Interview de volontaires du Bataillon International de Libération au Rojava

Le site de l’organisation maoïste OCML-VP a publié une interview avec deux volontaires révolutionnaires français partis se battre au Rojava, André et Jacques [Les prénoms ont été changés par sécurité]. Les deux ont combattu dans le Bataillon international de libération (IFB), et André également dans les Unités de protection du peuple (YPG). Les volontaires révolutionnaires étrangers ne se retrouvent pas uniquement dans l’IFB, beaucoup combattent également dans les YPG.
Nous reproduisons sur le blog de Ne Var Ne Yok cet instructif entretien…

Pourquoi êtes-vous partis au Rojava ? Pourquoi avez-vous rejoint le Bataillon ou les YPG ?

Jacques : il y en a plusieurs. D’abord, les transformations en cours là-bas, la révolution sociale qui a lieu. Il y a eu un premier appel des YPG aux volontaires étrangers. Puis, au printemps 2015, le Bataillon international s’est constitué ; j’y suis allé avec pour objectif de le rejoindre.
André : j’étais impliqué dans le milieu militant ici, en France. J’ai découvert que le PKK avait révisé la lecture stalinienne du marxisme, tout en étant en rupture avec la social-démocratie. C’était en accord avec mes convictions révolutionnaires. En plus, le Rojava fait face à des ennemis de nature néo-fasciste : ne pas y aller, cela aurait été être en contradiction avec ce que je défendais. Il y a aussi beaucoup de volontaires étrangers dans les YPG.

Quelle est la journée d’un brigadiste ?

J. : C’est très monotone la plupart du temps. On se lève, on prend le petit-déjeuner. Le reste de la journée on ne fait pas grand-chose, à part lorsqu’il s’agit d’assurer son tour de garde. On boit aussi beaucoup de thé ! Mais parfois tout va très vite lorsqu’il y a une alerte. On a pu passer plusieurs jours à se déplacer constamment, à ne dormir que 4 heures par nuit. Une fois, des combattants de Daesh ont tenté de franchir les lignes : nous sommes restés fusil en main tout une nuit.
A. : Lorsque le front est stable, on a parfois passé des journées à construire des positions défensives. On nous envoie patrouiller le long des routes pour vérifier qu’il n’y a pas de mines laissées en arrière par Daesh. Il y a une différence de rythme entre les périodes d’opérations d’un côté, lorsqu’on est au combat, et les périodes de repos de l’autre, consacrées à l’entrainement.

 

Quels sont vos rapports avec la population ?

A. : Nous n’en avons quasiment pas. Sur le front, les villages sont désertés. Lorsque j’ai eu l’occasion de me rendre en ville, les habitants saluent les étrangers sous l’uniforme des YPG. En fait, comme les YPG ne sont pas une armée classique mais une milice, le peuple on le rencontre dans ses unités. Ce ne sont pas des militaires professionnels, mais des gens venus du peuple.
J. : Là ou la population civile est encore présente, les contacts sont excellents, que ce soient avec les Arabes ou les Kurdes. Dans la région de Jarabulus, la population arabe a suivi les YPG lorsqu’ils ont reflué devant l’armée turque. Lorsque nous étions stationnés près de Manbij, un couple de vieux arabes nous amenaient tous les jours du thé et des figues. Cependant, dans certains cas nous avons été accueillis très froidement, comme dans la région de Suruk, qui est peuplée principalement de Turkmènes qui ont sympathisé avec Daesh.
A. : Lorsque les YPG approchent, la population a d’abord peur de nouvelles violences. Puis en une heure ou deux, ils constatent que les combattants des YPG sont respectueux, et ils laissent éclater leur joie d’être libérés. Les femmes enlèvent leur niqab, les hommes se remettent à fumer dans la rue. Ce qu’on nous réclame le plus, c’est les cigarettes ! On entend beaucoup de mensonges ici, comme ce fameux rapport d’Amnesty International qui prétend que les YPG chassent les Arabes. C’est complètement faux. Je n’ai jamais entendu parlé de ça, c’est même exactement le contraire. Le Rojava est multiethnique et démocratique.

 

Qu’avez-vous vu des transformations politiques et sociales en cours au Rojava ?

J. : J’ai assisté à une séance du conseil législative du canton de Cezire. La langue principale de débat, c’est l’arabe : en effet, c’est la seule langue que tout le monde maîtrise à l’écrit. Il y a un vrai pluralisme ethnique. Les compte-rendus sont retranscrits à la fois dans les 3 langues officielles : l’Arabe, le Kurde et l’Assyrien. Plusieurs partis sont représentés. Il y a même des élus du PDK, le parti de Barzani pourtant très hostile au PKK. On trouve également plusieurs organisations communistes kurdes et syriennes.
A. : Le cœur de la vie politique, c’est la commune, qui rassemble les habitants d’un village ou d’un quartier. Les gens y discutent de tous les sujets. Pour moi, c’est ça le changement le plus important. Je sais que dans les entreprises se développent des conseils de travailleurs, les coopératives. Mais il y a aussi des débats sur des questions économiques importantes. Par exemple, faut-il passer des accords avec des firmes pétrolières étrangères pour relancer la production de pétrole ? Les investissements étrangers sont autorisés contre leur engagement à respecter une charte de bonne conduite. Je comprends qu’ils n’aient pas tout nationalisé, ils ne vont pas se mettre la petite-bourgeoisie à dos en confisquant le petit commerce.

 

Comment sont prises les décisions dans le Bataillon et dans les unités de base des YPG ? Est-ce démocratique ?

A. : Dans les YPG il n’y a pas de grade sur les uniformes mais chacun connaît sa place. Rien ne différencie un combattant d’un soldat, mais tout le monde sait qui est qui. Contrairement à une armée classique, il n’y a pas de discipline bête et méchante, pas de brimade. On acquiert des responsabilités si on fait ses preuves. Les membres d’une unité se rassemblent régulièrement dans le cadre des Tekmîl, afin de pouvoir proposer ou critiquer, même les commandants. Il y a aussi des autocritiques. Mais ça marche plus ou moins bien en fonction du groupe. Ça génère parfois des prises de consciences et ça fait changer les choses. Le Tekmîl se réunit à peu près une fois par semaine. Il y a un équilibre entre efficacité militaire et respect de l’opinion et de la dignité de chacun.
J. : Dans le Bataillon, à l’échelle de l’équipe (3 à 5 combattants) le Tekmîl se réunit une fois par jour. Ça ne veut pas dire que chacun fait ce qu’il veut. On ne conteste pas un ordre dans le feu de l’action. C’est une armée révolutionnaire très différente d’une armée classique, mais ça reste une armée. Les postes de commandants sont répartis entre les 3 partis politiques principaux au pro-rata de leur importance numérique : ce sont le MLKP [Parti Communiste Marxiste Léniniste de Turquie et du Kurdistan], le TKP/ML-TIKKO [Armée Ouvrière et Paysanne de Libération de la Turquie (Türkiye İşci ve Köylü Kurtuluş Ordusu), branche armée du TKP(ML), le Parti Communiste de Turquie (marxiste-léniniste)] et le BÖG [Forces Unies de Libération]. Après, on est tenu d’obéir à son commandant quoi qu’il arrive, même si il n’est pas du même parti. Les postes sont redistribués régulièrement. Le Bataillon (« Tabur ») est divisé en « Takim », eux même divisés en équipes. D’ailleurs, le MLKP et le TKP/ML ont aussi leurs propres Taburs de combats en dehors du Bataillon international, leurs militants vont de l’un à l’autre.
A. : Dans les YPG, j’ai remarqué que les cadres du PKK des unités étaient régulièrement envoyés à des formations politiques à l’arrière. Dans le Bataillon, entre combattants, nous avions surtout des discussions politiques informelles. A notre demande, le MLKP nous a fait une formation sur l’histoire des différentes organisations révolutionnaires de Turquie.
J. : Le Bataillon est constitué de militants de différentes organisations politiques. Chaque parti membre du Bataillon organise des formations politiques pour ses membres, mais uniquement pour eux. 90% des combattants viennent de Turquie. Le reste, ce sont des occidentaux. Nous avons organisé des formations et des discussions entres nous : sur le Capital financier, sur la lutte de libération nationale irlandaise… Mais il y a la barrière de la langue, puisque les volontaires viennent de partout, ça limite les discussions. L’idéologie et la politique sont omniprésentes. Même sur le front, dans les combats, tu as des discussions avec les camarades sur la question de l’oppression des femmes, sur l’anarchisme…

 

Quelle est la place des femmes ?

J. : Les femmes sont un peu moins nombreuses dans le Bataillon que dans les YPG. Elles peuvent se réunir en Tekmir non-mixte pour discuter. Dans chaque Tabur, le commandant (qui peut être un homme ou une femme) est secondé par un adjoint et une adjointe.
A. : Ça fait fort effet à la population des zones libérées de voir des femmes combattantes, qui plus est sans voiles. C’est à l’exact opposé du patriarcalisme et du paternalisme ambiant, chez les Kurdes comme chez les Arabes. Il y a des femmes très haut placées dans la hiérarchie, elle dirigent parfois des opérations stratégiques de grande envergure.

 

L’armée turque vient d’entrer en Syrie, pour soutenir des groupes armés islamistes, et pour empêcher que les cantons de l’Ouest et de l’Est du Rojava puissent se rejoindre. Par ailleurs, les Occidentaux soutiennent des groupes djihadiste comme le Front Al-Nosra face à Daesh et au régime d’Assad. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?

A. : Les YPG ne renonceront jamais à briser le siège du canton d’Efrin, qui dure depuis le début de la guerre. Tant que le Rojava ne sera pas unifié, ce sera la guerre. Par ailleurs, il y a une porosité entre Al-Nosra, Daesh, et tous ces groupes là. A Hassaké, des camarades ont découvert des drapeaux d’Al-Nosra en prenant des repères de Daesh. Ils combattent côte-à-côte. Jarabulus est tombé en seulement une ou deux heures de combat, alors que la ville était pleine de combattants de Daesh, notamment ceux chassés de Manbij. Il y a forcément une complicité entre l’armée turque et Daesh. Dans leur retraite Daesh abandonne du matériel militaire moderne, ils possèdent tout un tas d’équipement que nous n’avons pas. Ils sont même mieux nourris que nous. Ils ne peuvent l’avoir obtenu qu’avec la complicité d’Etats étrangers. Pas de doute que la Turquie les soutient.
J. : J’aimerai ajouter qu’il n’y a pas d’alliance entre le régime d’Assad et les YPG. 1000 combattants YPG sont morts face aux forces du régime. Assad attend juste le bon moment pour se retourner contre les Kurdes. Au mois d’Août, il a bombardé les positions des YPG avec ses avions de chasse. Les Kurdes répètent que « lorsque les Américains en auront fini avec Daesh c’est nous qu’ils bombarderont. » L’Allemagne avait permis à Lénine, en 1917, de rejoindre la Russie. Comme Lénine, les Kurdes ont raison de profiter des contradictions de leurs ennemis.
A. : Le fait que le Rojava ai accepté l’aide américaine ne veut pas dire qu’ils sont devenus des suppôts de l’impérialisme. Les Kurdes sont obligés de composer avec lui, même si dans un second temps il faudra le combattre. Ils sont conscient de cela, et ils passent leur temps à critiquer l’impérialisme.

 

Pour conclure, que souhaitez-vous rajouter ?

J. : On a le droit de critiquer des choses à Rojava, mais il faut vraiment s’engager dans le soutien. Des organisations nous soutiennent dans des déclarations, sur internet, c’est bien, mais que font-elles concrètement pour nous aider ? Il est déjà tard, mais pas trop tard. Au Rojava nous avons l’occasion de vivre un processus révolutionnaire vivant. On ne peut pas juger ce qui se passe là-bas avec une grille de lecture dogmatique. En 1917, la politique des Bolcheviks en Russie ne pouvait pas être dogmatique. Ils ont dû accepter des reculs tactiques pour sauvegarder la révolution. Aujourd’hui le Rojava est un sanctuaire pour les mouvements révolutionnaires de toute la région. On y croise des Turcs, des Iraniens, des Arméniens… Une dynamique révolutionnaire régionale se met en place.

Peu après cet interview, nous apprenions la mort du martyr Michael Israël (nom de guerre Robin Agiri), membre du Bataillon International de Libération en 2015, et militant au syndicat anarchiste IWW aux États-Unis. Il a été assassiné par des frappes aériennes turques le 24 novembre 2016 alors qu’il prenait un village des mains de Daesh à l’ouest de Manbij, alors qu’il était volontaire au sein du Conseil militaire de Manbij, allié aux Forces démocratiques syriennes (dont les YPG sont la principale composante). Michael avait 27 ans. André et Jacques ont combattu à ses côtés. « La mort n’éblouit par les yeux des partisans » !

 

Propos recueillis par l’OCML VP – Automne 2016

Merhaba Hevalno mensuel n°9 – novembre 2016

sebahat-tuncel-arrestAvec un peu de retard, nous tenons quand même à marquer le premier anniversaire de ce projet informatif qu’est le Merhaba Hevalno (“Salut camarades !”). Le 1er octobre 2015, nous avions lancé le tout premier numéro de notre revue de presse, à l’époque hebdomadaire, sur l’actualité du Kurdistan, en réaction à la guerre à nouveau déclenchée par l’État turc contre le Kurdistan Nord. Une petite équipe s’était alors formée pour relayer le plus d’informations possible sur l’évolution de la guerre, mais également sur la résistance du mouvement de libération kurde. Après 12 numéros, soit 3 mois, l’aventure éditoriale a pris une autre tournure : un mensuel, nourri de textes d’analyse, en plus de brèves pour suivre l’actualité. Nous en sommes aujourd’hui au 9ème numéro, avec de plus en plus de lectrices et de lecteurs.

Comme nous sommes un peu oldschool, nous croyons encore à la diffusion papier de cette revue, mais nous n’avons pas les moyens de l’assurer de notre côté, nous comptons donc sur vous pour la photocopier et la diffuser autour de vous. Il y a un an, nous espérions naïvement que ce projet de revue de presse ne durerait que le temps que la tension redescende, mais la situation n’a fait que s’aggraver, surtout à cause du mégalomaniaque Erdoğan, qui s’est lancé dans une « croisade » anti-Kurdes, créant les bases d’une véritable guerre civile en Turquie, et reversant de l’essence sur le feu du Moyen Orient, dans l’espoir de devenir le Sultan de la région entière. Ce mois-ci nous nous focalisons sur deux gros dossiers qui illustrent l’escalade de la guerre. En Turquie, c’est l’arrestation des leaders kurdes, et plus spécifiquement des député.e.s qui étaient un peu les seul.e.s à ne pas encore être tombé.e.s dans les filets de la répression. C’est sans doute la dernière étape dans l’illégalisation des partis DBP et HDP. Pendant ce temps en Irak, c’est la fameuse « opération Mossoul » qui a finalement été lancée par un mélange inédit de forces militaires. Mossoul étant la capitale de l’État Islamique, sa reprise prend une signification politique primordiale. Depuis des mois, les dirigeants des puissances régionales et mondiales se servent de cette perspective de « libération » pour leur propagande anti-terroriste.

C’est à partir de maintenant que va se jouer ce qui reste la question centrale, mais pas du tout résolue, à savoir : qui va succéder à l’État Islamique ? Comment va se répartir le pouvoir entre les différentes forces militaires qui participent à sa chute ?… Cette bataille est sans doute un moment charnière dans la géopolitique mondiale, certains analystes parlent même de « 3ème guerre mondiale » tellement les enjeux qui s’y jouent sont d’échelle planétaire.

Mais tous ces combats militaires et ces sublimes démonstrations du pouvoir patriarcal ne nous font pas oublier que ce sont les gens qui, à la base, en sont les premières victimes (touchées par l’exil, la prison, les armes chimiques, la mort), mais qui continuent aussi de se battre pour développer leur révolution, en particulier au Rojava. Un très beau texte de Dilar Dirik, cette chercheuse kurde dont on ne se lasse pas de relayer les articles, nous emporte dans la (re)découverte de cette révolution au nord de la Syrie. Ce texte étant très long, nous avons choisi de traduire ce mois-ci la première moitié ; la suite, très prochainement… Puis Kedistan – dont nous reproduisons également plein de textes – nous fait partager un témoignage d’une personne intersexe et son expérience en tant qu’enfant intersexe au Bakur. Notre intention n’est clairement pas de montrer comment les discriminations de genre sont abominables là-bas loin de chez nous ; au contraire, ce texte nous rappelle comment l’intersexualité est toujours un sujet tabou en France (à tel point que des mutilations sont pratiquées à la naissance pour tenter de cacher son existence).

Nous clôturons encore une fois cette revue avec l’amère sensation de ne pas contribuer assez à faire connaître la réalité du Kurdistan et les enjeux politiques qui s’y jouent en ce moment, et de ne pas faire partie d’un véritable élan qui crie haut et fort sa solidarité. Le mouvement kurde ne cesse de lancer des appels à la solidarité, souvent tournés vers les politicien.nes, qui ont plus de chance de faire changer les choses, certes, mais tous les gestes de solidarité sont les bienvenus. Le mouvement des femmes appelle régulièrement les femmes du monde entier à se montrer solidaires. Nous vous rappelons qu’une campagne est lancée sur le site de Kedistan pour envoyer des cartes postales aux prisonnières kurdes en Turquie.

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SOMMAIRE

  • Edito p. 2
  • Détruire le mouvement kurde
  • Anéantir le peuple kurde et ses représentants p. 3
  • Lettres de Demirtaş p. 4
  • Être une erreur kurdo-turque p. 5
  • « Je détruirai les prisons avec mon stylo et mon pinceau » p. 8
  • Être un enfant intersexe en Turquie. p. 10
  • Le Rojava : oser imaginer [partie 1] p. 11
  • La Bataille de Mossoul
  • La question kurde et l’opération de Mossoul p. 14
  • Mossoul, clé de l’avenir d’un irak unifié p. 16
  • Entretien avec Bese Hozak, co-présidente du KCK p. 19
  • Libération de Mossoul ? p. 21
  • Dans votre « monde » et le nôtre p. 22
  • Glossaire & agenda p. 24
  • Solidarité avec les prisonnières p. 24

* * *

Nous voudrions, en publiant ce bulletin Merhaba Hevalno, mettre en mots et en acte notre solidarité avec les mouvements de résistance au Kurdistan.

Ce bulletin mensuel autour de l’actualité du Kurdistan est notamment rédigé depuis la ZAD de NDDL, mais pas seulement ! Un certain nombre de camarades de Toulouse, Marseille, Angers, Lyon et d’ailleurs y participent…

Pour nous contacter : actukurdistan[at]riseup.net

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Merhaba Hevalno mensuel n°8 – octobre 2016

pkk-kaempferinBulletin mensuel d’actualités autour du Kurdistan. Octobre 2016.

Après le gros dossier sur l’(après)-coup d’état en Turquie dans le dernier numéro de Merhaba Hevalno, ce 8ème numéro est dédié en long et en large aux réfugié.es et aux politiques répressives envers différentes communautés traitées comme “minorités” indésirables, les Syrien.nes, les Kurdes et les Alévi.es.

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SOMMAIRE :

* Édito 
* Après les crimes, la volonté d’un peuple debout
* Femmes de Şirnak 
* Guerre déclarée à Sur 
* Fermeture des médias et « génocide politique »
* Une camarade partie au Rojava… 
* Naissance d’une minorité kurde en Irak 
* Communiqué des femmes du Rojhilat contre le sexisme 
* Nationalisme xénophobe contre les réfugié.e.s syrien.ne.s 
* Bayramtepe, l’eldorado perdu des Kurdes syriens 
* Politique anti-alévis en Turquie 
* Mednüçe : Eutelsat contre les médias kurdes 
* Poème de Adnan Yucel 
* Carte, glossaire & agenda
* Solidarité avec les prisonnières 
* Brèves

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Téléchargez le pdf, imprimez et photocopiez-le et diffusez-le autour de vous, partout ! (Pour imprimer en mode « livret », choisissez du papier A3 pour faire tenir 2 pages sur chaque face.)

Merhaba Hevalno mensuel n°7 – septembre 2016

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Après une pause au mois d’août, voici un gros numéro de Merhaba Hevalno. On y trouve deux gros dossiers bien fournis, l’un sur le coup d’état en Turquie, et l’autre sur l’invasion turque au Rojava.

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  • Édito
  • Dossier : L’armée turque envahit le Rojava ! (Comprendre les batailles de Hasaké et Manbij / Jarabalus : l’incursion de l’armée turque en Syrie est synonyme de guerre perpétuelle contre les Kurdes / Entretien avec Faysal Sariyildiz / Appel de l’Union des Jeunes Femmes du Rojava et de l’Union de la Jeunesse du Rojava)
  • Interview de Hassan Sharafi, secrétaire général adjoint du PDKI
  • Dossier : « Du putsch militaire raté au putsch civil » (Introduction et chronologie des premiers jours du coup d’état / De l’État à la Horde / L’AKP, l’armée et le mouvement Gülen : l’anatomie du coup d’état échoué en Turquie / Communiqué du KNK : le coup d’état échoué en Turquie et l’agenda anti-Kurde d’Erdogan / Les putschistes… c’est l’AKP !)
  • Communiqué du CDKF quant à la fermeture du journal Özgür Gündem
  • Campagne internationale de solidarité avec Öcalan
  • Des Alpes au Kurdistan ! Vive la solidarité internationale !
  • Agenda
  • Carte et glossaire

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Extrait :

Ces deux derniers mois ont connu deux événements majeurs qui ont marqué profondément la situation en Turquie et plus généralement au Proche-Orient. Il s’agit de la tentative de coup d’état en Turquie, puis de l’invasion du Rojava (Kurdistan au nord de la Syrie) par l’armée turque. En Turquie, où la guerre contre les Kurdes dure maintenant plus d’un an, c’est la guerre civile qui se profile. Quant à la Syrie, ce nouvel acteur -le régime du président turc Erdoğan- envenime encore plus la situation, en prenant encore une fois la défense de l’État Islamique contre les Kurdes […]

N’ayant pas pu publier de brochure en août, nous avons essayé ce mois-ci de faire un résumé -quoique assez long !- de ces événements récents, ce qui n’a pas été une tâche très simple étant donné la complexité de la situation. Nous tenons à continuer de diffuser des informations, déclarations et analyses, en ayant toujours l’espoir que cela puisse contribuer à une mobilisation plus conséquente ici en France et à créer des ponts de solidarité. Mi-septembre, c’est la « rentrée » des luttes, en particulier contre la loi « Travaille ! » et la potentielle opération d’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Nous nous interrogeons sur la place qu’on pourrait créer au sein de ces luttes franco-centrées mais néanmoins puissantes, pour faire du lien avec d’autres luttes qui remettent profondément en question le fonctionnement même de la société, telles que les dynamiques révolutionnaires en cours au Bakur et au Rojava. Que peut-on apprendre et partager ? Quel soutien peut-on apporter ? Comment tisser des liens forts de solidarité qui aillent dans les deux sens ? Ce sont ces questions, entre autres, qui nous motivent toujours à persévérer dans l’édition de cette revue. Nous espérons que celles et ceux qui s’intéressent aux luttes en cours au Kurdistan y trouvent leurs propres questions, quelques réponses, et un peu de motivation à la diffuser.

[Entretien] Nous allons intensifier les activités de la guérilla

7979224130_56bc809052_bUn entretien avec la coprésidente du Groupe des communautés du Kurdistan (KCK), Bese Hozat, évoquant la politique génocidaire de l’État turc à l’encontre des Kurdes, la résistance de la guérilla et le rôle de l’Europe

Au cours de ces derniers mois, nous avons assisté à des attaques massives de l’État turc contre le mouvement kurde. Le gouvernement turc a rendu parfaitement claire son intention de poursuivre les opérations militaires et de refuser les pourparlers avec le PKK. Quelle est la stratégie d’Ankara ?

L’État turc met en œuvre une politique génocidaire dirigée contre les Kurdes. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui a commencé en septembre 2014, lorsque le gouvernement a proposé un nouveau plan pour écraser la résistance kurde. Un mois plus tard, le Conseil de sécurité nationale a déclaré la guerre totale. Depuis lors, le nouveau plan du gouvernement a été mis en œuvre étape par étape.

L’une des conséquences a été la violation systématique des droits démocratiques. Une immense vague d’arrestations a frappé les villes kurdes. Plusieurs bases de la guérilla ont été attaquées. Une fois les pourparlers avec les dirigeants du PKK abandonnés, les attaques se sont encore intensifiées. À Diyarbakir, une bombe a explosé au cours d’un événement célébrant Newroz, le Nouvel An kurde. Le 24 juillet 2015, d’intensives frappes aériennes ont eu lieu, et en octobre 2015 un attentat à Ankara a causé la mort de 103 personnes et en a blessé bien plus.

La politique génocidaire de l’État turc contre les Kurdes n’a rien de nouveau. Elle remonte à des centaines d’années. Un dialogue s’est parfois instauré avec le PKK, mais l’État turc ne s’est jamais montré enclin à résoudre le conflit de façon politique, car cela reviendrait à reconnaître les droits du peuple kurde.

Toutes les avancées en direction d’une solution politique qui étaient proposées par la Turquie ne cherchaient qu’à pacifier le mouvement kurde. Le but à long terme était toujours d’éliminer la résistance kurde, le PKK, et les valeurs que véhicule le combat des Kurdes. Même le soi-disant processus de paix s’est finalement révélé être une tentative de destruction. Ankara voulait briser la volonté des Kurdes de combattre et de résister. Alors que le processus de paix était en cours, le gouvernement du Parti pour la justice et le développement (AKP) se préparait à étendre son pouvoir et à contrôler complètement l’État.

L’AKP a utilisé le processus de paix dans son propre intérêt. Alors que ses représentants s’asseyaient à la table des pourparlers, le gouvernement se préparait à la guerre. De nouveaux commissariats et des cantonnements militaires ont été construits en nombre et le système des gardes de village a été réformé. Des routes ont été construites pour un usage exclusivement militaire.

Durant cette période, le peuple kurde s’est engagé à grands pas vers un système démocratique autonome. Au Rojava, une révolution du peuple a mis en place une administration organisée au niveau cantonal. Sous la direction des Unités de défense du peuple (YPG) et des Forces démocratiques syriennes (FDS), une immense bataille a été menée contre l’état islamique. Tout cela a déstabilisé l’AKP. L’état islamique était leur allié stratégique, avec lequel ils partageaient les mêmes fondements idéologiques. Pendant ce temps, les succès du Rojava ont fortement motivé les Kurdes du Kurdistan du Nord, avec pour corolaire un regain des luttes pour la liberté et la démocratie.

Afin de mettre à bas les réussites du mouvement kurde et d’affaiblir le PKK, l’État turc a décidé d’avoir recours à la guerre totale et au génocide et a commencé à mettre en œuvre ces décisions sur le terrain.

Depuis que l’État a commencé ses attaques, nous avons pu assister à l’émergence de différentes formes de résistance, y compris parmi les jeunes kurdes des grandes villes. Les activités de la guérilla ont également augmenté. Est-ce que les unités de la guérilla sont pleinement impliquées dans la lutte ?

Dans les villes, les Kurdes se sont dressés face à la politique génocidaire de l’État, et ils l’ont fait de manière autonome. Dans la mesure où les mouvements de la guérilla sont limités durant l’hiver, elle n’a pas été très impliquée. La résistance a plutôt pris la forme d’un soulèvement du peuple, mené par des jeunes qui ont organisé l’autodéfense. Maintenant, avec l’arrivée du printemps, les conditions sont plus favorables aux actions de la guérilla.

Il n’est donc pas surprenant que les activités de la guérilla se soient accrues. À partir de maintenant, les conditions seront de plus en plus favorables. Cela signifie que les activités des zones rurales et urbaines se développeront encore plus. Le soulèvement populaire ira également en s’intensifiant. Nous avons décidé de radicaliser la lutte, tout autant au Kurdistan du Nord qu’en Turquie.

Est-ce que les actions de la guérilla et des YPS dans les villes sont coordonnées, ou est-ce que les YPS agissent de façon indépendante ?

Les YPS sont organisées par des jeunes locaux comme des groupes d’autodéfense. Leur façon de s’organiser est très importante : les YPS sont formées par le peuple via la jeune génération. Nous leur apportons notre soutien absolu. Les Kurdes sont victimes d’une politique génocidaire. Il y a des massacres. À Cizre, 400 personnes ont été assassinées, brûlées vives. À Sur, une centaine d’autres ont connu le même sort.

À de nombreux autres endroits au Kurdistan, par exemple à Hezex et Nuzaybin, ainsi qu’à Kerboran, Sirnak et Hakkari, des massacres ont également eu lieu. Nous avons assisté à des attaques, des arrestations et des tortures sur l’intégralité du territoire du Kurdistan. Même les cadavres sont déshonorés. L’AKP et l’État turc sont responsables de ces atrocités, qui sont à la fois des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Dans ces circonstances, rien ne peut être davantage justifié que l’autodéfense du peuple. Nous soutenons donc la résistance de nos compatriotes et la lutte de la jeunesse de tout notre cœur. Mais nous ne coordonnons pas leur résistance. Ils agissent de façon indépendante. Ils disposent de structures autonomes et ils prennent leurs propres décisions.

Après des massacres comme celui de Cizre, des unités de la guérilla se sont rendues dans les villes pour venir en aide aux YPS. Nous leur avons fourni une aide matérielle et pratique. Mais les YPS demeurent indépendants. Lorsque le peuple est confronté au massacre et au génocide, lorsqu’il souffre de l’oppression fasciste, il doit utiliser tous les moyens en son pouvoir pour se défendre. C’est un droit légitime, naturel et universel.

Nous ne devons pas non plus oublier la lutte des forces démocratiques en Turquie. Les politiques fascistes ne visent pas que les Kurdes, mais aussi tous les démocrates de Turquie, tous les groupes dont les identités, les cultures et les religions sont différentes.

Quelques jours auparavant, vous avez mentionné la possibilité d’une coalition électorale entre le parti laïc et social-démocrate Parti républicain du peuple (CHP), le parti progressiste prokurde Parti démocratique des peuples (HDP) et des organisations plus petites. Une telle coalition est-elle réellement envisageable, étant donnée la politique du CHP ? Après tout, le parti a récemment apporté son soutien au mouvement pour la levée de l’immunité des parlementaires membres du HDP.

La tendance social-démocrate, de gauche, n’est pas hégémonique au sein du CHP. Au point où nous en sommes, cette tendance ne peut pas décider de la politique du CHP. La branche laïque et nationaliste demeure plus puissante. La mauvaise décision prise par le CHP au sujet de l’immunité des parlementaires du HDP en est la conséquence. En prenant cette décision, ils se sont rangés du côté de l’AKP. Mais il existe des tensions au sein du parti. Nous faisons confiance à la branche de gauche, sociale-démocrate, et nous rejetons en même temps clairement la ligne politique actuelle du parti.

L’AKP a érigé un bloc fasciste. La politique actuelle du gouvernement turc n’est pas la responsabilité exclusive de l’AKP. Il y a une alliance de forces fascistes et nationalistes qui englobent l’AKP, le Parti d’action nationaliste (MHP) et des nationalistes laïcs. Nous devons former une vaste coalition au Kurdistan et en Turquie pour nous opposer à cette alliance.

Si une telle coalition démocratique permet qu’une lutte de la société civile pour la démocratie se développe, l’alliance fasciste s’écroulera. C’est pour cela que nous considérons que la coalition des forces démocratiques est essentielle et que nous mettons tout en œuvre pour la réaliser.

Les conditions d’une lutte parlementaire et civile en Turquie ne semblent pas prometteuses : il n’y a pas de liberté de la presse, pas de liberté de rassemblement et les pouvoirs du Parlement sont sans cesse entravés. Quand les gens manifestent pacifiquement et sans arme dans des lieux comme Diyarbakir, ils risquent de se faire tirer dessus et d’être tués. Comment un espace permettant une résistance parlementaire et civile peut-il émerger dans de telles circonstances ?

La résistance civile n’a sa chance que si nous refusons de nous soumettre à l’AKP. Nous devons rejeter la politique du parti sans aucun compromis. Il n’y a pas d’autre moyen. L’AKP veut empêcher l’intégralité de la société d’exercer le moindre pouvoir. Mais quiconque se rend a perdu.

Réciproquement, quiconque résiste gagnera. La seule façon de battre l’AKP et de créer un espace pour une politique démocratique et civile revient à introduire une lutte permanente à tous les niveaux de la vie : sur le champ de bataille, au sein de la société civile, dans les assemblées politiques, les médias, les universités, les arts – partout.

La lutte pour la démocratie et la liberté est le seul antidote contre le fascisme. Nous menons cette lutte avec succès. Si les Kurdes ne résistaient pas face à la politique fasciste de la Turquie et si le HDP et les forces démocratiques en Turquie ne résistaient pas non plus, le pays se trouverait dans une terrible situation. Ce serait comme l’Afghanistan, le Pakistan, la Syrie ou l’Irak, des pays bien connus pour leur manque de démocratie et qui sont déchirés par des guerres civiles.

Le président Erdoğan veut réintroduire le sultanat ottoman en Turquie. Il veut remettre au goût du jour la tradition ottomane et il se voit lui-même comme un sultan. C’est pour cela qu’il a imposé un changement de régime au pays en le faisant passer sous le label du « système présidentiel ». Ce qu’il essaye de mettre en place, c’est un sultanat dictatorial, fasciste et totalitaire exigeant une obéissance totale. Une lutte engagée contre tout cela est inévitable. Erdoğan et l’AKP sont des ennemis de la démocratie.

En reprenant le principe de confédéralisme démocratique proposé par Abdullah Öcalan, le KCK soutient un concept politique qui est significativement différent des ambitions néo-ottomanes d’Erdoğan et des tourmentes que traverse actuellement le Moyen-Orient. À quoi ressemblerait un Moyen-Orient basé sur le principe de confédéralisme démocratique ?

Le concept de confédéralisme démocratique n’est pas étranger au Moyen-Orient. Ceux qui connaissent l’histoire de la région savent qu’il ne s’agit pas d’une utopie et qu’il correspond aux traditions locales. Durant des milliers d’années, ou même des dizaines de milliers si vous prenez la période présumérienne, les habitants du Moyen-Orient ont vécu de façon très communale.

Même après l’apparition de l’État dans la période post-sumérienne, des peuples, des classes sociales et des groupes sociaux différents ont vécu ensemble librement et paisiblement. Ils étaient organisés en confédérations tribales. Dans certaines zones, ces systèmes perdurent encore. La structure sociale du Kurdistan fait partie de cette tradition.

En 1937-1938, par exemple, il existait un système tribal confédéré dans la région de Dersim au Kurdistan, qui comprenait, outre Dersim que nous connaissons aujourd’hui, Erzincan et des parties de Sivas et d’Elazig. Le système comprenait des conseils et se basait sur un code moral. Nous parlons vraiment d’une vision politique qui n’est absolument pas étrangère à la région et à ses habitants.

Au niveau ethnique comme religieux, le Moyen-Orient est un mélange coloré d’identités multiples. Des communautés culturelles variées coexistent. Elles ont vécu ensemble durant des milliers d’années. La notion d’un système démocratique et confédéré se base sur cette histoire et y est étroitement connectée. Le bouleversement actuel que connaît le Moyen-Orient n’a commencé que récemment, en particulier avec l’émergence des États-nations au 20e siècle.

Le système de l’État-nation est nationaliste et raciste. Il renie toutes les identités à l’exception d’une seule, et souhaite les détruire.

En Turquie, un état fortement nationaliste a été établi, rejetant toutes les identités à l’exception de l’identité turque. Cela ne concerne pas seulement les Kurdes et les Chrétiens mais aussi les Arméniens, les Assyriens, les Grecs, les Lazes, les Adyguéens et les Géorgiens. L’identité turque a été mise au centre de tout, et un système tout entier de déni et de destruction a été construit autour. La politique génocidaire à l’encontre des Kurdes, qui s’est poursuivie durant 90 ans, en a été l’une des conséquences.

Nous assistons à des développements similaires dans d’autres pays de la région : la création de l’État-nation syrien a eu pour conséquence l’oppression de toutes les identités à l’exception de l’identité arabe. Dans l’État-nation irakien, toutes les communautés non arabes ont été massacrées – une fois de plus, surtout les Kurdes. Ce à quoi nous avons assisté dans des lieux comme Alep ou Halabja, ou pendant la campagne de l’Anfal, étaient les effets directs de la tragédie de l’État-nation. La même chose a eu lieu en Iran : lorsque l’État-nation persan a été établi, l’existence des Kurdes, des Baloutches, des Arabes et de nombreux autres groupes de différentes confessions ont été reniés.

Notre vision démocratique et confédérée est le résultat de l’examen critique du système d’État-nation. Nous pensons que le système d’État-nation détruit les peuples, leur culture, leur histoire et leur géographie. Nous pensons que le système démocratique confédéré est la meilleure alternative.

Nous croyons également que le système démocratique confédéré correspond à l’histoire et à la culture de notre région. C’est pour cela qu’une réelle possibilité de le réaliser existe ; qu’il ne s’agit pas d’une utopie. Ou disons, d’une utopie qui ne puisse pas être réalisée. Il s’agit d’une utopie qui peut prendre vie, prendre forme. Le système démocratique confédéré du Rojava le prouve. Au Rojava, les Kurdes, les Turcs, les Arabes, les Turkmènes, les Assyriens, les Arméniens, même les Adyguéens et les Tchétchènes vivent ensemble dans un système libre et démocratique qu’ils gouvernent eux-mêmes. Ils conservent leurs identités, leurs cultures et leurs langues respectives. Il n’y a pas de problème.

Le PKK, la Turquie et les autres pays du Moyen-Orient ne sont pas les seuls acteurs dans la région. Que pouvez-vous dire du rôle joué par les États-Unis, la Russie et l’Union européenne, en particulier l’Allemagne ?

Aucune de ces puissances n’adopte de position claire à l’encontre des Kurdes. Aucune n’exige de solution démocratique. Elles ont une politique différente dans chaque pays et dans chaque partie du Kurdistan. Leurs politiques dépendent de leurs propres intérêts. C’est ce qu’elles ont toutes en commun : elles approchent la question kurde de façon pragmatique, d’une façon qui est dictée par leur propre intérêt. C’est vrai de la Russie, des États-Unis et des pays européens.

Mais leurs méthodes sont différentes. Les États-Unis, par exemple, tolèrent et même encouragent la politique génocidaire de l’AKP à l’encontre des Kurdes, surtout depuis qu’ils ont signé un accord concernant la base aérienne d’Incirlik.

C’est la même chose pour les pays européens, en particulier l’Allemagne. Sous l’égide d’Angela Merkel, l’Allemagne a activement soutenu l’AKP et continue de le faire. Les Kurdes sont très remontés contre la politique de Merkel. Erdoğan peut continuer à mener sa campagne génocidaire contre les Kurdes uniquement parce qu’elle est encouragée par l’Europe, surtout l’Allemagne, et par les États-Unis.

L’Allemagne a joué un rôle important en permettant à l’AKP de recevoir 29,5 % des votes aux élections de novembre 2015. Merkel s’est rendue en Turquie en octobre et a été reçue par Erdoğan au palais blanc, juste avant les élections. L’AKP et à Erdoğan ont largement bénéficié de cette visite. Elle a aussi attiré l’attention à l’internationale. La visite de Merkel a été fortement critiquée par le public européen et par la société civile européenne. Mais Merkel n’a pas modifié sa politique. L’Allemagne a été aux petits soins avec le président  Erdoğan et le Premier ministre Davutoğlu, ce qui les a confortés dans la poursuite de leur politique génocidaire.

Bien sûr, il s’agit d’une situation désagréable. Les centaines de milliers de Kurdes qui habitent l’Allemagne sont eux aussi touchés de façon négative. En tout, il y a 40 millions de Kurdes, sans droits ni autodétermination. Vingt millions de Kurdes vivent en Turquie, où leur langue et leur culture sont interdites. C’est une situation terrible.

Et pourtant les politiques du gouvernement turc sont soutenues par les puissances européennes, même si cela entre en contradiction avec les valeurs démocratiques supposées de l’Europe. L’Union européenne et les gouvernements européens clament haut et fort qu’ils sont attachés aux valeurs démocratiques. Mais quand il s’agit de la question kurde, ces valeurs n’ont plus d’importance à leurs yeux.

Ce pour quoi les Kurdes se battent, et ce qu’ils demandent à la Turquie et au reste du monde n’est rien d’autre que le respect des droits humains. Ces droits sont universels et l’Europe est censée les respecter. Alors pourquoi l’Europe ferme-t-elle les yeux devant ce qui a lieu au Moyen-Orient ? Pourquoi n’écoute-t-elle pas ? L’Europe doit changer son approche de la question kurde. La première étape, qui est aussi la plus importante, est de rayer le PKK des listes des organisations terroristes.

Cela mènerait également à la démocratisation de la Turquie. Si le PKK était retiré de la liste des organisations terroristes par l’Union européenne et les gouvernements européens, la Turquie se verrait forcée à résoudre la question kurde. Tant que le PKK est inscrit sur les listes d’organisations terroristes, la Turquie ne peut ni devenir une démocratie ni être stable.

Il n’y aura pas de stabilité au Moyen-Orient sans résolution de la question kurde. Apporter une solution démocratique à la question kurde permettrait d’apporter la démocratie et la paix pour la Turquie et pour l’ensemble de la région. L’Europe serait stabilisée à son tour, car c’est la déstabilisation du Moyen-Orient qui provoque la déstabilisation de l’Europe.

La problématique des réfugiés permet à la Turquie de faire du chantage, en prenant l’Europe complètement en otage. L’Europe doit savoir que la situation des réfugiés ne peut pas être résolue par le soutien de la politique génocidaire de la Turquie, mais par un processus de démocratisation en Turquie et par une solution démocratique de la question kurde.

C’est la raison pour laquelle l’Europe doit forcer l’AKP à travailler à une solution démocratique de la question kurde et à démocratiser la Turquie. La suppression du PKK des listes d’organisations terroristes est une avancée drastique dans cette direction. Si les pays européens et les États-Unis étaient clairs par rapport à ça, s’ils changeaient leur approche de la question kurde et si le PKK était supprimé des listes d’organisations terroristes, la situation des réfugiés ainsi que les problèmes posés par l’état islamique seraient également résolus.

Quel genre de soutien attendez-vous de la part des forces de gauche, révolutionnaires et démocratiques en Europe ?

Le soutien le plus important serait de forcer les gouvernements européens à mettre fin à leur collaboration avec l’AKP. L’AKP et sa politique doivent être critiqués et défiés à tous les niveaux. Sans alliés internationaux, l’AKP ne pourrait jamais mener à bien ses campagnes génocidaires contre les Kurdes, comme c’est le cas maintenant.

L’AKP dépend du soutien international. Les forces de gauche, socialistes et démocratiques d’Europe doivent essayer de mettre fin à ce soutien. Voilà ce que nous attendons des peuples européens. Ils ne doivent pas rester muets face à une politique qui remet en cause les valeurs dont l’Union européenne est censée se revendiquer. Les peuples européens doivent élever leurs voix et s’y opposer. Et les forces de gauche, socialistes et démocratiques devraient lancer une campagne spécifique pour que le PKK soit retiré des listes des organisations terroristes.

Interview : Peter Schaber et LowerClass.

Traduction : Pisîka Sor (@pierasim) – Version allemande.

Repris de Inforojava.