Entretien autour des YDG-H, les groupes d’autodéfense des quartiers au Kurdistan

Nous rencontrons A. le 10 décembre lors d’une manifestation en solidarité avec les habitants et les camarades assiégés dans la vieille ville de Sur à Diyarbakır. Il y a environ 500-600 personnes présentes et qui avancent vers les flics barrant la route, qui chantent et lancent des slogans. Là, au milieu de la foule, un jeune garçon d’à peine 14 ans nous intrigue. Sur sa main, entre le pouce et l’index, trois points tatoués qui nous rappellent immédiatement les trois points du « mort aux vaches » de par chez nous. Intimidé par notre intérêt, ce sont les jeunes hommes à côté de lui qui répondent à notre curiosité. Oui, c’est bien un tatouage anti-flic : un point pour « je n’ai rien vu », un autre pour « je n’ai rien entendu », et le dernier pour « je n’ai rien à dire », face à la police, pas de poukave, pas de balance ! La discussion est lancée avec ce petit groupe de manifestants. Mais c’est avec A., 25 ans, qu’elle durera le plus longtemps. Il nous dit que sa sœur, engagée dans la guerilla depuis longtemps, est sûrement de l’autre côté du barrage de keufs, de l’autre côté de la muraille, en train de se battre. Il n’a pas de réelles nouvelles mais a cru comprendre qu’elle se trouvaient dans le coin de Diyarbakır, alors il vient la soutenir de l’autre côté. La discussion est tout de suite prenante et nous lui proposons de faire, au cœur de la manif, un petit entretien autour des YDG-H, les groupes d’autodéfense armée des quartiers composés par les jeunes qui y habitent…

Peux-tu nous expliquer ce qu’est le mouvement YDG-H (Yurtsever Devrimci Gençlik Hareket, en gros le « Mouvement de la jeunesse révolutionnaire patriote ») ? Est-ce que c’est une sorte de mouvement d’autodéfense des quartiers ?

Le YDG-H est un mouvement qui est né dans les régions kurdes, pour protéger la culture et le peuple kurde. En ce moment, on peut les voir agir à Diyarbakır et dans tout le Kurdistan pour défendre les valeurs d’émancipation sociale du peuple.

Ce mouvement est-il lié au PKK ?

Ce n’est pas une branche du PKK, mais vu que c’est un mouvement de guérilla, pour ce qui est de l’aspect technique des choses le PKK aide à former les YDG-H au combat. Le YDG-H se forme dans les montagnes, et vient ensuite défendre le peuple dans les zones urbaines.

On peut donner un exemple pour faire une comparaison : c’est un peu comme dans les années 90, quand le PKK avait été aidé dans sa formation par le mouvement TIKKO (parti marxiste-léniniste maoïste). Ils n’ont pas les mêmes idéologies, mais se retrouvent sur plusieurs aspects, d’avoir le même ennemi, de vouloir défendre leur peuple, et de vouloir la libération des peuples.
Les PKK’li restent les guerillas des montagnes, et les YDG-H sont les guerillas urbains. Contre toutes les oppressions qu’on subit, les gardes-à-vue, les perquisitions à répétitions, les enfermements, et bien d’autres injustices, ces guerillas sont là pour l’autodéfense, et défendre le peuple.

Le gouvernement dit qu’il est là pour protéger le peuple, qu’il est là pour faire valoir les droits de chacun, et que rien ne va dans ce sens, c’est de là que vient ce mouvement. Imaginons un chat, si on l’attaque il sort ses griffes, c’est instinctif, c’est de la défense. Et d’une façon normal et naturelle, contre toutes ces attaques de l’État, il a été vital d’avoir une protection du peuple dans les quartiers.

Concrètement comment ça s’organise ? C’est un groupe de potes qui se retrouvent et qui décident d’aller se former à la montagne ? Il y a différents groupes qui se coordonnent comme ça ?

Ces organisations se sont créées dans les quartiers. Ces groupes se sont formés d’abord pour lutter contre la prostitution et la drogue dans leurs quartiers. Les jeunes disent : « nous, on ne veut pas de drogue chez nous ! » en prenant en considération les ravages que ça provoque sur les gens. Ils disent qu’ils ne veulent pas être exploités, ni exploiter. Ils veulent du coup protéger le quartier de tout ce qui pourrait les fragiliser dans leur émancipation. De là naît le mouvement des YDG-H.

Faut pas croire que ces jeunes sont des jeunes « voyous », où se baladent les bras ballant sans rien comprendre à se qui les entours. Ce sont des jeunes qui sortent de différentes organisations. Ils ont étudié leur histoire, connaissent leur culture, étudient leur peuple, et de cette façon décident et réfléchissent à comment défendre tout cela. En réalité, ils travaillent et s’activent à faciliter l’émancipation des gens dans nos quartiers. Mais ces derniers mois, ils sont malheureusement contraints de ne se pencher que sur la question de l’autodéfense.

Et si les manifestations se font de plus en plus grandes au Kurdistan, ces dernières années, c’est aussi dû à l’histoire. Le gouvernement turc scandait, après les massacres perpétrés dans les années 80-90 : « Nous avons bien enterré le peuple kurde, et avec tout le ciment que nous avons versé sur leur tombe, ils ne sont pas près de se relever. ». Et notre leader [Abdullah Öcalan], nous a fait relevé la tête. Et les YDG-H ne s’arrêteront plus dans leur lutte.

Il y a le leader qui motive et active les actions des uns et des autres mais pas seulement. Il y a aussi la présence du gouvernement sur nos terres qui devient de plus en plus absurde. Aucune solution n’est trouvé pour les difficultés que rencontre le peuple dans les quartiers, alors les gens veulent s’autonomiser, et se débrouiller par eux-même. Le gouvernement ici, attaque et massacre son peuple, d’une manière de plus en plus violente et terrifiante. Du coup, oui, ça s’organise, oui, ça se bat, oui, on essaye de nous défendre comme on peut.

Ce que nous n’arrivons pas à comprendre à propos des YDG-H, c’est si ce sont des petits groupes qui sont fédérés, mais qui ont aussi leurs propres initiatives ? Par exemple ceux de Bağlar, ceux de Ofis, ceux de Sur [différents quartiers de Diyarbakır]… ou si c’est au niveau de Diyarbakır, ou de plus haut que les décisions sont prises ?

Ce sont des petits groupes qui s’organisent. Par exemple à Bağlar des groupes se rencontrent et s’organisent, à Sur aussi, et dans différents autres quartiers de Diyarbakır. Ce sont des groupes d’une dizaine, d’une quinzaine de personnes. Et ensuite dans ces groupes de personnes, certaines d’entre-elles se portent volontaire pour porter la parole des uns et des autres… Et ceux qui portent la parole se réunissent pour proposer les différentes idées de manifestations qui ont été discutées avant dans chacun des groupes. Si l’action doit se faire à Bağlar, ça se fait là, si c’est ailleurs ça se fait ailleurs… Les décisions sont prises comme ça. Mais aussi au moyen des outils technologiques d’aujourd’hui. Mais je voudrais préciser aussi, que dans beaucoup de manifestations ou de rassemblements, il n’y a pas forcément des membres du YDG-H, ou très peu. Parfois il va y avoir une initiative, un membre d’un groupe va la proposer, et ça va pousser les autres à participer à la manif. Et du point de vue technique, comme ils ont été formés aux armes ils savent ceux qu’ils ont à faire au moment voulu.

Du coup, ils sont tous formés ? Quand on voit comme tout à l’heure le gamin de 13 ans qui jettent des cailloux, est ce qu’il peut intégrer les YDG-H s’il en avait 16 ?

Non, ce n’est pas comme ça. Comme je l’ai dit au début, tous les jeunes de quartier ne sont pas du YDG-H. Ceux qui jettent les pierres ce sont ces gamins qui subissent aussi la répression, les gardes-à-vue, et la terreur de l’Etat. C’est des jeunes qui se défendent aussi mais qui ne font pas parti du YDG-H. Dans les quartiers, il y a des initiatives de groupes de jeunes, ils agissent de la manière qu’ils trouvent le plus juste.

Est ce qu’il y a d’autres forme d’autodéfense dans les quartiers ? Par exemple chez les plus jeunes ?

L’une des luttes qu’on mène aujourd’hui, c’est pour la libération de notre leader, mais aussi pour autonomiser nos territoires. Les jeunes sont souvent dans des groupes politisés, ils organisent aussi des manifestations, des rassemblements, qui va faire bouger le peuple de chez eux. Mais les jeunes YDG-H qui font des actions armées ne divulguent pas leurs actions aux habitants. Le peuple, et les différents partis politiques ne sont pas avertis de leur mouvement, ça vient de leur initiative propre.

Juste pour dire aussi qu’un gamin de 13 ans qui va jeter son caillou c’est une initiative personnelle. Là par exemple le rassemblement d’aujourd’hui, personnes n’était vraiment au courant de cette initiative hier, chacun va s’informer, de bouche à oreille, et voilà qu’on est environ 500 à être réunis.

Est-ce que tu fais partie d’autres organisations civiles, légales ou non ?

Je suis les réseaux sociaux, et je me tiens informé, et je viens dès que je peux. Je ne mets aucune importance sur la question légale ou non. Là, nous sommes ici, à cette manifestation, et si on subit des attaques, ben, on pensera à se défendre.

J’avais cru voir qu’il y avait des YDG-KH, est-ce qu’il y a des femmes dedans ? Et si ça existe est-ce que c’est comme les YPG et les YPJ [les Unités de protection du peuple du Rojava], avec une organisation mixte et une autre que de femmes ?

Oui oui, le groupe des YDG-KH existe. J’ai un exemple, cette année à Cizre, une famille a voulu marier leur fille adolescente qui ne voulait pas, et le groupe est intervenue dans le mariage, et ont sauvé la jeune fille. Le YDG-H c’est comme le PKK, qui a dedans d’autres groupes, comme le groupe d’autodéfense des femmes. Ce sont des groupes qui existent face à toutes les saloperies faites au peuple kurde.

Y a-t-il des groupes composés uniquement de femmes ?

Oui, y a des groupes non mixte. Elles ont leurs propres formation, théorique et technique. Parfois les YDG-H et les YDG-KH se retrouvent aussi à mener des actions ensemble.

Il y en a ici à Diyarbakır ?

Oui, y en a oui.

Est-ce qu’on voit les YDG-H souvent à l’action ?

On en sait rien, en fait ! Il y a une personne membre qui pourrait s’asseoir avec vous, discuter, et faire partie du YDGH, et vous n’en sauriez rien. J’ai l’impression que vous voulez savoir si les personnes duYDG-H ont une identité : et bien non, ils ne tiennent pas à avoir une identité. C’est seulement une organisation illégale. Et ce, pour par qu’on les démasque. Les réflexions en ce moment sont porté sur l’autodéfense, mais dans l’idée les YDG-H aimeraient étendre leurs savoirs du côté de chez les Turcs aussi, car eux aussi peuvent subir comme nous un jour des attaques de l’Etat.

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[vidéo] « Que le parti de l’AKP soit maudit »

Le type en a assez du gouvernement d’Erdogan, et de son parti islamo conservateur: « Les amis, cette ampoule que nous connaissons est le symbole du parti de l’AKP. Moi, au lieu de rester assis sous la lumière de cette ampoule, je préfère encore rester dans le noir. Que tout les symboles soient maudits. Que le parti de l’AKP soit maudit. » La vidéo est juste en-dessous !

https://youtu.be/M-g4UAWyXpo

Istanbul : répression sans fin…

Istanbul. Sortie du métro Aksaray. Une camarade nous a rencardé pour un rassemblement de protestation, mais faut bien avouer que nous n’avions pas bien saisi les raisons de cette manifestation. Nous pensions que c’était en solidarité avec les migrants qui se sont révoltés la veille dans le centre de rétention de Kumkapi à Istanbul. Car, en Turquie aussi, l’Etat enferme à tour de bras les personnes qui n’ont pas le bon bout de papier en poche. Surtout que l’Union Européenne, Hollande et Merkel en tête, vient de filer 3 milliards d’euros au président-dictateur turc, Tayyip Erdogan, pour s’occuper de garder les migrants sur son sol et non pas les envoyer en Europe. Tout le monde dit ici, que ce sont 3 milliards qui vont aller directement dans la poche du Sultan et pour la guerre contre les Kurdes… Une révolte éclate dans le centre de rétention du coin où les migrants incendient leurs matelas : c’est une excellente raison de se rendre à cet appel en solidarité !

kumkapi

Nous arrivons donc à Aksaray, la sortie du métro est gorgée de flics qui contrôlent les sacs et les gens. Nous parvenons à éviter les contrôles et sortons sur la grande place et assistons immédiatement à des mouvements de troupes excités. 2 toma (canons à eau) manœuvrent pendant que des keufs anti-émeute foncent masques-à-gaz sur la gueule à l’autre coin de la place. Mouvements de foule. Mais que se passe-t-il ? Peu à peu nous arrivons à identifier les flics en civil : ils sont là en masse, peut-être une centaine. Et ils n’ont rien à envier à leurs homologues baceux français, puisqu’ils sont encore plus terrifiants : super énervés et menaçants avec tout le monde et intimant sans ménagement de dégager aux badauds, ils arborent fièrement la barbe islamo-conservatrice à la mode actuellement en Turquie, sont coiffés d’une casquette noire renforcée et enfoncée sur leurs cheveux mi-longs, et un certain nombre d’entre-eux, les plus jeunes, portent un vieux cuir en petite touche finale de leur look gestapiste à la mode ketur islamiste. Rien à envier aux cow-boys de la Bac, disions-nous…

AKSARAY METRO ISTASYONU ONUNDE EYLEM YAPMAK ISTEYEN GRUBA POLIS MUDAHALE ETTI 3 KISI GOZALTINA ALINDI(FOTO SULEYMAN KAYA ISTANBUL DHA)

Nous nous rapprochons de la soixantaine de personne qui parviennent à se regrouper. Ils se mettent à scander, sous les caméras et les micros des journalistes venus assister au pugilat, des slogans en kurde, ainsi que le classique « biji serok Apo ». C’est là que nous comprenons notre méprise : nous sommes à la manif pour la libération de Abdullah « Apo » Öcalan et non au rassemblement par rapport aux migrants révoltés. La camarade nous avait effectivement parlé des deux choses. On comprend mieux la pression policière à l’œuvre… Un kurde, à la soixantaine bien tassé, n’a pas le temps de nous réexpliquer le pourquoi de cette manif, que les flics casqués se mettent à tirer à bout portant avec des fusils bien étranges : tac tac tac, et encore une autre salve, tac tac tac… Ça fait bien peur sur le coup. Avec quoi tirent-ils ? Après rapide enquête de notre part, ce ne sont sans doute pas des flash-balls, mais plutôt des fusils à air comprimé qui lancent des balles lacrymogènes… Toujours est-il que les flics chargent comme des bourrins le regroupement qui s’enfuit dans une petite rue perpendiculaire à la place… Wouah ! Ils sont pas sympathiques pour un sou les nervis du Sultan. Pourtant les courageux manifestants reviennent par une autre rue. Ils se refont chasser à nouveau, pour mieux revenir encore. Car il faut vraiment du courage pour ne pas baisser la tête et venir encore manifester ces temps-ci en Turquie et plus précisément à Istanbul…

Après quasi six mois de répression toujours croissante, les camarades et toutes celles et ceux qui ne veulent plus de la « sale guerre d’Erdogan » sont épuisés. Le président-dictateur est toujours là, fier et renforcé par sa « victoire ». Il a, en effet, « remporté » plus ou moins frauduleusement les élections législatives du 1er novembre en usant comme jamais de la stratégie de la tension. Un mois après, la terreur étatique continue de plus belle. Les arrestations politiques sont massives et quotidiennes : ces derniers jours, par exemple, plusieurs dizaines d’étudiants de l’université d’Istanbul ont été arrêtés et menés en garde-à-vue parce qu’ils clashaient régulièrement avec les membres de l’Etat Islamique présents sur le campus. On nous rapporte aussi le fait que 4 jeunes se sont fait butés par les flics lors de perquisitions la semaine dernière dans la capitale. Et la répression à l’œuvre à Istanbul n’est malheureusement que la partie émergée de l’iceberg…

AKSARAY METRO ISTASYONU ONUNDE EYLEM YAPMAK ISTEYEN GRUBA POLIS MUDAHALE ETTI 3 KISI GOZALTINA ALINDI(FOTO SULEYMAN KAYA ISTANBUL DHA)

Assez logiquement la peur, la déprime et le désespoir gagnent beaucoup de monde. Mais, comme d’habitude, rien n’est fini, rien n’est joué ! La tête ne reste jamais baissée bien longtemps. Le pouvoir et l’oppression ne peuvent pas gagner à tous les coups…

Merhaba Hevalno : l’actualité du Kurdistan en brochures hebdomadaires

merhaba-hevalno-10-brochure-kurdistan-nddl-zadVoici quelques-uns des derniers numéros de Merhaba Hevalno qui nous propose un résumé hebdomadaire de l’actualité du Kurdistan rédigé depuis la ZAD de NDDL.

Pour les retours contacter : actukurdistan@riseup.net Continuer la lecture de Merhaba Hevalno : l’actualité du Kurdistan en brochures hebdomadaires

[Cartographie] Le patriarcat tue tous les jours en Turquie

kadin-cinayetleri-haritasiDes camarades rencontré-e-s à İstanbul nous ont fait part du projet, Kadın Cinayetleri, auquel ils participent : cette carte interactive référence tous les assassinats de femmes en Turquie depuis 2010. A chaque fois sont notés, en plus du nom et prénom de la femme, les circonstances de sa mort ainsi que le « motif » invoqué par l’homme pour son meurtre…

A quand le meme genre de cartographie pour le France ?

Kadın Cinayetleri