeunes des YDG-H sont venus aider à défendre le quartier. On nous dit qu’ils et elles sont à peine 200, mais se relayent par groupe de 10 ou 15 à tenir les positions. Les forces spéciales qui font le siège n’arrivent pas à rentrer et se font régulièrement mettre à l’amende (blindés détruits, keufs blessés ou tués). Les guerillas ne sont pas les seuls à défendre le quartier : des habitantes de Sur de tous âges, elles aussi, aident à monter les barricades de sacs de sable et prennent les armes pour se défendre.

Aujourd’hui, ce 8 novembre, quelques centaines d’habitants ont manifesté dans le quartier d’Ofis pour dénoncer ce sièges qui n’en finit plus. La foule a forcé le barrage des flics, les jeunes ont dressé des barricades et ont attaqué la police. Mais les keufs sont arrivés en mode commando, ont gazé comme des porcs, utilisé leurs canons à eaux, tiré avec leurs flash-ball, et également à balles réelles : un jeune de 14 ans a été touché par une balle, il est mort quelques heures plus tard. Plusieurs témoignages précisent que les assassins du jeune sont des flics spéciaux, sortes de barbouzes, sortant d’un gros 4×4 noir banalisé et vitres teintées qui rode souvent aux alentours des manifs…

Une personne, habitant non loin de Sur, concluera cette journée : « On s’endort avec le bruit des tirs… Et on se réveille avec le bruit des tirs. »

9 décembre : le reste de la ville sous les gaz

Comme tous les jours, aujourd’hui encore les avions de chasse survolent la ville et maintiennent une pression psychologique par le boucan qu’ils font. C’est aussi la 8ème journée consécutive de siège du quartier de Sur. Le fracas des explosions et le bruit des rafales retentissent toujours, les nuages de fumée montent vers le ciel derrière les murailles de la vieille ville fortifiée. A midi, en parlant avec un vendeur de journaux à Ofis, nous apprenons qu’une manifestation a lieu une heure plus tard pas loin de là où nous nous trouvons. Nous nous y rendons. Les flics sont partout : blindés, canons à eau, police anti-émeute, keufs en civil kalash’ à la main. Il s’agit pour la petite centaine de courageuses et de courageux du jour de faire entendre les revendications suivantes : la libération d’Abdullah Öcalan – toujours prisonnier sur une île turque dont il est le seul résident depuis 1999 et dont plus personne n’a de nouvelles depuis avril dernier – ; la reprise des négociations pour la paix ; et la reconnaissance d’autonomie formulée par les villes et les quartiers du Kurdistan par l’État turc. Autant dire que c’est tendu et stressant, les flics instaurant là encore une ambiance de petite terreur. Le rassemblement s’ébroue et commence à partir en manif. La police menace en hurlant dans les hauts-parleurs que manifester est interdit (comme en France !) et les blindés et les casqués se lancent illico à la poursuite de la déambulation. Les manifestants décident de ne faire qu’un tour de pâté de maison pour calmer les ardeurs de la flicaille, ne pas lui permettre de gazer, tabasser et tirer dans le tas une fois de plus. Une demi-heure plus tard, après sitting et prises de paroles, les manifestants se dispersent. Nous partons nous balader dans les quartiers alentours. Quelques heures plus tard nous avons à nouveau droit au gaz lacrymogène. Toutes les rues que nous empruntons en sont gavées. Les nombreux passants – pères de familles, lycéennes, vieilles femmes – pleurent tout comme nous. Personne ne sait vraiment ni où ni pour quelles raisons les keufs ont gazé depuis leurs blindés. Ce gaz se répand partout, il est invisible et met du temps à s’évaporer. On nous dira le lendemain que c’est un gaz d’un type nouveau, et bien plus puissant qu’avant : « Ça fait 22 ans que je suis là et que je respire du gaz, celui-ci est pire que les précédent… »

10 décembre : solidarité avec les assiégés

IMG 5891
diyarbakir 8aralik 5
13 heures. Manifestation aujourd’hui en solidarité avec les habitants et les camarades qui résistent

aux assauts de l’État dans Sur. 500 à 600 personnes, à peine, devant la Porte d’Urfa de la citadelle. Gros dispositif policier, comme d’habitude. Mais qui ne suffit pas à démotiver les manifestants qui font face. Ça tape sur les rideaux de fer baissés, ça siffle et frappe dans les mains pour faire un maximum de bruit et se faire entendre depuis l’intérieur. Ça ressemble quasiment à une manif devant une taule en soutien aux prisonniers. Beaucoup de jeunes voire de très jeunes, de 8 à 14 ans, qui courent en ribambelle. Comme le fait remarquer un manifestant, « Ce sont les mères et les enfants qui nous aident à tenir moralement. La vraie force ce sont eux ». Un bon paquet, aussi, de grand-mère remontées par des décennies de massacre, de tortures, de taules et d’humiliations racistes au quotidien.

Le face à face avec les flics dure bien deux heures : la police menacent régulièrement d’attaquer la manifestation car elle est interdite (comme en France !) ; les cocuklar, les enfants, s’échauffent et commencent à dépaver et briser les briques pour en faire des projectiles ; les adultes calment le jeu et appellent tout le monde à venir s’asseoir et chanter la guerilla au plus près des flics. Et dans les temps morts ça discute. Un certain nombre de personnes s’énervent contre le fait qu’il y a vraiment peu de monde, comme le fait ce père de famille : « Mais où sont les autres ? Cette ville est gigantesque et nous ne sommes que 500. Que font les autres ? Ils boivent du thé ? » Et c’est vrai que la question se pose. L’État turc joue la carte de la terreur et de l’épuisement : il tente de diviser le mouvement en effrayant le plus grand nombre. Tous les États procèdent ainsi, ce n’est pas nouveau, mais le phénomène semble visible de manière cruciale en ce moment à Diyarbakır. La plupart des discussions tournent autour des questions de la paix et de la guerre. « Faut il attendre encore avant d’assumer franchement la guerre qui nous est faite ? » ; « La paix, il faut œuvrer à la paix et ne pas céder aux provocations de l’État » ; « D’accord, mais en attendant, ils tuent tous les jours plusieurs de nos jeunes » ; « Est-ce que le PKK et les YDG-H adoptent la bonne stratégie ? L’autodéfense des villes et des quartiers, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? » ; « Il n’est pas possible de baisser la tête devant Daech et Erdoğan ! »… etc. Telles sont les discussions, les questionnements, les prises de têtes du moment.

Cinq cocuklar de 9 à 13 ans lancent un chant révolutionnaire, la foule les reprend en chœur. Puis d’autres jeunes allument deux grands feux à même la chaussée. Vieux frigos déglingués et autres débris font de bons combustibles. Mais ça ne plaît pas aux larbins du Sultan. Quelques minutes après ils chargent avec canons à eau et blindés lanceurs de gaz. Nous partons en courant dans les petites rues avant de se disperser.

11 décembre : État de siège et arnaque tactique

Toujours être entre guerre et paix. Telle semble être la stratégie de l’État turc et de ses forces spéciales. Hier au soir, il annonçait la levée du siège de Sur, mais ce n’était malheureusement que de la poudre aux yeux. Comme nous avons pu le constater en nous y rendant. Toujours être entre guerre et paix pour fatiguer, déstabiliser et faire tergiverser le mouvement kurde…

Nous nous dirigeons ver Sur, donc. Pour fêter la fin du siège, croyions nous.

Nous arrivons au meydan, les grilles de la police barrent toujours l’accès. Ce premier signe montre qu’il y a anguille sous roche. Et second signe : fouille à l’entrée, palpage et vérification des identités des personnes qui veulent rentrer dans Sur. Passeport européen, c’est louche, une vérification plus poussée. Avant de rentrer, par simple provocation, ou simple envie de comprendre leur présence dans un quartier où la levée de l’interdiction a été annoncée : « Pourquoi vous êtes toujours là ? » « Nous sommes là contre la terreur »… Ah ! Une fois dans les rues où plus personne ne pouvait circuler depuis des jours, on comprend rapidement avec tristesse et colère, en voyant la multitude des forces de police, que ce n’est pas du tout une levée d’interdiction. C’est juste une « pause » avoueront rapidement les forces spéciales. Toutes les rues sont bloquées par des tireurs, qui ont le doigt sur la détente, près à tirer. Des agents cagoulés avec des kalashs à la main. Des tanks, des canons à eaux, et d’autres véhicules blindés… Si tu veux continuer à te déplacer ou emprunter une rue, les contrôles se font encore. Peu de commerces sont ouverts, peut-être un sur quatre. Les animaux enfin sont sans doute un bon indicateur sur l’ambiance de ces sales derniers jours : des cadavres de chats à même la rue, et les chats survivants semblent malades et affamés.

On atterrit à la terrasse d’un café au cœur de la vieille ville. Des femmes arrivent, se posent à côté de nous. Abattues. Elles parlent en kurde, et nous traduisent en turc leurs discussions : « On a entendu hier soir la levée du siège. On vient voir, et la déception est doublement douloureuse. Ça présage rien de bon. Les fouilles, les policiers, les tanks, partout. Quel sens ça donne à cette soit disant levée dinterdiction ? On ne peut même pas rentrer dans Sur. Vous imaginez ce que vivent les gens encerclés par les forces de l’État ? Ils sont sans eau, sans électricité, sans nourriture depuis neufs jours. Les seuls à se battre ce sont eux, nos jeunes. Et tout les autres ? Où sont tils ? Hein ? Je vous le demande !  Certains veulent la paix, la paix sociale, un accord qu’on attend, qui se ferait avec l’État, mais qui n’arrive pas. Et d’autres veulent se battre, faire la guerre, pour enfin avoir la paix : nos jeunes. Ils sont plus courageux que bien d’autres. Eux se battent pour nous défendre, pour qu’on puisse exister librement ». Comme d’autres ces derniers temps, elles critiquent le HDP pour la mollesse dans leurs propos « La paix avant tout », « Restez chez vous », et soulignent que ça casse le mouvement du peuple en le rendant plus frileux. Puis les femmes nous embrassent et s’en vont. Nous nous remettons en chemin. Et rapidement nous pouvons voir des maisons vides où il y eu des affrontements, les vitres sont brisés, des centaines de douilles de balles gisent au sol, et les sacs de sables se font plus nombreux. Pour celles et ceux qui continuer à s’aventurer près des zones d’affrontement, le risque de contrôle est grand. Et ça l’est encore plus pour les étrangers vus comme une réelle menace par les forces spéciales de la police du Sultan – journalistes, espions, pkk’lı, allez savoir ce que s’imaginent ces criminels… Une fouille de sac et ils sont toujours plus tendus, plus menaçants quand ils tombent sur un appareil photo ou un enregistreur audio : ça les fait psychoter. Expliquer le fait d’être des touristes ou simplement venu voir la famille n’évacuent pas toute méfiance. Heureusement ni photos compromettantes ni sons politiquement pas clairs. Ils hésitent et demandent à coup sûr ce que des yabanci, des étrangers, foutent dans les quartiers d’ici. Et bien on a plus le droit de circuler ou quoi ! Et si vous avez la malchance d’être français, le chef en cagoule finira par lancer menaçant :  « Vous voyez, en France, votre pays a déclaré 3 mois de couvre feu avec possibilité de prolonger à 6 mois. Ici en Turquie, nous sommes dans un vrai pays de droits. C’est un des pays le plus libre du monde. Tout le monde peut se déplacer librement. » Et oui, ça donnerait presque envie d’éclater de rire ! Même si ça peut être étonnant de voir qu’il connaît ce qu’il se passe en France et qu’il n’a pas tort.

Vite sortir de la souricière et de Sur, il y a vraiment des flics partout. Ce n’était effectivement qu’une arnaque tactique policière : permettre aux habitants qui le souhaitent de partir de chez eux, et ainsi, tenter d’approfondir la distance entre guerilla et peuple. Direction la sortie, donc. Dans la rue qu’on emprunte, une femme parle fort, avec sa fille qui l’accompagne et dit : « Sur est en État de siège depuis 9 jours, et le gouvernement n’a pas réussi à avancer d’un pas dans ces rues. Enragé, l’État et sa force armée sont près à tout dévaster pour avoir le dernier mot, il y a qu’à voir les photos. Ils veulent rentrer avec les tanks et les chars, mais la zone est maintenue par les forces du YDGH et du PKK avec des barricades, et des armes. Les habitants restant, soignent et soutiennent les combattants. Et là, ils font semblant d’enlever l’interdiction, pour vider les habitants restants et pour attaquer avec plus de violence Sur. Vous avez rien vu de ce qu’ils ont fait dedans. Allez voir là où ils interdissent l’accès. Ils ont tout démolit, et incendié. Que veux l’État ? Nous anéantir, en nous faisons passer pour des terroristes ? Je reviens de l’intérieur, j’habite dans ce quartier qu’ils ont saccagé avec la même violence et la même mentalité que Daesh. Et ils disent qu’ils sont là pour nous protéger. Ils veulent nous tuer un par un. Mais on continuera de résister. Pardon je vous parle, mais je sais même pas si vous êtes policiers ou agents de l’État. Mais ça m’est égal, j’en peux plus. » Elles nous disent qu’elles ont pris des photos de l’intérieur, et qu’elles veulent nous les envoyer, et faire entendre à l’Europe la terreur de l’État turc sur le peuple kurde.

[2ème partie à venir…]

 

Entretien autour des YDG-H, les groupes d’autodéfense des quartiers au Kurdistan

Nous rencontrons A. le 10 décembre lors d’une manifestation en solidarité avec les habitants et les camarades assiégés dans la vieille ville de Sur à Diyarbakır. Il y a environ 500-600 personnes présentes et qui avancent vers les flics barrant la route, qui chantent et lancent des slogans. Là, au milieu de la foule, un jeune garçon d’à peine 14 ans nous intrigue. Sur sa main, entre le pouce et l’index, trois points tatoués qui nous rappellent immédiatement les trois points du « mort aux vaches » de par chez nous. Intimidé par notre intérêt, ce sont les jeunes hommes à côté de lui qui répondent à notre curiosité. Oui, c’est bien un tatouage anti-flic : un point pour « je n’ai rien vu », un autre pour « je n’ai rien entendu », et le dernier pour « je n’ai rien à dire », face à la police, pas de poukave, pas de balance ! La discussion est lancée avec ce petit groupe de manifestants. Mais c’est avec A., 25 ans, qu’elle durera le plus longtemps. Il nous dit que sa sœur, engagée dans la guerilla depuis longtemps, est sûrement de l’autre côté du barrage de keufs, de l’autre côté de la muraille, en train de se battre. Il n’a pas de réelles nouvelles mais a cru comprendre qu’elle se trouvaient dans le coin de Diyarbakır, alors il vient la soutenir de l’autre côté. La discussion est tout de suite prenante et nous lui proposons de faire, au cœur de la manif, un petit entretien autour des YDG-H, les groupes d’autodéfense armée des quartiers composés par les jeunes qui y habitent…

Peux-tu nous expliquer ce qu’est le mouvement YDG-H (Yurtsever Devrimci Gençlik Hareket, en gros le « Mouvement de la jeunesse révolutionnaire patriote ») ? Est-ce que c’est une sorte de mouvement d’autodéfense des quartiers ?

Le YDG-H est un mouvement qui est né dans les régions kurdes, pour protéger la culture et le peuple kurde. En ce moment, on peut les voir agir à Diyarbakır et dans tout le Kurdistan pour défendre les valeurs d’émancipation sociale du peuple.

Ce mouvement est-il lié au PKK ?

Ce n’est pas une branche du PKK, mais vu que c’est un mouvement de guérilla, pour ce qui est de l’aspect technique des choses le PKK aide à former les YDG-H au combat. Le YDG-H se forme dans les montagnes, et vient ensuite défendre le peuple dans les zones urbaines.

On peut donner un exemple pour faire une comparaison : c’est un peu comme dans les années 90, quand le PKK avait été aidé dans sa formation par le mouvement TIKKO (parti marxiste-léniniste maoïste). Ils n’ont pas les mêmes idéologies, mais se retrouvent sur plusieurs aspects, d’avoir le même ennemi, de vouloir défendre leur peuple, et de vouloir la libération des peuples.
Les PKK’li restent les guerillas des montagnes, et les YDG-H sont les guerillas urbains. Contre toutes les oppressions qu’on subit, les gardes-à-vue, les perquisitions à répétitions, les enfermements, et bien d’autres injustices, ces guerillas sont là pour l’autodéfense, et défendre le peuple.

Le gouvernement dit qu’il est là pour protéger le peuple, qu’il est là pour faire valoir les droits de chacun, et que rien ne va dans ce sens, c’est de là que vient ce mouvement. Imaginons un chat, si on l’attaque il sort ses griffes, c’est instinctif, c’est de la défense. Et d’une façon normal et naturelle, contre toutes ces attaques de l’État, il a été vital d’avoir une protection du peuple dans les quartiers.

Concrètement comment ça s’organise ? C’est un groupe de potes qui se retrouvent et qui décident d’aller se former à la montagne ? Il y a différents groupes qui se coordonnent comme ça ?

Ces organisations se sont créées dans les quartiers. Ces groupes se sont formés d’abord pour lutter contre la prostitution et la drogue dans leurs quartiers. Les jeunes disent : « nous, on ne veut pas de drogue chez nous ! » en prenant en considération les ravages que ça provoque sur les gens. Ils disent qu’ils ne veulent pas être exploités, ni exploiter. Ils veulent du coup protéger le quartier de tout ce qui pourrait les fragiliser dans leur émancipation. De là naît le mouvement des YDG-H.

Faut pas croire que ces jeunes sont des jeunes « voyous », où se baladent les bras ballant sans rien comprendre à se qui les entours. Ce sont des jeunes qui sortent de différentes organisations. Ils ont étudié leur histoire, connaissent leur culture, étudient leur peuple, et de cette façon décident et réfléchissent à comment défendre tout cela. En réalité, ils travaillent et s’activent à faciliter l’émancipation des gens dans nos quartiers. Mais ces derniers mois, ils sont malheureusement contraints de ne se pencher que sur la question de l’autodéfense.

Et si les manifestations se font de plus en plus grandes au Kurdistan, ces dernières années, c’est aussi dû à l’histoire. Le gouvernement turc scandait, après les massacres perpétrés dans les années 80-90 : « Nous avons bien enterré le peuple kurde, et avec tout le ciment que nous avons versé sur leur tombe, ils ne sont pas près de se relever. ». Et notre leader [Abdullah Öcalan], nous a fait relevé la tête. Et les YDG-H ne s’arrêteront plus dans leur lutte.

Il y a le leader qui motive et active les actions des uns et des autres mais pas seulement. Il y a aussi la présence du gouvernement sur nos terres qui devient de plus en plus absurde. Aucune solution n’est trouvé pour les difficultés que rencontre le peuple dans les quartiers, alors les gens veulent s’autonomiser, et se débrouiller par eux-même. Le gouvernement ici, attaque et massacre son peuple, d’une manière de plus en plus violente et terrifiante. Du coup, oui, ça s’organise, oui, ça se bat, oui, on essaye de nous défendre comme on peut.

Ce que nous n’arrivons pas à comprendre à propos des YDG-H, c’est si ce sont des petits groupes qui sont fédérés, mais qui ont aussi leurs propres initiatives ? Par exemple ceux de Bağlar, ceux de Ofis, ceux de Sur [différents quartiers de Diyarbakır]… ou si c’est au niveau de Diyarbakır, ou de plus haut que les décisions sont prises ?

Ce sont des petits groupes qui s’organisent. Par exemple à Bağlar des groupes se rencontrent et s’organisent, à Sur aussi, et dans différents autres quartiers de Diyarbakır. Ce sont des groupes d’une dizaine, d’une quinzaine de personnes. Et ensuite dans ces groupes de personnes, certaines d’entre-elles se portent volontaire pour porter la parole des uns et des autres… Et ceux qui portent la parole se réunissent pour proposer les différentes idées de manifestations qui ont été discutées avant dans chacun des groupes. Si l’action doit se faire à Bağlar, ça se fait là, si c’est ailleurs ça se fait ailleurs… Les décisions sont prises comme ça. Mais aussi au moyen des outils technologiques d’aujourd’hui. Mais je voudrais préciser aussi, que dans beaucoup de manifestations ou de rassemblements, il n’y a pas forcément des membres du YDG-H, ou très peu. Parfois il va y avoir une initiative, un membre d’un groupe va la proposer, et ça va pousser les autres à participer à la manif. Et du point de vue technique, comme ils ont été formés aux armes ils savent ceux qu’ils ont à faire au moment voulu.

Du coup, ils sont tous formés ? Quand on voit comme tout à l’heure le gamin de 13 ans qui jettent des cailloux, est ce qu’il peut intégrer les YDG-H s’il en avait 16 ?

Non, ce n’est pas comme ça. Comme je l’ai dit au début, tous les jeunes de quartier ne sont pas du YDG-H. Ceux qui jettent les pierres ce sont ces gamins qui subissent aussi la répression, les gardes-à-vue, et la terreur de l’Etat. C’est des jeunes qui se défendent aussi mais qui ne font pas parti du YDG-H. Dans les quartiers, il y a des initiatives de groupes de jeunes, ils agissent de la manière qu’ils trouvent le plus juste.

Est ce qu’il y a d’autres forme d’autodéfense dans les quartiers ? Par exemple chez les plus jeunes ?

L’une des luttes qu’on mène aujourd’hui, c’est pour la libération de notre leader, mais aussi pour autonomiser nos territoires. Les jeunes sont souvent dans des groupes politisés, ils organisent aussi des manifestations, des rassemblements, qui va faire bouger le peuple de chez eux. Mais les jeunes YDG-H qui font des actions armées ne divulguent pas leurs actions aux habitants. Le peuple, et les différents partis politiques ne sont pas avertis de leur mouvement, ça vient de leur initiative propre.

Juste pour dire aussi qu’un gamin de 13 ans qui va jeter son caillou c’est une initiative personnelle. Là par exemple le rassemblement d’aujourd’hui, personnes n’était vraiment au courant de cette initiative hier, chacun va s’informer, de bouche à oreille, et voilà qu’on est environ 500 à être réunis.

Est-ce que tu fais partie d’autres organisations civiles, légales ou non ?

Je suis les réseaux sociaux, et je me tiens informé, et je viens dès que je peux. Je ne mets aucune importance sur la question légale ou non. Là, nous sommes ici, à cette manifestation, et si on subit des attaques, ben, on pensera à se défendre.

J’avais cru voir qu’il y avait des YDG-KH, est-ce qu’il y a des femmes dedans ? Et si ça existe est-ce que c’est comme les YPG et les YPJ [les Unités de protection du peuple du Rojava], avec une organisation mixte et une autre que de femmes ?

Oui oui, le groupe des YDG-KH existe. J’ai un exemple, cette année à Cizre, une famille a voulu marier leur fille adolescente qui ne voulait pas, et le groupe est intervenue dans le mariage, et ont sauvé la jeune fille. Le YDG-H c’est comme le PKK, qui a dedans d’autres groupes, comme le groupe d’autodéfense des femmes. Ce sont des groupes qui existent face à toutes les saloperies faites au peuple kurde.

Y a-t-il des groupes composés uniquement de femmes ?

Oui, y a des groupes non mixte. Elles ont leurs propres formation, théorique et technique. Parfois les YDG-H et les YDG-KH se retrouvent aussi à mener des actions ensemble.

Il y en a ici à Diyarbakır ?

Oui, y en a oui.

Est-ce qu’on voit les YDG-H souvent à l’action ?

On en sait rien, en fait ! Il y a une personne membre qui pourrait s’asseoir avec vous, discuter, et faire partie du YDGH, et vous n’en sauriez rien. J’ai l’impression que vous voulez savoir si les personnes duYDG-H ont une identité : et bien non, ils ne tiennent pas à avoir une identité. C’est seulement une organisation illégale. Et ce, pour par qu’on les démasque. Les réflexions en ce moment sont porté sur l’autodéfense, mais dans l’idée les YDG-H aimeraient étendre leurs savoirs du côté de chez les Turcs aussi, car eux aussi peuvent subir comme nous un jour des attaques de l’Etat.

pkk-youth-fight-for-autonomy-in-turkey-1423855333

Merhaba Hevalno : l’actualité du Kurdistan en brochures hebdomadaires

merhaba-hevalno-10-brochure-kurdistan-nddl-zadVoici quelques-uns des derniers numéros de Merhaba Hevalno qui nous propose un résumé hebdomadaire de l’actualité du Kurdistan rédigé depuis la ZAD de NDDL.

Pour les retours contacter : actukurdistan@riseup.net Continuer la lecture de Merhaba Hevalno : l’actualité du Kurdistan en brochures hebdomadaires

Correspondance révolutionnaire avec Rojava

5LMofirEntretien avec Heval Odyssev, combattant membre de la Ligue Révolutionnaire de Solidarité Internationaliste qui participe aux Brigades Internationales de Libération du Rojava. Cet entretien a été publié dans le 31° numéro du journal de rue APATRIS, en Grèce.

(Note : Le camarade qui a répondu à l’entretien est grec, mais comme tous les internationaux qui participent à la résistance kurde et à la révolte de Rojava, il a pris un nom kurde, afin d’insister sur son positionnement internationaliste.)

Pourrais-tu nous décrire dans la mesure du possible ce que tu voudrais rapporter de ton expérience jusqu’à maintenant à Rojava ?

Sur la demande du camarade, en lieu et place de la première réponse nous publions le texte d’information-appel à participation qu’il a envoyé lui-même de Rojava.

Correspondance du front de Rojava par un combattant de la Ligue Révolutionnaire de Solidarité Internationaliste et de la Brigade Internationale de Libération.

Ces trois dernières années, une guerre sanglante s’étend au sein du Kurdistan syrien. Au moins en ce qui concerne le territoire de Rojava, celle-ci tend à prendre les caractéristiques d’une guerre de libération sociale et politique.
Dans ces affrontements, les principales parties impliquées sont : le régime de l’ancien dictateur Assad (lequel est soutenu aujourd’hui par la Russie, l’Iran et la Chine), différentes organisations religieuses et nationales (L’Armée de Libération Syrienne, Le Front Al-Nosra et d’autres), l’État turc, le Califat Islamique et le mouvement de libération autonome kurde.

Le conflit qui avait au départ pour but la protection des intérêts de l’impérialisme américain en Syrie et plus généralement au Moyen-Orient, a galvanisé les organisations fondamentalistes et fascistes comme DAECH. Ce dernier, assisté majoritairement par les élites économiques fondamentalistes des régimes du Moyen-Orient, a étendu sa présence et sa domination tyrannique dans une grande partie de la Syrie et de l’Irak.

Le régime turque y a aussi joué un rôle important, il avait développé avec DAECH d’étroites collaborations économiques, politiques et stratégiques. Le but était de servir ses intérêts au Moyen-Orient contre les populations kurdes et le mouvement kurde, qui se trouvaient dès le début directement visés par DAECH.

Cet affrontement a causé des centaines de milliers de morts, de blessés, de déportés. C’est pourtant au milieu du vacarme de la guerre que s’est constitué un mouvement social et politique de libération qui porte les caractéristiques suivantes :

la libération de la population kurde en tant qu’elle subit une oppression et une marginalisation économique, politique et culturelle, vis à vis de l’État syrien.
la libération d’une grande partie des populations arabes et d’autres ethnies de la tyrannie du régime d’Assad et leur unification sur des bases équitables sur les territoires libérés de Rojava.
la libération des femmes et leur implication dans les structures sociales nouvellement créées, en particulier par la participation au combat dans les bataillons du YPJ.
l’effort – bien qu’encore à un stade élémentaire en raison de l’intensité de la guerre – de constituer des structures politiques, économiques et sociales qui ont pour principe l’auto-gestion, la participation équitable à l’organisation et aux décisions. Enfin, la mise en place d’un nouveau modèle social, plus horizontal et égalitaire, dont le but n’est pas seulement d’arriver à créer une section révolutionnaire au Moyen-Orient, mais de disséminer dans un même mouvement, les graines de la libération sociale et politique.

À partir de ce cadre, il est du devoir de chaque rebelle international d’agir selon trois axes :

de se tenir effectivement et combativement en solidarité avec l’effort révolutionnaire de Rojava et de tirer des enseignements de l’expérience radicale vivante à chaques niveaux – politique, organisationnel, stratégique.
de développer des liens dans la lutte et de les consolider via différents types de relation avec les rebelles du monde entier et avec d’autres mouvements révolutionnaires, partout où se déplient et où sont requis toutes sortes d’effort logistiques, politiques et humains.
de raviver le programme de ralliement aux combats révolutionnaires et l’imaginaire de la solidarité révolutionnaire internationale, sur le territoire grec et au sein du mouvement révolutionnaire grec.

Considérant ce qui précède, j’ai choisi de rallier il y a quatre mois le mouvement révolutionnaire de Rojava et de participer activement au combat, dans les rangs des Yekîneyên Parastina Gel / Yekîneyên Parastina Jin (Unité de Protection du Peuple et la faction féminine non-mixte YPJ) et de la Brigade Internationale de Libération, membre de la Ligue Révolutionnaire de Solidarité Internationaliste, en me battant non seulement contre les fondamentalistes fascistes de DAECH mais aussi contre les plans du capitalisme international, américain, turque, etc., dont DAECH constitue un instrument et un outil.

Des terres de Rojava, j’envoie mes salutations combatives et un message de résistance aux camarades révolutionnaires de Grèce.

VIVE LA REVOLUTION DE ROJAVA
VIVENT LE YPG/YPJ ET LE BIL
VIVE LA LRSI
JUSQU’A LA VICTOIRE
Ηeval Odyssev
Rojava, le 27 juillet 2015.

Concernant la guerre contre DAECH

Quelle est la composition politique de la Brigade Internationale de Libération, et quels groupes y participent ?

Les Brigades Internationales de Libération comprennent principalement des organisations révolutionnaires turques mais aussi des organisations et des camarades internationaux venant de différents pays d’Europe, chacun provenant de multiples horizons politiques (marxistes communistes, anarcho-communistes, plus généralement des libertaires et des antifascistes).

Sont exclus les sexistes, les racistes, les nationalistes et les fanatiques.
La Ligue Révolutionnaire de Solidarité Internationaliste est une organisation qui lutte pour la révolution sociale mondiale. Y participent des communistes libertaires et des anarchistes de Grèce. Plus particulièrement, la Ligue a pour but la solidarité concrète sur le terrain des conflits armées internationaux. Elle lutte aux côtés des classes opprimées pour la libération sociale contre la domination des États et du Capital.

La solidarité concrète se doit d’avoir les caractéristiques de la lutte sociale sur chaque point de conflit, en brisant les frontières de la tyrannie, de l’oppression et de l’exploitation. Nous avons pour but, parallèlement à l’amplification polymorphe des forces révolutionnaires en Syrie, en Irak, en Turquie et plus largement dans le Moyen-Orient, d’ouvrir une voie de solidarité depuis les territoires grec. Par là, on ne vise pas seulement à entreprendre de mettre en place concrètement le programme de la Brigade Internationale de Libération, mais simultanément, de promouvoir au delà des limites locales la coordination et la coopération.
La Ligue ouvre sur le territoire grec des voies pour la discussion avec la révolution de Rojava et pour le façonnement collectif d’un mouvement révolutionnaire international.

Quelle est la composition totale du front ? À combien s’élève la participation des communistes turques, des révolutionnaires et de quelle ampleur est la participation des mercenaires américains, et des soldats, même volontaires, dans la guerre contre DAECH du côté des combattants kurdes ?

Au Rojava, qui se trouve dans la partie syrienne du Kurdistan, le front de résistance, comme depuis ses premiers pas, comporte une base de combattants du mouvement autonomiste kurde venant de Turquie et de Syrie, mais aussi d’Iran et d’Irak. Ensuite se sont ajoutés dans la foulée des groupes de population (Arabe, Arménienne, Assyrienne, et les solidaires internationaux). La participation des communistes et révolutionnaires turques est très importante, bien qu’ils consistent en une partie restreinte du front.

Il n’y a pas de mercenaire du côté du mouvement qui se développe à partir des YPJ/YPG. Il y a bien sûr des volontaires impliqués, avec différentes caractéristiques, depuis des révolutionnaires et des solidaires du mouvement kurde, jusqu’à des individus qui ne viennent que pour se battre contre DAECH.

En ce qui concerne les militaires, il y a une présence très limitée de volontaires venant des États-Unis ou d’autres endroits, et ils n’ont cependant pas de positionnement ou de présence spéciale. Les réactions des habitants à leur égard varient en fonction de leur niveau d’implication politique. Certains d’entre eux tiennent du cannibalisme militaire. D’un autre côté, plusieurs anciens mercenaires se sont formés une conscience socio-prolétarienne à partir de leur expérience de la guerre.

As-tu participé à la libération de territoires ?

Est-ce qu’il y a des expériences d’interaction entre les combattants de Rojava et les populations qui sont ou qui étaient occupées par DAECH ?

Oui, j’ai participé à la libération de territoires et il y a de telles expériences. Plus spécifiquement, en ce qui concerne les régions agricoles et urbaines, et les villes de Silouk et Tel Abiad. Dans les grandes lignes, les YPJ/YPG essaient de mettre en place une stratégie contre les dissensions nationalistes et les religieuses, en s’orientant vers une résistance commune et l’autodétermination. Dans beaucoup de cas l’entrée dans des régions habitées est présentée comme un mouvement du peuple se libérant de l’armée.

Quelles résolutions ont été prises face aux prisonniers membre de DAECH de la part des combattants de Rojava ? Qu’a-t-il été décidé vis à vis de ceux qui ont collaboré avec DAECH dans les régions libérées ?

Les résolutions diffèrent en fonction de la position hiérarchique de cet individu au sein de DAECH. Tous passent par les structures de justice populaire qu’il y a là-bas. La politique générale est de ne pas mal-traiter les prisonniers et je n’ai jamais été témoin d’un tel phénomène, ce qui ne signifie pas que de tels événements ne soient pas survenus.

Par quels moyens les Brigades Internationales de Libération sont gérées ? Est-ce qu’il y a une hiérarchie militaire ? Est-ce qu’il y a des prises de décision collectives lorsque le permettent les conditions ? Qu’arrive-t-il en cas d’indiscipline, ou de conduite posant problème ou manquant à la camaraderie ?

Au sein des Brigades Internationales de Libération il y une gestion militaire, selon le modèle du règlement des YPJ/YPG. De même, au sein des Brigades Internationales de Libération les places à responsabilité sont attribuées collectivement à partir des organisations politiques qui les composent. Tout comme dans les formations des YPJ/YPG, les femmes et les hommes se battent ensemble, on prévoit nécessairement le commandement par des hommes et par des femmes. Les décisions sont prises par les commandements des groupes et des troupes (composés de deux individus) et leur assemblée hebdomadaire, par les assemblées journalières des groupes et par l’assemblée générale qui se déroule toutes les deux semaines. Le caractère collectif des décisions dépend des conditions propres à la guerre.

En cas d’indiscipline ou de conduite posant problème ou manquant à la camaraderie, la question se pose et se résoud lors de l’assemblée générale.

Peux-tu nous donner un positionnement vis à vis de l’explosion des affrontements et de la dissidence en Turquie et de ses répercussions sur la guerre pour l’autonomie kurde contre DAECH ?

L’explosion des affrontements en Turquie a à voir avec les antagonismes de classe et les antagonismes sociaux, la confrontation à l’Etat turc avec le mouvement autonome kurde, mais aussi avec les intérêts particuliers et les intentions politiques du gouvernement Erdogan et du bloc dominant qui le soutien et est soutenu par lui. Dans les grandes lignes, le choix du Gouvernement Erdogan d’attiser l’affrontement politique au sein du territoire turc est le résultat d’une décision stratégique et tactique de clarification des adversaires du régime turc. Cela se solde par une réaction répressive envers le mouvement révolutionnaire en progression sur le territoire turc, alors que la partie la plus conservatrice et réactionnaire de la société turque se rassemble autour de la politique du AKP (parti islamique).
Le positionnement offensif d’Erdogan est le résultat de l’affaiblissement de ses positions dû à une grave crise politique, économique et sociale, qui est survenue au moment même où il essayait d’établir une autocratie.
Les mouvements convulsifs de l’Etat turque montrent sa faiblesse générale quant au contrôle de l’ antagonisme social et de la radicalisation de la base de la société.


Concernant l’organisation sociale dans la province de Rojava

Quelle type d’économie fonctionne à Rojava ?

Il est difficile de répondre à cette question dans la mesure où il n’y a pas d’organisation centrale ni de coordination centrale en ce qui concerne l’économie. D’ailleurs, en temps de guerre l’économie et la production à grande échelle soit fonctionne au ralenti, soit est soumise à l’effort de guerre.

Afin d’être plus précis, il y a un mélange de modèles et d’organisations de l’économie et de la production, lequel peut inclure de la petite entreprise qui fonctionne sous le régime de la particularité individuelle ou des coopératives, à l’expropriation par les département économiques des YPJ/YPG et de leur administration collective. On trouve aussi des collectifs communautaires qui essaient de s’accaparer des sources de production de richesses et des structures du précédent État syrien, aussi bien que des structures politiques et communautaires qui entreprennent la mise en place de nouveaux modèles.

Y a-t-il une classe bourgeoise à Rojava ? Et si oui, quelle est son rapport avec la nouvelle organisation sociale ?

En général la composition kurde résulte, en ce qui concerne d’ancien Etat syrien, des groupes communautaires les plus marginalisés avec des accès limités à l’éducation, aux hautes positions sociales et économiques. Pour cette raison, on ne peut pas dire qu’il y a clairement une classe bourgeoise kurde définie et circonscrite. Les parties de la population kurde qui avaient une position ou origine bourgeoise (par exemple les chercheurs, les descendants de migrants, les petits commerçants) se sont impliqués dans des actions de soutien des YPJ/YPG et en général dans la résistance à Rojava.

Qu’en est-il de la propriété foncière ? Est-ce qu’il y a des collectivisations ou bien des petites propriétés (partagées équitablement) ? Est-ce qu’il y a de grandes propriétés foncières ?

Au Rojava, il y a d’immenses terres cultivables, qui appartenaient, du temps de l’État syrien au régime d’Assad ou à de grands propriétaires. Lors de la révolution ces terrains ont été expropriés et depuis, des expérimentations y sont menées, comme des exploitations collectives ou des créations de terres communes.

Quel type de police et quel type de justice y a-t-il à Rojava ? A quelles peines doit s’attendre le coupable d’action antisociales ou criminelles ?

Je n’en sais rien.

Quels partis politiques sont présents à Rojava et quelle est leur ligne ?

Sous le gouvernement Assad il n’y avait pas de liberté politique et l’opposition était persécutée par le régime. Au moment où la révolte a commencé des partis politiques se sont réactivés, principalement de gauche ou d’orientation communiste, lesquels, en plus d’être faibles, n’ont pas de racines puissantes dans la société syrienne. D’un autre côté, il y a à Rojava des partis nationalistes de la classe bourgeoise du Kurdistan élargi, qui sont liés avec les régimes de Talabani et Barzani en Irak.

Quelle est la composition sociale de DAECH ?

La composition d’ISIS comprend des factions irakiennes, d’anciens fonctionnaires du régime baasiste de Sadam et des populations rurales, qui, à cause de la privation économique et des Traités de guerre à long terme, mais aussi de la religion, rejoignent leurs formations.

Il sont soutenus par des élites économiques, politiques et religieuses du Moyen-Orient, des recrues internationales provenant de pays européens, de Turquie, des pays d’Afrique du nord, et des pays du Moyen-Orient.

Lors d’une récente manifestation à Athènes, on disait que ce que nous vivons « est le résultat de la liquidation des frontières du Moyen-Orient ». En suivant cette logique, nous voudrions proposer un positionnement à propos des affrontements politiques autour de l’autonomie kurde – DAECH, comme une étape de la crise économique mondiale et du dépassement corrolaire de la souveraineté idéologique du capitalisme du moins pour les peuples de ces régions.

Il est vrai que la liquidation des frontières au Moyen-Orient est survenue à un degré important de par cette action de DAECH, comme un pas de plus du traité de guerre généralisée dans le but, pour les centres capitalistes et impérialistes internationaux, de contrôler politiquement et économiquement le Moyen-Orient.
De même, il ne faut pas oublier que de toute manière la formation des Etats et des frontières du Moyen-Orient était le résultat de l’ingérence impérialiste des forces occidentales à partir du début et jusqu’au milieu du XXème siècle.
D’un autre côté, le mouvement autonomiste kurde implique de toute manière dans son programme l’abolition des frontières, en préconisant le fédéralisme et la coopération internationale, interreligieuse, et interculturelle.

Quelle est la participation de la population syrienne dans la guerre civile ? Quelles classes sociales et quels groupes d’intérêts (dans toutes leurs diversités) participent d’un côté ou d’un autre et lesquels émigrent ?

C’est majoritairement les populations arabes qui émigrent mais la question est plus complexe. Il y a des groupes qui se déplacent vers Raqqa, la capitale de DAECH, tandis que d’autres partent vers l’Europe, alors que certains s’installent dans des régions qui sont contrôlées par Assad.